• Manoir Clamadinis

     

    Elland, marchant seul dans une ruelle quasiment inondée, rythme ses pensées au son du « floc floc » que font ses bottes. Cet appartement désert est très étrange et il a beau retourner le problème dans tous les sens, il ne comprend pas ce qu'il se passe là-bas. Mais une chose lui semble certaine : c'est certainement un lieu de passage pour les hommes de Tanorède, dans lequel ils vont et ils viennent pour accomplir leur sombre besogne. Surveiller cet immeuble, nuit et jour, pourrait sans aucun doute leur permettre de les retrouver et de découvrir ce qu'ils trafiquent.

    Au détour d'une rue, une petite silhouette fantomatique le fait soudain s'arrêter. Il cligne plusieurs fois des yeux, pour s'assurer qu'il ne s'agit pas d'une illusion d'optique. Mais la petite silhouette reste parfaitement immobile, détrempée, sous l'abri tout relatif d'un seuil de porte. Et elle le fixe, avec de grands yeux verts qui semblent briller.

    Il s'approche à grand pas, découvrant des cheveux de feu dégoulinants d'eau. Il esquisse un sourire en direction d'Osvan et le rejoint sous le porche. Le gamin a le visage fermé et la mine grave. S'asseyant sur la petite marche, Elland lui demande si tout va bien.


    - Ça va, oui. Et toi ?
    - Ça irait mieux si je retrouvais Ménandre.
    - J'ai demandé de partout. Personne n'a rien vu. Personne n'a entendu la moindre rumeur à son sujet. Comme s'il ne s'était rien passé. C'est bizarre.
    - Et agaçant.
    - Oui. On m'a dit qu'ils avaient trouvé trois hommes dans une ruelle. Tous morts. Il paraît que la garde penche pour une bagarre qui a mal tourné. De toutes façons, ils ne vont pas chercher longtemps : ils ont trop de cadavres sur les bras.
    - C'est une très bonne nouvelle. Tant qu'ils nous laissent tranquille...
    - Pas vraiment. Ils ont interrogé pas mal d'enfants. Mais ils nous croient quand on leur dit qu'on ne sait rien.

    Elland, surpris, le regarde. C'est plutôt étonnant qu'ils ne choisissent pas ces gamins comme coupables idéals. Après tout, ils n'ont pas de famille, personne pour prendre leur défense. Osvan hoche doucement la tête, et répond à la question muette :

    - Y'a toujours une dame pour les disputer de nous soupçonner. Et des fois, c'est même un curé qui le fait. Et pis, de toute façon, ils savent bien qu'un enfant ne peut pas cogner assez fort un adulte pour le tuer.

    Elland déglutit péniblement. Comment ce gamin peut-il être au courant de tant de choses ? Et comment peut-il parler avec tant de détachement de ces morts ? Pourtant, il a raison, et l'apparence inoffensive des enfants des rues poussent les autorités à les considérer comme un mal nécessaire, qui ne nuit pas vraiment à la sécurité de la ville. Osvan est parcouru d'un long frisson, et Elland ne peut s'empêcher de frissonner à son tour. Il lui murmure :

    - Si tu as besoin de quoi que ce soit, passe à l'Hermine Affamée. Théoliste pourra te soigner si tu en as besoin, toi ou d'autres enfants.
    - J'ai pas besoin d'aller à l'Hermine Affamée. Je vais chez Anthelme si je suis malade.
    - Anthelme ? L'ami de Théoliste ?
    - Peut-être. Je ne sais pas. Mais il est très gentil. Il n'aime pas voir des enfants souffrir. Des fois, il s'occupe de nous quand on va pas bien. Et quand il fait très froid, il nous donne de la soupe bien chaude. Et très bonne en plus. Il travaille pas vraiment, enfin, il fait des trucs bizarres avec des plumes et du papier. Et le reste du temps, il nous donne des herbes ou de la nourriture.
    - Alors n'hésite jamais à aller le voir, d'accord ? Et va vite te mettre au chaud.

    Le voleur regarde sa miche de pain, qui tombe en miettes, gonflée par la pluie. S'il avait songé à la donner au gamin, il peut faire une croix dessus. Soufflant entre ses dents de déception, il se relève. Et, faisant face au gamin, lui promet :

    - Quand tu viendras à l'Hermine, je te paierai un somptueux repas.

    Le visage grave d'Osvan s'illumine d'un sourire. Elland sourit à son tour, et lui fait un petit signe de la main avant de s'éloigner. Mais son sourire disparaît bien vite. Encore une impasse. C'est impossible ! Ménandre n'a pas pu se volatiliser comme ça, sans que personne ne s'en aperçoive !

    Il pleut toujours des cordes lorsqu'il regagne la taverne. Dans la salle principale, quelques clients sont attablés devant leur déjeuner. Un léger brouhaha se fait entendre, mais c'est surtout le bruit des couvert qui couvre le vacarme de la pluie. Une odeur délicieuse flotte dans l'air, donnant au voleur l'eau à la bouche. Il fait un petit signe de la main à Pèire, pour lui montrer qu'il est bien rentré. Puis il monte quatre à quatre les escaliers qui le conduisent dans son repaire. Ses vêtements dégoulinent d'eau, tout comme ses longs cheveux noirs. Il se sèche, se change, et reste un moment à la fenêtre, à regarder la pluie ruisseler sur Echidna. Ont-ils réellement la moindre chance de retrouver le gamin ? Doivent-ils commencer à se faire à l'idée qu'ils ne le reverront jamais ?

