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    Résumé : La pitié et la faiblesse n'ont pas leur place dans les steppes d'Asie centrale. Lorsque Yesugei, khan de la tribu des Loups, meurt sous les coups des Tatars, ses anciens compagnons en profitent pour prendre le pouvoir. À onze ans, Temüdjin est bien trop jeune pour s'opposer à ce coup de force. Impuissant, le second fils de Yesugei est abandonné avec sa famille à la merci des bêtes sauvages et du vent glacé, livré à une mort certaine. Mais c'est ainsi que se forgent les destins. Et celui de Temüdjin, hors du commun, est de devenir le plus grand conquérant mongol, le prodigieux Gengis Khan...

     

    J'ai aimé  

    Mon avis : Je ne connaissais pas beaucoup Gengis Khan, hormis de réputation bien sûr. Quand j'ai vu ce livre, je me suis laissée tenter en me disant que ça me ferait du bien de changer un peu de style de lecture. Et je ne le regrette pas du tout.

     

    J'ai trouvé les cent premières pages un peu longues, même si je comprends maintenant qu'elles n'étaient absolument pas superflues. Peut-être à cause du quatrième de couverture, qui en dit, encore une fois, un peu trop. Dommage.

    Quoiqu'il en soit, lorsque le père de Temüdjin meurt, le récit prend toute son ampleur, et il devient réellement difficile de refermer le livre. On veut connaître la suite, on veut savoir s'ils sont s'en sortir (même si on se doute de l'issue).

     

    L'auteur a su faire preuve d'une plume légère et fluide, qui, sans être simple, ne fait que mettre en valeur le récit. S'il n'hésite pas à s'attarder sur des passages parfois un peu crus, ce n'est jamais que pour mieux servir l'histoire. Car tous ces passages ont leur raison d'être, et expliquent comment un jeune garçon va devenir le célèbre Gengis Khan.

     

    J'ai beaucoup aimé la manière dont on suit les étapes de leurs vies : lorsqu'ils arrivent à créer leurs propres arcs, leurs propres flèches. C'est un enseignement précieux, bien au delà de l'histoire de Gengis Khan, qui nous fait nous rappeler que certains, aujourd'hui encore, n'ont pas le réflexe d'aller acheter ce qu'il leur manque.

    On s'attache aux personnages, on les suit avec appréhension, avec émotion.

    Ils n'ont pas une vie facile, loin de là, et la compassion, la faiblesse n'est qu'un danger pour eux. Le récit est dur, et pourtant largement teinté d'affection et d'amour. Temüdjin est un homme impitoyable, mais jamais cruel, avec un grand sens de l'honneur.

    J'ai également beaucoup aimé la rencontre avec ambassadeur Jin : cet homme, qui considère les tribus comme des moins que rien, suscite l'incompréhension. Il traverse la steppe en palanquin, porté par des serviteurs. Lorsque Temüdjin le voit, il se demande ce que contient cette grosse boîte. De même, les termes ''machine'' ou ''imprimé'' ne lui évoquent strictement rien. Lorsque l'ambassadeur lui montre un billet, il ignore ce que c'est, ce qui démontre bien le fossé qu'il existe entre les deux ''nations''.

    Pour conclure, je dirais que c'est un livre qui m'a beaucoup touché. J'en ai appris beaucoup sur cet homme, de manière parfaitement plaisante. C'est une lecture totalement dépaysante. Un vrai coup de cœur.

     

     

    Bon à savoir : Le second tome de cette saga paraitra début mars. Pour les plus impatients, il est déjà sorti en grand format.

     

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  • Il fait nuit lorsqu'il ouvre à nouveau les yeux. Seul un brasero posé sur la petite table dispense de la lumière dans la chambre. Ménandre est encore là, mais cette fois, il le regarde avec ses grands yeux trop graves pour son âge. Et c'est tout son visage qui s'illumine de joie lorsqu'il constate le réveil du voleur.
    Aussitôt, il se précipite et porte aux lèvres d'Elland un bol, rempli d'un liquide délicieux. Avec des geste habiles, il l'aide à boire doucement puis repose le récipient près du lit. Assis sur le rebord du matelas, la mine sérieuse, il lui demande :


    - Comment tu te sens ?
    - Viens là.

    D'un geste, Elland désigne le drap, et Ménandre s'allonge à ses côtés sans hésiter. La joue contre le crâne du gamin, Elland le serre contre lui et murmure « J'ai bien cru que je ne te ne reverrai jamais ». Ménandre reste silencieux, mais se rapproche un peu plus, tout en prenant garde à ses blessures. Après les souffrances passées, Elland savoure cette étreinte tendre et chaleureuse pendant de longues minutes avant de déclarer dans un chuchotement rauque :

    - C'est meoi qui devait t'aider... pas l'inverse.
    - Ben là, c'est toi qu'avait besoin. Et pis, j'ai pas fait grand chose.

