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Par Blanche. le 6 Novembre 2010 à 18:58
Le réveil est difficile, pour le jeune voleur. C'est avec un arrière-goût amer qu'il se prépare et qu'il traverse le marché habituel. Il ne saurait expliquer cet étrange sentiment qui l'habite depuis qu'il est rentré chez lui hier. La coïncidence des armoiries le trouble, évidemment. Mais il ignore comment trouver les réponses aux multiples questions : il ne peut tout de même pas aller dénicher les Clamadinis dans leur exil pour leur demander ce qu'ils savent d'une ombrelle maléfique ?
Et puis, il y a cette femme, dans le médaillon, au regard troublant. Elle l'a poursuivi jusque dans ses rêves sans lui laisser une minute de répit. Et maintenant, alors qu'il se coule entre les badauds et qu'il salue la drapière qui rougit, comme d'habitude, il en viendrait presque à regretter son geste. Pourtant, il en a chapardé, des breloques, et certaines même plus précieuses encore. Il est entré dans l'intimité de nombreuses demeures, fouillant sans scrupules leurs possessions les plus personnelles. Alors pourquoi cette fois, il a tant de mal à le vivre ? Parce que ce sont les derniers fragments d'une vie noble et fière ? A cause du regard de la femme du médaillon ?
L'Hermine Affamée est déserte quand il y pénètre. Alwin est égal à lui-même, et ne lui décroche pas un mot en le servant. Qu'importe, Elland n'est de toutes façons pas d'humeur à discuter avec lui. Il s'est installé à la table du fond, et s'est plongé dans ses souvenirs. Moerteg. Ce même goût amer lui avait serré la gorge après le vol d'une vieille femme, d'apparence riche et noble. Ils en avaient ri à gorge déployée, dans leur repaire, un simple passage souterrain que personne n'empruntait jamais. Ils étaient fiers d'eux car leur rapine avait rapporté pas mal d'argent. Pour le gamin des rues, ça signifiait plusieurs repas décents, et peut-être même quelques nuits au chaud dans une auberge. Et pour Elland, c'était un exploit de plus à accrocher à son tableau de chasse, et un sacré pied-de-nez au paternel, qui nourrissait l'espoir de voir ses fils suivre sa trace. Et pourtant, quand il avait pris le chemin du retour jusqu'à la garnison, ce fameux goût amer lui avait rempli la bouche jusqu'à sécher toute salive.
Et à peine arrivé chez lui, il avait compris. Son paternel l'attendait devant la porte, furieux. Dire qu'il avait passé une abominable fin de soirée serait un euphémisme. Et ce n'était qu'un début.
La vieille femme s'était plainte à la garde, en fournissant une description détaillée et terriblement précise de ses voleurs. Et le paternel n'avait pas tardé à faire le rapprochement avec les sorties de son rejeton. Le lendemain, Moerteg fut arrêté. Par peur des coups et des geôles, il avait rejeté toute la faute sur Elland. Après une correction dont il en garde encore les traces aujourd'hui, son père l'avait jeté à la rue, en le menaçant du pire s'il osait revenir. Ce fut son ultime pied-de-nez au paternel. Et la dernière fois qu'il se lia d'amitié à un être doué de parole.
Alwin vient récupérer l'assiette désormais vide, sa manière polie de dire qu'il est temps pour Elland de libérer la table et d'aller traîner sa carcasse ailleurs. Maugréant, Elland sort de l'auberge, et se fond dans la masse de badauds et de chalands. Puis, flânant dans les ruelles, il se rend jusqu'à la minuscule boutique d'un cordonnier. Il en salue le propriétaire d'un geste de la tête avant de s'aventurer dans l'échoppe. Thémus, le propriétaire, est un solide gaillard de près de deux mètres, aux larges épaules. Son visage rude est en permanence plissé par des rides de mécontentement sur le front. Une épaisse moustache, aussi brune que ses cheveux courts, vient compléter l'image de cet avenant commerçant. A dire vrai, la première fois qu'Elland l'a vu, il a fait demi-tour. Parce qu'il fait vingt centimètres de moins que lui, et qu'il pèse sans doute une centaine de livres de moins, il ne se sentait pas de faire des affaires avec un tel colosse. Mais à l'époque, il était enfoui dans les problèmes jusqu'au cou, et il n'avait pas grand chose à perdre. Thémus fut une bonne surprise : peu commode, certes, mais aussi honnête qu'un receleur peut l'être. Confectionner des chausses n'est qu'un simple passe-temps pour lui, et aussi une excellente couverture pour dissimuler des activités moins honnêtes.
