• Les bonbons

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    - Monsieur est servi.

    Je m’inclinai bien bas, et le morveux n’eut, à aucun moment, conscience de l’ironie acerbe du ton employé. C’était l’heure du goûter, et comme tous les jours, je lui apportais sur un plateau plusieurs bols de fraises Tadada, de rouleaux de réglisse, de Aimehénnemesse, de Cariboo, de reptiles en gelée, et toute sortes de friandises qui allaient lui pourrir les dents avant sa majorité. Après tout, il l’avait bien mérité.

    En fait, mes ennuis avaient commencé bien plus tôt. Après des siècles et des siècles de loyaux services, le sort, dans toute son ironie, m’avait enfermé dans un œuf jaune en plastique, de ceux entourés de chocolat en forme ovale. Et j’avais passé des mois, qui ressemblèrent à des années, à attendre que quelqu’un daigne ouvrir ce satané œuf, que je puisse exhausser les vœux, et aller me la couler douce sous le soleil des Tropiques. Parce qu’une lampe à huile, bien que démodée, est bien plus confortable qu’un œuf en plastique qui tient dans la main d’un mioche. Parole de Génie !

    Bon, évidemment, je m’attendais à tomber sur un enfant, même si certains adultes consomment ce genre de … choses. Mais je ne m’attendais à pas ce genre d’enfant ! Malin comme un singe, avec des grands yeux mouillés, plein de boucles dorées de partout, il avait souhaité, dans toute son innocence, que je pourvoie à ses désirs jusqu’à ce qu’il soit adulte. Et que je lui serve uniquement des sucreries en guise de repas. Un souhait est un souhait, quel qu’il soit, et je n’avais rien pu faire. Ah ça, pour sûr, ils s’étaient bien marré, dans la confrérie des génies, en apprenant le terrible sort qui m’était réservé. Des générations entières de génies qui se gaussaient de moi, à travers les articles dénigrants de la Géniale Gazette…

    Mais je tenais à présent ma revanche. Le mioche blêmit en voyant les friandises, et il me jeta un regard emprunt de supplications. J’esquissais un sourire compatissant, totalement factice. Deux mois qu’il ne mangeait plus que du sucre sous n’importe quelle forme, en alternance avec du chocolat. Il avait enflé comme un ballon de baudruche, et je n’attendais plus que le moment où il utiliserait son dernier souhait pour que toute cette comédie cesse. Il mangea, déglutit bruyamment, et s’aida d’un verre de lait pour terminer sa bouchée. Sans aucune honte, je me délectais du spectacle. Des quantités invraisemblables de sucreries qu’il ingurgitait, sans répit, car même si la simple vision de ces douceurs lui coupait l’appétit, il était pris à son propre piège : ce serait sa seule nourriture, et ce, à tous les repas.

    Je savais bien que tous les enfants aimaient les friandises, mais, dans ma grande sagesse, j’avais appris au fil des années que c’est la rareté qui rend les biens si précieux. Qu’une fraise Tadada de temps en temps était délicieuse, mais que tous les jours, elle en devenait écœurante. J’étais persuadé qu’il en venait même à regretter les légumes. S’il était heureux au début, il en vint à craindre mes venues, et ce jour-là, il poussa un soupir à fendre le cœur, avant de me demander :

    - Tu peux pas m’apporter autre chose ?
    - Non, mon petit, j’exhausse ton vœu…
    - J’en ai marre de manger des sucreries.
    - Alors utilise ton dernier vœu pour y remédier.


    Il n’hésita pas longtemps, et d’une voix docte, il me dit :

    - Mon souhait, c’est que tu arrêtes de me servir.

    Mon sourire se fit plus large, et je m’inclinai une ultime fois. Se féliciter d’avoir appris à un enfant qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, et que c’est dans la modération qu’on trouve le plaisir, n’était vraiment pas mon genre, mais je le fis quand même. Et je chaussais mes lunettes de soleil, car une fois les trois vœux formulés, je fus directement propulsé sur une plage de sable fin, pour des vacances bien méritées. Si seulement ça pouvait durer pour toujours …

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  • Commentaires

    2
    Nathaniel
    Mercredi 3 Juillet 2013 à 15:00
    Nathaniel

    Texte très amusant et très agréable à lire :)

    Assez original le génie dans un Kinder :P

    Cependant, j'aurais trouvé assez drôle que l'enfant réussisse à trouver un autre moyen afin de piéger le génie, en utilisant son dernier souhait =° Au final, j'ai presque l'impression que l'histoire se termine trop vite.

    Rien à dire sur la qualité d'écriture, comme d'hab' ;)

    1
    Lundi 8 Novembre 2010 à 18:53

    Bonsoir!
    Bon j'viens de lire et franchement j'adore le texte. La morale est intéressente et pis comme d'habitude y'a pas de faute et de la description à volonté. Eum sinon j'aime pas trop le gamin et le génie encore moins, sûrement dû à leurs caractères ^^

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