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    - Je n'ai pas le temps de boire aujourd'hui Thémus.
    - Je m'en doute. Mais nous serons plus tranquilles pour discuter.

    Après avoir vaguement marmonné son accord, Elland le suit jusqu'à l'arrière-boutique et s'installe sur une chaise. Puis, sans perdre de temps, pressé d'en finir, il déballe les bijoux volés. Thémus, indifférent, se sert tout de même un verre, tout en lui annonçant :

    - D'après mes informateurs, ta logeuse a vendu tes affaires à des marchands ambulants. Ils ont quitté la ville hier au soir, juste avant que les portes de la ville ne soient fermées pour la nuit. Ils se dirigent actuellement vers Fiermont. Mais leur convoi est bien gardé, ils ont engagé des mercenaires...
    - Comment es-tu au courant ?

    Le sang du voleur s'est glacé dans ses veines, et il imagine, horrifié, être l'objet de rumeurs et de moqueries dans tous les bas-quartiers de la ville. Mais le cordonnier l'apaise d'un geste de la main, et lui sourit :

    - Personne n'est au courant, c'est Ménandre qui est venu m'en parler ce matin. Je me suis permis de mener ma petite enquête, rien de plus. Ne t'inquiète pas, ça ne s'ébruitera pas.

    Encore ce gamin ! Il n'a pas dormi longtemps mais ça a suffit à Pèire et Ménandre pour manigancer ... Mais c'est la reconnaissance qui prédomine sur la colère, et la gorge nouée par l'émotion, Elland est incapable de répondre quoique ce soit. Pèire, Ménandre et Thémus l'aident encore, et ça le surprendra toujours. Avisant le trouble de son hôte, le cordonnier se relève et lui remplit un gobelet d'hydromel. Et c'est avec avidité qu'Elland en boit une bonne moitié. Thémus est allé chercher une bourse rebondie dans l'un des nombreux placards qui tapissent les murs. Jouant machinalement avec l'escarcelle, il poursuit :

    - Comme je te le disais, l'attaque des marchands ambulants est périlleuse, et risque d'attirer l'attention sur nous. Mais si tu le souhaites, il te suffit de m'en toucher un mot, et cette attaque se fera.
    - Non, je me débrouillerai.

    Savoir que ses affaires sont entre les mains de marchands ambulants lui a ôté tout espoir. Jamais plus il ne les retrouvera. Et s'il sait bien que Thémus récupérera toutes les autres affaires volées dans l'attaque du convoi et qu'il ne sera donc pas perdant dans l'histoire, il ne souhaite pas pour autant l'impliquer davantage. Thémus poursuit, imperturbable :


    - De toutes façons, j'ai une autre solution à te proposer. Une connaissance est allée rendre visite à ta logeuse. Elle t'adresse ses plus sincères excuses, et elle a décidé de te rendre la valeur des biens vendus.

    Le regard du voleur se vrille dans les prunelles de son vis-à-vis, cherchant à percevoir la vérité derrière ces faits enjolivés. Elle aurait rendu l'argent de son plein gré ? Sans hésiter ? Sans essayer de l'arnaquer ? Le sourire carnassier de Thémus lui répond par la négative.

    - Merci beaucoup Thémus. C'est …
    - C'est normal. Elle n'avait pas le droit de profiter de la situation. Donc cette bourse est à toi. Elle te permettra de remplacer la plupart de tes affaires.
    - Et les bijoux alors ?
    - Je vais te les prendre. Et te les payer d'avance, pour que tu aies de quoi voir venir.
    - Merci beaucoup.
    - Tu commences à radoter...

    Le sourire du cordonnier se fait chaleureux, et il lui glisse dans la main la bourse de sa logeuse. Puis, avec toute la minutie des professionnels, il examine soigneusement chaque pièce apportée par Elland. Hochant la tête devant la qualité des objets, il marmonne des chiffres, puis se lève et va fouiller dans un autre placard. Enfin, il revient et dépose un joli tas de monnaie devant le voleur.

    - Voilà pour toi. Ah, et au fait ! Tu sais, au lieu de donner ton argent à un logeur peu scrupuleux qui t'arnaquera dès que tu auras le dos tourné, tu aurais meilleur compte à accepter l'offre de Pèire. Et puis, tu sais, sa taverne vient juste d'ouvrir, il dormirait sans doute plus facilement avec l'assurance d'avoir un loyer régulier, même si ce n'est qu'une partie de ses revenus.

    Les yeux plissés, Elland observe le cordonnier, qui garde un air détaché. Ils se sont ligués pour le convaincre de vivre à l'Hermine Affamée. Et ce satané bonhomme, en face de lui, sait parfaitement qu'en utilisant cet argument, il touche une corde sensible. Grognon, avec l'impression de s'être fait avoir, encore une fois, Elland empoche l'argent et se lève. Il marmonne un vague
    « J'y réfléchirai. Merci pour tout » et termine son verre. Le tintement de la clochette lui offre l'excuse idéale pour déguerpir, non sans avoir salué Thémus comme il se doit.


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    Résumé :

     

    Lorsque la licorne protectrice du royaume est assassinée, il ne reste plus rien pour défendre Setiladom des protégés du comte Zeldor de la Cité des Monts Damnés. Héribold, accusé à tort d’avoir occis l’animal, va finalement se voir confier la lourde tâche de ramener une autre de ces créatures sacrées à la citadelle.

     

    Dead

     

    Mon avis :

     

    C'était un achat impulsif : j'ai été séduite par la couverture et par le résumé qui change un peu de l'ordinaire. Et ça m'apprendra à faire des achats impulsifs.

     

    L'idée d'origine était bonne, je trouve : on apprend que la licorne est l'animal magique capable de défendre le royaume contre les méchants dragons qui veulent le raser. Là où le bât blesse, c'est pour tout le reste, quasiment.

     

    Certains personnages ne sont visiblement là que pour servir le récit : la petite fille d'Héribold, par exemple, qui lance une expédition pour aller sauver son père, condamné à mort, au tout début du roman. Je ne vous spoile pas trop en disant que le père fini par être sauvé (trois pages plus loin). Il s'aperçoit bien que sa fille est là, mais, alors même qu'il déplorait le fait de ne pas l'avoir aimé suffisamment, il n'y a aucune mention de retrouvailles entre le père et sa fille. Et pas besoin de verser dans le sentimental guimauveux, il suffisait d'une allusion. Et ce travers, on le retrouve tout le long du récit. Certains personnages apparaissent clairement pour servir uniquement à l'avancée de la quête, et c'est tellement flagrant que ça en est énervant.

