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Par Blanche. le 2 Mars 2011 à 09:31
Sur le seuil de la petite boutique aux fragrances de cuir, il dissimule la lourde bourse sous sa chemise et fait en sorte qu'une main baladeuse ne puisse pas s'emparer, par mégarde, de ses biens. Il passe le reste de la journée à déambuler en ville, pris par un tourbillon de pensées. Et lorsque le soleil disparaît à l'horizon, il se décide finalement à pousser la porte de l'Hermine Affamée.
La jolie serveuse est toujours là, vêtue d'une robe bleu nuit qui met parfaitement en valeur ses formes, mais elle l'évite habilement. Il hausse les épaules, de toutes façons il a bien plus important à penser en ce moment que courir les jupons. D'un pas décidé, il se dirige vers la cuisine, espérant croiser Pèire, mais il se fait purement et simplement jeter dehors par une cuisinière passablement énervée. Dépité, il se réfugie dans la ruelle derrière la taverne, et se laisse lourdement tomber sur le petit banc. Il est épuisé, tant physiquement que moralement.
Le haut du crâne posé contre le mur encore tiédi par le soleil estival, les yeux fermés, il tente de se décider. Il veut reprendre sa vie d'avant. Voler, s'amuser, traîner dans les tavernes et charmer les jolies filles. Il veut être à nouveau complice avec Echidna, la voir le matin quand il va se coucher, attendre son réveil au crépuscule. Peut-il seulement espérer retrouver un logement aussi pratique que l'ancien ? Peut-il seulement espérer continuer à voler ? Est-ce compatible avec une vie à auberge ?
- Tu comptes dormir là ?
Elland se redresse en sursaut, surpris. Pèire le dévisage, un léger sourire aux lèvres, et s'installe à côté du voleur. Il poursuit, comme si de rien n'était :
- Remarque, tu n'es pas si mal ici...
- Possible. Mais ça ferait mauvais genre pour l'Hermine Affamée.
- Ah ça, oui. On dirait que je laisse un ami dormir dehors. Que je ne lui tends pas la main quand il en a besoin.
- Alors, c'est pour ça que tu le fais ? Pour soigner ton image ?
Éclatant de rire, Pèire lui donne une claque amicale, qui manque de lui déboîter l'épaule. Grimaçant, Elland tente de sourire à son tour. Avant qu'il n'ait pu ajouter qu'il plaisantait, Pèire lui répond d'une voix douce :
- J'espère que tu sais bien que ce n'est pas genre.
- Oui, je le sais. Mais j'ignore comment te remercier pour tout ce que tu fais...
- Arrête avec ça, veux-tu ? Tu as réfléchi à ma proposition ?
- Un peu, oui. Mais je pose mes conditions : je veux payer un loyer. Je voudrais, si tu as, un endroit un peu à l'écart avec, si possible, un accès sur le toit. Personne ne vient nettoyer ma chambre. Et je paie aussi mes repas. Et si il m'arrive quoique ce soit, je ne veux pas que tu sois impliqué.
- Hé ben ! Dire que je te pensais plus …
Pèire s'est fait songeur, et paraît chercher ses mots. Impatient, Elland le presse :
- Plus quoi ?
- Plus … naïf, en fait.
- Naïf ? Moi ? Mais pas du tout ! Alors là, absolument pas !
- Si tu le dis...
Elland esquive habilement la claque amicale qui allait s'abattre une nouvelle fois sur son épaule. Le temps d'un battement de cils, Pèire redevient sérieux et poursuit :
- D'accord pour le loyer. Le même que tu payais dans ton ancien logement, si tu veux.
- Deux pièces d'argent par mois.
- Tant que ça ? D'accord ! Ça me convient parfaitement. Pour l'emplacement, j'ai ma petite idée, je te montrerai tout à l'heure. Et pour le ménage …
- Je m'en occuperai tout seul. J'ai l'habitude.
- Ménandre et moi aurons quand même le droit de te rendre visite ?
- Bien sûr. Mais uniquement des personnes de confiance.
- Très bien. Tu as d'autres exigences ?
- Oui. Je voudrais que tu m'expliques pourquoi tu avais l'air si mal à l'aise quand vous m'avez soigné.
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Par Blanche. le 28 Février 2011 à 10:54
- Je n'ai pas le temps de boire aujourd'hui Thémus.
- Je m'en doute. Mais nous serons plus tranquilles pour discuter.
