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    La bouche grande ouverte, les yeux exorbités, Elland reste figé par la surprise. Jehanne glousse, comme une enfant ravie, et tape dans ses mains. Pèire sourit à son tour et lui propose une chope d'hydromel, qu'elle s'empresse d'accepter. Pendant que le tavernier s'affaire à lui préparer sa boisson, le voleur s'approche de lui et murmure :

    - Pèire, il faut que je te parle seul à seul.

    Seul un petit signe de la tête lui confirme qu'il a bien entendu. Il dépose la chope sur le comptoir, s'excuse auprès de Jehanne, et prend Elland par le bras pour l'entraîner dans les cuisines, désertes à cette heure avancée de la nuit, où seule subsiste une chandelle mourante en guise de lumière. Mais le voleur ne prend pas le temps de regarder autour de lui. Sa main fébrile se pose sur l'avant-bras de Pèire, et il murmure, d'un ton empressé :

    - Elle va me voler Echidna. Et tu l'accueilles à bras ouverts !
    - Comment ça, elle va te voler Echidna ?
    - Tu ne sais pas à quel point ma gargouille aime cette folle !
    - Si je le sais. Difficile de rater une telle puissance de sentiments.
    - Elle la préfère à moi.

    Dans la pénombre, le regard que lui lance Pèire lui fait comprendre à quel point ses craintes sont puériles. Et déplacées. Le tavernier ne comprend pas la terreur qui ronge le corps et l'âme d'Elland. Il s'en moque. Si ça se trouve, lui aussi préfère désormais Jehanne. Et le voleur devra se trouver un autre repaire, ayant perdu amis et gargouille...

    - Arrête Elland. Calme-toi. Elle ne va pas te prendre Echidna.
    - Si ! Elle est son ancienne maîtresse... elle va la récupérer !
    - Elland … Ne nous écoutes-tu jamais ? Qu'est ce que je t'ai dit, concernant le manque d'égards avec lequel son ancien propriétaire la traitait ?
    - Que c'était un sottard irrespectueux.
    - Non Elland. Que c'était son tout premier maître. Tu es le second maître d'Echidna.

    Elland est prêt à répliquer, la bouche déjà entrouverte, les mots déjà formés sur sa langue. Mais les paroles de Pèire font mouche et le font taire. Le regard qu'il lance au tavernier doit receler bien des questions car c'est avec un sourire attendri que Pèire poursuit :

    - Exactement. Elle n'a jamais été liée à Echidna. Elle ne la connaissait pas avant que vous vous rencontriez.
    - Alors comment peut-elle communiquer avec elle ? Comment peut-elle savoir tant de choses sur toi ou sur moi ? Elle était liée à une autre gargouille ? Elle gère les naissances, tout comme toi, mais dans une autre ville ?
    - Tu ne te demandes pas pourquoi, soudainement, tu connais les pensées et les sentiments d'Echidna ?

    Elland reste silencieux. Bien sûr que si, il s'en est étonné. Et il s'est posé des milliers de questions. Mais c'est impossible d'avoir des réponses ! Se frottant machinalement la paume de la main gauche, il réfléchit intensément, jusqu'à ce que Pèire l'interrompe en lui demandant :

    - Quelles sont les pensées d'Echidna, en ce moment même ?

    A nouveau, Elland reste silencieux. Comment pourrait-il le savoir ? Bien malgré lui, il songe à sa gargouille, postée sur le toit d'ardoise. Soudain, des émotions qui ne sont pas siennes l'envahissent. Un sentiment de satiété, comme s'il venait de faire un fabuleux festin, alors qu'il a encore en bouche l'ignoble goût du potage de Jehanne. Un sentiment de plénitude intense, un bonheur inouï. Savoir que les trois personnes qui comptent le plus pour elle sont juste là, quelques mètres plus bas, lui apporte un sentiment d'intégrité étrange. Elland réalise enfin qu'elle l'aime toujours, qu'elle est heureuse d'avoir retrouvé son voleur préféré. Et qu'elle a très envie de patrouiller à nouveau au dessus de la ville pour retrouver Ménandre.

    Le large sourire, et les yeux encore flous d'Elland donnent une réponse à Pèire. Et son sourire à lui prouve à quel point il est heureux de pouvoir partager l'incroyable lien qui l'unit aux gargouilles. D'une voix toujours très douce, il lui demande :


    - Tu as compris, alors, qui est Jehanne ?


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    Il s'accroche tant bien que mal à la taille de Jehanne, gêné par cette promiscuité. Mais cette précaution était nécessaire car lorsqu'Echidna prend son envol, ils manquent de tomber, tous les deux.
    Pour la première fois de sa vie, il voit à travers les yeux d'Echidna lorsqu'elle vole : ses yeux sont faits pour y voir de nuit et le paysage se dévoile en un magnifique dégradé de gris. Les ombres, plus sombres, parsèment les parties plus claires, où se dessinent des formes qu'Elland reconnaît.
    Puis vient l'odeur, tellement plus puissante ! L'humus, les animaux nocturnes, qu'il pourrait reconnaître alors même qu'il ne les a jamais vu. Le goût du vent sur sa langue, comme si c'était l'air même qu'il respirait. La douce sensation de l'air caressant sa peau rugueuse, comme la tendre étreinte d'une plume. Et cette ivresse, indescriptible, de sentir la puissance de ses muscles ne faire plus qu'un avec les masses d'air pour se déplacer toujours plus vite.

    Les premiers toits de Rivemorte apparaissent. Elland peut ressentir le soulagement d'Echidna : enfin, elle retrouve son univers. Tout comme lui, elle est une enfant de la ville, qui ne connaît que très peu la nature et s'en méfie. Elle revient en terrain connu. Sans faire de détours inutiles ni s'amuser à effrayer ses passagers, elle les conduit jusqu'à l'Hermine Affamée. Déjà, elle visualise Pèire, qu'elle considère comme le grand frère qui lui a tout appris. Comme pour tout le reste, elle le voit en noir et blanc. Mais c'est surtout avec une tendresse infinie, qu'elle le voit. Elle songe aussi à la nourriture puis au toit, tout proche du repaire d'Elland, qu'elle s'approprie déjà comme son chez-elle. Elle aime bien cet endroit et elle estime que le voleur y est plus en sécurité.

