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    Elland reprend donc le récit de leur périple, fournissant le maximum de descriptions. Les trois hommes l'écoutent attentivement, sans jamais l'interrompre. Lorsqu'il a terminé, c'est Thémus qui reprend la parole :

    - Vous dérangez quelqu'un. Tu as une idée de qui ça peut-être ? Des ennemis qui t'en veulent à ce point ?
    - Je n'ai pas que des amis, mais personne qui souhaite me tuer, à ma connaissance. Ça fait très longtemps que je n'ai rien volé. Et je ne vole rien qui ait suffisamment de valeur pour justifier l'utilisation de quatre hommes de main.
    - Et Ménandre ?
    - Ménandre est un gamin. Pour survivre, il a sans doute volé, mais rien qui mérite de telles représailles. Et pour lui aussi, ça remonte. Ce n'est pas ça.
    - D'accord. Voilà ce que je propose : nous allons patrouiller nous-même cette nuit. Je ferai le tour des tavernes. Théoliste nous a indiqué qu'il ne pourrait nous aider qu'à partir de demain, donc nous aviserons à ce moment-là. Pèire, tu es celui qui connait le mieux Ménandre. S'il a pu s'échapper, il s'est peut-être réfugié dans un de ses repaires d'autrefois. Vas-y et essaie de voir s'il y est passé récemment. Elland, tu prends ta gargouille et tu survoles la ville.

    Elland s'empresse d'acquiescer. L'inactivité va le rendre fou. Mais Théoliste l'arrête, et lui fait signe de s'allonger. Son regard menaçant n'effraie pas un seul instant le voleur, mais ses paroles se sont convaincantes : sa blessure à la joue doit être soignée. S'il refuse, il risque l'infection, avec fièvre et immobilisation au lit. Et il ne pourra plus rien faire pour le gamin. Alors, pestant entre ses dents, Elland se laisse soigner en observant Pèire et Thémus se préparer. Et à peine le presque-médecin a-t-il fini d'appliquer l'onguent cicatrisant sur la balafre qu'Elland se relève et enfile une chemise propre. Puis, sans tenir compte de sa faiblesse, dévale les escaliers pour rejoindre la ruelle derrière la taverne, où Echidna l'attend avec impatience.

    Et sans attendre, d'un puissant mouvement, elle s'envole. La Grand Tour Célestis annonce que minuit vient tout juste de passer. Et encore une fois, Elland maudit ces hommes qui l'ont fait dormir alors qu'il aurait pu chercher le gamin. S'il comprend parfaitement leurs arguments, il est aussi parfaitement conscient que la piste s'est refroidie. Il aurait dû le chercher immédiatement, au lieu de rentrer à la taverne. Il aurait dû aller directement à la taverne, en fait, au lieu d'espérer semer ses poursuivants. Il y aurait eu des gens pour protéger le gamin. Et tant pis s'il leur aurait donné par la même occasion la position de leur repaire. Ménandre serait toujours avec eux.

    Un coup de patte donné par Echidna le tire brutalement de ses pensées, et lui arrache une bordée de jurons à faire pâlir un charretier. Il s'excuse auprès d'elle, soudain conscient que ces pensées ne retrouveront pas Ménandre. Sa concentration se reporte sur les ruelles endormies, où seules les patrouilles des gardes apportent un semblant d'animation. Ils survolent les quartiers riches, éclairés par d'innombrables lanternes. Les patrouilles sont plus présentes et Echidna doit rivaliser d'audace et d'astuce pour éviter de se faire remarquer. Mais aucun mouvement suspect n'attire l'attention d'Elland.

    Inlassablement, Echidna survole les toits toute la nuit, s'approchant dangereusement parfois, uniquement pour mieux observer la vie nocturne. Avec minutie, elle ratisse les quartiers les plus aisés jusqu'aux coupe-gorge les plus mal-famés. Tout en scrutant chaque ruelle, Elland réfléchit. Ces hommes leur en voulait. Serait-ce le Comain qui, furieux d'avoir vu fuir sa proie, se venge de cette manière ? Qui aurait-il pu contrarier au point d'envoyer des hommes le tuer ? Et si c'était Ménandre, la cible ? Et si le but était de l'enlever contre une rançon ? Thémus, de par la puissance qu'Elland devine, doit avoir de nombreux ennemis. Et si l'un d'eux, pour le faire chanter, s'en était pris au gamin ? Mais pourquoi l'avoir attaqué alors qu'il était avec Elland, sachant qu'il se promène souvent seul ? Justement. Et si durant l'une de ses errances, Ménandre avait vu quelque chose qu'il n'aurait pas dû voir ? Et s'il avait trouvé un objet précieux, mettant en danger un homme puissant ?

    C'est un tourbillon de « Et si ? » qui fait rage dans son esprit, menaçant de lui faire perdre la raison. Et c'est alors qu'il allait perdre espoir, las de traquer en vain et de se perdre en spéculations tout aussi vaines, qu'il aperçoit une silhouette qui se glisse d'ombre en ombre. Ils sont dans le quartier commerçant, où les artisans se mettent doucement au travail et ce comportement semble parfaitement déplacé.

    Il n'a rien besoin d'expliquer à Echidna, elle aussi l'a vue. Elle se pose sur le toit voisin et s'approche le plus possible. Et tous les deux silencieux, les yeux plissés, ils observent l'étrange comportement de l'homme. Un large couvre-chef masque une bonne partie de son visage. Il semble nerveux, regarde régulièrement derrière lui, de crainte d'être suivi. Ses pas sont empressés, malgré sa corpulence généreuse. Dans ses bras, un large paquet semble s'agiter doucement. Et l'homme trottine d'ombres en ombres, sans hésitation. A plusieurs reprises, Echidna s'envole pour se poser plus loin, rendue invisible par la hauteur des toits. Mais l'homme ne se contente plus de regarder derrière lui. Un pressentiment l'a envahi, et soudain, il relève la tête. Les premières lueurs de l'aube ont éclairci le ciel, et rendent parfaitement distinct son visage, laissant Elland bouche bée. Théoliste !