Thémus l'entraîne dans l'arrière boutique, et l'invite à s'asseoir. Autour d'un verre d'hydromel, ils discutent un moment affaire, avant que le cordonnier ne lui annonce :
- C'est la pagaille en ce moment. A cause de la guerre au Sud. Du coup, les gens sont plus frileux. J'arrive déjà pas à vendre les autres bijoux. Faudra attendre avant que je t'achète les tiens.
Elland hoche doucement la tête, avant de prendre une longue gorgée liquoreuse. Il cache toujours l'origine exacte des breloques qu'il ramène, même s'il se doute qu'un connaisseur comme Thémus peut aisément la deviner. Mais aujourd'hui, il n'a rien amené, il s'est contenté de décrire les bijoux. Et finalement, ce refus, ça l'arrange plutôt. Étrangement, il n'a pas envie de s'en séparer. Mais c'est la mine vaguement contrite du receleur qui lui met la puce à l'oreille. Ce colosse qui ne craint rien ni personne se dandine en se grattant le crâne, comme un gamin pris en faute. Aussitôt, Elland prend son air suspicieux, les yeux plissés et le menton en avant, et se penche vers Thémus.
- Baliverne ! Tu affabules ! Les habitants de Rivemorte se fichent bien de la guerre au Sud. Elle ne viendra jamais jusqu'à la capitale, ils le savent très bien. Et quand même, ça ne les empêchera pas d'acheter des babioles discrètes pour pouvoir placer leur argent en sécurité.
Le cordonnier pâlit, découvert, et toussote, gêné. S'il n'était pas si furieux de s'être fait mener en bateau, Elland le trouverait presque touchant. Mais il insiste :
- Tu m'as menti, Thémus. Moi qui t'estimais honnête !
Piqué au vif, ce dernier réplique :
- Je le suis. C'est toi, avec ton caractère de cochon, qui me force à te mentir, sinon tu ne m'aurais jamais écouté !
- J'écoute toujours les conseils. Dis-moi la vérité !
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Par Blanche. le 5 Novembre 2010 à 21:37
- C'est de l'arnaque !!
Bougonnant, Elland parcourt la longue pièce, lâchant généreusement une litanie de jurons. Il s'est donné tant de mal pour si peu !
Mais alors qu'il s'approche de l'extrémité du grenier, il repère un placard, encastré dans le mur. Echidna l'a suivi, et le regarde s'agenouiller devant une nouvelle serrure. Il avale sa salive, conscient que son honneur est en jeu et qu'il ne peut pas se permettre d'échouer encore une fois. Mais ce verrou-là n'est pas maléfique, et il ne lui faut qu'une poignée de secondes pour réussir à le déverouiller. Sans un grincement, la porte du placard s'ouvre et révèle ses richesses. Plusieurs boîtes à bijoux, de nombreux paquets de lettres soigneusement emballés, un peu d'argenterie, et tant d'autres trésors !
Sourcils froncés, il observe l'écusson qui orne l'une des boîtes à bijoux.
- Je connais ces armoiries, Echidna. Je les ai déjà vues quelque part. Mais pas ici. A Rivemorte. Sur un objet... l'ombrelle !! L'écusson qui ornait l'ombrelle portait exactement les mêmes armoiries !