    Elle se pose dans la ruelle derrière la taverne. Elland, sonné par ce déluge d'informations, peine à reprendre pied dans la réalité. Jehanne descend à son tour. Comment ignorer la vague de tristesse qui envahit la gargouille à l'idée de se séparer de Jehanne ? Mais cette dernière la rassure d'une pensée et apaise aussitôt Echidna, qui s'envole jusque vers son toit.

    La Grand Tour Célestis annonce deux heures du matin et fait brusquement sursauter Jehanne. Elle a l'air traqué, regarde à droite et à gauche avant de s'engouffrer par la porte de service, comme si elle connaissait déjà les lieux. Perplexe, Elland la suit. Connait-elle déjà les lieux ? Ou Echidna lui aurait dit où se situe la taverne et comment y entrer ? Et lui, comment a-t-il pu connaître les sensations et les sentiments de la gargouille ?

    Dans la salle principale, les derniers clients viennent de partir et la serveuse est en train de nettoyer le sol. Pèire, lui, est occupé à nettoyer les verres. Elland, bien qu'il se garde de montrer ses sentiments, éprouve une joie indicible à la seule vision du tavernier qui vaque à ses occupations. Il pensait ne le revoir que dans de plus graves circonstances.

    Jehanne se précipite vers lui, faisant de grands gestes et parlant si vite que ses propos sont parfaitement incompréhensibles. Le trajet jusqu'à la ville a achevé sa coiffure déjà bien maltraitée, et connaissant Pèire, il ne peut pas ne pas comprendre que quelque chose ne tourne pas rond chez elle.

    Le tavernier jette un regard à Elland, resté en retrait, incline légèrement la tête pour lui faire comprendre qu'il est heureux de le revoir, puis reporte son attention sur Jehanne. Et avec toute la douceur dont il est capable, il lui dit :


    - Excusez-moi, je n'ai pas tout compris. Vous êtes ?
    - Jehanne. Je m'appelle Jehanne. Je sais. Et vous, vous êtes Pèire. Je sais, je sais. Tavernier ici. Et …

    Les paroles qu'elle murmure ensuite, telle une conspiratrice, son tellement inaudibles que Pèire lui-même, pourtant tout proche d'elle, ne peut les saisir. Elland s'approche, se glisse derrière le comptoir et se sert un verre d'eau. Et il reste là, l'air de rien, espérant glaner d'autres informations. Le tavernier, prenant une voix d'une douceur infinie, lui demande :

    - Excusez-moi, pourriez-vous répéter votre dernière phrase ?

    Jehanne, le regard fou, jette un coup d'œil en direction de la serveuse, mais reste muette. Cette dernière, sur un geste discret de Pèire, se retire. Jehanne la suit longuement du regard avant de se pencher sur le comptoir et de déclarer :

    - Vous vous occupez des gargouilles.

    Pèire se tourne immédiatement vers Elland et lui jette un regard furieux. Mais le voleur nie tout en bloc et lui jure, sur tout ce qu'il a de plus cher, qu'il n'a rien dit à la démente. Pèire termine d'essuyer une chope, comme pour réfléchir à ce qu'il va répondre. Il ne fait jamais mystère de son rôle dans la protection des gargouilles, même s'il n'aime pas spécialement en parler. Et surtout, il ne s'en vante pas sur tous les toits.
    Elland esquisse un sourire. Le tavernier va interroger Jehanne et les réponses seront inexploitables. Le voleur se gausse d'avance des efforts que fournira Pèire pour trouver une explication cohérente au milieu de ses délires. Mais si le géant scrute longuement le regard fou de Jehanne, il n'entame aucun interrogatoire. Et se contente de dire :


    - C'est un honneur de vous recevoir dans mon humble taverne. Soyez la bienvenue.


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    Reste-t-il assez de place dans le cœur d'Echidna pour qu'elle l'aime encore, ne serait-ce qu'un petit peu ? Ressentait-elle seulement autant d'amour pour lui ? Il ne peut pas en être sûr, mais il en doute énormément. Que lui a fait cette sorcière pour détourner ainsi son cœur ?

    Enfin, il réalise : il a ressenti les sentiments d'Echidna. Ce qui est impossible. Il sait quand elle est triste, malicieuse, à la lueur de ses prunelles. Mais là... il ne voit même pas ses yeux derrière ses paupières baissées. Alors comment a-t-il pu savoir ?
    Une succession d'images défile dans son esprit, fugitives mais si fortes... Jehanne, debout sur un toit anonyme, les yeux mi-clos, psalmodiant des paroles incompréhensibles. Jehanne, souriante, qui contemple Echidna comme si elle était son bien le plus précieux. Jehanne, aimante, qui la cajole comme on le ferait avec un enfant effrayé par ses cauchemars. Une Jehanne légèrement plus jeune, plus saine d'esprit aussi.

    Alors Elland comprend. Jehanne était son ancienne maîtresse, tout comme celui qui lui a échangé Echidna. Elle l'a dit, elle a été enfermée : sans doute, pendant le temps de sa captivité, la gargouille a erré, esseulée, jusqu'à tomber entre les mains de son ancien propriétaire. Une certitude s'impose alors à lui : la gargouille va devoir choisir entre Jehanne et lui. Et le résultat ne fait aucun doute : elle la choisira, elle. Elle éprouve trop d'amour envers elle pour rester avec le voleur invalide qu'il est.

    Que pourrait-il bien lui offrir pour la convaincre de rester avec lui ? Son amour ? Elle l'a déjà, impalpable mais bien présent. Sa confiance ? Toute acquise, sans aucune restriction. Alors quoi ? Abattu, Elland doit bien reconnaître qu'il n'a pas été à la hauteur, et qu'il ne mérite pas d'avoir Echidna comme complice.