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    Résumé :

     

    A peine débarquée sur Pointe-de-Gorth, domicile des pires criminels de l'archipel des îles Glorieuses, Braise Sangmêlé se rend compte que quelque chose ne tourne pas rond : son enquête - mettre la main sur une drôlesse réfractaire au mariage - se heurte au mutisme des matelots, et une odeur inquiétante de magie carmine semble s'attacher au moindre de ses pas.
    Car, en plus d'être une combattante hors pair, Braise possède le don de Clairvoyance qui lui permet de voir la magie à l'oeuvre. Quoique très utile, ce talent fait d'elle une cible de choix pour les sorciers de tout poil qui n'apprécient guère qu'on se mêle de leurs projets. Autrement dit, Braise s'est encore mise dans de sales draps...

     

    Sympa!

     

    Mon avis :

     

    J'ai beaucoup aimé l'idée que ce roman ait pour personnage principal une femme. Une femme à la fois forte et fragile, qui s'assume en tant que tel mais qui ne court pas spécialement après les hommes.

     

    Les premières lignes m'ont légèrement fait tiquer : en guise de récit, il s'agit surtout d'un témoignage, que raconte Brise des années après. Nous avons la correspondance d'un homme pour son oncle, qui met en doute les paroles de Brise. Et pendant les premières pages, lorsqu'elle raconte, elle le prend à témoin (et nous aussi, par la même occasion). Or c'est une chose que je n'aime pas du tout dans les récits, pour la simple raison que j'aime plonger dans un univers sans que l'auteur ne m'interpèle, moi, la lectrice. Mais fort heureusement, ces « vous » ne durent que quelques lignes, et nous sommes tout de suite plongés dans le récit.

     

    Le monde est complexe, les îles offrent une multitude de possibilités que l'auteur n'a pas dédaigné. L'histoire se passe sur Pointe-de-Gorth, une île dure et âpre, à l'image des hommes qui la peuplent. Et de là, un panel de personnages va se dessiner, s'affronter, se dévoiler.

    Si l'auteur nous surprend parfois, il arrive également qu'on devine, à travers les indices qu'elle sème, certains fils de l'intrigue.

     

    La plume est très agréable à lire, assez prenante et rend les personnages attachants. Et la lecture a été à l'image de cette écriture : plaisante. Sans être non plus parfaitement époustouflante, elle m'a fait passer un bon moment. C'est tout ce que je demande !


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    Ils se lèvent comme un seul homme. Elland quitte le premier l'atelier. De lourds nuages noirs menacent à tout instant de se déverser sur la ville. Ils correspondent parfaitement à l'humeur du voleur. Il aurait dû se douter. C'était une trop grosse coïncidence que deux hommes se débarrassent d'un cadavre la nuit où l'espion devait enfin interroger Tanorède Guevois. Et cet homme... Que peut-il bien cacher de si important pour que la vie d'un homme vaille si peu ?

    Face à lui, deux gardes approchent, aux aguets. Ils scrutent les porches des immeubles, les passants, comme si le coupable allait avoir ses aveux inscrits sur son front. Leurs regards semblent s'attarder longuement sur Elland, qui tente de conserver un air impassible. Sa main gauche, enfouie dans sa manche, le lance terriblement. Ils ne peuvent rien lui reprocher. Ils ne vont pas l'arrêter.

    C'est avec ce leitmotiv qu'il avance, croisant de nombreuses patrouilles. Jamais, depuis la purge du printemps, il n'avait vu autant de gardes. Finalement, il parvient sans encombre au marché et se noie dans la foule qui se presse de terminer ses achats avant l'orage. Machinalement, il jette un regard vers l'étal de la drapière, mais c'est un boucher qui est installé là.

    Il s'immobilise devant le dernier étal au bout du marché, et fait mine de s'intéresser aux divers légumes, couverts de terre, qui agonisent sur les planches. Le vendeur, un homme rustique au visage buriné par le soleil, ne prend même pas la peine de le saluer ou de lui proposer ses services. Sans doute ne croit-il pas un seul instant qu'il arrivera à vendre ses produits. Du coin de l'oeil, Elland repère Pèire, qui flâne, le nez au vent. Alors il s'éloigne de l'étal et s'engouffre dans les ruelles.

    Il marche à pas lents, détaillant chaque boutique comme bon nombre de badauds autour de lui. Il ne se retourne plus pour ne pas attirer inutilement l'attention. C'est à ce moment là que les premières gouttes tombent lourdement sur le pavé. Et l'espace d'un clignement d'œil, ce sont des trombes d'eau qui s'abattent sur la ville. Les gens autour de lui s'éparpillent comme autant de moineaux surpris par un chat affamé.

    Elland, lui, se contente d'allonger sa foulée. Son comportement ne doit pas être trop différent des passants, mais il ne peut pas risquer de perdre ses suiveurs. Après de longues minutes de marche qui lui semblent interminables, durant lesquelles il croise encore de nombreux gardes grimaçants sous le déluge, il parvient devant l'immeuble.

    En face, une boulangerie répand une délicieuse odeur de pain chaud. Pour ne pas attirer l'attention, il s'achète une miche de pain. A peine a-t-il payé que le tavernier s'approche à son tour pour acheter une brioche. Elland s'abrite sous une avancée de toit et grignote son pain. Il donne parfaitement l'impression d'attendre la fin de l'ondée, tout comme Pèire qui s'est installé un peu plus loin. Une odeur de pierre mouillée remplace celle du pain chaud et les pavés disparaissent maintenant sous d'immenses flaques d'eau. Plus personne ne les foule, d'ailleurs. Enfin, Thémus et Théoliste arrivent. Ils ne perdent pas de temps et s'engouffrent, tous les quatre, dans la porte de l'immeuble.