    Les larmes remplissent soudain les yeux du voleur et courent le long de ses joues sans qu'il ne puisse rien y faire. Les mots lui manquent pour exprimer son soulagement, sa joie et sa reconnaissance. L'émotion forme une boule dans sa gorge, qui l'empêche de dire quoique ce soit. Si Ménandre remarque quelque chose, il ne fait aucune réflexion et lui laisse le temps de se reprendre avec un tact bienvenu. Lorsqu'Elland s'en estime capable, il demande, de sa voix éraillée :

    - Où sommes-nous ?
    - A l'Hermine Affamée.
    - Mais... elle est fermée.
    - Plus maintenant. Pèire l'a rachetée. Parce qu'un tavernier sans taverne, ça fait désordre, tu comprends ?
    - Pèire est ici alors ?
    - Oui. Et il m'a embauché !
    - Vraiment ? Tu fais quoi ?
    - Ben, il dit que je lui sers de petite main. Mais elles ne sont pas si petites que ça, mes mains ! Je l'aide à préparer à manger, et à nettoyer les chambres aussi. Et puis, je l'aide pour faire le ménage. Mais il ne veut pas que je fasse le service avec lui, il dit que c'est trop dangereux pour moi.
    - Alors, tu restes avec lui ?
    - Oui. Comme je travaille, il m'a donné une petite chambre, rien que pour moi, tu te rends compte ? Et je peux même manger autant que je veux !

    En observant mieux le gamin, un sourire attendri aux lèvres, Elland constate qu'en effet, il a pris un peu de poids. Rassuré, il se promet de remercier Pèire pour avoir pris soin de Ménandre. Une question lui taraude encore l'esprit, mais ses paupières sont si lourdes...

    Il est de retour dans la salle du Comain, ligoté à la longue table de bois. L'homme, au visage si sévère, est penché sur lui et sourit. Il sourit de toutes ses dents, comme s'il se délectait de la situation. Il tient amoureusement un long couteau de la main droite. Sa main gauche, glacée, s'est posée sur son flanc. Lentement, la lame s'approche de sa peau, l'effleure, le...

    Il se réveille en sursaut, couvert de sueur. Un homme est penché sur lui, une main glacée sur son flanc. Mais ce n'est pas le Comain. Un nez imposant, des joues bien rebondies, des yeux rieurs : tout en lui respire la joie de vivre. D'aucuns diraient qu'il est bon vivant, eu égard à sa fière bedaine qui fait bailler sa chemise blanche, et il se dégage de lui une telle aura de bienveillance qu'Elland se sent immédiatement en sécurité.
    La couverture est rabattue à hauteur de ses hanches, et dévoile une myriade de pansements de toutes tailles et de toutes formes. L'homme cesse de le palper pour l'interroger :


    - Ah ! Te voilà enfin réveillé, jeune homme ! Comment te sens-tu ?
    - J'ai mal.

    L'homme replet hoche doucement la tête, le sourire disparu, puis s'agite soudain. Il trottine jusqu'à la petite table où est posée une sacoche. Marmonnant pour lui-même, il en sort de nombreuses fioles. Dans un bol, il verse l'eau chaude contenue dans la bouilloire et y jette des feuilles et des pétales de fleur. Perplexe, Elland l'observe sans un mot. Puis les bras chargés, l'homme revient vers le convalescent :


    - Alors. Je vais d'abord te faire boire une infusion de coriandre et de pavot, pour apaiser la douleur.

    Avisant l'air méfiant du voleur, il lui apprend qu'il s'appelle Théoliste, et qu'il est médecin. Enfin, presque. Il n'a pas le droit d'exercer, car il faut avoir des appuis pour ce faire, mais il a l'habitude de soigner les plus démunis. Il lui explique que c'est Thémus qui l'a envoyé, et lui parle avec un air gourmand de l'hydromel qu'il va, parfois, boire chez lui.
    Tout en palabrant, il dépose précautionneusement les fioles sur le tabouret proche du lit. Rassuré par la simple mention du nom du cordonnier, Elland ne peut qu'acquiescer lorsque le presque-médecin lui propose à nouveau l'infusion. Alors avec précaution, il l'aide à se redresser, puis le fait boire à petites gorgées. Ensuite, il l''allonge à nouveau, bien calé sur les oreillers. Avec des gestes précis, il défait les bandages, lave les plaies avec une décoction d'absinthe, y applique des compresses de calendula pour les désinfecter et en améliorer la cicatrisation. Il appose des cataplasmes d'acanthe sur les brûlures et de la crème d'immortelle pour les hématomes.
    Il ne cesse de parler, pour expliquer les bienfaits des plantes, la compositions de ces remèdes, comme s'il cherchait encore à faire ses preuves. A demi-mot, il avoue à son patient qu'il a sérieusement craint pour sa vie car les plaies sont nombreuses et beaucoup étaient infectées. Elland souffre également de malnutrition et de déshydratation. Ménandre est d'ailleurs chargé de le faire boire abondamment. Pour le reste, Théoliste ne peut que lui conseiller de se reposer, longtemps, et de se ménager.

    Une fois pansé, le presque-médecin le recouvre de la couverture, le borde avec soin, puis s'affaire à ranger ses affaires. Déjà, les divers soins qu'il a effectués apaisent la douleur lancinante qui pulse de toute part. Le bonhomme jovial lui annonce alors qu'il doit partir, mais qu'il reviendra le lendemain, pour une visite de contrôle. De sa voix éraillée, Elland le remercie. Aussitôt, Théoliste s'immobilise, fouille dans sa sacoche, et en sort triomphalement une poignée de bonbons au miel, qu'il lui ordonne de sucer lentement. Puis il disparaît en trottinant.


