• Rivemorte, Chap.1

    Ma meilleure amie ayant beaucoup aimé l'un de mes textes, elle m'a conseillé d'en faire une suite. J'ai pris le temps d'y réfléchir, de voir ce que je pourrais en faire, et j'ai fini par me décider. Je remets ici la première partie, issue d'un duel à la plume, afin de se remettre dans le contexte.

     

    Les jappements hargneux des chiens percent violemment la nuit. Aussitôt les cris de leurs maitres, les gardes de la ville, viennent compléter le vacarme nocturne. Puis ce sont les volets qui claquent contre les murs, actionnés par quelques habitants curieux, qui achèvent de rompre le calme. Et au milieu, à peine perceptible, le halètement rauque d'Elland, qui court à perdre haleine, comme s'il avait une cohorte de démons à ses trousses. Ce qui est d'ailleurs le cas.

    L'introduction discrète chez l'une des plus riches marchands de la ville s'est parfaitement déroulée. Trouver et forcer son coffre fort, aucune anicroche. Glisser sans bruit l'argent et les bijoux dans les nombreuses poches secrètes dissimulées dans sa chemise épaisse, aucun soucis. Repartir tout aussi discrètement sans se faire repérer... problème.

    Étrangement, les gardes en charge de la sécurité des plus riches avaient plutôt mal pris sa petite visite. Et ils avaient lâché leurs molosses, s'élançant à leur suite, afin de rattraper l'intrus, et de lui faire passer toute envie de revenir, définitivement si possible. Alors si Elland court avec tant de vigueur, ce n'est pas uniquement pour entretenir sa forme. Tout ça à cause d'une malheureuse ombrelle qui trainait dans l'embrasement d'une porte. Fichue babiole !

    Ses longs cheveux noirs fouettent son dos, comme un funeste présage de ce qui l'attend s'ils le rattrapent. A moins que le mouchoir noué autour du bas de son visage les empêche de le reconnaître. Mais pour ça, il faudrait qu'ils échouent toute capture. Elland s'enfonce dans les ruelles sombres, guidé par son instinct. Droite, gauche, droite, droite, gauche, droite. Les molosses sont toujours derrière lui, il les entend, il les sent, même s'il gagne peu à peu du terrain. Il est en train de se perdre dans le dédale, toujours plus sombre, toujours plus glauque, de la vieille ville.

    Et soudain, plus de détritus au sol, ni d'odeur putride. Un vaste patio s'ouvre devant lui, au jardin impeccablement tenu, éclairé par une myriade de torches accrochées contre les piliers des arcades qui l'entourent. Tout n'est que sérénité en ce lieu. Les yeux fièvreux, Elland s'immobilise, gêné de surgir ainsi, et de souiller le patio de sa présence. Où est-il ? Chez quel noble personne se trouve-t-il ? Mais le souvenir des chiens, bien trop présent dans sa mémoire, le fait à nouveau s'avancer et renoncer à toute curiosité. Il ne les entend plus, mais il sait bien qu'ils sont sur sa piste, et que ce n'est qu'une question de temps avant qu'ils n'apparaissent ici. Silencieux comme la mort, il marche lentement jusqu'au centre du jardin. Une mare se discerne dans l'obscurité, et le chant des grenouilles berce la nuit. Tout autour, d'imposantes silhouettes se massent, comme pour protéger les lieux, perchées sur des blocs de pierre. Des gargouilles ! Elland s'approche, et soupire de soulagement. Au milieu des corps trapus, à l'épaisse peau graniteuse, il a reconnu Echidna. Elle est venue !! D'un pas étonnamment léger, elle rompt le rang, saute de son perchoir et s'approche de lui, avant de glisser sa tête massive contre sa main.

    - Echidna ! Je savais que je pouvais compter sur toi. Nous devons fuir, au plus vite !

    Aussitôt, la gargouille se positionne, et il monte sur son dos d'un geste souple. Sans plus attendre, elle déploie ses ailes, et d'une puissante poussée sur ses pattes postérieures, prend son envol. A l'instant même où les chiens des gardes entrent dans le patio. Elland prend rapidement de l'altitude, presque à la verticale, avant de survoler les toits. Les jappements s'éloignent, et les cris des gardes prennent de l'ampleur. Malgré lui, il enfonce ses ongles dans la peau rugueuse d'Echidna, contre-coup de la peur. Et oui, malgré les années de pratique, il a toujours un peu le vertige. Juste un peu. Dans un grognement sourd, la gargouille lui ordonne de se calmer. Alors il tente de profiter de la vision des toits faiblement éclairés par la lune, et de savourer sa chère liberté intacte. Mais c'est sans compter sa facétieuse monture. Les ailes déployées, Echidna se laisse porter par les courants d'air froid, rasant parfois les toits ou les plus hauts bâtiments, s'amusant visiblement des gémissements de son passager.

    Elle plonge soudainement, droit sur une terrasse, avant de se redresser d'un puissant mouvement d'ailes, laissant Elland le coeur au bord des lèvres. Ce qui pourrait être interprété comme un ricanement guttural se fait entendre, et la gargouille continue de plus belle à slalomer entre les obstacles, lui faisant même frôler du pied le calendrier solaire de la Grand Tour Celestis. Et lorsqu'elle se pose enfin sur un toit en pente légère, le voleur n'y tient plus, et répand le contenu de son estomac sur les tuiles d'ardoise. Echidna le toise, moqueuse, avant de lui tourner ostensiblement le dos.
    Pâle comme un linge, Elland murmure :


    - Oui, je sais. Tu détestes quand je me sers de toi pour m'enfuir. Mais je n'avais vraiment pas le choix, tu sais.

    Mais elle ne semble rien vouloir entendre, reprend son envol, pour aller se poser à l'angle du bâtiment et scrute la rue déserte. Maussade et humilié, il se glisse par la lucarne et saute souplement dans sa modeste chambre. Il éclaire une bougie, et dépose son butin sur la paillasse qui lui sert de lit.
    Maudites gargouilles ! Le secret de leur apprivoisement est  jalousement gardé par la guilde des voleurs et des assassins, car elles représentent un atout bien trop précieux pour le partager. Mais si elles peuvent se dissimuler à merveille dans la ville, et offrent un moyen de transport idéal, surtout en cas de fuite, elles s'avèrent être des compagnons pour le moins … compliqués à gérer. Moqueuses, facétieuses, caractérielles. Voilà comment il les qualifierait, s'il osait. Mais il ne sait que trop à quel point elles sont essentielles à leurs survies. Et puis, c'est sa plus fidèle compagne, celle qui ne le trahira jamais. Un mouvement à la lucarne interrompt ses pensées, et le calcul de sa nouvelle richesse. Echidna, venue se faire pardonner. Alors il caresse son museau, seule partie de son corps qui peu passer par l'ouverture, avant d'y poser un baiser.


    - Merci.

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  • Commentaires

    3
    La châtain
    Mercredi 3 Juillet 2013 à 15:00

    Très bien écrit. J'aime bien. Bravo

    2
    Dimanche 16 Janvier 2011 à 21:45
    Blanche

    Pas de soucis, tu as aussi tes occupations ;)

    1
    Dimanche 16 Janvier 2011 à 19:13
    Anémone

    C'est un début qui incite à lire la suite, ça c'est sûr! ^^

    Aussi vais-je directement passer au chapitre deux!

    Au fait, désolée de ne pas m'être manifestée plus tôt alors que tu viens régulièrement sur mon blog... Mais là, j'ai le temps de me mettre à la lecture, alors j'en profite!

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