    Les lieux ressemblent, par leur piteux état, à l'immeuble dans lequel Elland vivait. Un escalier étroit grimpe dans les étages et il est si vermoulu que c'est un miracle qu'il ne se soit pas encore écroulé. De chaque côté de l'entrée s'ouvrent deux portes, toutes les deux fermées à clef. Derrière l'escalier, une autre porte est entrebâillée. Avec mille précautions, ils la poussent et pénètrent dans l'appartement. Une seule fenêtre donne sur une cour intérieure jonchée de détritus, et éclaire chichement un logement à l'abandon. Un lit de guingois s'appuie contre le mur du fond. Un miroir, couvert de poussière, surplombe un bassin où personne n'a mis de l'eau depuis des années. Deux chaises, à la paille rebelle, se font face dans un silence sépulcral. Un vieux tapis, aux couleurs ternies, couvre une partie du sol. Et sur le plancher, aucune trace de poussière ne leur permet de voir des traces de pas. Mais posés sur le dossier d'une chaise, deux larges chapeaux rappellent bien des souvenirs à Elland.

    Les quatre amis restent silencieux, pour ne pas attirer l'attention. D'un geste de la main, Elland leur montre les couvre-chefs et leur fait signe qu'il s'agit sans doute de ceux qu'il a aperçu dans la nuit. Aussitôt, ils fouillent le logement, à la recherche d'indices.
    Dans un placard rongé par les mites, ils trouvent deux couvertures semblables à celle qui enveloppait le corps. Une malle, posée sous la fenêtre, contient de lourdes boites en métal. En les ouvrant, ils découvrent de nombreuses pièces de métal : vis, chevilles, boulons. Ils s'interrogent du regard, se demandant la signification de tels objets dans ce lieu. Plus loin, sur une table bancale, ils découvrent marteaux et outils.

    Un soudain grondement, qui ébranle les murs, les fait tous sursauter. Le tonnerre. Tandis qu'Elland tente de reprendre le contrôle des battements de son cœur, il poursuit ses recherches. En vain. Il n'y a rien ici qui puisse leur donner la certitude qu'il s'agit bien du repaire des suspects. Rien qui puisse expliquer ce qu'il se trame ici.

    Un nouveau tremblement les surprend, mais il s'agit cette fois d'une personne descendant les escaliers. Ils se regardent à nouveau, et une fois que la porte d'entrée a claquée, ils décident de sortir de l'appartement. Ils ne trouveront rien de plus ici. La Grand Tour Célestis annonce midi. A mi-voix, ils se donnent rendez-vous à l'Hermine Affamée. Puis, sous les trombes d'eau qui semblent vouloir noyer la ville, ils se séparent.

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  • Arrière-taverne

     

    Les jambes d'Elland vacillent, et il manque de défaillir. Son cœur a raté un battement. Il tarde à reprendre son rythme habituel. Pèire, prévenant, tire une chaise jusqu'à lui. Il se laisse tomber sur le siège et demande d'une voix blanche :

    - Le gamin ?
    - Non.

    Et soudain, la douleur qui lui broyait le ventre et qui l'empêchait de respirer disparaît, comme par enchantement. Il ne peut retenir un soupir de soulagement, qui attire un regard furieux de Thémus. Pèire s'assoit à son retour et demande plus d'explications.

    - Mon espion n'est pas revenu. Au petit matin, l'un de mes informateurs m'a annoncé qu'il a été découvert mort.
    - Que s'est-il passé ?
    - Je n'arrive pas à le savoir. Personne n'a rien vu. Personne n'a rien entendu.
    - Il aurait été attaqué en revenant ?
    - Je n'y crois pas une seconde. Il porte sur lui la marque des délateurs. Il a dû se faire surprendre.

    Elland, bien qu'encore sonné par l'angoisse qui s'est emparée de lui quelques minutes plus tôt, frissonne longuement. Ces caractères, gravés dans la chair, désignent, aux yeux des vivants comme des morts, la victime comme étant un sinistre personnage, à la langue trop pendue et à la curiosité malsaine. Pèire, connaissant lui aussi la signification de cette marque, demande :

    - Et ils l'ont tué parce qu'il s'est introduit chez Guevois ?
    - Ils l'ont tué pour nous prévenir. Pour nous envoyer un message. Ils ne veulent pas nous voir fouiner dans leurs affaires et nous le font comprendre.

    Le voleur déglutit bruyamment. Pèire pousse un long soupir. Ils ont envoyé un homme à une mort atroce. Tanorède Guevois, ou quiconque se trouve derrière se meurtre, est prêt à commettre un crime uniquement dans le but de faire cesser leur enquête. Et Ménandre est entre ses mains !

    Puis c'est Théoliste qui arrive, les interrompant. En voyant les mines sombres de ses amis, il comprend aussitôt que quelque chose ne va pas, et range dans sa besace la jolie brioche qu'il tenait dans les mains. Thémus, en quelques mots, lui résume la situation. Et le guérisseur d'opiner du bonnet :

    - Le cadavre dans l'impasse, oui. Les gardes sont en alerte maximale.

    Dans le cerveau d'Elland, les rouages se mettent en marche. Lentement mais sûrement. Le cadavre. Dans l'impasse. Il jette un rapide regard à Pèire avant de s'exclamer d'une voix fébrile :

    - J'étais là quand ils ont mis le corps dans l'impasse.
    - Tu les as vu ?
    - Oui.
    - Tu pourrais les reconnaître ?
    - Je ne pense pas. Il faisait sombre, ils avaient le visage masqué par des chapeaux.
    - Tu as remarqué un signe particulier ?
    - Pas vraiment non. Mais j'ai vu où ils se rendaient ensuite.