Après avoir vaguement marmonné son accord, Elland le suit jusqu'à l'arrière-boutique et s'installe sur une chaise. Puis, sans perdre de temps, pressé d'en finir, il déballe les bijoux volés. Thémus, indifférent, se sert tout de même un verre, tout en lui annonçant :
- D'après mes informateurs, ta logeuse a vendu tes affaires à des marchands ambulants. Ils ont quitté la ville hier au soir, juste avant que les portes de la ville ne soient fermées pour la nuit. Ils se dirigent actuellement vers Fiermont. Mais leur convoi est bien gardé, ils ont engagé des mercenaires...
- Comment es-tu au courant ?
Le sang du voleur s'est glacé dans ses veines, et il imagine, horrifié, être l'objet de rumeurs et de moqueries dans tous les bas-quartiers de la ville. Mais le cordonnier l'apaise d'un geste de la main, et lui sourit :
- Personne n'est au courant, c'est Ménandre qui est venu m'en parler ce matin. Je me suis permis de mener ma petite enquête, rien de plus. Ne t'inquiète pas, ça ne s'ébruitera pas.
Encore ce gamin ! Il n'a pas dormi longtemps mais ça a suffit à Pèire et Ménandre pour manigancer ... Mais c'est la reconnaissance qui prédomine sur la colère, et la gorge nouée par l'émotion, Elland est incapable de répondre quoique ce soit. Pèire, Ménandre et Thémus l'aident encore, et ça le surprendra toujours. Avisant le trouble de son hôte, le cordonnier se relève et lui remplit un gobelet d'hydromel. Et c'est avec avidité qu'Elland en boit une bonne moitié. Thémus est allé chercher une bourse rebondie dans l'un des nombreux placards qui tapissent les murs. Jouant machinalement avec l'escarcelle, il poursuit :
- Comme je te le disais, l'attaque des marchands ambulants est périlleuse, et risque d'attirer l'attention sur nous. Mais si tu le souhaites, il te suffit de m'en toucher un mot, et cette attaque se fera.
- Non, je me débrouillerai.
Savoir que ses affaires sont entre les mains de marchands ambulants lui a ôté tout espoir. Jamais plus il ne les retrouvera. Et s'il sait bien que Thémus récupérera toutes les autres affaires volées dans l'attaque du convoi et qu'il ne sera donc pas perdant dans l'histoire, il ne souhaite pas pour autant l'impliquer davantage. Thémus poursuit, imperturbable :
- De toutes façons, j'ai une autre solution à te proposer. Une connaissance est allée rendre visite à ta logeuse. Elle t'adresse ses plus sincères excuses, et elle a décidé de te rendre la valeur des biens vendus.
Le regard du voleur se vrille dans les prunelles de son vis-à-vis, cherchant à percevoir la vérité derrière ces faits enjolivés. Elle aurait rendu l'argent de son plein gré ? Sans hésiter ? Sans essayer de l'arnaquer ? Le sourire carnassier de Thémus lui répond par la négative.
- Merci beaucoup Thémus. C'est …
- C'est normal. Elle n'avait pas le droit de profiter de la situation. Donc cette bourse est à toi. Elle te permettra de remplacer la plupart de tes affaires.
- Et les bijoux alors ?
- Je vais te les prendre. Et te les payer d'avance, pour que tu aies de quoi voir venir.
- Merci beaucoup.
- Tu commences à radoter...
Le sourire du cordonnier se fait chaleureux, et il lui glisse dans la main la bourse de sa logeuse. Puis, avec toute la minutie des professionnels, il examine soigneusement chaque pièce apportée par Elland. Hochant la tête devant la qualité des objets, il marmonne des chiffres, puis se lève et va fouiller dans un autre placard. Enfin, il revient et dépose un joli tas de monnaie devant le voleur.
- Voilà pour toi. Ah, et au fait ! Tu sais, au lieu de donner ton argent à un logeur peu scrupuleux qui t'arnaquera dès que tu auras le dos tourné, tu aurais meilleur compte à accepter l'offre de Pèire. Et puis, tu sais, sa taverne vient juste d'ouvrir, il dormirait sans doute plus facilement avec l'assurance d'avoir un loyer régulier, même si ce n'est qu'une partie de ses revenus.
Les yeux plissés, Elland observe le cordonnier, qui garde un air détaché. Ils se sont ligués pour le convaincre de vivre à l'Hermine Affamée. Et ce satané bonhomme, en face de lui, sait parfaitement qu'en utilisant cet argument, il touche une corde sensible. Grognon, avec l'impression de s'être fait avoir, encore une fois, Elland empoche l'argent et se lève. Il marmonne un vague « J'y réfléchirai. Merci pour tout » et termine son verre. Le tintement de la clochette lui offre l'excuse idéale pour déguerpir, non sans avoir salué Thémus comme il se doit.