    Et de plus, en terme de caractères, il y a de sérieuses incohérences. Héribold est en charge de la défense de la ville. Le grand chef donc. Et pendant la quête, à plusieurs reprises, l'auteur nous dit, grosso modo, qu'Héribold n'avait pas l'habitude de prendre des décisions qui pesaient si lourd sur le destin de sa cité. Hum. Et donc, en tant que chef des gardes ? Il faisait quoi ?

     

    Un autre travers qui m'a agacé : la simplicité avec laquelle ils règlent les problèmes qu'ils rencontrent.

    Pour l'un d'entre eux en particulier, des dizaines de chercheurs, des siècles durant, se sont cassé les dents sur une énigme insoluble, et eux, en quelques heures réussissent à percer le mystère. Les coïncidences sont vraiment trop grosses : le premier-venu qu'ils croisent peut systématiquement les aider.

    Toute la quête est lancée sur une simple intuition, et si les personnages arrivent à se convaincre du danger, ce n'était pas mon cas.

     

    Un autre détail qui m'a dérangé, c'est les ''copies'' du Seigneur des Anneaux. D'accord, le mot copie est un peu fort mais bon. Les personnages vont dans une auberge appelée Le Destrier Fringuant. Ils sont dans une tour, la plus haute du monde, et en son sommet, ils découvrent un immense globe rougeoyant. Alors qu'ils avancent plus au nord, il découvrent les Gardiens, deux statues immenses de guerriers jumeaux, qui annoncent l'entrée dans une terre. Ce n'est peut-être pas volontaire mais voilà, ça m'a fait tiquer.

     

    La plume n'est pas désagréable à lire. Mais les personnages manquent de profondeur, de cohérence. Les difficultés rencontrées sont si vite résolues qu'on peine à adhérer à leur quête. La menace n'est pas franchement menaçante. Quant aux idées des ''scientifiques'', elles sont assez surprenantes d'immaturité.

     

    J'admets que c'est un roman jeunesse. Mais nos chères têtes blondes méritent mieux. Une grosse déception, donc.


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    Le colosse est assis sur un petit banc, à côté de la porte de service, et semble admirer l'aube. Nullement surpris par l'arrivée du couple, il se contente de saluer de la tête la gargouille, qui s'empresse de décoller pour regagner les toits avant d'être figée pour la journée. Sans un mot, Pèire invite le voleur à rentrer à l'intérieur. Dans la salle à manger déserte, ils s'assoient autour d'un petit-déjeuner matinal : une boisson chaude, du pain tout juste sorti des fourneaux, et une motte de beurre à l'odeur alléchante. Affamé, Elland se jette sur la nourriture. Et ce n'est que lorsqu'il est rassasié que Pèire lui demande :

    - Ça ne s'est pas passé comme prévu ?
    - Non. Les gardes sont venus chez moi. Ma logeuse a revendu toutes mes affaires et reloué l'appartement.

    Il s'applique à résumer succinctement les évènements, les vidant de toute émotion, un peu comme s'il racontait un fait particulièrement banal. Il ne veut pas de la pitié de Pèire. C'est pourquoi il garde les yeux rivés sur la table, pour éviter de lire sa réaction. Mais les paroles du tavernier sont lourdes d'émotions quand il murmure :

    - Je suis désolé Elland.
    - Ce n'est pas de ta faute, si ?
    - Non, bien sûr que non, mais tu aurais mérité de rentrer chez toi et de le trouver inchangé. Est-ce que tu sais où tu vas aller ?
    - Non, pas encore. Je dois d'abord aller voir Thémus pour … enfin, tu vois.
    - Je vois, oui. Pourquoi tu ne resterais pas ici ?
    - Non, je …

    Le nez plongé dans son bol à moitié vide, Elland termine pour lui-même sa phrase : non, il ne veut pas attirer d'ennuis à Pèire et Ménandre. Non, il ne veut pas de sa charité, il ne veut pas vivre à ses crochets. Non, il ne veut pas s'habituer à cette vie, car retrouver sa solitude n'en sera que plus douloureux. Il veut juste que le sort arrête de s'acharner sur lui et retrouver sa vie d'avant.

    - Elland, on n'a pas eu le temps de faire ta chambre. Tu devrais aller dormir quelques heures, puis rendre visite à Thémus. Il pourra peut-être faire quelque chose pour toi. Et ça te laissera le temps de la réflexion.

    Elland se garde bien de répondre, mais les paroles du tavernier ont trouvé écho en son fort intérieur. Rien ne presse, et il est épuisé. Autant dormir un peu et aviser ensuite. D'un simple mouvement de la tête, le voleur accepte la proposition. Presque avec brusquerie, Pèire l'envoie se coucher, avant de commencer à ranger leur table. Elland a bien conscience que ce n'est pas le moment de s'attarder, et il s'exécute rapidement, serrant toujours contre lui son précieux balluchon.

    La vision du Comain s'approchant de lui, un fer chauffé à blanc en main, le réveille en sursaut. En sueur, frissonnant sous les draps, il lui faut quelques instants pour se remémorer les derniers évènements. Il était monté dans la chambre, s'était allongé, persuadé qu'il ne pourrait jamais dormir avec toutes les pensées qui tourbillonnaient dans sa tête. Et en réalité, à peine la tête posée sur l'oreiller, il avait sombré dans le sommeil.

    Un bruissement soudain, tout proche, lui fait réaliser que ce n'est pas le cauchemar qui l'a réveillé. Tournant la tête, il aperçoit une petite silhouette fluette qui s'affaire dans la chambre. Un sourire attendri se dessine sur son visage, tandis que Ménandre s'approche doucement et vient s'asseoir sur le tabouret.

    - Alors, tu vas rester avec nous ?
    - Je ne sais pas encore, mon grand.
    - Pèire a dit qu'il serait très content que tu habites avec nous.

    Surpris par cette remarque plutôt inhabituelle de la part du tavernier, Elland hausse un sourcil. Le gamin s'empourpre aussitôt et baisse la tête. Puis, gêné, il se lève et s'agite dans la pièce, faisant un semblant de ménage. Elland se lève, amusé par son comportement. Ce petit filou est toujours aussi menteur mais l'intention le touche.
    La Grand Tour Célestis annonce treize heures : il est temps d'aller voir Thémus. Cette fois-ci, le gamin ne pourra pas venir avec lui, il a du travail et à vrai dire, ça arrange plutôt le jeune voleur. Ce genre d'affaires se règle entre hommes.

    Après avoir rapidement récupéré les bijoux qu'il souhaite revendre, il se dirige d'un pas rapide vers le cordonnier. Les quelques badauds qu'il bousculent ne l'invectivent pas, sans doute effrayés par sa mine peu engageante. Lorsqu'il rentre dans la boutique, Thémus est en plein conversation avec un homme, qui ne semble pas le moins du monde intéressé par des chaussures. Les deux hommes jettent un rapide coup d'œil à Elland et poursuivent leur conversation en murmurant. Prenant un air intéressé, le voleur regarde les divers objets en vente. Quelques minutes seulement après son entrée dans la boutique, l'inconnu s'en va et Thémus reporte son attention sur le nouveau venu. D'un geste de la main, il l'invite à s'avancer dans l'arrière-boutique.