Il se tourne vivement vers elle et poursuit sa réflexion à voix haute :
- Mais que faisait cette ombrelle si loin du manoir ? Ça fait au moins dix ans que les Clamadinis ont fuit la région ! Pourquoi apparait-elle maintenant ? Pourquoi à Rivemorte ? Crois-tu que c'est un signe du destin ?
Le regard que lui renvoie la gargouille est pour le moins dubitatif. Effectivement, si l'ombrelle était venue le chercher pour l'amener à ce trésor, elle ne l'aurait pas agressé comme elle l'a fait. Et puis, pourquoi s'intéressait-elle à lui ? Il secoue doucement la tête, et vide prestement le contenu des diverses boîtes, qu'il range dans ses poches. Il aura le temps de réfléchir à tout ça quand il sera en sécurité chez lui. Sans perdre une seconde de plus, il s'empare de tous les objets qu'il trouve. Il conserve également une petite boîte magnifiquement ouvragée, mais laisse les autres, trop volumineuses, dans le placard. Puis il en referme soigneusement la porte, espérant que personne n'aura l'idée de braver les ''esprits'' pour explorer les lieux, et s'emparer de ce qu'il reste du trésor.
Puis, chargé comme un animal de bât, il redescend rapidement dans le jardin, suivi de près par Echidna. En quelques battements d'ailes, ils s'éloignent déjà du lieu du crime pour rejoindre leur antre. Ce succès chasse définitivement l'humeur morose du voleur, qui ne cesse de remercier la gargouille durant tout le vol, visiblement indifférent aux facéties de son amie.
Enfin en sécurité dans sa chambre mansardée, il dépose son butin sur le lit. Echidna est repartie avec la bénédiction d'Elland. Cette fois encore, elle lui a rendu un sacré service. Il trie rapidement les bijoux, séparant ceux ornés de l'écusson et les autres, plus facilement revendables. Curieux, il examine chacun d'entre eux avec admiration. Comment se fait-il que les Clamadinis sont partis sans ces trésors ? Et pourquoi ne pas les avoir revendus quand ils avaient des problèmes d'argent ? L'or, l'argent, les diamants, et une multitude de pierres précieuses sont étalées devant lui. Certes, ils n'auraient peut-être pas pu régler tous leurs problèmes, mais la vente de ces babioles rapporterait une fortune ! Ses explorations s'interrompent soudainement lorsqu'il ouvre un petit pendentif en médaillon : à l'intérieur se trouve un portrait, minuscule, mais parfaitement conservé. Et la femme qui pose, il la connait, il en est certain. Du moins, ce visage lui dit quelque chose. Mais il a beau fouiller dans sa mémoire, il n'arrive pas à se souvenir de qui elle est.
Au loin, les cloches de la Grand Tour Célestis sonnent les quatre heures du matin, lui faisant soudainement prendre conscience de sa fatigue. Il soulève une latte du plancher, et y dépose son butin, au côté d'une bourse bien rebondie : il n'est pas dépensier, et ses rapines lui rapportent beaucoup d'argent. A vrai dire, il pourrait ne plus voler pendant des mois sans avoir à se serrer la ceinture. Mais voilà, sans maraude, il n'est rien. Sa récolte du soir bien planquée, il va se coucher. Il gardera les plus belles pièces pour lui, c'est décidé. Et avant qu'il ne puisse formuler une autre pensée cohérente, il s'écroule dans les bras de Morphée.
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Par Blanche. le 4 Novembre 2010 à 13:12
La lune se reflète sur les tuiles d'ardoises encore humides de l'averse récente. Echidna plane paresseusement au-dessus de la ville, avant de se poser gracieusement sur le toit de la cathédrale. Elland descend souplement, laissant sa main caresser la peau rugueuse de sa complice. Ils échangent un long regard puis elle reprend son envol pour vaquer à ses occupations. Elland se doute bien qu'elle va massacrer du bétail, voire même un innocent imprudent, qui serait sorti en cette nuit glaciale. L'ombrelle a été dévorée il y a trois jours, et, bien que statue le jour, la gargouille demeure un être vivant la nuit, ayant besoin de se nourrir. A dire vrai, il préfère ne pas s'attarder sur cet aspect de sa complice. Tout le monde a le droit à un peu d'intimité, non ?