    Le regard de Thémus s'est animé d'une lueur fiévreuse. Avec avidité, il lui demande de décrire précisément l'endroit, prêt à laver l'affront par le sang de ces hommes. Elland tente, tant bien que mal, d'expliquer le chemin qu'ils ont pris. Mais c'est tellement différent de celui qu'ils ont pris avec Echidna ! C'est Pèire qui propose qu'ils y aillent tous les quatre ensemble : ils ne savent pas à combien d'ennemis ils ont affaire. Théoliste, lui, plonge de temps à autre la main dans sa besace et grignote discrètement la brioche. C'est lui qui émet quelques réserves :

    - Les patrouilles sont nombreuses en ville. J'ai entendu dire qu'entre les corps des hommes de main que tu as tué, Elland, ceux du couple et celui trouvé dans l'impasse, ils veulent à tout prix trouver des coupables. Les gens ont peur, d'autant plus que la rumeur court que l'assassinat du couple est un crime crapuleux.
    - Pourtant, rien n'avait été volé !
    - Quand on est arrivé, oui.

    Gêné, Elland baisse la tête et fixe ses pieds avec attention. Effectivement, vu comme ça. Mais bon... ça ne change rien au fait qu'ils soient morts, les deux. Thémus poursuit, semblant ignorer le malaise du voleur :

    - Ils n'ont aucune piste pour le moment. Mais tu as raison, nous devrons nous montrer prudents. Le moindre comportement suspect pourrait attirer leur attention.
    - Mais si on y va dans la soirée, ce sera encore plus suspect.

    Le silence envahit à nouveau l'espace. Théoliste lorgne sur la bouteille à demie vide qui trône sur la table. Thémus, s'en apercevant, leur sert un verre. Et tandis qu'ils sirotent l'hydromel, Pèire annonce :

    - Nous pourrions faire le chemin séparément. Nous donner rendez-vous sur une place. Puis Elland rejoindra l'immeuble et l'un de nous le suivra de loin. Le troisième suivra de loin le second et ainsi de suite.
    - Et tu n'as pas peur que ce soit encore plus suspect ? Demande Théoliste.
    - On fera en sorte que non.
    - Alors rendez-vous sur la place du marché. Il y a beaucoup d'affluence là-bas.


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    Résumé :

     

    Kyoto, 1490.
    Dans une cité impériale qui n'en finit plus de panser les plaies des guerres qui l'ont dévastée quinze ans auparavant, l'enquêteur Ryôsaku se lance aux trousses du plus terrifiant et mystérieux des criminels. Kaoru, Keiji et Sozô, les trois adolescents qui lui ont été imposés comme assistants, ne sont plus des débutants. Dans l'atmosphère humide et moite de l'été, entre temples bouddhistes, sanctuaires shintô et théâtre nô, Ryôsaku et ses trois jeunes assistants vont devoir unir leurs forces pour vaincre ce shogun de l'ombre qui semble, lui, disposer de l'aide des esprits...

     

    Coup de coeur

     

    Mon avis :

     

    J'avais été complètement séduite par le premier tome et j'étais restée sur ma faim. J'attendais donc cette suite avec impatience. Et je ne suis absolument pas déçue.

     

    On retrouve avec joie les personnages qui ont donné tant d'âme au premier tome. Ils s'étoffent et gagnent en maturité. Si les pitreries de certains demeurent, elles sont plus rares, plus dosées, mais toujours bienvenues.

    Les personnages sont devenus plus sombres, on sent que leur passé les rattrape et qu'ils commencent à agir de leur propre chef.

     

    De même, l'intrigue principale est plus sombre, plus mystérieuse. Les évènements sont amenés avec énormément de savoir-faire, on dévore les lignes pour en savoir plus, pour comprendre ce qu'il se passe. Comme dans le premier tome, la résolution de l'enquête ne se fait pas sans heurts, mais toujours avec beaucoup de sensibilité.

     

    On retrouve également la plume de l'auteur, toujours aussi belle et lyrique, pour un voyage inoubliable dans ce Japon médiéval.

     

    Difficile d'en dire plus sans spoiler. Aussi me contenterai-je du principal : j'ai passé un excellent moment, et je vous le recommande chaudement.


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    Une expression de terreur douloureuse marque à jamais le visage du cadavre. Dans un sursaut de répulsion, le voleur s'écarte vivement du corps. Luttant contre la nausée, il remonte sur le dos d'Echidna, qui prend aussitôt de l'altitude. Ce n'est pas Ménandre. Et ce n'est pas franchement dans son intérêt de se faire surprendre à côté d'un mort. Décrétant que ça ne le concerne pas puisqu'il ne connaît pas cet homme, il reprend sa ronde. Echidna repère bien avant lui les deux hommes, au visage masqué par de larges chapeaux, qui avancent rapidement dans une ruelle. Ces deux hommes qui se sont débarrassé du corps. Elle les suit discrètement, jusqu'à leur destination : une petite porte anonyme dans un immeuble anonyme.

    Frissonnant encore de cette rencontre sordide, et tentant vainement d'oublier les yeux du mort qui semblaient le fixer, Elland demande à Echidna de repartir. Elle vole encore un moment, sans grande conviction, avant d'aller poser Elland sur le toit en ardoise attenant à sa tanière. D'un regard, elle lui fait comprendre qu'il doit aller dormir, se reposer quelques heures. Il la remercie à voix basse, s'excuse encore pour son comportement du début de soirée, et lui obéit. Agilement, il se glisse à travers la lucarne et se laisse tomber sur son lit.

    Il s'est endormi à peine la tête posée sur l'oreiller. Un cauchemar atroce le réveille en sursaut, alors que la Grand Tour Célestis n'a pas encore sonné les dix heures. Il prend le temps de fait un peu de toilette et de se raser tant bien que mal avant d'enfiler des vêtements propres. Puis il descend à la salle principale de la taverne.