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    Résumé :

     

    Anna Claramond ne se souvient plus de rien. Seul son nom lui est familier. La ville autour d’elle est blanche, belle, irréelle. Presque malgré elle, la jeune fille accepte l’aide du beau Wynter, l’héritier d’une puissante dynastie. Bal de rêve et cadeaux somptueux se succèdent avec lui mais Anna sent que quelque chose ne va pas. Qu’elle est en danger. De plus, des indices et des messages sont semés à son attention par l’insaisissable Masque, un fugitif recherché. Qui est son ennemi, qui est son ami ? Anna sait qu’elle doit se souvenir. Mais que lui réservera sa mémoire une fois retrouvée ?

     

    J'ai aimé

     

    Mon avis :

     

    Le quatrième de couverture en dit un peu trop, à mon goût. Car la perte de mémoire n'est pas totale, et on se doute bien vite que certaines choses sont étranges.

    Et pourtant, Fabrice Colin a su créé un monde magnifique, à la fois sombre, inquiétant, et plein de magie et de rêves. J'ai été très vite intriguée (c'était le but, d'ailleurs, je suppose). Au fur et à mesure que les pages se tournaient, j'échafaudais diverses théories, toutes plus farfelues les unes que les autres, et que je ne révèlerais pas ici, parce que bon, personne n'aime se tromper.

    Anna est un personnage attachant, même si elle est un peu agaçante parfois. Elle se laisse porter par certains évènements, alors qu'on lui crie de se méfier. Cela dit, à sa place, j'aurais sans doute fait la même chose.

    La plume de Fabrice Colin est vraiment très belle, remplie de sentiments et de magie poétique, ce qui donne au livre une atmosphère très prenante.

    Tous les personnages qui l'entourent ont leur particularité propre qui les rend attachants, surtout son majordome. Pour d'autres, on prend un plaisir pervers à les détester cordialement.

    A mesure que défilent les pages, les évènements s'accélèrent, le rythme s'emballe, les enjeux deviennent de plus en plus importants et il devient particulièrement difficile de lâcher le livre.

    La fin, que je ne révèlerais pas, m'a cependant quelque peu déçue. Sans doute parce que j'avais imaginé tant de choses que bon... La raison de ma déception est très personnelle mais voilà... C'est presque trop facile, en fait. Je ne parle pas de l'explication de cette situation, qui m'ouvre à de nouvelles idées sur le thème en question, et me permet de revoir ce que j'imaginais à ce propos (Voilà. Quand on essaie de garder un peu de suspens, on finit par faire des phrases parfaitement incompréhensibles). Mais plutôt de la raison pour laquelle elle est dans cette situation.

    Bref. Un livre tout à fait agréable à lire, dans un univers où tout est possible. Un excellent moment de lecture, même si la déception finale lui donne un léger arrière-goût amer.


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    Résumé :

     

    Nobody Owens est un petit garçon parfaitement normal. Ou plutôt, il serait parfaitement normal s’il n’avait pas grandi dans un cimetière, élevé par un couple de fantômes, protégé par Silas, un être étrange ni vivant ni mort, et ami intime d’une sorcière brûlée vive autrefois. Mais quelqu’un va attirer Nobody au-delà de l’enceinte protectrice du cimetière : le meurtrier qui cherche à l’éliminer depuis qu’il est bébé. Si tu savais, Nobody, comme le monde des vivants est dangereux…

     

    Coup de coeur

     

    Mon avis :

     

    Pour commencer, j'aimerais dire un mot sur le livre en lui-même : la couverture est vraiment très jolie, et à l'intérieur, il y a de nombreux dessins, qui donnent un ton tout à fait particulier au récit. Un gros coup de cœur pour cette originalité !

    Quant à l'histoire... Inutile de redire ce qui est expliqué dans le résumé. Les personnages sont tous vraiment attachants, à commencer à Nobody. Tous les personnages qui gravitent autour de lui ont leur histoire, leurs manies et leurs manières de parler qui les rendent vraiment … vivants.

    Bien que le surnaturel soit évidemment présent tout au long du récit, il est amené de telle manière que ça nous semble parfaitement évident et normal. La plume est simple, précise, et sert parfaitement le récit.

    On se laisse entraîner par ce conte des temps modernes et on suit les difficultés du jeune héros avec un plaisir certain. J'ai lu sur un blog, qui parlait de ce livre, que le récit fait un peu penser à du Tim Burton. Et en effet, en lisant, j'avais de nombreuses images Burtonniennes en tête.

    L'intrigue en elle-même, déjà originale à la base, est bien faite, ni trop compliquée, ni trop simpliste. Le charisme des personnages donne toute l'ampleur au roman. Et sans trop en dévoiler sur la fin, c'est un subtil mélange de tristesse et d'espoir qui m'a serré le cœur.

    Je crois bien que je ne verrais jamais plus les cimetières de la même manière.

    Un vrai coup de cœur, donc !


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    Résumé :

     

    Trois générations après la Grande Défaite des forces de la Lumière contre l’Occidan noir, les hommes ne connaissent plus qu’un monde privé de l’éclat du soleil. Tous les cinq ans, la Sainte Inquisition envoie cinq Quêteurs aux talents aussi complémentaires qu’aux tempéraments bien trempés, sillonner le continent à la recherche de l’Etoile du Matin, artefact mythique censé ramener la lumière sur le Monde…

     

    Coup de coeur

     

    Mon avis :

     

    Pas de suspens inutile : c'est un récit qui m'a marqué et qui m'a beaucoup plu.