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Par Blanche. le 24 Février 2011 à 14:17
L'image n'est pas à moi. Cliquez sur ce lien pour découvrir le blog de la dessinatrice : link
Son chez-lui, sa tanière, son refuge est totalement vide. Ses meubles, ses habits, ses quelques possessions ont disparus. Ne reste que la poussière et quelques toiles d'araignées. Fébrile, il se précipite vers ses cachettes : la troisième brique en partant du milieu, à hauteur d'épaule, est amovible. Et en la retirant, Elland découvre avec soulagement que ses trésors sont toujours là. A la hâte, il s'en empare, les fourre pêle-mêle dans son balluchon, puis se précipite vers son autre planque : la planche juste avant le seuil de la porte. Et là encore, son butin est intact. Dernière cachette, sur l'une des poutres de la charpente, creusée par ses soins. Oui ! Toujours là !
Dans un geste dérisoire, Elland serre précieusement son balluchon contre son torse, et tourne lentement sur lui-même au milieu de son appartement vide. Il n'y a définitivement rien d'autre à récupérer.
Incapable de rester plus longtemps entre ces murs, il se glisse par la lucarne, douloureusement conscient que c'est sans doute la dernière fois qu'il peut le faire. Puis, accroupi sur le toit mitoyen, il contemple la ville sans vraiment la voir, plongé dans ses pensées. Il n'a plus rien. Certes, il lui reste des bijoux volés, qu'il pourra revendre. Mais il n'a plus de refuge. Il n'a plus de meubles, ni le moindre objet de la vie courante. Ils lui ont volé sa vie.
Le regard fuyant de la vieille lui revient soudain en mémoire, et enfin, il met le doigt sur le détail qui le dérange. Les gardes n'emmènent rien d'habitude, si ce n'est le suspect. Et les connaissant, ils n'ont pas dû passer beaucoup de temps à fouiller, sinon, ils auraient trouver son butin. Ils cherchaient un coureur de jupons, capable de pervertir cette innocente femme. Ils ne cherchaient pas un voleur. D'accord, pour chez lui, ils ont dû se faire avoir par les pièges, mais ils ne s'amuseraient certainement pas à descendre les meubles, même par vengeance. Pour en faire quoi de toutes façons ? Ils n'ont pas trouvé de preuves, et c'est tout ce qu'ils cherchaient.
Par contre, sa logeuse... apprenant que son locataire ne reviendrait pas, elle a dû faire appel à des connaissances qui sont venues piller chez lui, poser leurs sales pattes sur ses affaires, et les emmener contre quelques pièces d'argent. Et la vieille peau s'est empressée de trouver un nouveau locataire, avant même de s'assurer qu'il était bien condamné.
Un cri de rage s'étrangle dans sa gorge. Qu'elle soit maudite ! Qu'elle brûle en Enfer !!
Mais la fureur s'efface rapidement alors qu'il observe sa main. Il ne peut plus plier complètement ses doigts et il en sent à peine les extrémités. Quant à saisir un objet et le porter, c'est devenu complètement aléatoire : parfois, il y parvient, parfois l'objet lui échappe, comme s'il était aussi glissant qu'un poisson dans une rivière. Pourra-t-il seulement reprendre ses activités comme avant ?
L'arrivée d'Echidna interrompt le cours de ses pensées. Avec tendresse, elle vient frotter son museau contre épaule, et il réalise, hébété, que la nuit est déjà tombée depuis longtemps. Sa gargouille s'assoit tout contre lui, et il fait reposer son front contre sa peau rugueuse. Elle n'a pas besoin de lui parler pour le réconforter. Sa simple présence suffit à lui remonter le moral : il n'a peut-être plus grand chose, mais il l'a, elle. Et c'est bien le plus important. Pourtant, bien malgré lui, ses pensées dérivent et il fait une liste des objets qu'il a perdu. Il sait bien qu'il est inutile d'aller parler avec sa logeuse : même si elle lui disait à qui elle a vendu ses possessions, il ne pourrait jamais les récupérer. Et même si ça lui revient de droit … il est fatigué de lutter.
