• Rivemorte, Chap.25

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    - Il suffit. Mettez-le sur la chaise.

    La voix a fendu l'air comme un coup de fouet et les deux hommes obéissent immédiatement. Sans douceur, ils le traînent jusqu'au siège et tandis que l'un le plaque solidement contre le dossier, la matraque passée sous la gorge, l'étouffant à moitié, l'autre attache solidement ses avant-bras et ses tibias. Les liens se multiplient et le contraignent de plus en plus. Désormais certains qu'il ne bougera pas, ils se retirent sans un mot.

    Elland observe le nouveau venu tout en essayant de reprendre son souffle et d'oublier les douleurs qui l'assaillent. Il est petit, sec comme un coup de trique. Nerveux. Ses cheveux grisonnants, son visage taillé à la serpe, son nez aquilin, tout est sévère en lui. Et c'est sans parler de ses yeux d'un bleu glacial, qui semblent vouloir transpercer Elland pour en arracher jusqu'au dernier aveu. Conscient d'être en présence d'une personne importante, Elland se garde bien de piper mot.


    - Plus vite tu avoueras, moins tu souffriras.
    - Avouer quoi ? Je suis innocent !
    - Ils disent tous ça. Et puis, ils finissent par avouer. Tous.

    Une panique innommable le fait trembler entre ses liens. Il n'imagine que trop bien comment les prisonniers en viennent à avouer tout et n'importe quoi pourvu que la torture cesse. L'homme tourne autour de lui, comme un oiseau de proie qui voudrait hypnotiser sa victime. Il reprend, impassible, indifférent à la terreur visible du prisonnier :

    - Tu ressembles parfaitement à la description pourtant. Grand, aux cheveux foncés.
    - Mais il y a des milliers d'hommes qui ressemblent à cette description à Rivemorte !
    - Peut-être. Mais c'est toi le coupable.
    - Coupable de quoi ?
    - D'avoir séduit la femme du Tallent. D'avoir accompli l'acte de chair avec elle. De l'avoir forcé à l'adultère. Et enfin, de l'avoir traitée comme une fille de joie.

    A mesure que les accusations fusent, la stupéfaction grandit en lui. La femme du Tallent, pitié ! Cet homme est certes le principal bras droit du gouverneur, mais il n'en demeure pas moins que son épouse est vieille et pas franchement gâtée par la nature.
    Malgré la terreur qui grandit en lui, il ressent un certain soulagement. C'est en toute sincérité qu'il pourra clamer son innocence. Mais il doit trouver des arguments convaincants. Avec la force du désespoir, il affirme :


    - C'est impossible !
    - Ah bon ? Et pourquoi donc ?
    - A quand remontent les faits ?
    - Tu le sais très bien. C'était il y a une semaine.
    - Je n'étais pas à Rivemorte il y a une semaine. Je ne suis rentré qu'aujourd'hui.
    - Quelqu'un peut le prouver ?
    - Et bien...

    Les méninges du voleur s'emballent, comme la roue d'un moulin à eau pendant les crues. Il doit trouver un alibi parfait. Thémus ! Thémus pourrait certifier qu'il n'était pas là pendant un mois ! Mais... braquer l'attention des forces de l'ordre sur lui n'est pas franchement une bonne idée, même s'il sait se faire discret dans son commerce. Jamais plus il ne pourrait se regarder en face s'il mène le cordonnier à la torture. L'homme se place face à lui et sourit, certain de l'avoir piégé. Il enfonce le clou en demandant, mielleux :

    - Les gardes aux portes de la ville t'ont vu entré et sortir ?
    - Je ne crois pas non... il y avait beaucoup de passage.
    - Où étais-tu ?

    Là encore, Elland reste muet. Echidna, en volant, lui permet d'éviter les contrôles aux portes de la ville, et pour la première fois depuis leur complicité, ce formidable atout se révèle être un sérieux problème. Sans compter qu'il ne peut pas franchement dire qu'il s'était réfugié dans les grottes pour échapper à la milice. Il prend une grande respiration et débite :


    - J'étais à Fiermont. En visite chez des cousins. J'y suis resté quinze jours, comme je ne les vois qu'une fois l'an.
    - Fiermont ? Donne-moi leurs noms, que j'envoie quelqu'un vérifier.

    Le voleur s'exécute en essayant de réduire le tremblement de sa voix. Le temps qu'ils aillent jusqu'à Fiermont et réalisent que les frères Vaunalle n'existent pas, il aura trouvé quelque chose pour se tirer de ce mauvais pas. Peut-être même que ses geôliers lui ficheront la paix pendant ce temps. Mais en quelques mots, son vis-à-vis réduit à néant ses illusions :

    - Tu es coupable, je le sais. Et je ne veux pas perdre de temps à courir après les fausses pistes que tu lances. N'espère pas bénéficier du moindre répit.

    L'homme, un sourire sinistre aux lèvres, se glisse à nouveau dans son dos. Il passe une corde dans les petites percées du bois, à hauteur du cou d'Elland. Et lentement, il resserre la prise, l'étranglant à petit feu. Malgré ses liens, un geste instinctif lui fait agiter les mains, pour les porter à sa gorge, pour enlever le cordon qui le prive peu à peu d'air. Mais ses mains restent solidement plaquées sur les accoudoirs. La bouche grande ouverte, les yeux exorbités, il tente d'inspirer. L'homme resserre encore la corde, et toute son âme se débat. Son corps est parfaitement immobilisé, mais pas sa conscience, ni sa panique. Totalement impuissant, il perd pied, cède à la panique. Des tâches sombres dansent devant ses yeux et ses poumons le brûlent atrocement. L'homme se penche à son oreille, sans relâcher sa prise, et sussure :

    - Tu es coupable. Et tu avoueras.

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