    Soudain, Jehanne, prise de frénésie, s'affaire. Elle se relève vivement, parcourt la pièce à grand renfort de « Mais où l'ai-je mis ? », « En aurais-je besoin ? », « Oui, oui, mon plumeau, indispensable », « Et mes herbes ? ». Elle a pris une immense besace, au tissu élimé, et y fourre tout ce qui lui tombe sous la main, allant de la louche au chandelier terni par les ans. Elle vient même récupérer la corde qui retient Elland prisonnier. Et lorsqu'elle suit le chanvre jusqu'à sa cheville, elle redresse la tête, réellement surprise :


    - Ah oui... Tu es là, toi. Oui, bien sûr... Mais non... trop triste pour la besace. Trop grand aussi... Tant pis...

    Et elle reprend sa course effrénée, comme si elle venait d'apprendre que le Comain arrivait d'ici cinq minutes pour l'emmener en geôles. Elland, profitant de sa liberté étrangement acquise, se rapproche, sans faire de geste vif, vers Echidna. Posant une main douce sur son échine, il prie pour qu'elle change d'avis. Mais son regard est rivé sur Jehanne, brillant d'une lueur de satisfaction. C'est fini, il n'existe plus pour elle.

    Abandonnant toute pudeur, il s'accroupit à côté d'Echidna et lui murmure à l'oreille tout ce qu'il ressent pour elle, sans rien lui cacher. Et enfin, elle détourne son attention de Jehanne pour poser sa tête massive sur son épaule. Comme pour un adieu, la gargouille partage les sentiments qu'elle ressent pour lui : une affection, certes tenace, mais tellement moins puissante que celle qu'elle éprouve pour la sorcière !


    - Allons-y... vite, hâtons-nous !

    Jehanne semble fin prête, hirsute, et sa besace est gonflée comme une outre trop pleine, d'où dépassent quelques plumes. Elle va partir, loin d'ici, et Echidna va la suivre. C'est une certitude. Alors, il ne reverra jamais plus sa chère gargouille.

    - Que faites-vous Jehanne ? Où allez-vous ?
    - Il faut y aller... maintenant, tout de suite ! Il nous donnera toutes les réponses... toutes …
    - Mais aller où ? Jehanne !

    Mais déjà, elle ne l'écoute plus et ouvre la porte. Echidna prend son envol pour aller se poser en bas de la volée de marche. Jehanne, elle, descend rapidement les escaliers, Elland sur ses talons. Il ne les laissera pas partir. Elle a déjà sauté sur le dos de la gargouille, mais cette dernière attend Elland. Si elles doivent partir, il ira avec elles.

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  • Ville médiavale fantasy

     

     

    Malgré ses paroles, Jehanne fait lentement courir ses doigts sur la corde, sans prononcer un seul mot, et la contrainte se relâche. A peine, juste assez pour ne plus lui couper le sang. Trop peu pour qu'il puisse s'en défaire. Mais peut-être que, comme l'a dit Jehanne, cette corde est animée. Peut-être que tenter à nouveau ne pourrait que lui nuire. Ou peut-être divague-t-elle...

    Elle s'est éloignée à nouveau, silencieuse, et le voleur l'observe, perplexe. Peut-il seulement essayer de la raisonner ? Dans quelle mesure peut-il la croire ? Elle s'affaire et finit par amener deux assiettes creuses remplies d'un potage aux couleurs douteuses. Il a remercie du bout des lèvres, et l'observe discrètement. Elle aussi doit avoir faim, car elle plonge avec enthousiasme sa cuillère dans la soupe. Mais comme elle ne tombe pas raide morte, ni ne fait la moindre grimace de dégoût, Elland, confiant, goûte à son tour le dîner.

    De toute sa vie, il a mangé d'excellents repas, surtout depuis qu'il habite à l'Hermine Affamée. Avec l'ancien propriétaire, il arrivait que la nourriture soit passable, mais ça se laissait manger. Mais là … Le potage est chaud, onctueux. Des morceaux de viande dérivent lentement : Elland préfère ne pas savoir ce que c'est. Quant à sa composition, Jehanne a dû prendre tout ce qui lui tombait sous la main pour le jeter joyeusement dans cet ersatz de dîner. C'est immangeable. Son estomac se révulse à l'idée d'en prendre une autre cuillerée. Et Jehanne bougonne :


    - Encore trompée … impossible...

    Elle observe son assiette avec attention, les sourcils froncés. Et son air dépité est tellement poignant qu'Elland ne peut s'empêcher de ressentir un élan de sympathie pour sa geôlière. Elle lance un regard désemparé au voleur et lui demande :

    - Ce n'est pas très bon, n'est-ce pas ?
    - Pas très, non.
    - Tu sais faire à manger ?
    - Non.

    Il n'a jamais eu besoin d'apprendre à cuisiner, et depuis des années, il se fait nourrir par les diverses tavernes de la ville. Jehanne semble si triste qu'il se sentirait presque coupable de n'avoir jamais ressenti le moindre intérêt pour la confection d'un repas. Mais soudain, la déception qui se lisait sur le visage de Jehanne fait place à un ravissement tout enfantin. Elle se lève d'un geste vif et l'odieux potage menace de se répandre sur le sol. Mais contrairement au voleur, elle n'imagine pas le liquide faire des trous dans le plancher tant il est nocif. Elle pose l'assiette sur la table et se précipite vers la porte en marmonnant :

    - Entends-tu battre son cœur ? Ils sont de retour…

    Elle tape dans ses mains, ravie. Elland, lui, n'est pas vraiment ravi. Qui est de retour ? Ses complices ? Pèire et les autres ? Mais il ne peut ni s'échapper ni rendre sa situation moins risible, alors il prend le parti de rester assis sur le lit, le dos bien droit, aussi digne que possible. Elle ouvre grand la porte, laissant entrer la fraîcheur de la nuit et une sombre silhouette qu'il connait bien. Echidna.

    Jehanne tombe à genoux, ouvrant grand ses bras pour accueillir la gargouille dans une étreinte passionnée. Elland sourit, persuadé qu'Echidna va l'ignorer pour aller le retrouver. Mais pas du tout. Au contraire, elle glisse sa tête contre le cou Jehanne et ronronne si fort que le plancher vibre légèrement. Le sourire d'Elland se crispe, puis disparaît complètement. Echidna l'ignore, purement et simplement. Lui, son ami de toujours, son complice. Il a été moins présent, ces derniers temps, c'est vrai. Mais de là à faire comme s'il n'existait pas...