D'un mouvement doux et pourtant ferme, Echidna suspend ses réflexions et l'invite à grimper sur son dos. Il rechigne et bougonne, satisfait de se lamenter sur son sort. Mais il comprend rapidement : s'il est toujours là quand le soleil se lèvera, il sera coincé sur le toit. Le goujat qui occupera sa tanière empêchera tout passage par la lucarne et il serait suicidaire de redescendre par la façade. Seulement, dans sa situation, il a juste envie de rester là et d'attendre que ça se passe. Echidna se fait insistante, et il s'exécute. Son baluchon solidement noué autour de la taille, il passe les bras autour de son cou. D'un mouvement puissant, elle prend son envol et s'élève au dessus des toits. L'excitation habituelle du vol, voire la nausée, n'arrivent pas. Il reste totalement amorphe malgré les efforts de la gargouille pour lui procurer des sensations. Ils survolent les toits tellement bas que quelques tuiles se détachent et vont s'écraser bruyamment sur les pavés. Et ils frôlent la Grand Tour Célestis de si près qu'Elland manque d'être jeté à terre. Mais rien. Pas la moindre nausée, pas la moindre peur. Il se sent aussi vide que son appartement.
Echidna s'éloigne peu à peu de la ville, jusqu'à survoler les bois environnants. Lorsqu'elle se pose souplement sur le sol humide, il est assailli par l'odeur d'humus qui lui rappelle son séjour à la cascade. Les lieux sont sinistres, à peines éclairés par l'astre nocturne. De sa démarche si particulière, Echidna l'entraîne jusqu'à un monticule de rochers et le désigne d'un large mouvement de la tête. Il la regarde un moment sans comprendre, et soudain, tout s'éclaire : puisqu'il n'a plus de refuge, il doit dissimuler une partie de son butin ici. A l'aide d'une pierre tranchante, il creuse un trou profond et se défait d'une chemise, dans laquelle il plie soigneusement les bijoux des Clamadinis : ce sont les plus dangereux, et plus compromettants. Il ne garde que le médaillon où la femme lui sourit, ainsi que des bijoux plus anonymes. Demain, il ira voir Thémus pour se faire un peu d'argent. Immobile, les genoux sur la terre fraîchement remuée, il a l'impression d'enterrer sa vie.
C'est Echidna, encore, qui le tire de ses pensées moroses. Réalisant que la nuit vieillit, il agit. Ses biens soigneusement recouverts de terre, de cailloux et de feuilles, il remonte sur le dos d'Echidna. L'aube fait pâlir le ciel, il est temps de rentrer. Et si Elland ignore où aller pour dormir, sa complice n'hésite pas. En quelques minutes, ils se retrouvent dans la petite ruelle derrière l'Hermine Affamée.
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Par Blanche. le 11 Février 2011 à 13:07
Dès le lendemain, une confortable routine s'installe. Ménandre, fraîchement promu garde-malade, vient lui apporter son petit-déjeuner. Avec sa bonne humeur, et les ragots de la soirée, il l'aide involontairement à chasser les dernières traces de ses cauchemars. Le premier jour, il raccourci ses cheveux couleur nuit, devenus trop longs. Et avec mille précautions, passe la redoutable lame du rasoir sur sa barbe naissante.
Puis c'est le médecin qui vient pour changer les pansements, appliquer encore les onguents, vérifier la cicatrisation.
Il s'accorde une petite sieste après le déjeuner, mais même là, le Comain est présent, et il revit chaque instant passé en sa compagnie. Et c'est encore Ménandre qui l'aide à s'en extirper, en lui faisant faire des exercices. Théoliste l'a autorisé à se lever, mais il doit faire très attention car il a perdu beaucoup de forces. Le gamin, la mine concentrée et la voix docte, le guide et le soutient tout au long de sa convalescence. Chaque geste est douloureux, mais la perspective d'aller voir Echidna lui donne des ailes. Et quand ça ne suffit plus à repousser la douleur, c'est Ménandre qui, d'une simple phrase, le pousse à avancer : '' Encore un peu, Elland, allez, s'il te plait ! ''.
Le temps poursuit sa course. Ses plaies cicatrisent, sauf la longue coupure sur son avant-bras gauche, qui en fait presque toute la longueur. Malgré toute sa panoplie d'herbes, le médecin ne parvient pas à assainir la lésion et redoute l'infection. Sa main gauche a perdu beaucoup de sensibilité et en dépit de ses efforts, il ne parvient pas à récupérer ses facultés. Théoliste craint que les nerfs soient touchés, et le prépare doucement à l'idée qu'il ne pourra jamais plus s'en servir comme avant. Son genoux droit est plus douloureux, lui aussi, et le fait légèrement boiter. Là encore, le médecin est assez pessimiste : les sévices qu'il a subit ont profondément marqué sa chair, et son corps s'en souviendra toute sa vie.
