• La forêt

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    Les feuilles dorées du charme s'agitent paresseusement au gré du vent, se laissant parfois emporter par sa danse erratique. Un écureuil, curieux, observe l'étrange rituel qui a lieu quelques mètres plus bas. Quelques branches plus loin, un rouge-gorge encourage le travailleur en chantant à tue-tête.

    Une omelette au lard. Une énorme omelette, bien baveuse, du lard grillé, et de croustillantes pommes de terre. Son estomac grogne en signe de protestation alors qu'il imagine le dîner qu'il va préparer ce soir. La hâche s'abat à intervalles réguliers sur le tronc, s'enfonçant toujours plus loin, faisant vaciller le chêne colossal. Ash l'observe de son regard impassible.

    Emmanuel, vêtu d'une épaisse chemise en flanelle, d'une solide paire de Jean's et de bottes de sécurité, ahane au rythme des coups. Il a dégagé autour de lui les branches mortes, les ronces, les arbustes et les grosses pierres afin de diminuer au maximum les risques. L'arme s'élève une ultime fois dans les airs, provoquant un vacillement plus tangible. Emmanuel se met en sécurité vers Ash, et observe : le géant titube, oscille, chancèle, et fini par s'écraser au sol dans un fracas de branches brisées. Exactement à l'endroit prévu.

    Le calme revient sur la forêt et l'enveloppe de son aura rassurante. Reprenant doucement son souffle, Emmanuel murmure quelques mots d'accompagnement. Bien qu'il ne l'avouerait pour rien au monde, il remercie toujours la forêt de lui avoir donné un arbre. Aux odeurs d'humus, de mousse et de bois mort s'ajoute désormais celle d'un arbre fraîchement coupé. Le rouge-gorge a repris son chant. Un bruissement dans les feuilles mortes indique la présence d'un quadrupède dans les environs. Ash secoue la tête, avant d'hennir doucement. Pas le temps de bâiller aux corneilles, lui aussi a faim.

    Le jeune bûcheron passe une main calleuse dans ses cheveux ras et se remet en mouvement. Habillement, il ébranche le tronc pour faciliter le travail de son compagnon, puis il place les chaînes autour de l'écorce rugueuse. Il appelle son cheval d'un claquement de langue. Sur l'étroit sentier escarpé, la force et l'agilité du cheval sont les plus adaptés pour déplacer les coupes. La pente légère l'aide alors que ces sabots massifs s'enfoncent dans le sol humide.

    Le crépuscule est déjà tombé, et le nuage de fumée blanche qui se forme à chacun de ses respirations indique à Emmanuel que la nuit sera froide. Très froide. La clairière se dessine enfin au bout du passage, trouée verdoyante cernée par les feuillus imposants. Comme toujours, il contemple de son regard saphir l'abri composé de rondins de frêne, de chaume et percé de deux minuscules fenêtres. Son refuge, cinq jours par semaine. Non loin, les quatre troncs de chênes et de hêtres qu'il a abattu depuis le début de la semaine.

    Ash, son cheval de trait Ardennais à la robe grise, traîne docilement le tronc jusqu'aux autres. Le dételer et enlever les chaînes ne prend qu'une vingtaine de minutes, habitude oblige. Malgré sa faim et ses muscles perclus de douleurs, Emmanuel s'occupe d'abord d'Ash. Tout en lui murmurant des remerciements, il le brosse longuement et insiste particulièrement sur ses fanons noirs, de longs poils qui recouvrent ses sabots et qui récupèrent toutes les herbes sèches de la forêt. Puis il va chercher de l'eau fraîche au puits, qu'il rapporte en même temps qu'un sac d'avoine. Il n'a pas besoin de longe, Ash le suit avec entrain jusqu'à la stalle où il passera la nuit. Comme autrefois, cette pièce est directement reliée à la pièce principale de l'abri grâce à une large ouverture dans le mur, pour qu'ils partagent leur chaleur.

    Son compagnon nourri, Emmanuel ressort et va puiser l'eau dont il aura besoin ce soir. Un ululement sinistre résonne dans le ciel obscurci : la nuit est là. Hâtant le pas, il rentre dans son refuge, ferme la porte, et allume, à l'aide de son briquet, les quelques bougies qui parsèment la pièce : l'électricité ne vient pas plus jusque là que l'eau courante.
    Alors qu'il s'affaire à son dîner, il fait le point : il a abattu suffisamment d'arbres pour la semaine. Demain, il ira nettoyer les ronces, sécuriser les arbres malades et sélectionner ceux qui remplaceront le chêne abattu aujourd'hui. Après-demain, avec un pincement au cœur, il retournera à la civilisation le temps du week-end.

    L'odeur de bois du refuge est remplacée progressivement par celle de la nourriture. Le murmure de la vie diurne s'est éteint. Seul subsiste le bruissement des feuilles, et de temps à autres, le cri menaçant des rapaces nocturnes en chasse.

    Assis derrière la fenêtre, il savoure son dîner amplement mérité en observant la forêt qui l'entoure. C'est dangereux d'abattre les arbres seul mais trop peu de personnes souhaitent cette vie de solitude. Et de difficulté, car il faut bien reconnaître qu'il est moins aisé d'utiliser une hâche et un cheval qu'une tronçonneuse et un tracteur. Mais c'est le meilleur moyen pour préserver la faune et la flore. Raisonnée, c'est ainsi que doit être la sylviculture : préserver et entretenir les espaces, en sélectionnant rigoureusement les coupes.

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