    Pèire l'attend devant un copieux déjeuner, et s'il n'a pas faim, il se force tout de même à grignoter un peu, histoire de ne pas répéter l'erreur de la veille. Le tavernier aborde une expression sombre. Inutile de lui demander si ses recherches ont porté leurs fruits, c'est visiblement un échec. Elland lui raconte en quelques mots sa nuit et parvient à faire sourire le tavernier en lui expliquant la frayeur qu'il a eut, la minimisant au maximum. Mais Pèire sait très bien ce qu'il a ressenti puisqu'Echidna lui a parlé, juste après leur avoir ravi Elland, afin de le rassurer. Il se contente de sourire, moqueur, et de pousser un léger grognement, mais ne dit rien. Elland, les joues roses, se garde bien d'insister.

    Sans s'étendre sur le sujet, Elland lui raconte la découverte du cadavre. Trois morts en une journée, c'est beaucoup trop pour lui. Cet homme lui est inconnu, donc il ne se mêlera pas de cette histoire, il a déjà bien assez à faire avec ses propres problèmes. Pèire l'écoute attentivement, sans faire de commentaire. Pèire lui avoue à mi-voix qu'il n'a quasiment pas dormi, qu'il est épuisé.


    - Si tu veux, je vais voir Thémus seul et tu te reposeras pendant ce temps.
    - Et je raterai le compte-rendu de l'homme qu'il a envoyé chez Guevois ? Tu plaisantes j'espère ?
    - Je... enfin, c'était une proposition comme ça.
    - Je viens. Le sommeil attendra.

    Elland ne peut qu'approuver. De toute façon, quand le tavernier a décidé quelque chose, il est quasiment impossible de le faire changer d'avis. Ils se mettent rapidement en chemin, impatients de connaître les résultats de cette infiltrations.

    De lourds nuages avancent paresseusement dans le ciel, annonciateurs d'un orage imminent. La foule se presse sur les pavés, pressée de regagner l'abri des toits. De nombreuses patrouilles sillonnent les ruelles, visiblement plus intéressées par les badauds que d'habitude. Sans oser interroger Pèire à voix haute, de peur d'être entendu par des oreilles indiscrètes, Elland se demande tout de même si ces patrouilles sont liées à la découverte du couple. Rivemorte est une ville aux mille dangers, mais ce genre de meurtre n'est pas si fréquent. La garde doit être sur le qui-vive pour trouver les coupables rapidement et rassurer la population. Car les gens parlent, en témoigne ces petits rassemblements, au détour d'une rue, qui murmurent en regardant autour d'eux puis qui se dispersent dès qu'arrive la patrouille.

    Elland, rendu mal à l'aise par cette profusion d'uniformes, hâte le pas, rapidement imité par Pèire. Ils s'engouffrent dans l'atelier de Thémus, comme s'ils avaient le diable aux trousses, et se permettent enfin de souffler. Et de se raisonner : personne ne peut savoir qu'ils étaient dans la petite maison du couple. Personne ne les a vu. Personne ne les forcera à avouer un crime qu'ils n'ont pas commis.

    Une jeune femme, au visage ravagé par les larmes et aux yeux rougis, jaillit de l'arrière-boutique et se faufile entre les deux amis pour s'échapper dans la ruelle. Se regardant avec inquiétude, ils décident de s'avancer jusqu'à la salle. Thémus est assis, les coudes posés sur le plateau de bois. Devant lui, de multiples verres vides témoignent des nombreuses visites qu'il a reçu depuis l'aube. Le cordonnier se tient la tête entre les mains et marmonne des paroles incompréhensibles. Il se redresse entendant Elland et Pèire entrer. Son visage, malgré la tristesse qu'il exprime, annonce clairement sa colère. Même ses moustaches semblent trépigner de rage. D'une voix vibrante, il leur annonce :


    - Il a été abattu.

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  • Ruelle

     

     

    Seul un reliquat de fierté les empêche de crier leur frayeur. L'attaquant est trop rapide, trop vif pour leur esprit embrumé par l'alcool. Il fonce droit sur Elland, qui se retrouve soulevé du sol. Et qui prend de l'altitude, le visage fouetté par l'air brassé par les immenses ailes au dessus de lui. Echidna !

    Ses pattes avant serrent les épaules du voleur et la douleur le dégrise un peu. Sans pitié pour son passager, la gargouille le ballote dans tous les sens, lui faisant frôler murs et toits. Et lui hurle sa terreur à s'en arracher les cordes vocales. Il ne comprend pas son comportement, les raisons de son acte. Il tente de la raisonner, de la supplier pour qu'elle le pose au sol, pour qu'elle cesse ce jeu ridicule. Mais rien n'y fait. La gargouille, têtue, poursuit comme si de rien n'était.

    Soudain, elle accède à ses requêtes, et le laisse tomber. De toute la hauteur. Ses pattes relâchent leur emprise sur les épaules d'Elland. Il chute, interminablement, hurlant de plus belle. Quelle mouche l'a piquée ? Il ferme les yeux, comme si ça pouvait atténuer l'impact sans doute meurtrier. Mais ce n'est pas le sol pavé qu'il touche. C'est la petite rivière qui traverse Rivemorte et qui charrie tous les déchets de la ville. Le choc est violent et lui coupe le souffle. L'eau lui semble être glaciale. Il agite vainement les bras et les jambes : il n'a jamais appris à nager. Elle veut le tuer, elle est devenue folle ! L'ombre de la gargouille plane à nouveau au dessus de lui, menaçante. Il a beau se débattre, s'agiter, elle lui attrape tout de même les épaules et le tire hors de l'eau. Elle le fait tomber sur la berge, avec plus de douceur cette fois-ci. Et elle se pose en face de lui, les iris rougeoyants de colère. Tout en elle montre à quel point elle est furieuse et pour la première fois, il en a peur.