    Nous suivons donc les Quêteurs dans leur recherche de ce qui pourrait sauver le monde des gentils. Dès le début du roman, nous sommes plongés dans l'action, et il devient difficile de reposer le livre.

    Chaque Quêteur a sa personnalité propre, ses talents particuliers qui le rend indispensable au reste de l'équipe. Ainsi, plusieurs d'entre eux ne savent pas lire, occasionnant un handicap certain (et ça nous fait réaliser à quel point nous avons la chance de pouvoir lire).

    Chaque personnage a ses côtés touchants, une motivation qui lui est propre et qui nous parle. Et même lorsqu'il s'agit de détester un personnage car il est trop extrémiste, on peut comprendre son point de vue.

    Dans ce monde, point de manichéisme : les gentils ne sont pas aussi gentils qu'il y parait, et les méchants, pas si méchants que ça, finalement.

    Il y est question de courage, d'honneur, de foi, d'intolérance (et pas seulement religieuse), de lutte de pouvoir et d'amour. Tout un panel de sentiments qui se mêlent parfaitement, sans tomber dans les clichés, sans nous faire froncer les sourcils.

    La question de la religion y est présente, fatalement, et l'auteur nous laisse tirer nos propres conclusions quant au comportement de ces partisans, sans prendre position.

    L'intrigue est parfaitement menée, et jusqu'aux dernières lignes, l'auteur nous réserve des surprises, pas forcément belles.

    C'est difficile d'en parler sans réveler l'intrigue. C'est réellement un roman prenant, qui fait réfléchir tout en nous permettant de nous évader.

    Un seul conseil : laissez-vous tenter !


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    Un soir, comme d'habitude, les cerbères viennent le chercher. Il n'a plus la force de les supplier et sa voix s'est éteinte, usée par ses cris. Incapable de tenir sur ses jambes, ce sont les geôliers qui le traînent hors de la cellule, une main sous chaque aisselle. Mais ce soir-là, ils passent tout droit devant la salle du Comain. Elland se garde bien de s'en étonner, terrorisé à l'idée qu'ils inventent un nouveau moyen de le martyriser.
    Ils montent lentement les escaliers jusqu'à l'entrée de la prison, faisant cogner ses pieds traînants contre chaque marche puis contre chaque aspérité du sol inégal. Ce n'est qu'une fois hors de la prison, dans la rue déserte, que le plus jeune lui apprend qu'ils ont trouvé le coupable, le vrai cette fois, et qu'il doit rentrer chez lui pour oublier ce qu'il s'est passé. Ils dénouent ses entraves et l'emmènent jusque dans une ruelle adjacente : ça fait moins désordre que devant les geôles. Et ils le laissent là, plus mort que vif.

    Rentrer chez lui... Il grimace un sourire. Il lutte déjà pour lever la main, couverte de saleté et de sang, afin de la regarder, incrédule, vierge de toute entrave. La faible lueur de lune renforce l'aspect irréel de la situation. Libre. Il est libre. Il devrait ressentir une joie indicible, il est enfin lavé de tout soupçon. Mais il n'a plus vraiment la force de ressentir quoique ce soit. Se lever, avancer jusqu'à son immeuble. Grimper la façade. Se glisser à travers la lucarne. C'est tout simplement impensable. Echidna ! Elle pourrait peut-être l'aider... encore qu'il faudrait qu'elle entende son appel. Gisant sur les pavés glacés, il ferme les yeux, découragé.

    C'est alors qu'il entend un bruit d'ailes, puis un corps massif qui se pose non loin de lui. Ses lèvres gercées s'étirent dans un sourire douloureux. Il n'a pas la force d'ouvrir les yeux, mais il sait qu'elle est venue. Elle va le sauver. Elle lui donne un léger coup de nez, tiède et rugueux, sur la joue. Il gémit, incapable de parler ou de bouger, mais il veut lui faire savoir qu'il apprécie sa présence. Pour le coup, il espère qu'elle est perspicace.
    Avec la tendresse d'une mère, Echidna glisse ses pattes avant sous son corps supplicié. Il se sent quitter doucement les pavés et s'élever entre les hautes maisons. Rassuré, confiant, il s'abandonne à l'inconscience.

    Il n'ouvre pas tout de suite les yeux lorsqu'il reprend ses esprits. Sa première surprise est de se sentir enveloppé de chaleur. Il repose sur une surface douce et moelleuse. La puanteur de la paille moisie ne l'agresse pas. Alors lentement, ses paupières se soulèvent. Il est dans un lit. Un plafond aux poutres de bois apparentes est son unique paysage. Une lumière douce éclaire la pièce, provenant d'une simple fenêtre. Soudain, la douleur explose en des dizaines de parties de son corps et lui coupe le souffle. L'ignorer. Prétendre qu'elle n'existe pas le temps de découvrir où il est.
    Lentement, il tourne la tête sur la gauche, à la recherche d'indices. Une petite main émerge de la couverture, et il reste de longues minutes à l'observer. Qu'est-ce qu'elle fait là ? Est-elle sienne ? Comment le Comain aurait-il pu en réduire la taille ? Précautionneusement, il replie ses doigts contre la paume. La petite main n'a pas bougé. Soupir de soulagement.
    Alors seulement, il remarque la tignasse brune, posée sur le bord du matelas. Sous la tignasse, un visage mince, finement dessiné, des lèvres boudeuses. Ménandre ! Le gamin des rues s'est endormi, la main posée non loin de celle du voleur.