Bien qu'ébranlé par ces nouvelles, Elland ne se laisse pas abattre. Il veut revoir sa gargouille. Il aura bien le temps de trouver des parades aux séquelles de sa rencontre avec le Comain.
Il use de toute sa force de persuasion pour convaincre le gamin de l'accompagner, à la nuit tombée, jusqu'à la porte arrière de la taverne. Ménandre, qui prend son rôle très au sérieux, craint qu'il nes'épuise, ou qu'il ne se blesse, et souhaite en parler d'abord à Pèire ou à Théoliste. Prenant alors un air de conspirateur, Elland lui propose un marché : s'il ne souffle mot à personne et l'aide, il pourra lui demander n'importe quel service en retour. En bon voleur, le gamin négocie durement les conditions, avant d'accepter. Et c'est avec la légère impression de s'être fait avoir qu'Elland le suit hors de la chambre.
Le couloir est désert, mais dans la salle commune résonnent rires et éclats de voix. Discrètement, et aussi rapidement que possible, ils descendent l'escalier de service jusqu'à la cuisine. C'est le coup de feu, et la cuisinière, une petite femme épaisse comme un fil de fer, se démène devant les fourneaux. Leur sortie passe inaperçue et ils se retrouvent rapidement dans la ruelle derrière la taverne. Seul un filet de lune, et une lanterne éloignée, dispensent un peu de lumière.
Ils n'attendent pas plus de cinq minutes dans l'air frais du soir avant qu'une lourde silhouette ne se pose devant eux.
La nuit s'est immobilisée autour d'eux et semble retenir son souffle. Les deux complices sont figés dans une contemplation silencieuse. Avec avidité, ils se scrutent mutuellement, cherchant à savoir comment va l'autre. Echidna n'a pas changé, elle est toujours aussi impressionnante, même si Elland, en toute subjectivité, la trouve magnifique. Seuls ses iris sombres ont gagné en gravité.
Puis tout semble se remettre en mouvement en même temps : au loin, un fracas laisse deviner une maladresse volumineuse. Le vent, d'une virevolte capricieuse, charrie jusqu'à eux le fumet des fourneaux de la taverne. Et Echidna, d'un bond puissant, se projette vers le voleur, s'arrêtant à quelques centimètres seulement de son corps fragile et meurtri.
Elle le renifle maintenant, s'attardant son genou, puis sur son avant-bras. Elle ne semble pas avide d'affection, plus préoccupée par les changements de son ami. La gorge nouée, Elland pense au pire : il est diminué, et le restera sans doute toute sa vie. Avec sa main gauche handicapée, pourra-t-il toujours la guider comme avant ? Avec son genou douloureux, tiendra-t-il toujours sur son dos, sans perdre l'équilibre ? Et elle... acceptera-t-elle un maître diminué ?
Son museau s'attarde sur le bandage qui orne son bras, se frottant dessus jusqu'à le faire grimacer.
- Arrête Echidna, tu me fais mal.
Elle lui jette un regard glacé, et poursuit de plus belle. Les larmes au bord des yeux, Elland défait le bandage pour lui montrer la blessure. Elle souhaite sans doute constater par elle-même l'étendue des dégâts, avant de prendre la décision de l'accepter à nouveau comme partenaire. L'entaille est profonde, boursouflée et brûlante. Echidna la renifle longuement, avant de river ses yeux dans ceux, désespérés, du voleur. Ses iris rougeoient de colère.
Puis sa langue râpeuse parcourt la longueur de sa plaie, encore et encore. La douleur lancinante est insupportable, et envoie des ondes jusqu'à son cœur, qui s'affole. Il chancèle sur ses jambes, et Ménandre vient à sa rescousse pour l'accompagner dans sa chute.
Elland reste assis sur les pavés froids et humides, mortifié par la honte, paralysé par la douleur. Echidna cesse alors de lécher sa plaie, et vient poser sa tête massive sur l'épaule du voleur. Il replie son bras blessé contre son torse, dans un geste dérisoire de protection, et passe son bras valide autour du cou de sa complice. Un sentiment d'affection puissant émane de la gargouille, mêlé au soulagement et à la joie. Elle l'aime toujours, et il a la certitude qu'elle l'aimerait quoiqu'il arrive. Qu'importe les séquelles, ils sont partenaires. Le visage enfoui dans son cou, il laisse libre cours aux émotions qui le bouleversent. Jusqu'à ce que ...
- Qu'est ce qu'il se passe ici ?
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