     

     

    N.B. L'illustration est l'oeuvre de Damian Bajowski. Une galerie de ses oeuvres est présente ici  : link


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    Des gens parlent autour de lui mais il est incapable de saisir le sens des paroles. Il se sent soulevé, porté jusqu'à une chambre. Théoliste apparaît devant lui, l'air soucieux, et lui enlève aussitôt sa chemise pour évaluer l'étendue des dégâts. Il sent l'eau qui lave son corps couvert de sang. Il sent Pèire qui s'agite autour. Mais son esprit est uniquement tourné vers Ménandre, seul aux mains de son ravisseur. Ce n'est que lorsque le presque-médecin commence à recoudre la longue coupure sur sa joue qu'il renoue avec la réalité, sans pour autant ressentir réellement la douleur. Pèire s'est assis juste à côté, et le presse de questions. Bougeant le moins possible la mâchoire, le voleur lui raconte tout ce qu'il s'est passé : la visite chez le bourgeois, la filature, la bagarre. L'enlèvement du gamin. Lorsqu'il rapporte les dernières paroles de l'attaquant, concernant le devenir de Ménandre, Pèire lâche un long soupir et murmure :

    - C'est ce qu'il voulait, Elland. Il savait que ça te rendrait fou. Il savait que tu le tuerais. Et comme ça, il ne pourrait pas te dire la vérité.
    - Il était à l'agonie !
    - Justement. Il ne voulait pas prendre le risque de te révéler leur commanditaire, ni leurs intentions réelles. Il t'a menti, Elland. Je ne sais pas ce qu'ils comptent faire du petit, mais certainement pas ça. De toutes façons, je vais mettre Thémus au courant, et s'il apprend que ce genre de choses se passe, nous le tirerons aussitôt de là.
    - J'ai pas su le protéger, Pèire. Il me faisait confiance et maintenant...
    - Tu as fait ce que tu as pu. Et maintenant, nous allons retourner chaque pierre de Rivemorte s'il le faut, mais nous le retrouverons. Et nous leur ferons payer.

    Théoliste a terminé de recoudre la balafre, qui s'étend de la mâchoire à l'oreille droite. Une douleur sourde lui engourdit la moitié du visage, sans compter les chairs qui protestent encore du traitement subit à la poitrine et au ventre. Pèire et le guérisseur s'échangent un regard puis Théoliste lui propose de boire une tisane qui apaisera la douleur. Mais Elland ne veut pas boire de tisane. Il veut retrouver le gamin, le serrer contre lui et s'assurer qu'il est en sécurité. Il veut partir dès maintenant à la recherche des ces fils de chien qui ont osé faire ça. Pèire essaie de temporiser, et Théoliste insiste pour qu'il boive sa tisane. A deux contre un, ils obtiennent gain de cause. Et à peine a-t-il fini de boire le liquide qu'il s'écroule endormi.

    Le Comain se tient bien droit devant la table de torture, une terrible pince à la main. Il s'approche lentement de sa victime, un sourire sadique sur le visage. Du moins, c'est ce que suppose Elland, qui se trouve debout dans son dos. Debout dans son dos ? Habituellement, c'est lui qui est allongé sur la table. Alors … qui se fait torturer ? Le Comain utilise la pince sur le supplicié, et un hurlement insoutenable résonne entre les murs. Un hurlement repris en écho par Elland lorsqu'il reconnaît la voix. Ménandre.

    Il se réveille en sursaut, poussant un cri d'angoisse. Aussitôt Théoliste apparaît et le rassure d'une voix douce. Alors seulement, Elland remarque ce qui l'entoure. Il est toujours dans sa petite chambre de convalescent. Dehors, le soleil s'est réfugié depuis longtemps derrière l'horizon. Mais la petite pièce est vivement éclairée par de nombreuses chandelles aux lueurs vacillantes. Sa joue semble avoir été marquée au fer rouge tant elle est douloureuse, et chaque inspiration est difficile. Il se redresse lentement sur le lit. La chambre semble être transformée en quartier général. Pèire et Thémus sont assis autour de la table recouverte de plans et murmurent leurs idées d'action. Théoliste l'aide à se relever et à s'asseoir près des deux hommes, qui s'interrompent en le voyant. C'est Pèire qui l'interroge en premier :

    - Comment tu te sens ?
    - Vous m'avez drogué ! Nous avons perdu un temps fou !
    - Absolument pas. Ton corps avait besoin de récupérer et toi de te calmer. Ce n'est pas en se précipitant que nous aurons les meilleurs résultats.
    - Vous avez retrouvé Ménandre ?
    - Non, pas encore. Mais on y travaille.
    - Comment ?
    - Toutes les gargouilles de la ville, soit une vingtaine environ, sont informées de l'enlèvement de Ménandre. Elles vont patrouiller toute la nuit avec leurs maîtres pour chercher le gamin, et repérer les mouvements suspects. De plus, quatre d'entre elles sont positionnées autour des portes de la ville. Elles scrutent les allées et venues pour empêcher le ravisseur de quitter la ville avec le petit. Durant la journée, ce sont des hommes de Thémus qui prendront le relais.

    Elland hoche doucement la tête, satisfait de cette mesure. Vue du ciel, Rivemorte peut moins facilement dissimuler ses secrets. Il devine qu'elles ont reçu, par Pèire, une image très précise de Ménandre, et qu'elles sauront le reconnaître immédiatement. Théoliste lui apporte une nouvelle tisane, qu'il regarde avec méfiance. Ce dernier lui assure qu'il s'agit uniquement d'un anti-douleur. Pèire confirme et il se laisse convaincre. Sirotant lentement le liquide brûlant, il écoute désormais le cordonnier :


    - Quant à moi, j'ai mis tous mes hommes en alerte. Ils surveillent tous les points stratégiques de la ville, patrouillent dans les tavernes et interrogent discrètement leurs contacts.

    Thémus appuie ses dires en posant ses gros doigts sur la carte, marquant ainsi chaque point stratégique. C'est la première fois qu'Elland le voit hors de sa boutique, et il semble encore plus impressionnant dans la petite chambre. Un pli soucieux barre son front. Ses épaisses moustaches semblent en berne et tendent vers sa bouche aux lèvres pincées. Théoliste prend la parole à son tour et les informe qu'il a demandé à tous ses clients et tous ses fournisseurs de le prévenir s'ils constataient la moindre situation inhabituelle. Rassuré, Elland se laisse glisser un peu plus dans sa chaise et demande :

    - Mais en attendant, on ne va tout de même pas rester les bras croisés ?
    - Bien sûr que non.
    - Vous proposez quoi ?
    - Tu dois d'abord nous ré-expliquer ce qu'il s'est passé. N'oublie aucun détail, ça peut être très important.