    Jehanne marmonne des propos incompréhensibles, faisant ronronner de plus belle la gargouille. L'attente devient longue, alors qu'il essaie de juguler sa déception et sa jalousie. Mais elles occultent totalement sa présence. Pourquoi ? Quel sort Jehanne a-t-elle lancé ?

    Il s'agite, gigote un peu, toussote légèrement. Mais rien n'y fait, c'est comme s'il n'existait pas. La gargouille prend une place considérable dans la petite pièce mais ça ne semble pas gêner Jehanne. Soudainement, une explosion de sentiments se déverse entre les murs. Un amour infini, une gratitude sans bornes, émanant de la gargouille, fusent en direction de Jehanne. Une affection aussi puissante ne peut être qu'exclusive. Elland comprend alors qu'il a perdu Echidna.

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  • 1hsppwsl

     

    Elland trépigne, enrage, mais il espère qu'elle tiendra parole. Aussi, et puisqu'elle n'est plus armée, il lui dit :

    - Allez-y. Finissons-en rapidement.
    - Bien. Ton nom ?
    - Elland. Et vous ?
    - Jehanne.
    - Quel lien te rattache à la gargouille ?

    Elland la dévisage, stupéfait. Ainsi, c'est donc à cela qu'elle s'intéresse ? Quelles abominations compte-t-elle faire si elle apprend le lien qui les unit ? Si elle découvre, par accident, comment donner vie à d'autres créatures ? Et puis, de toute façon, en quoi cela la concerne-t-il ? Détournant la tête, il fixe la fenêtre, refusant de répondre. Il est hors de question de lui donner la moindre information. Dehors, le soleil est en train de se rapprocher de l'horizon, et bientôt Echidna reviendra à la vie. Alors elle l'aidera et il quittera cet endroit maudit. Ne reste plus qu'à faire durer le temps jusqu'à ce moment là, sans la contrarier. Faire profil bas en attendant les secours. Ou alors … se jeter sur elle, la neutraliser, trancher la corde et prendre la poudre d'escampette. Il se rapproche lentement d'elle, tend ses muscles, prêt à lui sauter dessus quand elle annonce, complètement inconsciente du danger :

    - Echidna m'a un peu parlé de toi. Mais... j'aimerais connaître ta version des faits.

    Elland se fige soudain. Echidna lui a parlé ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Que lui a-t-elle fait, avec sa magie sournoise ? Ses yeux lancent des éclairs lorsqu'il lui répond :
    - Où est-elle ? Comment savez-son nom ?
    - Elle est pétrifiée... fascinant, c'est proprement fascinant... Là, au pied de la tour... autour des ronces et des orties.... pétrifiée... c'est un bloc de pierre... elle est si belle et si solide...
    - Comment savez-vous son nom ?
    - Ah ! Elle me l'a murmuré à l'oreille... elle était si vivante, si aimante... Elle est si belle... Fascinant...

    Elland ne l'écoute plus radoter à quel point c'est fascinant. Si elle a parlé d'Echidna au passé, ça ne signifie pas pour autant qu'elle l'a tuée, n'est-ce pas ? Comment la gargouille aurait-elle pu parler à Jehanne ? La folie lui permettrait-elle de communiquer par télépathie ? Ou bien la magie ? Un détail, cependant, rassure le voleur. Jehanne semble simplement intéressée par la gargouille. Autrement dit, elle n'a rien à voir avec l'enlèvement de Ménandre. Et donc, il ne mourra pas à cause de ça. Mais ça ne signifie pas pour autant qu'il ne court aucun danger...

    Jehanne s'est approchée de la fenêtre et a posé les mains sur les vitres sales. Et toujours en murmurant, elle psalmodie :


    - Viens voir maman, chérie, viens voir maman...

    Elland la découvre soudain très belle, le visage voilé de tristesse, nimbé de reflets du soleil couchant. Elle semble si perdue que son ressentiment à son égard diminue presque. D'une voix douce, il tente :

    - Laissez-moi partir, s'il vous plait. Je dois vraiment rentrer à Rivemorte.
    - Je ne peux.... C'est.... impossible. Oui... impossible. Mais tu dois avoir faim ?
    - Oui. Enfin non. Je dois rentrer.

    De fait, son estomac crie famine et le breuvage qu'elle lui a fait boire remonte à bien longtemps. Mais il doit s'extirper de ce mauvais pas et rentrer. Et rien de ce qu'elle pourrait lui donner ne lui inspire confiance. Toujours perdue dans ses délires, elle ravive l'âtre et remue le contenu d'une marmite suspendue. Profitant qu'elle ait le dos tourné, il s'intéresse à nouveau au noeud qui l'entrave. Sa main gauche n'est pas assez habile pour le défaire, alors de la droite, pendant de longues minutes, il s'acharne à dénouer la corde. Et comme la fois précédente, elle lui résiste. Pire, l'impression de la sentir se resserrer autour de lui devient une certitude : le chanvre comprime désormais tellement la chair que son pied est en train de rougir. Lorsqu'il redresse la tête, le cœur palpitant, pour s'assurer qu'elle n'a rien vu, il la trouve en train de l'observer. Et elle secoue doucement la tête en chuchotant :

    - Impossible... elle refuse... ça fait si longtemps que je n'ai pas eu d'invité... elle ne veut pas te laisser partir...
    - C'est trop serré...
    - Elle n'est pas contente... tu as voulu nous fausser compagnie...