    Autour d'eux, la chambre est simple : le lit, une petite table accompagnée d'une chaise, un placard. Impersonnelle, c'est dans doute une pièce réservée aux visiteurs. A moins qu'il ne soit chez un médecin. Car sur la couverture, son bras gauche est bandé, et sa dextre, sous les draps, palpe de nombreux pansements sur son corps. Oui, il a été soigné, c'est certain.
    Lentement, il déplace sa main gauche, jusqu'à couvrir celle du gamin. Combien de temps l'a-t-il veillé avant de s'écrouler épuisé ? Comment a-t-il pu ...
    Sans même s'en apercevoir, il glisse dans l'inconscience.


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    Alors seulement, il lâche la corde. Elland aspire une grande goulée d'air, qui embrase sa gorge meurtrie et met le feu à ses poumons. La séance est terminée pour aujourd'hui.
    Les deux geôliers sont de retour. Ils le relèvent, l'entravent à nouveau, le ramènent à sa cellule. Épuisé tant moralement que physiquement, le voleur n'essaie même plus de s'échapper. Nouveau jeu de chaînes, pour le contraindre dans sa petite cellule. Et ils le laissent seul.
    Recroquevillé sur lui-même dans la paille putride, il sanglote, harcelé par la douleur, oppressé par la panique.

    Un objet dur, tombant sur son visage, le réveille en sursaut. Les cerbères sont revenus. C'est une miche de pain qui lui ont envoyé à la figure, et non loin, ils ont déposé un pichet d'eau. Le voleur se ramasse un peu plus sur lui-même, craintif. Mais ils ne l'emmènent nulle part. Le plus âgé se contente de lui annoncer que le Comain Ormetus l'interrogera plus tard, et ils s'en vont. Le Comain... l'un des nombreux bourreaux officiel.
    Resté seul, Elland se précipite sur le pichet, en prend une longue gorgée. Sa gorge est encore douloureuse, mais l'eau apaise la sécheresse qui sévit dans sa bouche.

    Dans un état second, adossé au mur, il suit la course du soleil, obnubilé par la promesse de l'interrogatoire à venir. Interrogatoire... torture, plutôt. Les rumeurs qui courent dans les rues sont fondées : il leur faut un coupable, et ils sont prêts à toutes les bassesses pour obtenir des aveux. Mais il est innocent. S'il avait été arrêté pour vol, il aurait peut-être accepté plus aisément son châtiment. Après tout, il a toujours été conscient des risques qu'il prenait. Mais il n'avouera pas un crime qu'il n'a pas commis.

    Le soleil a disparu derrière les bâtiments lorsque la porte, silencieuse comme la mort, laisse entrer ses geôliers. Ils ne lui laissent aucune marge de manœuvre et l'entraînent jusqu'à la salle d'interrogatoire, où le Comain Ormetus les attend. C'est le petit homme sévère de la veille, qui a ôté le drap noir de la table, et qui caresse amoureusement les instruments posés dessus. Ils immobilisent Elland contre un mur, minutieusement enchaîné.
    Sans cacher le plaisir qu'il y prend, Ormetus use de nombreux instruments sur son prisonnier, le poussant sans répit à confesser ses crimes, se délectant de ses cris de douleur.
    Au petit matin, c'est un corps inconscient que les cerbères ramènent au cachot. Mais Elland n'a rien avoué.

    Lorsqu'il revient à lui, le lendemain, son corps n'est plus que douleur. Dans un coin de la cellule, sa ration quotidienne de pain et d'eau. Sa gorge le fait souffrir, tant il a hurlé sa douleur la veille, aussi se contente-t-il d'un peu d'eau. De toutes façons, il n'a pas vraiment faim. Il a juste mal.
    Les minutes s'égrainent lentement, rythmées par sa respiration sifflante et la douleur lancinante. Dans son esprit, une seule obsession tourne en boucle : ils vont le ramener auprès du Comain. Les mêmes questions seront encore posées, les mêmes menaces proférées, les mêmes injonctions martelées. Et de fait, il n'y coupe pas. Peu après la tombée de la nuit, la porte s'ouvre. Et il a beau les supplier, leur promettre monts et merveilles, ils ne cèdent pas.

    Durant ses longues heures d'attente, il rejette, les uns après les autres, tous ses projets d'évasion et tous ses plans pour se tirer de ce mauvais pas. Il est enchaîné même dans sa cellule, et les gardes ne lui laissent jamais la moindre opportunité.
    Il pourrait envoyer un appel au secours.... mais comment ? Et à qui ? Echidna ne pourrait rien faire. Thémus... ce serait trop dangereux d'impliquer Thémus dans cette affaire, sans compter qu'il serait impuissant : seul quelqu'un de très haut placé peut influencer un Comain. Certes, des personnes haut placées, il en connait beaucoup. Il connaît parfaitement la ronde de leurs gardes privées, l'emplacement de leur coffre fort, et il a même quelque unes de leur babioles dans sa réserve secrète. Mais ce n'est pas vraiment connaître dans le sens où il en a besoin.
    Il n'a pas de groupe d'amis, qui seraient prêts à tout faire pour le sortir de là. A vrai dire, il n'est même pas sûr que quiconque remarque sa disparition...