     

     

    N.B. L'illustration est l'oeuvre de Damian Bajowski. Une galerie de ses oeuvres est présente ici  : link


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    Résumé :

     

    Dans la ville brumeuse de Portland, Nora tente de mener une vie ordinaire depuis la mort violente de son père. Lors d'un cours de biologie, elle fait la connaissance de Patch. Il est séduisant, mystérieux, toutes les filles en sont folles, mais Nora est perplexe. Comment Patch peut-il en savoir autant sur son compte ? Pourquoi est-il toujours sur sa route quand elle cherche à l'éviter ?

     

    Dead

     

    Mon avis :

     

    L'écriture n'est pas mauvaise. Simple, évocatrice, on suit les aventures du personnage sans être gêné par la plume de l'auteur.

    L'intrigue en elle-même, pour ce que j'ai lu, n'est ni surprenante ni originale, mais bon, pour le savoir, il suffit de lire le résumé.

     

    Ce qui m'a fait arrêter ma lecture, c'est surtout deux choses :

     

    - Les clichés : Nora vit seule avec sa mère, donc, dans une maison isolée, perdue au milieu de nulle part. Comme de par hasard, il y a une sorte de micro-climat autour de ladite maison, et d'épaisses nappes de brouillard l'encerclent. Et comme de bien entendu, sa mère est toujours en déplacement, la laissant seule avec une employée de maison dont la présence est anecdotique. Ensuite, bien évidemment, le beau ténébreux, mystérieux, qui l'intrigue et l'effraie à la fois, et qu'elle rencontre en cours de bio. Et bien sûr, la meilleure amie, bourrée de clichés, qui a toujours des idées stupides, et que Nora suit toujours à la lettre.

     

     

    - Les incohérences : c'est ce qui m'a fait reposer le bouquin, en fait, pour ne plus le retoucher. Donc Patch sait énormément de choses sur elle. Presque ce qu'elle pense. Elle en a la trouille, je ne sais pas combien de fois c'est répété dans le livre, mais c'est certain : ce mec lui fiche une trouille bleue.

    Et pourtant, quand il la défie d'aller chercher des infos sur lui, dont elle a besoin pour un devoir à rendre (oserais-je dire "lol" ?), dans le bar le plus mal-famé de la ville, que fait-elle ? Elle y court !

    Sans parler de l'histoire abracadabrantesque qui lui arrive au parc d'attraction. Elle laisse ses amis pour aller chercher des boissons, le sachant qui rôde dans les parages, et répond à son défi en allant faire un tour d'attraction avec celui qui la terrifie. Pour se rendre compte, à son retour, que ses amis ont disparus ! Zut alors ... elle n'a pas de voiture, et comme par hasard, son téléphone est coupé. Zut et re-zut, elle n'a pas d'autre choix que de rentrer avec lui ! Mais alors qu'elle nous fait tout un cinéma pour qu'une fois devant la maison, il ne rentre pas... il s'invite chez elle. Elle est pas contente du tout, mais elle le laisse aller préparer des tacos (re-lol). Bien sûr, quand elle le voit avec un grand couteau, elle a peur ! Il va la tuer ! Mais bon, comme il lui propose de partager son savoir culinaire, elle ne résiste pas. Et prépare des tacos avec lui...

    Que fait sa meilleure amie quand Nora, très sérieuse, lui annonce que l'homme qu'elle convoite a été suspecté dans une affaire de meurtre ? Elle ne la croit pas, bien sûr.

     

    Bref. L'auteur a peut-être dégoté une excellente excuse pour justifier ces comportements, mais je ne la lirai pas. S'énerver contre les comportements stupides de personnages de fiction, c'est dommage. Je dois avoir passé l'âge de lire ce genre de trucs...


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  • 943hn8e1

     

    D'un geste habile, il sort la dague de sa botte, et la glisse discrètement dans sa manche. Ménandre a imperceptiblement hoché la tête. Alors il se relève et ils se remettent à marcher, comme si de rien n'était. Elland modifie leur itinéraire, s'applique à leur faire emprunter des rues passantes, grouillantes de badauds, avec l'espoir illusoire qu'ils n'oseront pas s'en prendre à eux au milieu de la foule. Il cherche également à éviter de les conduire tout droit à l'Hermine Affamée. Regardant avec angoisse le soleil paresseux qui n'avance que très lentement dans le ciel, il jure entre ses dents : Echidna ne pourra leur être d'aucune aide. Suivi par Ménandre, qu'il n'ose envoyer à l'auberge seul, il fait plusieurs détours. Dans son dos, il sent toujours la présence menaçante des hommes. Si seulement le gamin n'était pas avec lui ! Détestant être la proie, il tourne soudain dans une ruelle déserte, et fait face à ses poursuivants. Et dans un murmure, il ordonne :

    - Fuis maintenant, Ménandre.

    Aussitôt, le gamin réagit et s'élance vers l'extrémité opposée de la ruelle. Et presque aussitôt, les hommes passent à l'attaque. Elland n'a que le temps d'apercevoir leurs mines patibulaires avant que trois d'entre eux ne lui tombent dessus. Il évite habilement le poing dirigé vers son ventre que lui envoie le premier. Et dans un geste fluide, dégaine sa dague pour menacer le second homme qui se rapproche dangereusement. Il le rate largement, mais la présence de l'arme les rendent plus méfiants. Le premier homme revient à la charge en lançant son poing en direction de son visage. Sans grâce, Elland l'évite et profite du déséquilibre de l'homme pour lui asséner un coup de poignard sur l'épaule. Grognant de douleur, il s'écarte légèrement du combat pour laisser place à ses complices. Sans s'être concertés, deux d'en eux l'attaquent en même temps. Elland n'a jamais réellement combattu et a toujours préféré la discrétion à l'attaque frontale. Aussi le premier l'atteint dans la poitrine, d'un puissant coup de poing, lui faisant brusquement expulser l'air de ses poumons. Mais il ne laisse pas le second homme le toucher et lui entaille le ventre sur une bonne longueur. Son attaquant ne semble pas le sentir, car il revient à la charge. Une avalanche de coups de poings se déchainent sur Elland, qui ne parvient à en éviter que trop peu. Le souffle court, il n'entend que les battements désordonnés de son cœur, et les halètements des attaquants. L'homme qui le frappe fait soudain un faux-mouvement. Sans pitié, Elland en profite pour abattre sa dague dans sa gorge. L'homme s'écroule par terre dans un bruit répugnant, pour ne jamais se relever. Mais les autres ne lui laissent pas le temps de souffler. Déjà, ils se rapprochent, menaçants. Les gestes du voleur sont de moins en moins fluides. La douleur des coups se fait ressentir dans tout son corps.