    La petite baignade l'a complètement dessoulé et c'est avec l'esprit clair qu'il essaie de comprendre son comportement. Est-elle jalouse qu'il passe du temps avec ses amis plutôt qu'avec elle ? D'une voix rendue frêle par la peur, il lui promet :

    - Je vais passer le reste de la nuit avec toi, je te le jure.

    Ses crocs deviennent clairement visibles. Echidna grogne, d'un grognement si puissant qu'il semble faire trembler les os du voleur. Elland déglutit bruyamment. Soudain, il comprend. Ce n'est pas le temps passé avec les autres qu'elle lui reproche. Mais le fait d'avoir bu plus que de raison, d'avoir été ivre au point de tituber dans la rue. D'avoir enchaîné les bières, alors qu'il ne dort quasiment pas et que son dernier repas est antérieur à l'attaque. Ce n'est pas comme ça qu'il retrouvera Ménandre.

    Le rouge envahit ses joues et son regard n'ose plus croiser celui d'Echidna. Il a eu un comportement indigne d'un ami, indigne de l'affection qu'il prétend avoir pour Ménandre. Mais les verres se sont enchaînés et l'alcool a engourdi son inquiétude. Et ça lui a fait du bien. Car l'angoisse qu'il ressent depuis qu'il a découvert la petite chaussure abandonnée lui noue le ventre et entrave sa respiration. Cet intermède, bien que peu digne, lui était nécessaire.

    Il s'excuse platement auprès d'Echidna et lui promet qu'il ne recommencera pas. Elle se calme un petit peu puis lui fait signe de monter sur son dos. Penaud, Elland obéit sans hésiter. Elle s'élance alors dans les airs. Le vent provoqué par sa vitesse fait frissonner Elland, trempé des pieds à la tête. Mais il ne proteste pas. Toute son attention est désormais braquée sur les rues de la ville, à la recherche d'un indice ou d'un comportement suspect.

    Les heures passent, lentement. Elland a séché. La ville dort profondément, sans que rien ne vienne la troubler. Le voleur s'interroge : pour quelle raison l'ont-ils enlevé ? Si Tanorède Guevois est aussi suspect qu'il le pense, pourquoi aurait-il pris autant de risques pour un gamin des rues ? Quels ignobles projet a-t-il pour lui ? Echidna semble avoir lu dans ses pensées puisqu'elle prend la direction du quartier de la Fontaine aux Dragons. Mais tout est calme. Aucune lumière ne perce des fenêtres. Aucun mouvement suspect. Une bouffée de colère s'empare d'Elland. Il a envie de forcer la porte, de coincer ce bourgeois trop prévenant et lui faire cracher la vérité, par la force si possible. Il veut voir son sourire suffisant disparaître de son visage.

    Mais la gargouille s'éloigne, comme pour lui enlever cette idée qui, il le sait, le conduirait à la mort sans lui assurer de revoir Ménandre. Elle surveille le quartier commerçant puis le quartier pauvre. Et c'est à ce moment là qu'ils discernent, dans la pénombre, deux silhouettes se faufilant entre les ombres.

    Elle se rapproche aussitôt et Elland parvient enfin à comprendre ce qu'ils font. Deux hommes sont courbés sur une longue forme allongée et avancent péniblement. La forme est recouverte d'un tissu sombre. Il ne parvient pas à comprendre ce que c'est. Alors, discrètement, ils suivent les hommes. Ces derniers s'arrêtent au fond d'une impasse, où sont entassées de nombreuses caisses en bois. Ils déposent leur fardeau, vérifient que personne ne les suit, et font demi-tour. Echidna, posée sur un toit voisin, reste parfaitement immobile. Quand il est sûr que les deux hommes sont bien partis et qu'ils ne reviendront plus, elle vole jusque dans l'impasse. Elland s'approche alors de la forme et soulève le tissu.

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    Résumé :

     

    Neuf d'entre nous sont venus sur Terre.
    Notre but était de grandir, de nous entraîner et de nous réunir pour ne faire plus qu'un afin de les combattre. Mais ils nous ont trouvés et nous ont pris en chasse les premiers. À présent, nous sommes tous en fuite. Nous nous cachons en permanence, pour que personne ne nous repère. Nous vivons parmi vous sans que vous vous en rendiez compte. Mais eux le savent. Ils ont attrapé Numéro Un en Malaisie. Numéro Deux en Angleterre. Et Numéro Trois au Kenya. Ils les ont tous tués.

    Je suis Numéro Quatre. Le prochain sur la liste.

     

    Pas convaincue

     

    Mon avis :

     

    J'ai été séduite par la couverture, le résumé qui semblait plutôt prometteur et original. Et au final, je suis plutôt mitigée.

     

    L'intrigue en elle-même est plutôt originale : ayant fuit sa planète d'origine, le héros tente de se construire une vie normale. Jusqu'à ce qu'il apprenne qu'il est le prochain sur la liste. Le résumé promettait un roman haletant, plein de suspens. Promesse tenue.

     

    J'ai aimé l'histoire, donc, même si je déplore que la première fille qu'il rencontre soit la bonne, celle qui fait chavirer son cœur et … sortez les violons, quoi. De même, le méchant du lycée, forcément, qui va l'empêcher de passer incognito, parce qu'il le provoque. Et le binoclard du lycée, paria parce qu'il a des passe-temps si différents des autres lycéens.

     

    La plume est agréable à lire, mais j'ai trouvé que le roman s’essoufflait un peu sur la dernière partie. Et j'ai trouvé que la construction manquait, elle, d'originalité. Le héros, parfaitement conscient qu'il ne doit pas se faire remarquer, qui, dès le premier jour, se bat avec le gros dur du lycée et devient le point d'attraction de tous. Le héros prêt à saborder sa couverture pour la fille qu'il aime. Prêt à tout expliquer au binoclard parce que bon, de toute façon, il est tellement space que personne ne le croira. Bref, si l'intrigue générale pouvait être intéressante, le déroulement en lui-même a un air de déjà-vu un peu trop prononcé.