    Les jours s'écoulent dans un brouillard vaporeux. Elland en a perdu le compte. Le rituel est immuable : ses geôliers apportent la nourriture quand il est encore inconscient. Puis l'attente infernale, supplice raffiné qui menace de faire sombrer son esprit dans le chaos. Au crépuscule, ils l'emmènent dans cette salle qu'il exècre, auprès de cet homme qu'il abhorre. La nuit est un enchaînement de tortures insoutenables, soigneusement dosées pour qu'il les subisse jusqu'à ce que son bourreau se lasse. Mais il n'avoue pas.

    Le Comain s'impatiente, trépigne de rage. Intensifie et diversifie les douleurs pour le faire craquer. Pour qu'enfin, l'esprit de son prisonnier bascule. Et à mesure que passent les jours, dans l'esprit d'Elland, se forge une idée : il devrait confesser ces crimes qu'il n'a pas commis. Car même s'il doit mourir pendu et déshonoré, l'enfer cesserait.


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    - Il suffit. Mettez-le sur la chaise.

    La voix a fendu l'air comme un coup de fouet et les deux hommes obéissent immédiatement. Sans douceur, ils le traînent jusqu'au siège et tandis que l'un le plaque solidement contre le dossier, la matraque passée sous la gorge, l'étouffant à moitié, l'autre attache solidement ses avant-bras et ses tibias. Les liens se multiplient et le contraignent de plus en plus. Désormais certains qu'il ne bougera pas, ils se retirent sans un mot.

    Elland observe le nouveau venu tout en essayant de reprendre son souffle et d'oublier les douleurs qui l'assaillent. Il est petit, sec comme un coup de trique. Nerveux. Ses cheveux grisonnants, son visage taillé à la serpe, son nez aquilin, tout est sévère en lui. Et c'est sans parler de ses yeux d'un bleu glacial, qui semblent vouloir transpercer Elland pour en arracher jusqu'au dernier aveu. Conscient d'être en présence d'une personne importante, Elland se garde bien de piper mot.


    - Plus vite tu avoueras, moins tu souffriras.
    - Avouer quoi ? Je suis innocent !
    - Ils disent tous ça. Et puis, ils finissent par avouer. Tous.

    Une panique innommable le fait trembler entre ses liens. Il n'imagine que trop bien comment les prisonniers en viennent à avouer tout et n'importe quoi pourvu que la torture cesse. L'homme tourne autour de lui, comme un oiseau de proie qui voudrait hypnotiser sa victime. Il reprend, impassible, indifférent à la terreur visible du prisonnier :

    - Tu ressembles parfaitement à la description pourtant. Grand, aux cheveux foncés.
    - Mais il y a des milliers d'hommes qui ressemblent à cette description à Rivemorte !
    - Peut-être. Mais c'est toi le coupable.
    - Coupable de quoi ?
    - D'avoir séduit la femme du Tallent. D'avoir accompli l'acte de chair avec elle. De l'avoir forcé à l'adultère. Et enfin, de l'avoir traitée comme une fille de joie.

    A mesure que les accusations fusent, la stupéfaction grandit en lui. La femme du Tallent, pitié ! Cet homme est certes le principal bras droit du gouverneur, mais il n'en demeure pas moins que son épouse est vieille et pas franchement gâtée par la nature.
    Malgré la terreur qui grandit en lui, il ressent un certain soulagement. C'est en toute sincérité qu'il pourra clamer son innocence. Mais il doit trouver des arguments convaincants. Avec la force du désespoir, il affirme :


    - C'est impossible !
    - Ah bon ? Et pourquoi donc ?
    - A quand remontent les faits ?
    - Tu le sais très bien. C'était il y a une semaine.
    - Je n'étais pas à Rivemorte il y a une semaine. Je ne suis rentré qu'aujourd'hui.
    - Quelqu'un peut le prouver ?
    - Et bien...

    Les méninges du voleur s'emballent, comme la roue d'un moulin à eau pendant les crues. Il doit trouver un alibi parfait. Thémus ! Thémus pourrait certifier qu'il n'était pas là pendant un mois ! Mais... braquer l'attention des forces de l'ordre sur lui n'est pas franchement une bonne idée, même s'il sait se faire discret dans son commerce. Jamais plus il ne pourrait se regarder en face s'il mène le cordonnier à la torture. L'homme se place face à lui et sourit, certain de l'avoir piégé. Il enfonce le clou en demandant, mielleux :

    - Les gardes aux portes de la ville t'ont vu entré et sortir ?
    - Je ne crois pas non... il y avait beaucoup de passage.
    - Où étais-tu ?

    Là encore, Elland reste muet. Echidna, en volant, lui permet d'éviter les contrôles aux portes de la ville, et pour la première fois depuis leur complicité, ce formidable atout se révèle être un sérieux problème. Sans compter qu'il ne peut pas franchement dire qu'il s'était réfugié dans les grottes pour échapper à la milice. Il prend une grande respiration et débite :


    - J'étais à Fiermont. En visite chez des cousins. J'y suis resté quinze jours, comme je ne les vois qu'une fois l'an.
    - Fiermont ? Donne-moi leurs noms, que j'envoie quelqu'un vérifier.

    Le voleur s'exécute en essayant de réduire le tremblement de sa voix. Le temps qu'ils aillent jusqu'à Fiermont et réalisent que les frères Vaunalle n'existent pas, il aura trouvé quelque chose pour se tirer de ce mauvais pas. Peut-être même que ses geôliers lui ficheront la paix pendant ce temps. Mais en quelques mots, son vis-à-vis réduit à néant ses illusions :

    - Tu es coupable, je le sais. Et je ne veux pas perdre de temps à courir après les fausses pistes que tu lances. N'espère pas bénéficier du moindre répit.