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    http://ekladata.com/I5ZCoI6DQzFwz-R3FIERzomNuGY.jpgL'image n'est pas à moi. Cliquez sur ce lien pour découvrir le blog de la dessinatrice : link

     

     

     

     

    Son chez-lui, sa tanière, son refuge est totalement vide. Ses meubles, ses habits, ses quelques possessions ont disparus. Ne reste que la poussière et quelques toiles d'araignées. Fébrile, il se précipite vers ses cachettes : la troisième brique en partant du milieu, à hauteur d'épaule, est amovible. Et en la retirant, Elland découvre avec soulagement que ses trésors sont toujours là. A la hâte, il s'en empare, les fourre pêle-mêle dans son balluchon, puis se précipite vers son autre planque : la planche juste avant le seuil de la porte. Et là encore, son butin est intact. Dernière cachette, sur l'une des poutres de la charpente, creusée par ses soins. Oui ! Toujours là !
    Dans un geste dérisoire, Elland serre précieusement son balluchon contre son torse, et tourne lentement sur lui-même au milieu de son appartement vide. Il n'y a définitivement rien d'autre à récupérer.

    Incapable de rester plus longtemps entre ces murs, il se glisse par la lucarne, douloureusement conscient que c'est sans doute la dernière fois qu'il peut le faire. Puis, accroupi sur le toit mitoyen, il contemple la ville sans vraiment la voir, plongé dans ses pensées. Il n'a plus rien. Certes, il lui reste des bijoux volés, qu'il pourra revendre. Mais il n'a plus de refuge. Il n'a plus de meubles, ni le moindre objet de la vie courante. Ils lui ont volé sa vie.

    Le regard fuyant de la vieille lui revient soudain en mémoire, et enfin, il met le doigt sur le détail qui le dérange. Les gardes n'emmènent rien d'habitude, si ce n'est le suspect. Et les connaissant, ils n'ont pas dû passer beaucoup de temps à fouiller, sinon, ils auraient trouver son butin. Ils cherchaient un coureur de jupons, capable de pervertir cette innocente femme. Ils ne cherchaient pas un voleur. D'accord, pour chez lui, ils ont dû se faire avoir par les pièges, mais ils ne s'amuseraient certainement pas à descendre les meubles, même par vengeance. Pour en faire quoi de toutes façons ? Ils n'ont pas trouvé de preuves, et c'est tout ce qu'ils cherchaient.

    Par contre, sa logeuse... apprenant que son locataire ne reviendrait pas, elle a dû faire appel à des connaissances qui sont venues piller chez lui, poser leurs sales pattes sur ses affaires, et les emmener contre quelques pièces d'argent. Et la vieille peau s'est empressée de trouver un nouveau locataire, avant même de s'assurer qu'il était bien condamné.
    Un cri de rage s'étrangle dans sa gorge. Qu'elle soit maudite ! Qu'elle brûle en Enfer !!

    Mais la fureur s'efface rapidement alors qu'il observe sa main. Il ne peut plus plier complètement ses doigts et il en sent à peine les extrémités. Quant à saisir un objet et le porter, c'est devenu complètement aléatoire : parfois, il y parvient, parfois l'objet lui échappe, comme s'il était aussi glissant qu'un poisson dans une rivière. Pourra-t-il seulement reprendre ses activités comme avant ?

    L'arrivée d'Echidna interrompt le cours de ses pensées. Avec tendresse, elle vient frotter son museau contre épaule, et il réalise, hébété, que la nuit est déjà tombée depuis longtemps. Sa gargouille s'assoit tout contre lui, et il fait reposer son front contre sa peau rugueuse. Elle n'a pas besoin de lui parler pour le réconforter. Sa simple présence suffit à lui remonter le moral : il n'a peut-être plus grand chose, mais il l'a, elle. Et c'est bien le plus important. Pourtant, bien malgré lui, ses pensées dérivent et il fait une liste des objets qu'il a perdu. Il sait bien qu'il est inutile d'aller parler avec sa logeuse : même si elle lui disait à qui elle a vendu ses possessions, il ne pourrait jamais les récupérer. Et même si ça lui revient de droit … il est fatigué de lutter.

    D'un mouvement doux et pourtant ferme, Echidna suspend ses réflexions et l'invite à grimper sur son dos. Il rechigne et bougonne, satisfait de se lamenter sur son sort. Mais il comprend rapidement : s'il est toujours là quand le soleil se lèvera, il sera coincé sur le toit. Le goujat qui occupera sa tanière empêchera tout passage par la lucarne et il serait suicidaire de redescendre par la façade. Seulement, dans sa situation, il a juste envie de rester là et d'attendre que ça se passe. Echidna se fait insistante, et il s'exécute. Son baluchon solidement noué autour de la taille, il passe les bras autour de son cou. D'un mouvement puissant, elle prend son envol et s'élève au dessus des toits. L'excitation habituelle du vol, voire la nausée, n'arrivent pas. Il reste totalement amorphe malgré les efforts de la gargouille pour lui procurer des sensations. Ils survolent les toits tellement bas que quelques tuiles se détachent et vont s'écraser bruyamment sur les pavés. Et ils frôlent la Grand Tour Célestis de si près qu'Elland manque d'être jeté à terre. Mais rien. Pas la moindre nausée, pas la moindre peur. Il se sent aussi vide que son appartement.

    Echidna s'éloigne peu à peu de la ville, jusqu'à survoler les bois environnants. Lorsqu'elle se pose souplement sur le sol humide, il est assailli par l'odeur d'humus qui lui rappelle son séjour à la cascade. Les lieux sont sinistres, à peines éclairés par l'astre nocturne. De sa démarche si particulière, Echidna l'entraîne jusqu'à un monticule de rochers et le désigne d'un large mouvement de la tête. Il la regarde un moment sans comprendre, et soudain, tout s'éclaire : puisqu'il n'a plus de refuge, il doit dissimuler une partie de son butin ici. A l'aide d'une pierre tranchante, il creuse un trou profond et se défait d'une chemise, dans laquelle il plie soigneusement les bijoux des Clamadinis : ce sont les plus dangereux, et plus compromettants. Il ne garde que le médaillon où la femme lui sourit, ainsi que des bijoux plus anonymes. Demain, il ira voir Thémus pour se faire un peu d'argent. Immobile, les genoux sur la terre fraîchement remuée, il a l'impression d'enterrer sa vie.