    Une lame effilée jaillit subitement en direction de sa gorge et il ne parvient qu'à s'écarter légèrement. Dans un éclair de douleur, il sent l'arme lui ouvrir profondément la joue. La rage et la peur pour Ménandre se mêlent en un curieux mélange qui lui fait perdre pied. Sans plus rien contrôler, il assène frappes du poing et coups de dague au jugé, parant et esquivant les attaques à l'instinct.

    Lorsque sa raison reprend le dessus, il est vautré par terre, couvert de sang. Tout son corps n'est plus que souffrance. Autour de lui, deux cadavres fixent les pavés pour l'éternité. Un troisième homme respire difficilement, allongé sur le dos, sa jambe gauche tordue dans un angle insolite. Et … et le quatrième ? Se relevant aussi rapidement qu'il peut, Elland le cherche du regard. Il faut quelques secondes à la ruelle pour qu'elle cesse enfin de bouger, et il aperçoit alors une petite chaussure abandonnée quelques mètres plus loin. Un pressentiment atroce lui noue le ventre. Il lâche un cri de bête blessée et se précipite vers le survivant. La main droit plaquée à hauteur de sa gorge pour le maintenir en place, la senestre tenant tant bien que mal sa dague, il plonge son regard dans celui du blessé et lui demande :


    - Où est ton autre complice ?

    Un sourire railleur se dessine sur ses lèvres ensanglantées et ses yeux se portent sur l'arme :

    - Tu comptes faire quoi avec ça ?

    Un rapide coup d'œil permet à Elland de comprendre : sa main gauche ne tient plus l'arme. La dague est posée sur la paume et , presque sagement, la lame repose sur la gorge de l'homme. Et quand il tente de serrer l'arme entre ses doigts, ils ne répondent pas. Hurlant de rage et de frustration, il lui assène de la main droite un violent coup de poing dans la poitrine, qui fait craquer plusieurs côtes. La raillerie disparaît du regard de l'homme, tandis que sa respiration se fait sifflante.

    - Où est ton autre complice ?
    - Parti. Avec le gamin.
    - Où ?

    Le silence s'attarde un instant de trop. Un déluge de coups, donnés du poing gauche, l'incitent à parler. Mais le blessé arbore le sourire satisfait de celui qui sait qu'il n'aura pas le temps de parler, et murmure :

    - Il va le vendre dans un bordel mal-famé. Il aura beaucoup de succès.

    La vision du voleur se brouille, ne laissant qu'une brume rouge. Les bruits de la ville meurent soudainement. C'est une rage indicible qui s'empare de lui et qui dévaste tout sur son passage. Lorsqu'il se calme enfin, le corps est méconnaissable.

    Elland se relève en titubant. Tout son corps est douloureux, il est couvert de sang, et quelque part dans son esprit, une petite voix lui susurre qu'il doit s'en aller avant l'arrivée de la garde. Ramassant la chaussure de Ménandre, il vacille jusqu'au bout de la ruelle. De sa manche, il tente d'essuyer le liquide vermeil qui macule son visage, mais ne fait que l'étaler. Il regagne tant bien que mal la taverne tandis qu'il imagine les pires horreurs pour Ménandre. Il a le réflexe de passer par l'arrière de la taverne. Et c'est la cuisinière qui l'accueille en poussant un hurlement d'effroi, faisant aussitôt accourir Pèire. Il s'immobilise en découvrant l'état de son locataire, mais il n'a pas le temps de placer un mot qu'Elland demande :

    - Ménandre. Il est là, n'est-ce pas ?
    - Ménandre ?
    - Dis-moi qu'il est ici !
    - Non, je ne l'ai pas vu. Mais qu'est ce qu'il s'est passé ?

    La fureur, à nouveau, lui fait perdre pied. Mais il est bien vite ramené à la réalité par Pèire, qui le ceinture violemment, et par la cuisinière, qui vient de lui balancer un seau d'eau glacée sur le visage. Alors, dans le petit couloir obscur, il s'effondre en sanglots.

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  • 1488053510

     

     

    L'employée de maison est rapidement de retour, et les invite cette fois à la suivre jusqu'à un salon aussi grand que l'Hermine Affamée, où chaque objet suinte le luxe et l'opulence.
    C'est un homme relativement jeune, à peine plus vieux qu'Elland, qui les attend dans un confortable sofa brodé d'or et d'argent, un verre d'absinthe à la main. Ses cheveux sont aussi blonds que ceux d'Elland sont noirs. Si les iris du voleur ressemblent à deux obsidiennes, ceux de Tanorède Guevois sont deux saphirs limpides. Ses vêtements sont impeccablement coupés dans une épaisse étoffe exotique. Le bourgeois les contemple de la tête aux pieds, sans leur offrir de s'asseoir. Rarement Elland s'était senti aussi misérable. Il refuse cependant de se laisser intimider, contrairement à Ménandre qui tente de se dissimuler derrière le voleur, et explique :


    - Merci de nous recevoir. On nous a indiqué que vous auriez peut-être connaissance de l'endroit où se trouve Maelenn, une amie de Ménandre.

    Il désigne le gamin qui se cache derrière lui d'un large geste de la main, le cœur battant à la chamade. Les iris glacés de leur interlocuteur s'éclairent soudain d'une lueur chaleureuse et un sourire vient illuminer son visage froid. Tanorède se relève vivement et s'exclame :

    - C'est donc toi Ménandre ! Montre-toi un peu, que je te regarde de plus près !

