• Rivemorte, Chap.18

    Rivemorte, Chap.18

     
    Dès lors, leurs journées sont rythmées par de longues ballades en forêt, cadre propice aux confidences pour Ménandre. Même Elland, oubliant l'âge du garçon, se livre parfois, cédant à l'apaisement qu'offre la confiance. Et lorsque les mots se font rares, ils s'entraînent pendant de longues heures au maniement d'épées et de dagues en bois. Ménandre est un élève très doué, qui avait déjà de l'expérience. Sa petite taille lui est très utile et il est particulièrement agile. Mais si Elland est son professeur pour les armes, c'est le gamin qui l'aide à progresser dans l'art difficile du vol à la tire.
    Les soirées et les nuits sont consacrées à Echidna. Ils volent de longues heures autour du repaire, allant parfois jusqu'au bout de la forêt, où l'on peut apercevoir, lorsque le ciel est clair et la lune resplendissante, de petits villages nichés au creux de la vallée. La potion offerte par Pèire leur a ouvert des nouveaux horizons. Désormais Elland connait mieux sa gargouille, et il n'hésite plus à se livrer à elle. Il l'interroge aussi, sur ce qu'elle ressent et ce qu'elle souhaite. Et même si elle ne parle pas, ni dans son esprit ni à voix haute, il la comprend parfaitement.

    Il fuit Isaïde comme la peste. Elle a réussi à le coincer plusieurs fois, et le voleur se demande sérieusement si elle ne serait pas un suppôt de Satan : systématiquement, elle le surprend dans une situation délicate. Comme la fois où il a déchiré un pantalon en voulant l'étendre sur une belle branche haute. Belle, certes, mais fragile. Trop fragile pour supporter son poids lorsqu'il a voulu y accrocher son linge.
    Elle a réussi à le surprendre également lorsqu'à peine sorti du lac, nu comme le jour de sa naissance, frigorifié, il essayait d'enfiler sa chemise. Sa peau humide avait pris en otage l'arrière du vêtement, et le premier bouton, sadiquement fermé, l'empêchait de passer la tête. La voix moqueuse de la fille de joie lui avait proposé de le soustraire au terrible péril qu'il courrait. Quant aux autres cas, Elland préfère ne pas y penser.
    Les repas sont pris en commun, bien qu'Elland reste la plupart du temps silencieux. Il ne s'efforce pas de connaître les autres. Même s'ils sont tous des hors-la-loi, et qu'ils devraient avoir des affinités, il n'arrive pas à leur faire confiance. Et il n'aime pas s'immiscer dans un groupe déjà formé.

    Les jours s'écoulent lentement, bercés par ces quelques activités qui ne satisfont pas pour autant le voleur, qui trépigne d'impatience. Depuis le temps, les gardes devraient s'être fait une raison, et avoir abandonné leurs recherches. Il se surprend souvent à songer à son retour à Rivemorte. Aller chez lui, d'abord, pour s'assurer que rien n'a bougé et mettre les bijoux, qu'il porte constamment sur lui, en sécurité dans leur cachette habituelle. Après, aller saluer la jeune drapière. Peut-être même lui offrir une jolie brioche encore tiède. Et puis, se rendre à l'Hermine Affamée, manger un bon ragoût bien chaud. Ensuite, aller voir Thémus, s'assurer qu'il va bien, et prendre des nouvelles des arrestations.

    Lorsqu'ils rentrent à la grotte, ce soir-là, un terrible vacarme couvre presque le tumulte de la cascade. Les hors-la-loi sont rassemblés dans le couloir principal. Passant un bras autour des épaules de Ménandre, pour le protéger en cas de besoin, Elland s'avance au milieu de la foule. Des grondements sourds proviennent de la salle des gargouilles. Inquiet pour Echidna, Elland joue des coudes pour voir ce qu'il se passe. Pèire, en première ligne, est totalement impuissant et s'agite vainement. Dans la caverne, un indescriptible chaos règne. C'est une mêlée de crocs, de griffes, d'ailes et de prunelles rougeoyantes. Le combat est titanesque, toutes en ont pris part. Incapable d'y mettre un terme, Pèire marmonne des « trop de promiscuité », « ne supportent plus l'enfermement », « j'aurais dû trouver une ville sûre ». A la veine qui pulse sur son front, Elland devine qu'il essaie, par télépathie, de mettre un terme à la bagarre, en vain. Un inconscient fend la foule de badauds et s'approche des gargouilles. Qu'espère-t-il bien faire, face à ces monstres furieux ? Leur tapoter sur l'épaule et leur demander poliment d'arrêter ? Il s'approche trop près et ignore les mises en gardes de Pèire. Une énorme paire de crocs acérés lui frôle le coude, manquant de lui arracher le bras. Il semble alors seulement prendre conscience du danger et se recule précipitamment.


    - Elles sont déchaînées. N'essayez pas de les approcher, elles ne vous reconnaitront pas, les prévient Pèire.

    Pétrifié par la surprise et la peur, Elland cherche Echidna dans la masse. Il aperçoit, le temps d'un clignement d'œil, une corne familière, qui disparaît rapidement dans la mêlée. Les grognements font trembler la roche. Parfois, l'une d'entre elle se voit propulsée hors du champ de bataille et s'écrase lourdement contre la paroi. Aussitôt, elle retourne au combat, griffes et cornes en avant. Qu'a-t-il bien pu se passer pour qu'elles en arrivent là ? Comment les séparer ? Quand des chiens se battent, des coups de bâton ou des seaux d'eau parviennent à les séparer. Mais là ? Elles ne s'apercevront même pas qu'ils tentent de mettre un terme à la bagarre...
    Blotti contre Elland, le gamin tremble de peur. Tous les visages sont graves et reflètent l'impuissance qu'ils ressentent. Comment arrêter une douzaine de gargouilles enragées qui se battent comme des chiffonniers ?
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