    C'est Echidna, encore, qui le tire de ses pensées moroses. Réalisant que la nuit vieillit, il agit. Ses biens soigneusement recouverts de terre, de cailloux et de feuilles, il remonte sur le dos d'Echidna. L'aube fait pâlir le ciel, il est temps de rentrer. Et si Elland ignore où aller pour dormir, sa complice n'hésite pas. En quelques minutes, ils se retrouvent dans la petite ruelle derrière l'Hermine Affamée.


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    Résumé :

     

    En l'an 31, l'empereur Tibère, désabusé et las des intrigues de Rome, se retire à Capri.
    Une fin de règne délétère commence, sur laquelle plane l'ombre du terrible Séjan, préfet du prétoire, à qui l'empereur a confié le pouvoir, et dont l'ambition est sans limites ... Personne n'ose s'opposer à ses hommes de main. Personne? C'est oublier Kaeso, jeune centurion du corps des prétoriens impériaux, une tête brûlée, qui a le courage de s'insurger. Expédié à Pompéi comme chef de la police, il y découvre un climat de tourmente et plonge dans l'œil du cyclone.
    Devant l'urgence, Kaeso se lance à corps perdu dans une enquête serrée et tente de déjouer un complot qui pourrait bien viser l'héritier du trône, un certain Caligula. Le jeune homme a heureusement de précieux alliés : Io, son fidèle léopard ; les gardes germaniques - ses frères d'armes; Hildr, sa mère, guérisseuse le jour et magicienne la nuit ; et enfin sa propre cousine, la ravissante Concordia, très bien informée des secrets de la Cour...

     

    J'ai aimé

     

    Mon avis :

     

    C'est un peu par hasard, au gré de mes pérégrinations sur le net, que j'ai découvert cet auteur. Et je ne le regrette pas du tout.

     

    Cristina Rodriguez est romancière mais également historienne, spécialiste de l'antiquité Gréco-Romaine. Et de ce fait, la plongée dans la Rome Antique est parfaitement plausible, sans incohérences et historiquement exacte. Elle place ses fictions dans cet univers avec brio, faisant renaître sous nos yeux une époque pas forcément très bien connue, tout en restant à la portée de chacun. C'est bel et bien une fiction que nous avons devant nous, pas un cours magistral, et c'est nettement plus intéressant.

     

    L'intrigue est très bien menée, les événement s'enchaînent sans temps morts, avec cohérence. Les mystères s'accumulent sans répit jusqu'au dénouement final, particulièrement surprenant.

     

    J'aime beaucoup les personnages qu'elle a créé : il ont tous une réelle personnalité, une profondeur qui ne peut que nous toucher. Kaseo et ses blessures du passé, qui se retrouve dans une Pompéi « calme, où il ne se passe jamais rien », et qui découvre une police aussi incompétente qu'inefficace. Il s'avère qu'à peine arrivé, il est confronté une série de meurtres et d'évènements étranges. On comprend parfaitement son désarroi, et on tourne les pages en espérant que tout s'arrangera.

     

    Il y a toute une galerie de personnages qui gravitent autour de lui et qui rendent ce récit vraiment prenant.

    L'auteur fait preuve de beaucoup d'humour également : Concordia, piètre cuisinière, veut pourtant préparer le dîner à la Caserne... et verse dans le plat assez de piment pour assaisonner les plats de toute la ville. Kaseo est tout de suite appelé auprès de ses hommes qui se ruent vers le puits. Découragé, il pense que la situation ne pourrait pas être pire. Et la première phrase du chapitre suivant est : « Elle a mis le feu à la caserne ».

     

    Une plume très agréable à lire, un récit fluide et prenant, une intrigue bien menée, et des personnages vraiment touchants : j'ai vraiment aimé cette lecture !



    Bon à savoir : Kaseo revient pour une autre enquête dans le livre Meurtres sur le Palatin. Livre que j'ai lu avant celui-là (forcément) mais qui est tout aussi intéressant !


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    Les jours s'écoulent lentement, et une certitude se dessine à l'horizon : il est temps pour Elland de rentrer chez lui. Théoliste ne vient plus que pour se faire offrir une bière et discuter avec son patient. Ses blessures sont guéries, ou sur le point de l'être. Pèire est toujours aussi mal à l'aise en sa présence, et bien qu'il ne lui en ait pas fait la remarque, Elland sent bien que sa place n'est plus à l'auberge. Ménandre reste un compagnon fidèle, mais il n'a plus lieu d'être garde-malade. Pèire loge et nourrit deux bouches inutiles.

    Et puis, c'est une étape dans sa vie qu'il aimerait laisser derrière lui : l'emprisonnement, la torture, la convalescence. Il a envie de retrouver ses petites habitudes, son chez-lui, sa lucarne qui donne sur les toits de Rivemorte. Il veut retrouver sa complicité avec Echidna, ses folles cavalcades nocturnes, l'excitation des vols. Tirer un trait sur les derniers évènements et, comme lui a dit l'un des gardes, oublier. Et ce n'est pas en restant enfermé dans une petite chambre, à ressasser ses souvenirs et ses idées noires, qu'il y parviendra. Il lui faut retrouver sa vie d'avant.

    Une vie de solitude, et c'est précisément ce qu'il redoute. Après le mois passé à la cascade, puis sa convalescence, il a perdu l'habitude d'avoir pour seul interlocuteur Echidna. Il a oublié ce que c'est de compter uniquement sur soi pour s'en sortir. Il a prit goût à la vie avec les autres, et si une petite voix dans sa tête lui crie que c'est dangereux, il ne peut s'empêcher de l'apprécier, cette vie-là. Pourtant, ce n'est pas la sienne : il doit retrouver sa tanière et son quotidien.

    C'est avec la gorgée nouée par l'émotion qu'il remercie une dernière fois Pèire pour tout ce qu'il a fait, puis qu'il salue Théoliste nonchalamment accoudé au comptoir. Ménandre a tenu absolument à l'accompagner, et le voleur n'a pas su résister au regard implorant qu'il lui lançait. Marchant côte-à-côte dans les ruelles, un balluchon de quelques vêtements sur l'épaule d'Elland, ils se rendent jusqu'à sa tanière. Le gamin n'arrête pas de parler, sans doute pour combler le silence pesant. Elland sait déjà que cette habitude lui manquera. Arrivés au pied de son immeuble, il s'agenouille auprès de Ménandre et lui promet qu'ils se reverront très bientôt : après tout, l'Hermine Affamée a toujours été sa cantine, il n'y a pas de raison pour que ça change, bien au contraire. L'air légèrement moins triste qu'avant, le gamin hoche doucement la tête et s'en va en traînant les pieds.