Assis sur le faîte du toit, les genoux ramenés contre lui pour préserver sa chaleur corporelle, il observe rêveusement la ville endormie. Rivemorte... Qui aurait pu prédire qu'il vivrait ici ?
Il est né dans une petite bourgade, des dizaines de lieues plus au sud. Jusqu'à ses quinze ans, il a vécu à la caserne, grâce, ou à cause, de son paternel garde de la ville. Entouré de ses frères et soeurs, sous le regard bienveillant de sa mère, il avait tout pour être heureux. En théorie. Car la proximité de cette fichue garde lui donnait des angoisses insupportables. L'autorité, la loi, l'austérité, la rigueur qui contaminaient jusqu'aux draps de chacun des appartements de la caserne lui pesaient. L'oppressaient. D'aussi loin qu'il se souvienne, il avait toujours eu besoin de courir, de se faufiler à l'insu de tous dans les lieux qui lui étaient interdits. Très jeune, il avait commencé à ''emprunter'' de menus objets. Ce n'était pas leur valeur qui l'intéressait, ni même leur beauté. Pour dire, il avait même ''emprunté'' le ceinturon du garde en chef. Quelle rigolade, le lendemain, quand ses jurons avaient réveillé toute la caserne ! Enfin bref. Il ''empruntait'' uniquement pour sentir l'adrénaline se déverser dans ses veines comme un torrent fougueux. Pour se sentir vivant.
Les nuages se déversent à nouveau sur Rivemorte, comme le reflet des émotions du voleur. C'était à cette époque qu'il avait rencontré Moerteg, son premier ami hors de la caserne. Il fréquentait les autres enfants de gardes, certes, mais finalement, l'austérité et la rigueur avait déteint sur eux, et il n'appréciait pas vraiment leur compagnie. Il avait rencontré Moerteg dans les rues, bien loin de la caserne, un soir où il avait faussé compagnie à sa famille. Elland s'était aventuré dans les ruelles sombres de la vieille ville, où il avait croisé cet enfant, à peine plus âgé que lui mais bien plus chétif, qui dormait sous un porche.
Un bruissement d'ailes l'extirpe sans ménagement de ses souvenirs. Echidna vient se poser devant lui, et l'observe un instant, sourcils froncés, avant de s'approcher. Parce qu'elle a deviné sa peine, elle pose sa large mâchoire sur l'épaule du voleur et lui souffle doucement dans le cou, comme pour lui montrer qu'elle est là, et qu'elle ne l'abandonnera pas. Dans le secret des ténèbres, il laisse son chagrin s'exprimer sans honte.
La gargouille attend patiemment, laissant parfois échapper un geste affectueux. Lorsqu'il se calme enfin, il lui raconte d'une voix rauque, brisée par les sanglots, sa rencontre avec Moerteg, leurs premiers pas l'un vers l'autre. Leur complicité, aussi soudaine qu'inattendue. Et rapidement, leurs tribulations, toutes plus rocambolesques les unes que les autres. Comme si quelqu'un avait ouvert des vannes invisibles à l'oeil nu, ses souvenirs se déversent dans l'air nocturne sans répit.
Echidna l'interrompt alors qu'il s'apprête à décrire les évènements qui ont mis fin à cette amitié. Elle a senti, dans sa voix déjà fragile, les prémices de futurs sanglots. Avec une douceur inouïe, elle l'attrape par le col, et le soulève pour l'installer sur son dos. Et d'un mouvement puissant, elle prend son envol.