    Il dépose son verre sur un guéridon, et s'approche du gamin, qui s'est légèrement avancé, les joues rosies par l'embarras. Tanorède s'accroupit devant lui et dévisage longuement le jeune garçon avec un air de bienveillance infinie. Il lui explique :

    - Maelenn m'a tellement parlé de toi ! Elle s'inquiétait de ne pas avoir de tes nouvelles.
    - Vous la connaissez alors ?
    - Bien sûr ! C'est ma future épouse !

    Les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte, Ménandre accuse le coup. Riant doucement de sa mine, le bourgeois reprend son verre et retourne s'asseoir. Puis avec nonchalance, les laissant toujours debout, il leur explique :

    - Elle venait me livrer parfois et le charme a opéré. Dans les deux sens, semblerait-il, puisqu'elle a bien voulu de moi également. C'est véritablement une perle.
    - Serait-il possible de la voir ?

    C'est Elland qui a parlé, Ménandre, lui, en est parfaitement incapable. Encore sous le choc des révélations, il ne se remet que lentement. Mais à la question du voleur, il hoche vivement la tête, sans doute persuadé qu'il sera plus à l'aise avec son amie. L'homme esquisse un sourire contrit, et leur annonce :

    - Elle n'est pas là actuellement. Elle est partie, accompagnée de ses suivantes, essayer sa robe de mariage. Et vous connaissez les femmes comme moi : le temps qu'elle trouve la robe de ses rêves, qu'elle papote avec ses amies et qu'elle déambule dans les boutiques, je doute qu'elle rentre avant la nuit.

    Ménandre semble réellement déçu, et le voleur pose une main compatissante sur son épaule. Un peu agacé, Elland se demande s'il finira par rencontrer, un jour, cette fameuse Maelenn. Le silence s'abat sur le salon. C'est Tanorède qu'il le rompt en leur proposant :

    - Et si vous veniez dîner avec nous ce soir ? Je suis persuadé qu'elle sera absolument ravie de vous avoir pour invités. Et vous pourriez parler du bon vieux temps toute la soirée !

    Enfin, le visage du gamin s'éclaire de joie, et avant qu'Elland puisse dire le moindre mot, il accepte l'invitation. Le bourgeois sourit, visiblement ravi lui aussi. Puis, avec délicatesse, il leur indique qu'il a à faire, et qu'il les attend vers vingt heures.

    Ménandre peine à retenir son excitation lorsqu'ils regagnent la Fontaine aux Dragons. Il trépigne d'impatience et s'interroge sur les vêtements à porter pour cette soirée extraordinaire. Elland, amusé, sourit en l'entendant. Lui aussi est agréablement surpris, pour d'autres raisons : il s'imaginait les bourgeois bien plus hautains. Il ne s'attendait certainement pas à une telle invitation. Mais si ce Tanorède Guevois compte épouser une roturière, il doit avoir l'esprit bien plus large que ses semblables. Quoiqu'il en soit, ils ont retrouvé Maelenn et la joie de Ménandre compense largement les efforts fournis.

    Ils prennent le chemin le plus court pour rejoindre l'Hermine Affamée et annoncer la bonne nouvelle à Pèire. Bien malgré lui, Elland se demande également comment il doit se vêtir pour ne pas ressembler à un des employés. Non, en fait, à la réflexion, même les employés sont mieux habillés que lui. Soudain, un bruit inhabituel lui fait tendre l'oreille, malgré les bavardages incessants de Ménandre, et chasse définitivement ses réflexions. Se servant d'une enseigne impeccablement lustrée, il observe ce qu'il se passe derrière eux. Puis, alors qu'ils s'approchent des quartiers plus pauvres, il fait mine de regarder un étal. Son cœur s'emballe dans sa poitrine. Quatre hommes les suivent. Il reprend sa marche, comme si de rien n'était, mais s'arrête quelques pas plus loin et s'agenouille. Ménandre, qui remarque juste son manège, s'arrête à côté de lui. Dans un murmure, le voleur lui dit :


    - Ne te retourne pas. Nous sommes suivis. Enfuis-toi dès que je te le dis.


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    C'est long...

    La ville est encore très loin, et lui, il a envie de rentrer chez lui, de manger quelques délices hors de prix, et d'aller s'étendre sur ses draps de soie. Mais ce fichu conducteur refuse de pousser les moteurs, au prétexte qu'ils ne résisteraient pas à une longue distance. Il se moque de lui, oui, c'est la seule explication. Et c'est uniquement parce qu'il est fainéant qu'il refuse d'aller plus vite. Dès son retour, enfin... une fois repus et reposé, il le fera renvoyer pour incompétence.

    La neige a recouvert les paysages familiers de son hideuse couverture, et voyager devient un vrai calvaire. En plus, l'air est glacial et il s'en met plein les bas de pantalon quand il marche dedans. Il devrait acheter un larbin pour se faire porter à dos d'homme, dans ce genre de situation. Satisfait de cette brillante idée, il se cale le menton au creux de sa paume de main, et observe le paysage, écœuré par tant de blancheur immaculée.

    L'une de ses suivantes, une petite sotte à peine capable de nouer un lacet, s'extasie, en compagnie d'une de ses semblables, du coucher de soleil qui se reflète sur la montagne et la pare d'une robe dorée. D'un claquement de langue agacé, il les fait taire, et elles se réfugient dans un coin, effrayées. Si seulement ces idiotes ne mettant pas temps de tant à rentrer, il leur ferait faire le chemin à pied à chaque fois, pour s'épargner leurs chuchotements insupportables.

    Un rictus de mépris vient tordre son jeune visage, pourtant joli habituellement : sur le bas-côté, un homme marche en faisant valser dans les airs de ridicules bouts de bâtons enflammés. C'est à se demander quelle gueuse il espère séduire avec ce stratagème de bas-étage.
    Bien malgré lui, il observe le va-nu-pied le temps que la caravane le dépasse. Cet imbécile est totalement concentré sur son jouet, comme si ces flammes pouvaient avoir un quelconque intérêt. Encore un bon à rien de rêveur, qui se pâme bêtement devant la moindre broutille.