    Une fois assuré d'être seul dans la ruelle, il s'approche de la façade et contemple sa hauteur. Ce qui était un geste quotidien pour lui devient subitement une appréhension. Mais il va y arriver. Il noue son baluchon autour de la taille pour ne pas être gêné et, lentement, s'assure de ses prises pour escalader le mur. Les deux premiers mètres ne posent pas réellement de soucis, du moins il refuse de les voir. Sa jambe gauche compense la faiblesse de sa main, et jusqu'au second étage, elle lui permet de faire bonne figure. Mais lorsque son pied glisse, et qu'il doit se rattraper avec la main... il ne peut plus se mentir. Un cri de douleur lui échappe et sa sénestre, qui porte tout son poids, se fait traitresse : ses doigts ne répondent plus. Et bien qu'il essaie de se rattraper avec la main droite, rien n'y fait. C'est la chute. Miraculeusement, il parvient à retomber sur ses pieds et si le choc est douloureux, il ne le blesse pas. Accroupi au pied du mur, les yeux rivés sur sa main handicapée, Elland oscille entre rage et désespoir.

    Il n'aurait jamais dû tenter d'escalader, il en est parfaitement conscient. Il savait très bien, avant même de toucher la première pierre, que c'était prématuré. Mais il avait tellement envie d'y croire... Il avait tellement envie de rentrer chez lui, comme au bon vieux temps. Comme si rien ne s'était passé. Comme s'il n'avait pas une main handicapée. Comme s'il n'était jamais tombé entre les mains de son tortionnaire.

    Cruellement conscient de sa posture, et de la présence de rares badauds qui le prennent sans doute pour un ivrogne, il se redresse avec dignité et tente d'oublier la douleur. Reprenant son baluchon sur l'épaule, il entre par l'entrée principale. Il n'a pas emprunté les escaliers de son immeuble depuis des années et il est désagréablement surpris par la vétusté des lieux. Qu'importe, il ne vit pas dans l'escalier. Alors qu'il atteint le dernier étage, prêt à désarmer tous les pièges qu'il a installé, des marches qui grincent le font se retourner. Sa logeuse grimpe péniblement jusqu'à lui. C'est une vieille femme, au sourire édenté et à la peau marquée par les années, un chignon grisonnant sur la nuque. Elle l'apostrophe et il ne peut faire autrement que de l'écouter, ne serait-ce que quelques instants. Si elle ne le voit que très rarement, elle prend toujours son loyer en main propre, et le connait donc de visu. Lorsqu'elle parvient au palier, même à bout de souffle, elle parvient tout de même à lui demander :


    - Z'êtes encore en vie, vous ?
    - Il semblerait.
    - C'tant mieux pour vous, j'suppose. Y'a des gardes de la ville qu'sont venus. Z'ont dit qu'vous étiez en geôles, qu'vous seriez pendu. Z'ont tout fouillé chez vous. Et z'ont tout emporté.

    Chancelant, Elland doit s'adosser au mur pour ne pas tomber. Ils sont venus jusqu'ici ! Malgré sa stupéfaction, il prend le temps de dévisager la vieille femme. Elle regarde un point sur le mur, juste à côté de sa gorge. Elle est mal à l'aise, et Elland est soudain convaincu qu'elle lui ment. Mais avant qu'il n'ait pu approfondir cette impression, elle poursuit :

    - Vous pouvez aller voir. Mais restez pas trop longtemps, vot'remplaçant arrive d'main. Et pensez même pas rester, j'veux plus d'vous ici. Voyou !

    Et sans s'attarder davantage, la vieille bique tourne les talons et redescend les escaliers. Sonné, le voleur s'approche difficilement de sa porte. La serrure a été à moitié arrachée, et le panneau de bois, de guingois, est entrebâillé. Presque craintivement, il le pousse. Et ce qu'il constate le glace d'horreur.

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    Un cri de terreur absolue résonne soudain derrière eux, les faisant violemment sursauter. D'un même mouvement, ils se retournent, tandis que des bruits de lutte se font entendre. La ruelle qu'ils empruntent n'est que très peu éclairée et, dans la pénombre, ils distinguent tout juste une silhouette massive, perchée sur une autre, qui se débat violemment. Ils se concertent du regard, peu enclins à se mêler d'une bagarre entre ivrognes. D'autant plus qu'entre un éclopé et un gamin, ils risquent plus de se faire casser la figure que de les séparer.

    Mais un grognement sourd met fin à leur hésitation, et ils se précipitent vers le combat. Echidna, plus terrifiante que jamais, les crocs saillants et les iris rougeoyants, surplombe le presque-médecin. Une large tâche assombrit le devant de son pantalon, et il sanglote, pétrifié par la peur. D'une voix douce, pour apaiser sa complice, il lui demande de s'écarter. Elle s'exécute de mauvaise grâce, et vient se poster devant lui, comme pour le protéger. D'une voix à peine audible, il lui explique qui est cet homme qui tente de se relever dignement et de sécher ses larmes. Le temps d'un battement de cil, ce dernier comprend que sa vie n'est pas menacée, et qu'Elland, d'une manière ou d'une autre, peut influencer l'horreur qui l'a attaqué. Alors, d'une voix pressée, il se justifie :


    - Ce n'est pas ce que tu crois Elland. Je te suivais, oui, mais pas pour t'attaquer !
    - Et pourquoi alors ?
    - Pour …

    Il hésite un instant de trop. D'un grognement puissant, Echidna l'incite à dire la vérité. Et Théoliste, tremblant, poursuit :

    - J'espérais que tu me conduirais jusqu'à ton guérisseur miraculeux. Je ne te veux aucun mal, je le jure sur ce que j'ai de plus cher. Je voulais juste savoir.

    La gargouille se redresse sur ses pattes, déploie ses ailes et, les crocs menaçants, lui gronde à nouveau dessus. Elland reste impassible mais il est persuadé qu'Echidna s'amuse follement à terroriser le pauvre homme. Ses paroles ont l'accent de la sincérité : il ne leur veut aucun mal et elle le sait. Mais sa complice semble vouloir le punir d'avoir suivi le voleur. Le presque-médecin essaie visiblement de se calmer, et ose demander :


    - C'est toi qui commande ce monstre ?
    - Ce monstre ?

    Cette fois, c'est Elland qui gronde et qui se fait menaçant, de concert avec sa gargouille. Théoliste déglutit bruyamment, se maudissant sans doute de ne pas voir tenu sa langue. Ménandre, jusqu'alors silencieux, intervient :

    - C'est une gargouille, pas un monstre. Et elle est gentille, sauf avec ceux qui suivent Elland. Et avec ceux qui lui veulent du mal.
    - Une gargouille ? Mais... elle n'est pas censée être un bloc de pierre qui ne bouge pas ? Et qui ne vit pas ?
    - Si. Mais tu vois bien que ce n'est pas le cas.
    - Comment est-ce possible ? C'est... ça défie l'entendement !