Cette fois, le vol n'a rien d'une promenade de santé. La gargouille prend un malin plaisir à raser les toits, à plonger de manière vertigineuse avant de se redresser lorsque le sol est si proche qu'il pourrait presque le toucher en tendant le bras. Tant qu'il se focalise sur son estomac, et qu'il lutte pour ne pas tomber, il ne pense pas aux mauvais souvenirs. Car elle les connait, ces mauvais souvenirs. Il lui raconte à chaque fois qu'il est mélancolique. Ce n'est certes pas fréquent, mais ce ne sont pas des histoires qu'on oublie. Elle ne le ménage pas un seul instant jusqu'à ce qu'ils arrivent devant un manoir qui semble abandonné, à quelques lieux de la ville. Elle se pose dans l'herbe humide, et le regard qu'elle lui lance semble rieur.
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Par Blanche. le 31 Octobre 2010 à 19:35
Les minutes s'égrainent lentement. La diablerie est solidement ligotée à l'aide d'une ceinture et d'une écharpe. Elle semble enfin avoir renoncé à toute agression. Elland ne peut s'empêcher de tourner autour d'elle en souriant, mauvais :
- Ah tu fais moins la maligne, maintenant, hein ?
Il se dirige vers une bassine d'eau, et nettoie rapidement le sang qui macule son visage, sans pour autant quitter le danger des yeux. Puis, toujours méfiant, il attrape son ennemie sans douceur, et la dépose sur le petit bureau. Et patiemment, minutieusement, entreprend d'arracher l'écusson doré à grand renfort de clou rouillé. Son imagination lui fait entendre les cris d'agonie de l'ombrelle, mais il se contente de sourire, satisfait de cette vengeance mesquine. Surtout qu'il pourrait bien en tirer un bon prix, si c'est vraiment de l'or. Nimbé par les rayons du soleil couchant, il examine l'objet, avant de le glisser dans sa poche. Alors il la récupère, se faufile par la lucarne, et s'installe sur le faîte du toit pour assister à la renaissance de son amie. C'est un spectacle dont il ne se lasse pas, malgré les années.
Elle aussi est heureuse de le revoir, visiblement, car son premier geste est de voler vers lui, et de poser sa tête contre son épaule. Elland sourit, rassuré par sa présence. D'un coup de langue, elle nettoie son arcade sourcilière qui a souffert pendant le combat. Elland n'esquisse pas un mouvement, il sait que sa salive est cicatrisante. Sans plus attendre, il lui dit :
- Tu m'as terriblement manqué aujourd'hui. Si tu avais été là, je n'aurais sans doute pas pris cette fichue babiole !
La gargouille lui lance un regard interrogateur, auquel il s'empresse de répondre en relatant les évènements de l'après-midi, bien qu'il se garde soigneusement d'insister sur sa propre peur.
- Et voilà, maintenant, elle est hors d'état de nuire. Mais que dois-je en faire ? Si je la remets en liberté, elle va récidiver, j'en suis persuadé. Et qui sait si elle ne s'attaquera pas à un enfant, ou à une jeune femme ?
Echidna lui lance un regard railleur, puis, du museau, pousse l'ombrelle qui roule sur les tuiles jusqu'au chéneau.
- Ou alors, il faudra la faire brûler. Mais ça ne sera pas discret... Or, je ne dois surtout pas attirer l'attention.
La masse de pierre hausse les épaules. Elland peste à mi-voix. Et dire qu'il avait espéré qu'elle lui soit d'une aide quelconque ! C'est alors qu'elle attrape l'ombrelle entre ses crocs puissants, la mastique puis l'avale tout rond.
Il en reste muet de stupéfaction. Puis, après quelques minutes, il secoue doucement la tête et gromelle :
- Effectivement, vu comme ça...
Il se lève, la rejoint, et sort l'écusson de sa poche.