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  • gargoyle

     

    Il est blotti dans un cocon douillet et chaud. Recouvert d'un édredon à l'odeur de renfermé, il réalise rapidement qu'il peut bouger ses mains comme bon lui semble. Ses chevilles ne sont plus entravées, elles non plus. Et surtout, l'insoutenable douleur qui lui vrillait le haut du torse et la joue a disparue. Mais c'est une autre qui est apparue, au niveau de sa vessie. Elland se redresse un peu : il est dans un lit. Et la femme est debout, devant la table où sont étalés des dizaines et des dizaines de bocaux remplis de plantes. Elle marmonne :

    - Trompée, oui, trompée de plante... Erreur d'étiquetage ? Peut-être, ou alors … peut-être, depuis le temps … Tout vérifier, oui, je dois tout vérifier... Mais ça fonctionne.... C'est fascinant, proprement fascinant...

    Tout en parlant, elle prend de nombreux pots, qu'elle ouvre, observe, renifle. Elle s'immobilise devant l'un d'entre eux, rempli de feuilles d'un rouge vif, peu rassurantes. Et son regard dément se tourne vers le voleur. Il déglutit bruyamment, peu désireux d'être celui qui vérifiera les propriétés de ces feuilles. Mais elle repose le bocal et s'approche de lui.

    Il doit s'enfuir de là. Qu'importe les moyens, il doit quitter cet endroit. Il répugne à utiliser la force contre une femme, et craint de la contrarier. Alors il décide de l'amadouer. Mais avant toute chose, il doit absolument soulager sa vessie. D'une voix presque mielleuse, il lui explique son problème.


    - Oui... oui, bien sûr... c'est normal... C'est bon signe. Va là, juste là... derrière le rideau... Il faut vérifier...

    Avant qu'elle ne décide de vérifier quoique ce soit sur lui, il se lève. Une corde est nouée autour de sa cheville gauche et au pied du lit. Il a un mètre de liberté. C'est juste assez. Derrière un rideau rongé par les mites se cache un coin de toilette. Il se dépêche de faire ce qu'il a à faire, de crainte qu'elle ne veuille vérifier quelque chose juste à ce moment là. Puis il prend le temps de s'observer dans le petit miroir accroché au dessus du bassin. Il s'attendait presque à voir des cicatrices boursouflées et répugnantes. En réalité, seules de fines lignes blanches marquent sa peau. Pendant son inconscience, elle a dû le manipuler encore, et lui appliquer un onguent mystérieux. Il frissonne en imaginant tout ce qu'elle a pu faire sans qu'il s'en aperçoive mais décrète que l'essentiel, c'est de ne plus souffrir. Et que pour l'heure, le plus important, c'est de s'en aller d'ici.

    Lorsqu'il sort du coin toilette, la femme fait les cent pas autour de la table, passant une main fébrile dans ses cheveux à intervalle régulier. Hirsute, elle est réellement effrayante. Et toujours, elle marmonne :


    - Savoir … oui, l'interroger... Je dois comprendre... savoir... demander... oui, il saura me répondre... et... héhé...

    Elle se met soudain à ricaner, exactement comme les sorcières dans les contes. Elland jette un regard désespéré au nœud de la corde. Il semble relativement simple. Alors il retourne s'asseoir sur le lit et discrètement essaie de le défaire. Mais plus il s'acharne sur le nœud plus ce dernier semble se resserrer autour de sa cheville. La femme vrille soudain son regard sur lui et il écarte vivement ses mains de la corde. Mais elle ne semble pas préoccupée par ses vaines tentatives et lui demande :

    - C'est toujours douloureux ?
    - Non. Écoutez, je dois partir, vraiment. Je ne dirai rien, je le jure, mais je ne peux pas rester ici.

    La femme lève un sourcil intrigué, comme si elle avait conscience que les mots employés sonnent faux. Puis elle secoue doucement la tête et murmure :

    - Non. Non, pas encore... il reste tant de mystères... Non, je dois t'interroger.
    - Un petit garçon a été enlevé. Il risque sa vie à tout moment. Je dois absolument le retrouver. Laissez-moi poursuivre mes recherches, je vous en prie.

    S'il a prit un ton volontairement suppliant, et s'il essaie de faire appel à l'instinct maternel que toute femme normalement constituée devrait ressentir, il déteste pourtant parler ainsi. Il voudrait pouvoir lui ordonner de le libérer immédiatement, voire même se jeter sur elle pour éliminer cette menace. Mais c'est trop risqué, car elle le tient toujours en son pouvoir. Et c'est une femme. Une femme dérangée.

    Ses propos semblent l'avoir touchée car elle recommence à faire les cent pas dans la petite pièce, comme si elle devait analyser ces nouvelles données. Lorsqu'elle a terminé de marmonner entre en ses dents, elle revient vers lui et lui déclare :


    - Soit. Je comprends... Mais moi aussi, je dois poursuivre mes recherches... Quand tu auras répondu à toutes mes questions, nous aviserons.

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    Il manque de s'étouffer dans son bâillon, terrifié par l'arme qui s'approche inexorablement de lui. Son cœur bat si vite qu'il menace de céder à tout instant et résonne dans ses oreilles. Il se débat autant qu'il le peut, s'épuisant inutilement car ses liens sont bien serrés et il ne parvient qu'à s'écorcher les mains contre le mur de pierre. Elle plante son regard dément dans celui, affolé, du voleur. Et d'une voix autoritaire lui ordonne :

    - Cesse de gigoter ! Je vais te blesser...

    Ce ne sont pas ses paroles qui finissent par le calmer, car en vérité, elles n'ont strictement rien de rassurant. Non, c'est qu'à force de se débattre, il est à bout de souffle, et le bâillon l'empêche de respirer comme il le voudrait. Il commence à voir des points noirs danser devant ses yeux. Résigné, il se calme donc. Et puis, peut-être veut-elle le libérer ?

    Avec une douceur surprenante, elle défait les deux premiers boutons de sa chemise. Le couteau ne servira pas à trancher ses liens, il en a désormais la certitude. La panique le fait se débattre à nouveau, vainement. La folle plaque une main sur sa gorge, l'immobilisant d'une manière redoutablement efficace, et pose la lame de son arme sur la peau nue, juste en haut du sternum. Dans un éclair de douleur, il sent la chair rompre et le couteau tracer un sillon sanglant. Puis, alors qu'elle garde un sourire insensé, elle plonge les doigts dans un mélange visqueux contenu dans un bol et lui applique sur la plaie à vif. Une douleur insoutenable le fait hurler sous son bâillon. C'est comme si elle lui versait du plomb fondu dans la plaie. La panique, la main appuyée sur sa gorge et la douleur, se mariant en un mélange redoutable, lui font perdre connaissance.