    Théoliste paraît avoir oublié toute peur, et ses yeux brillent de curiosité. Son esprit rationnel est à nouveau titillé par cette information, et il veut des explications. Elland, légèrement agacé par ces questions, lui répond sèchement :

    - Tu es beaucoup trop curieux.
    - Elland, écoute-moi, s'il te plait. Je ne te veux aucun mal. Et je n'en veux aucun à ce mons... à cette gargouille. Je... je suis curieux, oui, c'est vrai. Mais c'est uniquement pour mon propre savoir. Je... je n'irais rien répéter, je te le promets. Je... Quand tu es face à un phénomène inexpliqué, ne cherches-tu pas à percer le mystère ?

    Elland est sur le point de répondre mais il s'interrompt. Si, bien sûr que si, il cherche à découvrir la vérité et à obtenir des explications. Même quand on lui fait clairement comprendre qu'il devrait s'abstenir. Surtout quand on lui fait clairement comprendre qu'il devrait s'abstenir. Pour ne pas perdre la face devant son guérisseur, il grommelle quelques mots incompréhensibles, puis l'invite à les accompagner jusqu'à l'Hermine Affamée.
    Du coin de l'oeil, il perçoit la présence d'Echidna, qui continue à veiller sur lui. Il ne peut pas faire entièrement confiance à un homme qui le suit sans s'annoncer, et de toutes façons, il ne souhaite pas prendre la responsabilité de tout lui expliquer. Alors ce sera Pèire qui tranchera.

    Le reste du trajet se fait dans un silence religieux, à peine entrecoupé par les rares bruits de la soirée. Ce n'est qu'en arrivant à l'auberge qu'ils retrouvent des rires et des éclats de voix.
    Une table isolée, quelque peu épargnée par le brouhaha ambiant, les accueille et c'est avec soulagement qu'Elland se laisse tomber sur sa chaise. Il devine également du soulagement sur le visage de Théoliste, qui peut dissimuler les preuves de sa terreur sous la table. Une jolie serveuse, aux formes délicates, s'approche pour leur proposer le menu du soir, et prendre leur commande de boisson. Elland ne peut s'empêcher de lui faire un sourire charmeur, auquel seule l'indifférence lui répond. Boudeur, il laisse l'homme de science décider du repas.
    Le ragoût de viande est délicieux, mais il ne parvient pas à dérider le presque-médecin habituellement si jovial. Elland, perdu dans ses pensées, mange dans un état second. Ménandre se charge parfois de faire la conversation, mais il peine à obtenir leur intérêt.

    C'est l'arrivée de Pèire, à la fin du repas, et surtout des chopes de bières qu'il amène, qui met un terme à la morosité ambiante. Alerté, il leur demande ce qu'il se passe, et il ne leur faut que quelques minutes pour lui résumer la situation. Pèire, lui, n'hésite pas, et dans un chuchotement, il explique l'essentiel au presque-médecin. Mais à peine croit-il en avoir terminé que Théoliste l'assaille de questions, enhardi par la bière et la franchise du tavernier. Vaguement amusé, Elland les écoute en silence. Ménandre s'est endormi sur la table, la tête posée sur ses bras. Fatigué tant physiquement que moralement, Elland profite de cette excuser pour annoncer aux deux hommes qu'ils vont se coucher et les salue. Ménandre se réveille en sursaut dès qu'Elland s'approche de trop près et, titubant de sommeil, l'accompagne jusqu'aux étages.

     


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    Résumé :

     

    Hiver 1953, Moscou.

    Le corps d'un petit garçon est retrouvé sur une voie ferrée.
    Agent du MGB, la police d'État chargée du contre-espionnage, Leo est un officier particulièrement zélé. Alors que la famille de l'enfant croit à un assassinat, lui reste fidèle à la ligne du parti : le crime n'existe pas dans le parfait État socialiste, il s'agit d'un accident. L'affaire est classée mais le doute s'installe dans l'esprit de Leo.

    Tombé en disgrâce, soupçonné de trahison, Leo est contraint à l'exil avec sa femme Raïssa, elle-même convaincue de dissidence. C'est là, dans une petite ville perdue des montagnes de l'Oural, qu'il va faire une troublante découverte : un autre enfant mort dans les mêmes conditions que l'« accident » de Moscou.

    Prenant tous les risques, Leo et Raïssa vont se lancer dans une terrible traque, qui fera d'eux des ennemis du peuple...

     

    J'ai aimé

     

    Mon avis :

    Le gros point fort de ce roman, c'est l'univers. L'auteur a su parfaitement retranscrire cette sombre période de l'histoire. C'est une chose de connaître les dates auxquelles Staline a été au pouvoir, de connaître ce qu'il s'est passé, c'en est une autre de plonger dans ce contexte et de suivre la vie quotidienne.

     

    C'est donc dans un climat de famine que s'ouvre le roman. Dès les premières pages, les évocations sont très fortes et m'ont noué la gorge. Les faits sont énoncés simplement, sans sur-jouer, et n'en sont que plus difficiles. Puis, viennent la paranoïa et la terreur. L'omniprésence du gouvernement, les arrestations arbitraires, la délation, tout est évoqué sans concession.

     

    Au milieu, nous avons les personnages, qui survivent tant bien que mal. Ici encore, pas de concessions : ce sont des personnages durs, froids comme le climat, totalement dénués de la moindre naïveté. La paranoïa, la moindre action savament réfléchie pour ne pas attirer l'attention. Mais pourtant, l'auteur parvient à les rendre attachants : ils luttent envers et contre tout, au péril de leur vie, pour trouver cet assassin d'enfants. Alors que le gouvernement, qui se targue d'avoir éradiqué toute criminalité, se contente de coupables "faciles", là un handicapé mental, ici un marginal. Qu'importe, la théorie du serial killer n'est tout simplement pas acceptable.

     

    L'intrigue policière en elle-même n'est pas très développée. Trouver le meurtrier est presque « facile » mais ce n'est pas ce qui compte réellement, tant nous voulons la survie des héros.

     

    C'est un livre très fort, très marquant. L'auteur a parfaitement intégré son récit dans la réalité historique de l'époque, et c'est là toute la force du roman à mon avis. A lire !


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  • D'un geste vif, le géant se redresse et s'avance dans son atelier. Il s'immobilise pourtant très rapidement, et un sourire apparaît.

    - Théoliste ! Tu tombes bien, je suis en train de requinquer ton patient.