    L'homme, un sourire sinistre aux lèvres, se glisse à nouveau dans son dos. Il passe une corde dans les petites percées du bois, à hauteur du cou d'Elland. Et lentement, il resserre la prise, l'étranglant à petit feu. Malgré ses liens, un geste instinctif lui fait agiter les mains, pour les porter à sa gorge, pour enlever le cordon qui le prive peu à peu d'air. Mais ses mains restent solidement plaquées sur les accoudoirs. La bouche grande ouverte, les yeux exorbités, il tente d'inspirer. L'homme resserre encore la corde, et toute son âme se débat. Son corps est parfaitement immobilisé, mais pas sa conscience, ni sa panique. Totalement impuissant, il perd pied, cède à la panique. Des tâches sombres dansent devant ses yeux et ses poumons le brûlent atrocement. L'homme se penche à son oreille, sans relâcher sa prise, et sussure :

    - Tu es coupable. Et tu avoueras.


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    Des brins de pailles, humides et nauséabonds, sous ses doigts. Le froid, qui s'insinue entre ses vêtements moites, et le fait frissonner. Sa tête, qui semble prise dans un étau qu'un galopin s'amuserait à serrer, toujours plus, jusqu'à l'éclatement.
    Dans un gémissement de douleur, le voleur tente de se relever. Ses poignets et ses chevilles sont ceints par d'épais bracelets de fer, reliés au mur par de lourdes chaînes. Abattu, il s'adosse aux pierres, serre ses genoux entre ses bras.
    Une cellule, minuscule, fétide. Des murs de pierre suintant la pourriture. Une lucarne, soigneusement scellée par d'épais barreaux, est percée juste sous le plafond. Il fait jour, mais Elland est incapable de deviner l'heure. Depuis combien de temps est-il ici ?

    Il règne un silence oppressant dans son cachot. Rien n'indique qu'il n'est pas seul en ces lieux. Même le bruissement de la cité, qu'il devrait entendre via la lucarne, s'est tu.
    Pour la première fois de sa vie, il se sent seul au monde. Abandonné. Comment pourrait-il s'en sortir, cette fois ?

    Il a été stupide. Et encore, le mot est faible. Il aurait dû rester dans les grottes. D'accord, il ne s'y plaisait pas, mais par les Dieux, il aurait pu faire un effort ! Il est désormais entre les mains de la milice, il n'y a que deux alternatives : finir ses jours à Terregrise, ou être pendu. Magnifique.

    Il se pensait en sécurité, protégé par l'anonymat de la foule. Aucun garde ne l'avait jamais attrapé auparavant, il n'aurait jamais dû être fiché où que ce soit. Comment ont-ils pu retrouver sa trace ? De combien de vols vont-ils l'accuser ?

    Le maigre rayon de soleil qui parvient à atteindre sa cellule tourne lentement sur les murs. Le temps passe, nul ne vient. Il a soif. Et il a faim. Et sa vessie a besoin d'être vidée.
    Une idée atroce traverse son esprit, avant de s'y ancrer fermement : personne ne viendra. Ce n'est pas une cellule, mais une oubliette. Les gardes reviendront d'ici une à deux semaines, évacuer son cadavre racorni par la douleur. Il va mourir seul, oublié de tous.

    Echidna. Saura-t-elle seulement qu'il est inutile de l'attendre ? Qu'il est inutile d'espérer son retour ? Pourrait-elle trouver un autre maître respectueux ?

    Bien plus que sa bouche asséchée, bien plus que la douleur au crâne, là où le bouclier a frappé, bien plus que ses muscles douloureux, c'est la poitrine qui le fait plus souffrir. Une boule d'angoisse semble grandir à chaque instant, le privant peu à peu d'air, comprimant son cœur jusqu'à l'empêcher de battre.

    La nuit est tombée, dehors, et la cellule est plongée dans l'obscurité la plus complète. Prenant sur lui, Elland se résout à apaiser sa vessie dans un recoin de la pièce. Au point où il en est, de toutes façons...

    C'est précisément à ce moment là que la lueur vacillante d'une torche danse sur les murs. Pris sur le fait, Elland se rajuste vivement et se retourne. Dans un silence parfait, la lourde porte de bois, massive, a tourné sur ses gonds pour laisser entrer ses geôliers. Le premier est jeune, et semble bien trop innocent pour exercer un tel métier. Mais ses prunelles reflètent toute la dureté de ses convictions : il ne se laissera pas amadouer. Lui ne bouge pas, se contente de tenir le feu bien haut. Son collègue ressemble déjà plus à l'idée que se faisait Elland de geôliers. Patibulaire, méchant, il s'avance d'un pas lourd sur la paille.


    - Je suis innocent ! Je n'ai rien fait !

    D'un geste vif, le geôlier attrape la matraque qui pend à sa ceinture, et l'abat sur l'abdomen d'Elland qui, gêné par ses liens, ne peut que reculer légèrement pour atténuer le coup. La douleur est pourtant effroyable. Lorsque le gardien marmonne qu'il est interdit de parler, le jeune voleur ne peut qu'acquiescer, le souffle coupé. Il devra garder ses protestations pour lui. Sans s'attarder davantage sur le sujet, le geôlier manipule les chaînes avec brusquerie, lui attachant les mains dans le dos. A ses chevilles, il réduit la longueur des entraves à quelques centimètres seulement, lui permettant tout juste de marcher. Puis d'une puissante poussée dans le dos, il lui intime l'ordre d'avancer.