    Il est allongé sur le flanc gauche, calé par le mur. Sous lui, une hideuse couverture, d'un gris indéterminé, le protège un petit peu de la fraîcheur du plancher. Il a froid. Et soudain, la douleur se réveille. Le haut de son torse le brûle affreusement, comme si on avait rempli la plaie d'un produit corrosif et qu'il s'attaquait maintenant aux os. Et sa joue droite, où la balafre devrait être en train de cicatriser, lui fait ressentir la même impression. Il mord sauvagement dans le tissu qui envahit toujours sa bouche, pour ne pas crier sa douleur et attirer l'attention, mais ne peut empêcher les larmes de ruisseler aux coins de ses yeux.

    Un bruissement de tissu, des pas légers qui s'approchent, et toujours ces mots, marmonnés, psalmodiés « C'est fascinant. Proprement fascinant ». Le regard dans le vague, il revit les heures passées en compagnie du Comain. La douleur, le plaisir de faire souffrir l'autre, tout lui revient en mémoire comme si ça ne s'était jamais arrêté.
    Elle s'accroupit auprès de lui, mais il n'a plus la force de lutter. Avec une tendresse surprenante, elle ramène une mèche de cheveux rebelles derrière l'oreille du voleur, avant de lui murmurer :

    - C'est douloureux ?

    Il ne peut pas répondre, toujours bâillonné, mais ses yeux lui jettent un regard furieux. Elle prend un air presque désolé pour lui, avant de se relever. Puis, marmottant entre ses dents, elle s'affaire près de l'âtre, comme si elle avait déjà oublié sa présence. Il tente discrètement de défaire ses liens, en vain, avant d'essayer d'oublier la douleur pulsatile. Lorsqu'il entend les pas se diriger à nouveau vers lui, il frémit. Une peur panique lui noue le ventre, et s'il voudrait pourvoir se défendre, pouvoir se venger, il sait qu'il ne peut rien faire.

    Elle le redresse, comme la première fois, à grand peine. Et comme la dernière fois, il ne fait rien pour l'aider, essayant de gagner encore quelques minutes de répit avant de subir à nouveau d'insupportables douleurs. Mais presque avec tendresse, elle dénoue le bâillon et porte à ses lèvres un bol rempli d'un liquide brûlant.


    - Non. Je ne boirai pas.
    - Ça apaisera ta souffrance.
    - Je ne vous crois pas, vieille chouette, vous allez encore me faire mal.
    - C'est une infusion de souci. Ça te soulagera.

    La voix de la femme a des accents de vérité, et Elland se rappelle avoir entendu ce nom avec Théoliste. La douleur est trop forte pour qu'il hésite encore. Soit ce breuvage la calmera, soit il le fera sombrer, mais tant que la douleur disparaît...

    Le liquide est agréablement chaud et soulage sa bouche asséchée. En quelques secondes, cette vague de chaleur atteint les plaies et réduit légèrement la douleur. La femme esquisse un sourire en voyant son visage se détendre. Puis c'est tout son corps qui s'engourdit. Peu à peu, il perd tout sensation dans ses jambes, puis dans ses bras. Les battements de son cœur ralentissent, eux aussi. Ses pensées sont lentes, freinées, avant de s'éteindre complètement. Le néant le sauve de la folie ambiante.

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  • d2456c1f

     

     

     

     

     

    Un long frisson lui parcourt l'échine à cette idée, le faisant trembler de tous ses membres. Il a beau fermer les yeux, dans une pitoyable tentative d'ignorer sa situation, il entend la femme faire racler la chaise contre le plancher. Puis c'est un bruit de pas, légers, qui s'approchent de plus en plus et qui font s'affoler son cœur. Elle ne semble pas dupe un seul instant car elle déclare :

    - Je sais que tu ne dors pas, vil faquin. Cesse tes sournoiseries !

    Les yeux obstinément fermés, Elland adresse, à qui veut l'entendre, des prières et des appels à l'aide. Mais comme de bien entendu, personne ne vient le secourir. Et c'est avec des petits coups de plumeau que la folle finit par lui faire ouvrir les yeux. Un sourire dément éclaire son visage mais sa voix est dure quand elle lui ordonne :

    - Redresse-toi !
    - Détachez-moi !
    - Certainement pas ! Je connais les énergumènes dans ton genre. Céder à l'un de leurs caprices, c'est appeler la Grande Faucheuse !
    - Écoutez, Madame, s'il vous plait. Je ne vous veux aucun mal. Je vais oublier votre existence, rentrer chez moi, et on ne se reverra plus jamais.
    - Menteries ! Tu vas les prévenir et ils reviendront. Ils m'enfermeront encore.
    - Non, non, je vous le promets !
    - Il suffit ! Fais silence !

    Elland se pince les lèvres pour ne pas répondre. Pour le moment, il vaut sans doute mieux ne pas la contrarier, au risque de la voir perdre complètement le contrôle. Voilà. Il va falloir rester docile jusqu'à la nuit. Pèire et les autres vont s'inquiéter de sa disparition, Echidna dira où il est au tavernier et ils viendront le chercher. Voilà. Être rendu totalement impuissant par une sorcière folle n'est pas franchement glorieux mais tant pis. Ils le sortiront de là. Enfin... Si Echidna veut bien communiquer à Pèire l'endroit où ils se trouvent. Car après la trahison de la nuit, il commence à en douter sérieusement.

    - Cela ne se peut ! Nous pourrions essayer... Oui, exactement ! Essayons. Peut-être que … Oh oui ! Pourquoi pas ?