     

    Une lecture distrayante, relativement prenante, mais qui n'est pas non plus inoubliable. Même si j'ai pu comprendre certaines motivations du héros, je n'ai jamais réellement eu peur pour lui, je n'ai jamais réellement frémit. Un peu trop convenu, là encore. Dommage.


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  • 1488053510

     

     

    Ils sortent par derrière, où les attend Echidna. Elle jette un regard interrogateur à Elland, avant de se focaliser sur Pèire. Ils échangent silencieusement pendant quelques minutes, avant que la gargouille ne s'envole. Pèire, d'un ton rassurant, leur annonce qu'elle va patrouiller seule, en attendant qu'ils sortent de la taverne.

    En se rendant dans le quartier, plus animé, du Chaudron Fondu, Elland ne peut s'empêcher de penser qu'il s'éloigne d'Echidna. Quand ils n'étaient que tous les deux, elle était toute sa vie. Il pouvait passer des heures à la regarder figée et survoler la ville toute la nuit durant pour le simple plaisir d'être avec elle. Mais maintenant qu'il y a Pèire, Thémus, Théoliste et Ménandre, il a moins de temps à lui consacrer. Et elle lui manque terriblement. Dès qu'ils auront retrouvé le gamin, il prendra quelques jours pour n'être qu'avec elle et se faire pardonner de son absence.

    Ils arrivent déjà devant la taverne la plus renommée de Rivemorte. Située à l'angle d'un carrefour fréquenté, ses façades donnent sur les deux rues. Une porte pour chaque rue, afin de gérer le flot incessant de clients qui rentrent et qui sortent. Et devant chacune des portes, des gardes sont postés pour assurer la sécurité des clients et des riverains. Car dans cette taverne, l'alcool coule à flots et nombreuses étaient les escarmouches entre clients enivrés et badauds. Lorsque les cadavres se sont accumulés, le gouverneur a passé un accord avec le tenancier de la taverne, lui allouant ses hommes pour préserver la sécurité de tous.
    Les quatre gardes qui surveillent l'entrée sud détaillent longuement les trois amis avant de les laisser rentrer. C'est un poste envié, dans la garde, car ils n'ont pas à parcourir les rues dans tous les sens. Et la nourriture et la boisson sont aux frais de la taverne.

    L'intérieur de la taverne est immense. D'innombrables tables remplissent tout l'espace et le long des murs brûlent de multiples lanternes. Il leur faut de longues minutes avant de trouver une table libre. Dans un coin de la salle, un musicien essaie tant bien que mal de couvrir le brouhaha ambiant avec des rengaines populaires. Les serveuses, aux vêtements très suggestifs, vont et viennent entre les tables avec de grands sourires. Et bon nombre de clients n'ont d'yeux que pour elles. Plus tard dans la soirée, quand la Grand Tour Célestis aura annoncé les douze coups de minuit, des danseuses viendront enflammer les clients.

    Pèire et Elland s'absorbent dans l'observation, toute professionnelle évidemment, des serveuses. Théoliste, lui, scrute la foule à la recherche de Thémus et lorsqu'il l'aperçoit, lui fait signe de les rejoindre. Dès qu'il s'installe avec eux, Elland et Pèire reportent leur attention sur lui. Se penchant sur le plateau de bois, il leur annonce :

    - Tout est réglé. L'homme dont je vous parlais se dirige actuellement vers notre cible. Il a parfaitement compris la situation et connait toutes les questions à poser.
    - Et tu lui fais entièrement confiance ?
    - Oui Elland. Il aura toutes les réponses, sinon plus. Faisons bonne figure ici. Nous devons avoir l'air de nous amuser. On partira d'ici deux heures, c'est largement suffisant pour qu'il termine sa mission.

    L'arrivée d'une magnifique serveuse, aux cheveux bruns cascadant jusqu'en bas de son dos et aux prunelles envoûtantes, les interrompt. Elle prend leur commande et malgré son départ, ils ne reparlent pas du sujet qui les préoccupent : trop d'oreilles indiscrètes pourraient les entendre en dépit du vacarme ambiant.

    Théoliste engage la conversation, abordant un thème bien plus léger que d'habitude. Et les bières les aident à oublier, l'espace d'un moment, le sort du gamin. Elland était réticent à s'amuser alors que Ménandre risque sa vie. Mais cette solution est la plus sûre pour tous et il doit admettre qu'elle sera bien plus utile qu'une patrouille dans la ville. Et puis, il pourra toujours le faire une fois qu'ils seront sortis.

    La bière est fraîche et légère, et la serveuse toujours présente pour leur en proposer une nouvelle chope. L'alcool aidant, la conversation se fait plus frivole. Et bientôt, ils rient aux éclats, donnant parfaitement l'impression d'être un groupe d'amis venus boire et s'amuser après une longue journée de labeur.

    Les heures défilent, les chopes de bière également et c'est Thémus qui, dans un éclair de lucidité, réalise que le temps consacré à l'alibi est terminé. Ils prennent tout de même le temps de boire une dernière bière avant de payer et de se lever. La taverne est comble désormais mais le brouhaha semble s'être atténué. Une magie est à l’œuvre également : les lanternes semblent danser langoureusement le long des murs. Et le sol lui aussi accompagne d'un déhanché aguicheur la ritournelle jouée par le musicien. Le trajet jusqu'à la sortie est semé d'embuches qui apparaissent traîtreusement au dernier moment. C'est au prix de mille précautions et esquives qu'ils parviennent indemnes dans la rue.