    Et le presque-médecin entre à la suite de Thémus dans la petite arrière-boutique, laissant dans son sillage une étrange odeur d'onguents et de nourriture. Il salue rapidement Elland et Ménandre avant de s'asseoir et de s'essuyer le front à l'aide de son mouchoir. Enfin, il fouille dans sa besace et en sort deux magnifiques tourtes à la viande, joliment dorées, qui couvrent l'odeur de cuir qui règne dans l'arrière-boutique. Il semble avoir tout prévu, puisqu'il fait apparaître également un long couteau et plusieurs petites brioches aux pralines. Le regard de Ménandre s'est fait gourmand, et il ne quitte plus des yeux les victuailles posées sur la table. Mais alors que Théoliste s'apprêtait à partager les tourtes, il s'immobilise :

    - Tu fais boire de l'hydromel à mon patient, Thémus ?

    Le cordonnier esquisse une moue penaude, et marmonne entre ses dents une réponse inintelligible. Elland, bien qu'il ne fréquente jamais les médecins, n'ignore pas que la boisson est souvent interdite avec eux. Elle serait néfaste, d'après ces derniers. Discrètement, il éloigne ses mains du gobelet délictueux. Mais Théoliste éclate de rire et poursuit joyeusement :

    - Tu as retenu mes enseignements ! De la bonne chair et un peu d'alcool, rien de tel pour remettre sur pied un malade ! Surtout que ton hydromel est le meilleur de la ville...

    Le presque-médecin ne cache pas un regard envieux en direction de la bouteille, et c'est avec le sourire que Thémus se lève et lui apporte un gobelet, qu'il remplit généreusement.

    - C'est bon, j'ai compris. Mais tu n'auras pas les noms de mes fournisseurs, épargne-toi la peine de m'interroger.
    - Pas même contre une part de l'excellente tourte à la viande.
    - Pas même, non.
    - Tu es dur en affaire, mon ami.

    Les deux hommes s'affrontent amicalement du regard avant d'exploser de rire, puis de lever leur verre à la santé d'Elland. Ce dernier les observe, abasourdi : s'il s'attendait à un tel comportement de la part de Théoliste, jamais il n'aurait soupçonné Thémus d'être capable de plaisanter, et encore moins de rire.
    Le presque-médecin termine de partager les tourtes, et en pose une part devant chacun. Puis, redevenu presque sérieux, il explique :

    - J'avais une patiente à visiter dans le coin et …
    - Tu avais surtout envie d'un verre d'hydromel.

    Le cordonnier l'a interrompu sans hésiter, et Théoliste incline doucement la tête :

    - D'accord. Je savais qu'Elland viendrait ici, alors, tout à ma conscience professionnelle, je me suis dit que je devrais venir pour m'assurer que le trajet s'est bien déroulé.

    Devant le regard sceptique des trois hommes attablés, il soupire et finit par avouer :

    - Bon. D'accord, c'était aussi pour l'hydromel.
    - Tu es incorrigible, Théoliste.
    - C'est ce que ma femme me répète toujours !

    L'atmosphère s'est considérablement détendue, et c'est dans la même ambiance de plaisanterie qu'ils discutent des derniers ragots de Rivemorte. Pour la première fois depuis son emprisonnement, Elland se surprend à sourire. Et même, il a beau chercher, il ne parvient pas à se rappeler la dernière fois qu'il a ainsi discuté avec des amis autour d'un verre.

    C'est avec une nourriture délicieuse, et des bouteilles d'hydromel dont les réserves semblent inépuisables, qu'ils palabrent à bâtons rompus pendant de longues heures. Les éclats de rire permettent au jeune voleur d'oublier un peu sa situation. Finalement, c'est l'épouse de Thémus qui vient les déloger, car le repas est prêt et qu'il va refroidir. Elland, amusé, observe le colosse se faire tancer par un petit bout de femme. Un peu ronde, elle a un très joli visage, des yeux bleus qui lancent des éclairs et une voix ferme qui étouffe toute contestation. Et si le cordonnier, pour faire bonne figure, la rabroue devant ses amis, il les conduit tout de même jusqu'à la porte en leur souhaitant une bonne soirée. Alors qu'ils sont sur le point de partir, il retient Elland un instant, et lui glisse à l'oreille :
    « Si nécessaire, j'ai beaucoup d'informations sur ton Comain ». Le convalescent hoche simplement la tête, sonné par tout ce qu'implique cette simple phrase.

    Dans un état second, hanté par l'idée de vengeance, il salue également le presque-médecin qui rentre lui aussi chez lui, et se met en route, aidé par Ménandre. Le gamin reste silencieux, parfaitement conscient de son trouble. Le Comain, et toutes ses exactions, lui ont toujours parus intouchables : cet homme, mandaté par le Gouverneur lui-même, peut agir en toute impunité pour le bien de Rivemorte. Et qu'importe s'il s'agit d'innocents. Alors l'idée de pouvoir faire payer toutes les souffrances subies par les dizaines d'innocents qui sont passés entre ses mains, cette idée est sacrément alléchante. Mais les risques ne sont pas anodins car c'est un homme protégé, une enquête sera menée, et des coupables seront trouvés. Et puis... Elland est un voleur, pas un assassin, pas un vengeur. D'accord, il pique quelques bricoles, mais jamais il n'a planifié la mort de quiconque. Surtout que si le tortionnaire lui tombe entre les mains, il ne lui offrira certainement pas une mort...

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    La grosse voix bourrue est amplifiée par l'étroitesse de la ruelle, et semble appartenir à un ogre furieux. Pèire. Le bruit de ses pas s'approche, jusqu'à ce qu'Elland le sente dans son dos. D'un geste vif, il s'essuie les joues avec ses manches, et s'écarte légèrement de sa complice. Echidna toise le colosse, les iris rougeoyants. Une longue conversation s'ensuit, silencieuse, entre la gargouille et le tavernier. Pendant ce temps, Ménandre aide le convalescent à se relever et à s'adosser contre un mur. Ils observent la discussion muette, s'aidant de leurs expressions faciales pour en deviner le contenu, sans grand succès. Finalement, Pèire se tourne vers le voleur, et, penaud, marmonne :

    - Elle a raison, Elland. Je dois te présenter mes excuses.
    - Tes excuses ?
    - Il y a certaines blessures contre lesquelles elle ne peut rien faire, mais … pour ton bras, j'aurais dû te mener à elle plus rapidement. Elle l'aurait cicatrisée bien plus efficacement que les onguents, et en t'évitant des douleurs inutiles... Je suis désolé, Elland, je … je …. je n'y ai pas pensé.