    La sorcière monologue, perdue dans son délire. Elland, lui, tente discrètement de se déplacer un peu : avec un peu de chance, si elle ne le voit plus, elle l'oubliera. Mais elle s'approche de lui, un air déterminé sur le visage. Et ahanant, soufflant et geignant, elle tente de le redresser dos contre le mur. Il fait en sorte de peser de tout son poids, pour la faire renoncer. Mais la folie qui l'habite la rend têtue. Et après de longues minutes d'efforts, elle parvient à l'asseoir. Ses bras, lourdement appuyés contre le mur, le font souffrir. Puis, comme si le fait d'atteindre son but l'en avait détourné, elle s'éloigne de lui, toujours en marmonnant, et se met à fouiller la petite pièce.

    Dans un rayon de soleil, qui perce à travers les vitres ouvertes, dansent des milliers de grains de poussière. Une odeur de renfermé imprègne les lieux et serait pénible s'il n'avait que ce sujet de préoccupation. Il a la bouche pâteuse et son estomac proteste. Rêveur, il songe à Théoliste et Pèire, qui sont sans doute en train de prendre leur déjeuner à la taverne. Un morceau de pain tout juste sorti du four, encore tiède, et du beurre à l'odeur enivrante qui fond lentement dessus. Mais la folle revient, interrompant ce doux rêve. Avec un morceau de tissu sale et une corde dans les mains, et une expression gravée sur le visage. Une expression qu'il connait parfaitement : celle du gamin qui est persuadé d'avoir eu une idée géniale. Toutefois, il ne se sent que moyennement rassuré par cette expression.

    Il a beau se débattre comme un beau diable, jouer des jambes et du torse pour se rendre aussi insaisissable que possible, elle parvient à lui enfoncer le tissu dans la bouche et à le bloquer à l'aide de la corde qu'elle lui noue derrière la tête. Le voilà muet. Mais ça ne l'empêche pas de pousser des hurlements étouffés quand il la voit prendre un couteau et s'approcher de lui avec un sourire satisfait sur le visage.

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  • 1hsppwsl

     

    Un rayon de soleil caressant sa joue le réveille doucement. Il pousse un faible grognement, encore fatigué, et souhaite dormir encore quelques petites minutes supplémentaires. Mais alors qu'il tente de se retourner, de se lover dans une position plus confortable, il s'aperçoit que ses mouvements sont contrariés. Et soudain, dans une explosion de lucidité, les évènements de la nuit lui reviennent en mémoire : la forêt hantée, ce sommeil étrange, la tour maudite. Et en même temps qu'affluent les souvenirs, affluent d'innombrables douleurs dans tout son corps.

    Il tente de se redresser pour voir où il est, mais c'est impossible : ses poignets sont liés dans le dos, et ses chevilles entravées. Pieds nus, allongé à même le sol, dans une position peu naturelle, tout son corps proteste d'être resté de longues heures ainsi. Il ne voit qu'un plancher sale, couvert de poussière, et quelques pieds de meubles. La pièce n'est pas bien grande et plutôt fraîche. Et l'odeur de renfermé le prend à la gorge.
    Soudain, une voix féminine se fait entendre. Curieux d'en apprendre plus sur sa situation, il redresse un peu la tête et aperçoit l'origine de la voix. C'est une femme entre deux âges, étrangement vêtue d'habits complètement démodés, qui se tient devant la table. Le regard rivé sur un bol, dont le contenu brûlant fume doucement, elle marmonne :


    - C'est fascinant... Proprement fascinant...

    Son visage n'est pas sans charme, mais dans ses yeux marrons brillent une lueur de folie. Ses cheveux bruns sont noués en une lourde tresse qui serpente sur son épaule avant de retomber sur son ventre. Et tandis qu'il la détaille, la femme poursuit ses murmures incohérents, s'extasiant de voir un liquide chaud fumer dans un bol. Refusant d'en voir plus et le cou douloureux, Elland repose sa tête contre le sol.

    Feignant de dormir, il essaie de clarifier la situation. Echidna a dû le conduire jusqu'à la tour, pendant qu'il était endormi. Et cette femme l'aura trouvé.
    Mais pourquoi un tel comportement de la part de son amie ? Pourquoi le conduire dans un lieu manifestement dangereux ? Et où est-elle désormais ? Est-elle rentrée à Rivemorte, en l'abandonnant ici ?

    Et qui est cette femme ? Et pourquoi, lui offrant l'hospitalité, l'a-t-elle si soigneusement ligoté ? Et si elle était une complice de Tanorède ? Ils ont toujours pensé que Ménandre se trouvait en ville, parce qu'ils n'avaient reçu aucune information leur prouvant que des sorties suspectes avaient été constatées. Mais s'ils étaient passés entre les mailles du filet ? Si les recherches qu'ils mènent depuis deux jours n'ont aucune chance d'aboutir pour la simple raison que Ménandre et ses ravisseurs ne sont plus en ville ? Mais alors … serait-il en danger ? Pourquoi le laisser entre les mains d'une femme seule ? Où sont les autres ? Et pourquoi ne se sont-ils pas débarrassé de lui comme ils l'ont fait avec l'espion ?

    Un tintement se fait soudain entendre, comme le bruit d'un couvert contre une assiette. Puis aussitôt après, d'étranges paroles, prononcées dans une langue inconnue, psalmodient une rengaine. Aussitôt, les histoires que lui racontaient sa mère lui reviennent en mémoire. Les contes pour enfants seraient-ils exacts ? Habituellement, les sorcières ont un nez crochu et tout plein de verrues. Peut-être que celle-ci est différente... Ou alors, elle s'est servie de la magie pour modifier son apparence ! Oui... elle se sert de la magie. Sinon, par quel miracle aurait-il pu s'endormir alors qu'il se sentait en danger ? Serait-il réellement dans un repaire de sorcière ? Serait-il, impuissant, entre les mains d'une sorcière complètement timbrée ?

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  • hermine

     

    Déçus par cette recherche qui, au final, n'a pas vraiment fait avancer les choses, ils repèrent les lieux, se promettant de revenir pour chercher encore, puis prennent la direction de la taverne.