- Dis, tu crois que c'est dangereux de garder ça ? Parce que tu comprends, je pourrais en tirer un bon prix et …
Il s'interrompt soudain en voyant sa fidèle amie approcher le museau de l'objet. Elle ne va quand même pas le manger ? Mais non, elle se contente de pousser sa main en direction de sa poche, ses prunelles reflétant une bienveillance sereine. Elle lui fait alors signe de monter sur son dos. Il n'hésite pas un instant tant il a besoin de se changer les esprits.
A peine installé sur son dos massif, il se cramponne autour de son cou, habitué aux départs brusques et puissants. Mais elle semble avoir perçu son trouble, et vole lentement, sans chercher à lui faire peur. Il savoure enfin la soirée. La menace est éradiquée, Echidna est avec lui et Rivemorte somnole, vulnérable à leur cupidité.
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Par Blanche. le 28 Octobre 2010 à 22:13
- Sorcellerie!
Elland recule d'un bond, nerveux, et fixe intensément l'ombrelle, la mettant au défi de bouger à nouveau. Mais, sournoise, cette dernière feint l'immobilité. Il jure entre ses dents, pourtant persuadé qu'elle a bien bougé, et que ce n'est pas uniquement l'effet de son imagination. Prenant son courage à deux mains, il s'approche lentement de la chose, méfiant, et du bout du doigt, la pousse légèrement. Rien. En proie à une réflexion intense, il se passe une main nerveuse dans les cheveux, sans la quitter du regard.
Une solution. Il faut qu'il trouve une solution. Il grommelle entre ses dents, se maudissant d'avoir céder à un vil instinct, et d'avoir ramener cette diablerie dans son antre. Dans un sursaut d'orgueil, il se redresse et bombe le torse. Non mais ! Il ne va quand même pas se laisser intimider par un vulgaire bibelot pour femme, si ? Il est Elland, l'insaisissable voleur ! D'un geste ferme et assuré, il s'empare d'elle et la pose tout près de la porte, dans l'angle de la pièce. Et va s'installer à l'autre bout, sur son lit. Grignotant pensivement un morceau de pain, il cogite dur. Et sous ses yeux ébahis, il observe l'ombrelle glisser en direction de la porte, l'air de rien.
- Où crois-tu aller ?
Aussitôt, elle se fige et prend un air dégagé. Elland grogne avant de poursuivre :
- On ne me la fait pas à moi. Je t'ai vue. Ainsi donc, ce n'est pas ton propriétaire qui t'as mise au milieu de la porte. Tu y es allée toute seule, comme une grande. Un acte héroïque.
Cette fois-ci, il discerne très nettement sa fierté alors qu'elle se dresse bien droite. Il plisse les yeux, agacé.
- Stupide babiole ! T'as échoué. Et tu es entre mes mains désormais. Crois-tu réellement que je vais laisser ton geste impuni ? Tu vas souffrir. Longtemps. Très longtemps.
Enhardi par son propre discours, il se lève, bien déterminé à mettre ses menaces à exécution, et s'en approche sans trembler. Mais la garce lui plante son bout pointu dans le tibia, le faisant glapir de douleur. S'en suit une série de jurons qui feraient pâlir un charretier, alors qu'il se recule prudemment jusqu'au lit. Une fois à l'abri, il profère :
- Tu ne perds rien pour attendre. La vengeance est un plat qui se mange froid. Tu verras, à la nuit tombée.
Mais elle garde son air triomphant, visiblement insensible à la menace, le faisant rager de plus belle.
La longue attente commence alors. Ils se regardent en chien de faïence. Seul le brouhaha de la ville rompt parfois le silence de la chambre. Le ciel s'assombrit peu à peu, lentement, bien trop lentement. Elland n'en peut plus de cette attente insupportable, d'autant plus que cette maudite babiole le nargue en bougeant de droite et de gauche.