    Sans un mot, les deux cerbères le guident entre les murs étroits et humides de la prison. Des dizaines de portes, jumelles à la sienne, percent le mur. Combien d'autres personnes souffrent des mêmes angoisses que lui derrière ces battants ? Combien sont à l'agonie dans l'indifférence la plus complète ? Tant bien que mal, ils parviennent jusqu'à une porte béante, s'ouvrant sur une salle où brûlent de nombreuses torches. Avec effroi, Elland détaille les lieux. Partout, des chaînes, des instruments de rétention. Une immense table est recouverte d'un drap noir, mais nulle curiosité ne vient titiller Elland. Des spasmes d'horreur convulsent son estomac. Une salle de torture.

    Indifférents, les gardiens s'avancent dans la pièce, tandis qu'Elland lutte pour ne pas céder à la panique. Arrivés devant un fauteuil en bois, trop simple pour être anodin, ils s'immobilisent. Avec des gestes efficaces, le même geôlier dénoue ses liens, d'abord les bras. Alors qu'il s'apprête à pousser violemment Elland sur l'assise du siège, ce dernier, dans un mouvement de panique, tente de fuir. Un geste d'esquive, rapide et vif. Un premier pas, loin des bourreaux. Un second. Un troisième, encore. Gêné par la courte chaîne, il s'effondre avant d'ébaucher le quatrième pas. Les gardiens sont déjà sur lui, matraque levée. Perdant toute retenue, Elland hurle à plein poumons. Recroquevillé sur lui-même, il crie sa douleur à chaque fois que la longue barre de bois s'abat sur ses bras, sur ses jambes. Il hurle sa terreur, à s'en arracher les cordes vocales. Mais ça n'apaise pas la fureur des cerbères, qui se défoulent sur lui avec un plaisir évident.

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    Un tonnerre d'applaudissements retentit sur la place, faisant vibrer le mur contre lequel Elland est adossé. Les troubadours reviennent plusieurs fois sur scène, sollicités par les encouragements de la foule. Puis les cloches de la Grand Tour Célestis annoncent minuit, sonnant l'heure du départ. Les premières familles regagnent la douceur de leur logis tandis que les artistes rangent leur matériel.

    A regrets, le voleur se détache de son mur, et s'éloigne, encore bercé par les histoires racontées. Il hâte progressivement le pas, impatient de retrouver Echidna et de partager avec elle la magie du moment. Et de lui soumettre son hypothèse : l'ombrelle qu'elle a mangé avait sans doute été ensorcelée par les Clamadinis. Il emprunte les ruelles désertes, peu désireux d'entendre les voix exaltées des enfants qui s'émerveillent encore du spectacle.

    C'est alors qu'il les entend. Des bruits de pas, lourds, menaçants. Manifestement, ceux qui le suivent ne cherchent pas à être discrets. Elland élimine donc la possibilité d'être poursuivi par des voleurs ou des assassins. Au pluriel, oui, car il y a, sans aucune doute possible, au moins deux personnes derrière lui.
    L'air de rien, il tourne à gauche, s'éloignant de son repère. Avec un peu de chance, ce n'est qu'un couple qui rentre chez lui après une soirée agréable dans l'une des tavernes de la ville. Ou d'autres spectateurs des troubadours; après tout, il y avait beaucoup de monde.
    A gauche à nouveau. Les pas le suivent toujours. Encore à gauche. Il tourne en rond, le bruit des semelles sur le pavé devrait s'éteindre.

    Mais ils sont toujours là. Pire, ils semblent accélérer. Il jette un rapide coup d'œil derrière lui. Deux miliciens, dont les armoiries brillent fièrement à la lueur de la lune. Son cœur bat si fort qu'il a l'impression que toute la ville peut l'entendre. Sa foulée s'allonge tandis qu'il tente de garder un air impassible. A droite maintenant. Les pas résonnent plus rapidement entre les murs délabrés. A gauche, sa foulée devient petite course silencieuse. Droite. Gauche. Regard en arrière. Ils sont toujours là et courent désormais.

    Retenant un juron, Elland s'élance. Il ignore ce qu'ils veulent, et à vrai dire, il ne tient pas vraiment à discuter avec eux. Il connaît la ville comme sa poche. Il sera facile de les semer, de disparaître. Les ruelles se succèdent rapidement, et il s'enfonce toujours plus dans les méandres de la ville. Avant de tourner au coin d'un bâtiment, il jette un regard derrière lui. Les miliciens sont cramoisis, suants et ahanants, mais ils sont toujours là. Charogne ! Ne vont-ils jamais le...

    Le choc est si violent qu'il se retrouve le derrière par terre, le souffle coupé. Face à lui, deux autres gardes se dressent, tout autant surpris. Deux devant, deux derrière. La situation se complique. Elland tente de se relever, de fuir encore. Du coin de l'oeil, il aperçoit un bouclier en bois, aux nobles armoiries, s'approcher dangereusement de son crâne. Sans pouvoir esquisser un geste de défense, il sombre dans le néant.


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