    D'un geste rageur, il tire d'un coup sec sur le rideau pour masquer ce pitoyable spectacle. Il a bien mieux à faire. Il regarde la moquette aux fleurs délicates, les lambris de bois qui tapissent les murs et le plafond de la caravane. Il s'ennuie. D'une voix autoritaire, il ordonne à une de ses suivantes de venir lui tenir compagnie, mais cette péronnelle se tasse sur elle-même et ne décroche pas un mot. Rageur, il l'a renvoie auprès de sa collègue, la menaçant de renvoi s'il les entend chuchoter. Puis avec brusquerie, il ouvre les rideaux. Un long soupir lui échappe. Il s'ennuie. La ville est encore si loin !

    C'est long...


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    Résumé :

     

    Novembre, mois de la fête des morts.
    Superstitions et traditions se mélangent, laissant le champ libre à l'imagination. la vie s'écoule paisiblement au val d'Amblavès jusqu'à l'arrivée d'un groupe de cavaliers. Masqués, ils chevauchent à travers le pays et sèment la désolation. Sont-ils des morts revenus de I'au-delà pour achever leur temps sur terre, les émissaires d'une sorcière ou des imposteurs profitant du climat de panique pour faire train basse sur le blé du val d'Amblavès ? Tous ont un avis et personne ne s'accorde.
    Barthélémy, bayle du lieu, aura plus que jamais besoin de sa compagne Ysabellis et surtout de ses dons pour dénouer cette énigme. Mais saura-t-il la protéger ?

     

    Coup de coeur

     

    Mon avis :

     

    Une jolie couverture, un résumé intéressant, et la faible créature que je suis cède à la tentation. Sans aucun regret !

     

    Nous sommes plongés dans le Moyen-Âge, dans les années 1360,  une époque difficile où un simple accouchement tue. Dès les premières lignes, le vocabulaire utilisé, le mode de vie des habitants de cette petite région nous fait vivre cette période marquante de l'histoire. Pour ce qui est du vocabulaire, un petit lexique à la fin du roman vient nous éclairer sur certains termes. Nous pénétrons dans la vie quotidienne, mais aussi les périodes spéciales, comme ce mois de la fête des morts. L'auteure nous entraîne dans cette époque aux mille superstitions, toutes plus fascinantes les unes que les autres. Lætitia Bourgeois étant docteur en histoire médiévale, on peut raisonnablement penser que les faits sont cohérents avec l'Histoire. Quoiqu'il en soit, cette plongée dans la vie médiévale est tout simplement géniale.

     

    Viennent ensuite tout un florilège de personnages, du Bayle Barthélémy, en passant par sa femme et leurs proches. Et tous, avec leurs caractères bien établis, sont touchants. Comme ce jeune papa, qui attend, anxieux, devant la porte de sa maison, la naissance de son premier enfant. Certains personnages sont plus ambigus et tout au long du roman, on se demande de qui il retourne exactement.

     

    L'intrigue est pour le moins intéressante, car on suit les évènements sous l'oeil du Bayle, qui a bien du mal à trouver des explications rationnelles. Le silence des témoins potentiels le pousse à penser au pire, au risque d'être la risée du château, où il doit rendre des comptes à son seigneur. De mystérieux vols ont lieu mais personne ne décrit les mêmes attaquants, ce qui plonge l'enquêteur dans la plus grande perplexité. Et nous aussi par la même occasion.

     

    La plume de l'auteur est très agréable à lire. Un peu plus complexe que les romans que je peux lire d'habitude, mais ça donne un ton très adapté à l'histoire.

     

    C'est un roman qui m'a beaucoup plu pour l'immersion totale dans cette période de l'histoire et pour les personnages très touchants. Ce livre est le quatrième tome des aventures de Barthélémy (comme d'habitude, j'ai commencé à l'envers) et je pense me procurer les précédents pour replonger dans ce monde.

     


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    Le retour à Rivemorte se passe légèrement mieux qu'à l'aller et à l'arrivée, le teint de Ménandre est nettement moins verdâtre. Après avoir dûment remercié la gargouille, les deux compères regagnent leurs chambres respectives pour un repos bien mérité. A leur réveil, ils déjeunent en compagnie de Pèire, à qui ils racontent leurs péripéties avec force détails, même si Ménandre se garde bien de faire mention du trajet. Le tavernier les conforte dans leur idée qu'ils ne doivent pas se laisser embobiner encore une fois par la vieille femme. C'est donc déterminés qu'ils se rendent d'un pas vif jusqu'à la petite porte dans la ruelle sordide. Ménandre, sans doute plus remonté encore qu'Elland, reste cependant derrière lui. Comme la dernière fois, la vieille femme n'est pas accueillante de prime abord, mais elle se radoucit immédiatement en voyant Elland, et lui offre ce qu'elle pense être son plus beau sourire. Qui se décompose rapidement lorsqu'Elland lui annonce qu'ils sont allés à Picsuif en vain.

    - Vous êtes déjà revenus de Picsuif ? Mais .. c'est à trois jours d'ici !
    - Oui, nous y sommes allés pour rien.
    - Sorcellerie ! Comment avez-vous fait ?
    - Ça ne vous regarde pas. Nous voulons savoir où est Maelenn. Et pas d'entourloupe !

    S'il ne peut recourir à la force contre elle, il n'hésite cependant pas à rendre sa voix plus menaçante. Ses iris noirs ont, il le sait, une lueur dangereuse qui scintille. La vieille femme abandonne aussitôt son air curieux et leur jette un regard désemparé. Elle murmure :

    - C'est ce qu'elle m'a dit. Je... je ne comprends pas. Pourquoi aurait-elle menti ?
    - Nous voulons la voir, Madame, et nous n'abandonnerons pas. Cessez cette comédie.
    - Quelle comédie ? Insinueriez-vous que je vous ai menti volontairement ?
    - Vous nous avez envoyé à Picsuif pour rien du tout !
    - Je suis désolée. Mais … je pensais qu'elle y était vraiment. J'ignore où elle est. Elle est venue me voir, éplorée, pour me prévenir que sa mère était souffrante et qu'elle retournait à Picsuif pour s'occuper d'elle. Je... je n'en sais pas plus.