Il compte sur Echidna, bien sûr, pour qu'elle lui dise que faire, comment s'y prendre pour neutraliser cette menace. Elle connaîtra la solution, elle. Surtout qu'elle s'y connait en trucs qui sortent de l'ordinaire. Mais soudain, il lui semble entendre son rire guttural, nettement moqueur. Lui, avoir peur d'une ombrelle. Elle pourrait peut-être même le raconter aux autres gargouilles. La honte s'abattrait sur lui, et il serait marqué à jamais par le sceau de l'infâmie.
Alors, faisant mine d'étudier les poutres du plafond, il s'approche discrètement de l'ombrelle, comme si de rien n'était. Et lorsqu'il n'est plus qu'à quelques pas, il se jette sur elle, les pieds en avant. S'en suit une lutte effroyable, ponctuée de cris de douleur et de gémissements de tissu, dans un nuage de poussière.
Quand le calme revient dans la petite chambre, Elland est hirsute, un côté du visage en sang, et tient fermement, des deux mains, l'ombrelle d'apparence si inoffensive.
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Par Blanche. le 25 Octobre 2010 à 23:54
Ma meilleure amie ayant beaucoup aimé l'un de mes textes, elle m'a conseillé d'en faire une suite. J'ai pris le temps d'y réfléchir, de voir ce que je pourrais en faire, et j'ai fini par me décider. Je remets ici la première partie, issue d'un duel à la plume, afin de se remettre dans le contexte.
Les jappements hargneux des chiens percent violemment la nuit. Aussitôt les cris de leurs maitres, les gardes de la ville, viennent compléter le vacarme nocturne. Puis ce sont les volets qui claquent contre les murs, actionnés par quelques habitants curieux, qui achèvent de rompre le calme. Et au milieu, à peine perceptible, le halètement rauque d'Elland, qui court à perdre haleine, comme s'il avait une cohorte de démons à ses trousses. Ce qui est d'ailleurs le cas.
L'introduction discrète chez l'une des plus riches marchands de la ville s'est parfaitement déroulée. Trouver et forcer son coffre fort, aucune anicroche. Glisser sans bruit l'argent et les bijoux dans les nombreuses poches secrètes dissimulées dans sa chemise épaisse, aucun soucis. Repartir tout aussi discrètement sans se faire repérer... problème.
Étrangement, les gardes en charge de la sécurité des plus riches avaient plutôt mal pris sa petite visite. Et ils avaient lâché leurs molosses, s'élançant à leur suite, afin de rattraper l'intrus, et de lui faire passer toute envie de revenir, définitivement si possible. Alors si Elland court avec tant de vigueur, ce n'est pas uniquement pour entretenir sa forme. Tout ça à cause d'une malheureuse ombrelle qui trainait dans l'embrasement d'une porte. Fichue babiole !
Ses longs cheveux noirs fouettent son dos, comme un funeste présage de ce qui l'attend s'ils le rattrapent. A moins que le mouchoir noué autour du bas de son visage les empêche de le reconnaître. Mais pour ça, il faudrait qu'ils échouent toute capture. Elland s'enfonce dans les ruelles sombres, guidé par son instinct. Droite, gauche, droite, droite, gauche, droite. Les molosses sont toujours derrière lui, il les entend, il les sent, même s'il gagne peu à peu du terrain. Il est en train de se perdre dans le dédale, toujours plus sombre, toujours plus glauque, de la vieille ville.