    S'ils croisent encore de nombreuses patrouilles, ils n'ont cependant pas le moindre problème pour regagner l'Hermine Affamée. Quelques clients sont déjà attablés et Pèire s'affaire derrière le comptoir pour prêter main forte à sa serveuse. Mais dès qu'il les voit arriver, il l'abandonne et se précipite vers eux. Ils vont s'installer à la petite table qu'ils occupaient à midi. Là, Pèire leur explique que Thémus est rentré chez lui, lui laissant le soin de leur raconter le fruit de leur enquête. Et en réalité, il ne lui faut pas beaucoup de temps pour leur expliquer que, malgré leur entêtement, ils n'ont strictement rien trouvé.

    Théoliste et Elland, à tour de rôle, se chargent de raconter leur après-midi, tandis que la serveuse leur apporte le dîner. Mais ils ne donnent aucun faux espoir au tavernier. S'ils s'accordent pour dire que c'est une avancée plutôt significative dans l'enquête, ils sont cependant bien conscients qu'ils sont encore loin de mettre la main sur Ménandre.

    Puis la conversation dérive sur des sujets moins graves, comme l'avancée de l'enquête de la garde, qui a conclu que le meurtre dans l'impasse était un règlement de compte et qu'ils ne s'en mêleraient plus, les prix qu'ils ont constaté, l'affluence des badauds malgré les patrouilles. Et alors qu'ils terminent leur dîner, le guérisseur et Elland se rendent compte que Pèire, le menton sur la poitrine, s'est tout simplement endormi.

    Ils échangent un regard, sourient, mais ne le réveillent pas. La disparition de Ménandre, bien qu'il ne le montre que très peu, l'a énormément touché. Deux jours se sont écoulés depuis : le tavernier ne s'est pas accordé le moindre repos. Alors, discrètement, ils se lèvent et laissent leur ami se reposer. Le guérisseur, regardant sa blessure à la joue, lui tend un pot d'onguent en lui faisant promettre d'en appliquer ce soir et demain matin. Et pour être tranquille, le voleur promet qu'il le fera. Puis Théoliste prend congé, expliquant qu'il passera la soirée avec Anthelme avant de prendre, lui aussi, un peu de repos. Il sera à la taverne assez tôt demain, pour reprendre leurs recherches.

    Elland reste un moment immobile, regardant le guérisseur quitter la taverne puis Pèire dormir. Enfin, il se remet en mouvement, va prévenir la serveuse qu'elle ne doit pas débarrasser leur table et laisser le tavernier dormir. Puis il grimpe dans son repaire, où il pose bien en évidence le pot d'onguent pour ne pas oublier d'en mettre.

    Le ciel est sans nuages et un maigre croissant de lune éclaire faiblement les toits de la ville. Echidna l'attend, sur le toit, le regard rivé sur lui. Il se faufile habilement par la lucarne et s'approche d'elle avec un grand sourire. Puis, lui grattant l'oreille avec tendresse, il lui raconte l'avancée de l'enquête et lui confie ses craintes et ses doutes. Il est épuisé mais retrouver Ménandre est trop important pour qu'il perde une nuit entière. Et il sait très bien qu'Echidna veillera pour lui s'il s'assoupit pendant le vol. Si elle voit quelque chose d'important, elle le lui signalera.

    Il monte sur son dos et sans perdre une seconde, d'un mouvement puissant, elle s'élance dans les airs. Les toits défilent sous eux pendant de longues minutes. Tout est calme en ce milieu de soirée : peu nombreux sont les habitants à oser sortir, sans doute à cause de la vague de meurtres. Sans qu'il n'ait besoin de lui dire, elle se dirige vers l'immeuble qu'ils ont visité dans la matinée. Un mouvement, derrière une fenêtre de l'immeuble voisin, attire leur attention. C'est sans doute l'homme de Thémus, qui surveille les allées et venues. Mais ils ne cherchent pas à s'en assurer de peur d'attirer l'attention sur lui. Echidna se pose un peu plus loin, et durant les quelques minutes de surveillance, ils ne remarquent strictement rien d'inhabituel.

    Estimant que l'homme de Thémus serait parfaitement capable de consigner le moindre mouvement suspect, ils repartent pour une longue patrouille au dessus de la ville. S'ils croisent parfois d'autres gargouilles, ils ne prennent cependant pas le temps de s'arrêter. La nuit est déjà bien avancée. Ils n'ont toujours rien vu d'important. Et peu à peu, bercé par le rythme régulier des battements d'ailes, Elland s'assoupit.

    C'est un silence oppressant qui le réveille en sursaut. Echidna s'est posée. Mais elle n'est plus en ville. Pire, elle s'est arrêtée au beau milieu d'une forêt sombre. Les arbres autour de lui semblent se tordre de douleur. Quelques nappes de brouillard, résultat de l'orage, cachent le sol et les créatures qui y rôdent et qu'il entend, parfois, chuchoter. Plus loin, dans l'obscurité, incongrue, se dresse une espèce de tour vacillante. Elland frémit et murmure à Echidna qu'il faut absolument partir de cette forêt maudite. Le besoin de fuir est irrépressible, et il s’agrippe de toutes ses forces à l'échine de la gargouille, essayant en vain de l'empêcher d'avancer. Car sa complice, son amie de toujours, l'emmène droit vers cette tour qui ressemble à s'y méprendre aux repaires sinistres de sorcières. Et s'il sait bien que la magie n'existe plus, les nombreuses histoires qu'il adorait entendre, racontées par sa mère, faisaient presque toutes état de vieilles sorcières cruelles. Qui habitaient précisément dans ce genre d'endroit. Alors, magie ou pas, Elland n'a pas du tout l'intention d'aller vérifier si les contes pour enfants recèlent une part de vérité.

    Mais étrangement, alors que son cœur bat la chamade et que la panique commence à le gagner, il se sent pris d'une irrépressible envie de dormir. Il secoue la tête, parle d'une voix pressante à Echidna, fait tout pour l'empêcher d'avancer. Mais rien n'y fait. Et alors qu'il allait descendre de son dos et fuir à toutes jambes, qu'importe la direction tant qu'il peut s'éloigner de cet endroit, les battements de son cœur se calment brusquement, et ses paupières, si lourdes, se ferment malgré lui. Et contre son gré, il tombe endormi sur la gargouille.


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