    Elle semble si sincère qu'Elland interroge du regard Ménandre, qui se contente de hausser les épaules. Il insiste donc, et demande à nouveau :

    - Et vous n'avez pas la moindre idée de l'endroit où elle aurait pu aller ? De la famille ailleurs ? Elle a des amis ici qui pourraient nous renseigner ?

    La mégère réfléchit un long moment, si long qu'Elland doute de la voir répondre un jour. Et soudain, son visage s'éclaire et une lueur s'allume dans ses yeux chassieux :

    - Il y a bien un homme, qu'elle allait voir de temps en temps pour les livraisons. Je crois qu'ils s'entendaient bien. Il s'appelle Tanorède Guevois. Il habite près de la Fontaine aux Dragons.
    - Très bien, nous allons lui rendre visite.
    - C'est un excellent client, soyez polis !

    Agacé, Elland ne lui répond rien et s'éloigne, suivi de près par le gamin. Il connait le quartier indiqué, car comme son nom l'indique, d'énormes dragons de granite crachent continuellement de l'eau dans une fontaine. C'est certainement l'un des quartiers les plus riches de la ville, et le voleur se demande comment une fille d'une si petite condition a pu s'entendre avec un de ces riches oisifs. Lorsqu'il interroge le gamin sur la possibilité que son amie se comporte de la sorte, il obtient une sorte de haussement d'épaules désabusé. Ménandre semble déçu, et s'il comptait réellement jouer les entremetteurs, sa tentative semble vouée à l'échec. Car face à un habitant de la Fontaine aux Dragons, un voleur handicapé ne fait certainement pas le poids. Mais Elland s'en moque pas mal, à vrai dire. Il souhaite juste s'assurer que Ménandre puisse lui parler et lui donner de ses nouvelles, pourquoi pas garder le contact avec elle. Le reste n'était que sombre machination de la part du gamin.

    Les rues sont plus larges dans cette partie de la ville. Même les pavés semblent plus blancs. Des employés s'affairent autour des riches immeubles particuliers, l'un balayant le pas de porte, l'autre nettoyant les vitres. Des femmes, aux luxueuses toilettes, se promènent en discutant, à l'abri du soleil derrière leur ombrelle. Bien qu'habillés de vêtements propres et corrects, ils se sentent complètement décalés dans cet univers étranger. D'un geste instinctif, Ménandre lui tend la main, et c'est avec soulagement qu'Elland la serre fort dans la sienne. Quelques chevaux, à la robe magnifiquement lustrée, sont emmenés par des employés de maison en direction des écuries. Elland, avisant les regards méprisants des habitants, préfère demander aux palefreniers son chemin.

    Il ne leur faut que quelques minutes pour atteindre l'immeuble indiqué, orné de somptueuses sculptures. C'est une femme mûre qui les accueille, impeccablement vêtue d'une longue robe noire et d'un tablier blanc. Si l'apparence des deux visiteurs est sensiblement différente de celle des visiteurs habituels, elle n'en fait pas la remarque, et se contente de les faire entrer dans le vestibule sobrement décoré. Puis elle leur indique une petite pièce sur la droite, en les invitant à patienter le temps qu'elle aille prévenir son employeur. Intimidés, ils le sont certainement dans cette pièce richement meublée : Ménandre n'a jamais mis les pieds dans ce type de demeure et Elland, lui, a plutôt l'habitude d'y entrer discrètement et d'en repartir les poches pleines. C'est d'ailleurs avec un regard intéressé qu'il découvre les lieux, jaugeant les bibelots en fonction de leur valeur et de la place qu'ils tiennent dans une besace. Mais il saura se tenir, au moins pour Ménandre et son amie. Et parce que trop de personnes pourraient le décrire.

    Ménandre s'est assis du bout des fesses sur une chaise en velours noir. Immobile, il semble presque retenir son souffle de peur de casser un objet et de devoir le rembourser. Il n'ose pas parler non plus, comme si l'élégance méritait un recueillement digne d'une église.

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    Ménandre sautille presque alors qu'ils se dirigent vers la boulangerie indiquée. Gobant les bonbons les uns après les autres, il s'enthousiasme sur la gentillesse de cette vieille femme. Agacé, Elland lui marmonne qu'elle était sans doute sénile pour le prendre pour un enfant innocent. Si Ménandre, pas certain d'avoir bien compris, ne répond rien, il se mure cependant dans un silence boudeur, uniquement entrecoupé par un bruit de mastication.

    Suivant les indications précises de la vieille femme pas si sénile, ils parviennent devant une petite boutique où sont alignés de nombreuses miches de pains. C'est un jeune homme, couvert de farine, qui les sert. Elland, par précaution, achète un pain avant de demander à voir Maelenn. D'une voix grêle, le boulanger appelle aussitôt la jeune femme. Alors qu'ils attendent son arrivée, Elland tente d'imaginer les liens qui les unissent. Sont-ils frères et soeurs ? Ou pire, mari et femme ? Voyant l'air déconfit de Ménandre, il suppose que la ressemblance n'est pas flagrante, et qu'il s'agit sûrement de la seconde hypothèse. A la fois déçu et soulagé, il patiente quelques secondes encore avant de voir émerger une jolie jeune femme brune, elle aussi couverte d'une fine pellicule blanche. Alors qu'il s'attendait à assister à d'émouvantes retrouvailles, ponctuées d'exclamations ravies, un lourd silence tombe sur la boutique. Ménandre et Maelenn se dévisagent un long moment avant que la jeune femme ne demande :


    - Oui ? C'est pour quoi ?
    - C'est pas vous !

    La voix de Ménandre tend vers les aigus. Il se tourne vers le voleur et lui murmure, incrédule :

    - C'est pas la bonne Maelenn...

    Gêné, Elland se confond en excuses et leur explique qu'ils sont à la recherche d'une Maelenn. Le jeune couple leur indique l'existence d'une autre femme, au même prénom, mais bien plus âgée. Sinon, ils sont vraiment désolés mais ils ne voient personne d'autre. Dépités, ils décident tout de même de prendre les coordonnées de la Maelenn plus âgée, et quittent la boulangerie en s'excusant encore. Ménandre semble visiblement déçu, et c'est avec tact qu'Elland essaie de lui remonter le moral en lui affirmant qu'ils finiront bien par mettre la main dessus.