    Les gardes leur jettent un regard désabusé, habitués qu'ils sont à voir des ivrognes tous les soirs. D'une démarche chaloupée, titubant joyeusement, les quatre compères s'avancent dans la rue, avec la ferme intention de regagner un endroit sûr pour essayer de mettre au point un plan d'action pour la nuit. C'est alors qu'une menace jaillit de l'obscurité, fondant sur eux à une vitesse inhumaine.

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    Novossibirsk, avril 1938

    Les branches cinglent son visage et ses bottes usées martèlent le sol gelé. Dans son esprit tourne en boucle l'ultime injonction : Fuis !
    Sa poitrine est depuis longtemps devenue un brasier incandescent. Chacun de ses muscles hurle de douleur à chaque enjambée. Mais Mikhail fuit. Il ne se retourne pas, ne veut pas savoir à quel point ses poursuivants sont proches. Il court toujours, éperdument, désespérément.

    Fuis ! Dans ce cri, terreur et désespoir se mêlaient. Les hommes du NKVD, la police secrète, les cernaient. Ils avaient été surpris dans une situation pour le moins compromettante. Nier était inutile. Seraient-ils torturés pour donner le nom de leurs semblables ?

    Son pied bute sur une racine, et il s'étale de tout son long, déchirant par la même occasion son pantalon en toile usé. C'est la panique qui lui permet de se relever et de reprendre sa course folle. Dmitri s'est sacrifié pour lui laisser de temps de s'échapper, il n'a pas le droit d'échouer.

    Il l'avait rencontré dans un café. Leurs regards s'étaient croisés, et le temps s'était figé autour d'eux. Pour ne pas éveiller les soupçons, Mikail avait rompu le contact visuel et était allé s'assoir comme si de rien n'était. Les yeux bleus saisissants de cet homme, ses mèches folles aussi blondes qu'un champ de blé, son visage carré : tout s'était gravé irrémédiablement dans sa mémoire.

    Les cris des chiens lancés à sa poursuite envahissent les sous-bois. Ses foulées se font plus rapides. Le froid mordant ne le glace même plus. Il doit s'en sortir. Mais il est à bout de forces et il sait pertinemment qu'il ne tiendra plus longtemps. Son cœur bat follement dans sa poitrine. Il garde les yeux fixés droit devant lui, droit devant ce qu'il espère être son salut. Sa liberté. Sa survie.

    Après sa journée de labeur à l'usine métallurgique, quand le besoin de contact devenait irrépressible, il allait à la ville. Un parapluie sous le bras, il traquait du regard d'autres hommes affublés du même accessoire. Un regard appuyé, et ils se suivaient dans un endroit isolé. Toujours un lieu lugubre, inutilisé. Ils ne restaient que le temps de partager caresses et baisers. Puis ils se séparaient comme si de rien n'était, frustrés par cette relation fugitive et interdite.

    Le sol se dérobe soudain sous ses pieds. La chute lui paraît interminable. En une fraction de seconde, il comprend : l'escarpement qu'il pensait anodin, masque une rivière en crue. Le choc avec l'eau glaciale lui coupe le souffle. Fébrile, il bat des jambes et des bras pour retrouver la surface. Une goulée d'air polaire le fait hoqueter. Paniqué, il se débat et réussi à garder la tête hors de l'eau. Mais ses forces l'abandonnent. La fonte des neiges a grossi la rivière, et le courant est bien trop puissant pour qu'il puisse regagner le rivage. Pour préserver ses forces, il se met sur le dos, espérant que le courant l'entraîne jusqu'à la berge.

    Et puis, un soir de novembre, il avait croisé Dmitri, un parapluie sous le bras. Ils s'étaient cachés dans une gare désaffectée et s'étaient aimés à l'abri des regards. Leur étreinte avait été si bouleversante qu'ils avaient rompu le secret et s'étaient présentés. Les mains douces de son amant caressait ses cheveux presque ras, et pour la première de sa vie, le nez dans le cou de son amant, Mikail murmura des mots d'amour.

    L'eau glaciale rend insensible ses jambes et ses bras. C'est avec le même détachement qu'il analyse sa situation. Il est un ennemi du peuple et il en est conscient. Sa sexualité n'engendrera jamais le moindre enfant : il est contre-productif. Il est coupable du crime de perversion fasciste et sera envoyé aux camps du Goulag, d'où personne ne revient.
    Il a pourtant essayé de toutes ses forces d'être normal. Il s'est marié, même, il y a deux ans, alors qu'il venait tout juste de fêter ses vingt ans. C'est une gentille fille, douce et jolie. Mais il ne ressent rien pour elle. Il a lutté, avec l'énergie du désespoir, contre ces penchants contre-nature. Aussi vainement que sa lutte actuelle pour survivre.

    Ils se sont aimés avec la folie du désespoir, conscients que chaque instant ensemble pouvait être le dernier. Ils se sont retrouvés, de plus en plus souvent, incapables de passer de l'autre. Et par amour, Dmitri lui a laissé le temps de fuir, mettant sa propre vie entre les mains du NKVD. Puisse-t-il avoir une mort rapide.

    Son corps entre en contact avec la glace qui recouvre la rive. Il doit sortir de l'eau, se mettre à l'abri. Il n'arrive plus à se relever, ne ressent plus aucun de ses membres. Il doit se sécher, se réchauffer, sous peine de mourir de froid. Mais après tout, peut-être est-ce un sort enviable. La mort ici et maintenant, plutôt que dans l'enfer des camps... Il retrouverait Dmitri dans la mort, et ils resteraient ensemble sans se cacher, sans avoir peur. Et c'est le sourire aux lèvres, empli d'espoir, qu'il se laisse glisser dans l'inconscience.


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