Et soudain, plus de détritus au sol, ni d'odeur putride. Un vaste patio s'ouvre devant lui, au jardin impeccablement tenu, éclairé par une myriade de torches accrochées contre les piliers des arcades qui l'entourent. Tout n'est que sérénité en ce lieu. Les yeux fièvreux, Elland s'immobilise, gêné de surgir ainsi, et de souiller le patio de sa présence. Où est-il ? Chez quel noble personne se trouve-t-il ? Mais le souvenir des chiens, bien trop présent dans sa mémoire, le fait à nouveau s'avancer et renoncer à toute curiosité. Il ne les entend plus, mais il sait bien qu'ils sont sur sa piste, et que ce n'est qu'une question de temps avant qu'ils n'apparaissent ici. Silencieux comme la mort, il marche lentement jusqu'au centre du jardin. Une mare se discerne dans l'obscurité, et le chant des grenouilles berce la nuit. Tout autour, d'imposantes silhouettes se massent, comme pour protéger les lieux, perchées sur des blocs de pierre. Des gargouilles ! Elland s'approche, et soupire de soulagement. Au milieu des corps trapus, à l'épaisse peau graniteuse, il a reconnu Echidna. Elle est venue !! D'un pas étonnamment léger, elle rompt le rang, saute de son perchoir et s'approche de lui, avant de glisser sa tête massive contre sa main.
- Echidna ! Je savais que je pouvais compter sur toi. Nous devons fuir, au plus vite !
Aussitôt, la gargouille se positionne, et il monte sur son dos d'un geste souple. Sans plus attendre, elle déploie ses ailes, et d'une puissante poussée sur ses pattes postérieures, prend son envol. A l'instant même où les chiens des gardes entrent dans le patio. Elland prend rapidement de l'altitude, presque à la verticale, avant de survoler les toits. Les jappements s'éloignent, et les cris des gardes prennent de l'ampleur. Malgré lui, il enfonce ses ongles dans la peau rugueuse d'Echidna, contre-coup de la peur. Et oui, malgré les années de pratique, il a toujours un peu le vertige. Juste un peu. Dans un grognement sourd, la gargouille lui ordonne de se calmer. Alors il tente de profiter de la vision des toits faiblement éclairés par la lune, et de savourer sa chère liberté intacte. Mais c'est sans compter sa facétieuse monture. Les ailes déployées, Echidna se laisse porter par les courants d'air froid, rasant parfois les toits ou les plus hauts bâtiments, s'amusant visiblement des gémissements de son passager.
Elle plonge soudainement, droit sur une terrasse, avant de se redresser d'un puissant mouvement d'ailes, laissant Elland le coeur au bord des lèvres. Ce qui pourrait être interprété comme un ricanement guttural se fait entendre, et la gargouille continue de plus belle à slalomer entre les obstacles, lui faisant même frôler du pied le calendrier solaire de la Grand Tour Celestis. Et lorsqu'elle se pose enfin sur un toit en pente légère, le voleur n'y tient plus, et répand le contenu de son estomac sur les tuiles d'ardoise. Echidna le toise, moqueuse, avant de lui tourner ostensiblement le dos.
Pâle comme un linge, Elland murmure :
- Oui, je sais. Tu détestes quand je me sers de toi pour m'enfuir. Mais je n'avais vraiment pas le choix, tu sais.
Mais elle ne semble rien vouloir entendre, reprend son envol, pour aller se poser à l'angle du bâtiment et scrute la rue déserte. Maussade et humilié, il se glisse par la lucarne et saute souplement dans sa modeste chambre. Il éclaire une bougie, et dépose son butin sur la paillasse qui lui sert de lit.
Maudites gargouilles ! Le secret de leur apprivoisement est jalousement gardé par la guilde des voleurs et des assassins, car elles représentent un atout bien trop précieux pour le partager. Mais si elles peuvent se dissimuler à merveille dans la ville, et offrent un moyen de transport idéal, surtout en cas de fuite, elles s'avèrent être des compagnons pour le moins … compliqués à gérer. Moqueuses, facétieuses, caractérielles. Voilà comment il les qualifierait, s'il osait. Mais il ne sait que trop à quel point elles sont essentielles à leurs survies. Et puis, c'est sa plus fidèle compagne, celle qui ne le trahira jamais. Un mouvement à la lucarne interrompt ses pensées, et le calcul de sa nouvelle richesse. Echidna, venue se faire pardonner. Alors il caresse son museau, seule partie de son corps qui peu passer par l'ouverture, avant d'y poser un baiser.
- Merci.
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