    Il s'avançait un peu trop. La seconde Maelenn qu'ils avaient visité leur avait indiqué l'adresse d'une troisième, qui n'était toujours pas la bonne. Et à leurs connaissances, qu'il n'y avait qu'une seule Maelenn suffisamment jeune pour répondre à leur critère : la boulangère. Fatigués de tourner en rond, déçus, ils retournent au marché où ils achètent à nouveau quelques provisions tout en continuant à interroger les passants. Finalement, n'obtenant pas de réponse, ils se rendent chez le bourgmestre. C'est un homme affable et soigneux, qui malgré ses responsabilités les accueille avec un plaisir évident. La mine déçue de Ménandre le convainc à les aider. Il cherche de longues minutes dans les registres de la ville, impeccablement tenus, leur annonçant les trois femmes qu'ils ont rencontré. D'après lui, ce sont les seules personnes répondant à ce prénom vivant ici. Et des natives de Picsuif parties pour Rivemorte, il n'y en a aucune s'appelant ainsi, même en remontant sur trente ans. Ils s'éloignent alors de la ville, longeant l'eau jusqu'à trouver une berge isolée, abritée par de nombreux arbres. Seul le ressac incessant berce cette fin de journée, et ils se laissent tomber au sol, désemparés. Les pieds dans l'eau, ils mangent en silence. Jusqu'à ce que le gamin finisse par demander :

    - Elland ? Tu crois que Maelenn est ici ?
    - Je ne pense pas. Le bourgmestre nous l'aurait dit. Il n'avait aucune raison de nous mentir.
    - Mais alors, la vieille femme s'est trompée ?
    - C'est possible. Ou alors, elle nous a menti.
    - Pourquoi elle aurait fait ça ?
    - Je n'en sais rien. Elle ne voulait pas qu'on la voie. Ou elle avait peur que je vienne demander sa main. Ou elle voulait peut-être simplement nous faire perdre notre temps.
    - Mais pourquoi ? Je voulais juste lui dire bonjour et lui faire un bisou, moi.
    - Je sais, mon grand, je sais. Mais les gens ne connaissent pas toujours le vrai sens de l'amitié, tu l'as dit toi-même.
    - Qu'est ce qu'on va faire alors ?
    - On va la retrouver. C'est notre mission, après tout. Quand on sera de retour à Rivemorte, nous retournerons voir la vieille femme et nous exigerons des explications.

    Une vague de colère enfle en lui. Cette mission, qui à la base n'était que pour honorer sa parole, est devenue une affaire personnelle. Il a l'intuition que l'horrible vieille femme leur a menti, et il veut savoir pourquoi. Il veut tirer les choses au clair, qu'importe les moyens utilisés. Il déteste être pris pour un imbécile. Ménandre le harcèle de questions, sur Maelenn, sur la vieille femme et sur Picsuif. Elland répond comme il peut, avouant trop souvent son ignorance. Et c'est finalement le crépuscule qui le sauve. Dans leur dos, une silhouette massive vient de se poser. Et à entendre son gémissement plaintif, Elland sait immédiatement qu'elle a compris qu'ils avaient fait choux blanc.

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    Résumé :

     

    Dans un monde où la magie est une rareté, la maîtriser à un prix...
    Hahp en fait le difficile apprentissage à l'académie. Dans sa classe, rares sont les élèves à passer toutes les épreuves. Les autres ne seront plus de ce monde pour les féliciter.
    Autrefois, la magie était interdite. Jusqu'à ce que la jolie Sadima la ressuscite, grâce à ses aptitudes exceptionnelles. Mais saura-t-elle en faire bon usage ? Ses deux acolytes sont-ils dignes de confiance ou jouent-ils les apprentis sorciers ?
    Et pourquoi, au nom de la magie, des enfants sont-ils affamés et enfermés dans le noir ?

     

    Perplexe  

     

    Mon avis :

     

    C'est un roman estampillé jeunesse mais sa lecture est largement adaptée aux adultes. Il n'y a pas de raccourcis trop rapides, pas de situations trop simples comme on en trouve parfois dans cette catégorie.

     

    Dès le début du livre, nous sommes happés par la course d'un jeune garçon. Ses émotions nous envahissent, nous serrent le cœur jusqu'à en devenir presque oppressantes. Et cette constance se répète tout au long. Ce sont des chapitres très courts, qui se succèdent sans répit, et il est très difficile de s'arrêter.

     

    Les personnages, grâce à la plume très évocatrice de l'auteur, sont très touchants : quels qu'ils soient, on comprend leurs motivations, on suit leur parcours avec le cœur serré. Car dans ce roman, tout n'est que noirceur. Dès le début du roman, un jeune enfant implore l'aide d'une magicienne pour qu'elle sauve sa mère d'un accouchement difficile. Le père et le fils patientent, et lorsque la magicienne s'en va, elle leur assure que la mère et le nouveau-né vont bien. Ils la paient grassement, au risque de souffrir de famine dans l'hiver qui vient. Et quand ils rejoignent la mère, ils découvrent que leurs maigres possessions ont été volées par la magicienne, que la mère est morte, et le nouveau-né agonisant.

    De même, quand le résumé parle d'enfants affamés, ce n'est que doux euphémisme. Dans cette école, il y a réellement des enfants qui meurent de faim.

     

    La peur et la faim sont des sentiments qui marquent ce récit, si évocateurs qu'ils rendent la lecture difficile, oppressante. Et c'est finalement ce que je reproche à ce livre. L'intrigue suscite la curiosité, l'intérêt. Le suspens est là, et l'auteur place petit à petit à les éléments qui nous permettent de comprendre le monde qu'elle a imaginé. La plume est simple mais efficace. Mais ce monde est noir, terriblement noir. Aucune lueur d'espoir, où que ce soit. Aucun espoir de fin heureuse, d'après ce que j'ai deviné grâce aux indices disséminés un peu partout.

     

    Je lirai tout de même le second tome, je pense. Pour voir si je me suis trompée ou pas. Mais je le ferai quand je serai capable d'appréhender ce monde sans en être tourneboulée.


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