    Pèire a l'air complètement anéanti. Depuis son arrivée à la taverne, Elland sent bien que quelque chose ne va pas, et que c'est directement lié à lui, mais il n'ose pas aborder le sujet. Pour l'heure, tout ce qu'il peut faire, c'est lui assurer qu'il ne lui en veut pas, et lui rappeler que lui aussi aurait dû se souvenir qu'Echidna pouvait, grâce à sa salive, cicatriser les plaies. D'un puissant mouvement d'ailes, la gargouille s'élève dans les airs, non sans avoir lancé un regard rempli d'affection au voleur.

    Pèire reste les bras ballants, visiblement abattu. Ménandre et Elland se regardent, perplexes, avant que le gamin ne demande l'aide au colosse pour ramener le blessé au chaud. Alors seulement, le tavernier semble sortir de ses pensées moroses, et s'empresse de l'aider. Mais à nouveau, à peine Elland installé dans son lit, il déguerpit comme s'il avait le diable aux trousses. Ménandre, tout autant observateur que le convalescent, ne peut pas lui expliquer cette attitude. Bien qu'épuisé par tous ces efforts, Elland aimerait pourtant creuser la question avec le gamin. Mais sans même s'en rendre compte, il s'endort.

    Dès le lendemain, Théoliste constate une nette amélioration de la plaie, et c'est avec un regard suspicieux qu'il scrute son patient. Un peu gêné, Elland feint l'ignorance pour ne pas avoir à expliquer ce qu'il s'est passé, mais c'est sans compter sur l'obstination d'un homme de science qui fait face à un phénomène inexpliqué.


    - Ce petit air innocent ne prend pas avec moi, jeune homme. Explique-moi ce qu'il s'est passé.
    - L'essentiel, c'est que ça guérisse, non ?
    - Non. Enfin oui. Mais je veux savoir comment c'est arrivé.
    - Faut croire que vos onguents fonctionnent bien.

    Le regard assassin que lui lance le presque-médecin lui fait comprendre que non, il n'est pas dupe un instant de cette explication. Mais le jeune voleur ne se sent pas autorisé à trahir le secret de la nature des gargouille, pas plus que leur pouvoir de guérison. Voyant que son patient prend une moue butée, Théoliste secoue doucement la tête en marmonnant ''Dommage, on aurait pu en sauver, des vies...''. Elland trésaille mais ne tombe pas dans le piège. Il ne doit rien dire tant qu'il n'en a pas discuté avec Pèire.

    Il lui faut encore deux jours de repos avant qu'un Théoliste boudeur ne l'autorise à rendre visite au cordonnier. Alors, aidé par son fidèle garde-malade, Elland s'aventure dans les ruelles de Rivemorte. Elles n'ont pas changé, bien sûr, mais il s'est passé tellement de choses depuis qu'il les a empruntées qu'il a l'impression de redécouvrir sa ville.
    Un soleil radieux réchauffe agréablement l'air en ce milieu d'après-midi, et nombreux sont les artisans qui se sont installés dehors pour travailler. Les badauds se pressent dans les ruelles étroites, au milieu d'enfants qui jouent à se pourchasser. Un rapide coup d'œil à Ménandre conforte Elland dans son idée : jamais le gamin n'a jamais connu de tels jeux et il les regarde avec une expression à la fois envieuse et hautaine. Sa main, posée sur l'épaule de son garde-malade, la serre un peu plus fort, comme un soutien muet.

    Quelques modèles de chaussures sont exposées sur un petit étal, devant la boutique de Thémus, mais c'est à l'intérieur qu'il travaille. Il s'interrompt immédiatement en voyant l'étrange couple rentrer et les invite à s'installer dans l'arrière-salle. Exténué par le trajet, pâle comme un mort, Elland se laisse lourdement tomber sur la chaise. Les lèvres pincées, Thémus le contemple un instant, et le voleur sent la colère le gagner. Malgré tout ce qu'ils ont fait pour lui, cette pitié omniprésente commence à l'agacer prodigieusement. Le cordonnier semble s'en apercevoir, car il se lève pour apporter sur la table ses fameuses bouteilles d'hydromel et des gobelets. Les yeux du gamin se sont fait brillants, mais Thémus lui verse du cidre dans son verre. Et sa grimace de déception fait s'envoler toute colère chez Elland. C'est avec une voix fatiguée qu'il dit :


    - Pèire m'a expliqué que c'était grâce à toi que j'étais sorti.

    Les émeraudes de l'intéressé s'éclairent de frustration, mais il répond tout de même, après l'avoir longuement dévisagé :

    - J'ai juste eu vent d'un homme qui aurait entendu un autre homme se vanter de ses prouesses en taverne. Alors un de mes amis lui a rendu visite, et l'homme est allé se dénoncer.

    Elland prend une longue gorgée du breuvage et en profite pour réfléchir à ces paroles : Thémus a sans aucun doute largement édulcoré son récit car jamais un homme sain d'esprit ne se rend de son plein gré, à Rivemorte, surtout connaissant la réputations des bourreaux. Mais Elland est convaincu que jamais le receleur n'enverrait à une mort certaine un innocent. Avant de le convaincre de se dénoncer, il a dû s'assurer de sa culpabilité.

    - Comment tu as su que j'étais là-bas ?
    - Les rumeurs vont vite, tu sais, surtout quand on sait les écouter. Et c'est aussi comme ça que je suis rentré en contact avec le nouveau tavernier de l'Hermine Affamée. Il se murmurait que quelqu'un cherchait à t'aider alors je suis allé goûter les nouveaux plats.

    A cette évocation, Ménandre plonge le nez dans son gobelet et semble vouloir disparaitre de la surface de la terre. Un sourire amusé se dessine sous les imposantes moustaches du cordonnier, qui explique :

    - Pèire m'a emmené dans sa réserve, et nous avons mis en commun les informations que nous avions. Nous pensions être à l'abri des oreilles indiscrètes mais …. mais le gringalet que tu vois, là, s'est vautré au milieu de la réserve dans un fracas infernal. Ce petit malin s'était caché sur une étagère, derrière un tonneau. Je ne sais pas comment il s'est débrouillé, mais tout s'est effondré. Après, bien sûr, il a essayé de se justifier, puis de me convaincre de t'aider.

    Ménandre s'agite sur sa chaise, visiblement mal à l'aise. Elland, pris de pitié, relance Thémus qui semble bien bavard pour une fois :

    - Et comment tu as su quand je sortais ?
    - J'ai quelques contacts ici et là.

    Les yeux rivés dans ceux du cordonnier, Elland cherche à deviner la signification exacte de ses paroles, mais ils restent indéchiffrables. Pour se donner contenance, le voleur reprend une gorgée d'hydromel : cet homme possède énormément de ressources pour n'être qu'un simple receleur. Il hésite quelques minutes avant de lui poser franchement la question, mais le tintement de la clochette retentit dans l'arrière-boutique. Quelqu'un vient d'entrer.

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