• Rivemorte, Chap.28

    Il fait nuit lorsqu'il ouvre à nouveau les yeux. Seul un brasero posé sur la petite table dispense de la lumière dans la chambre. Ménandre est encore là, mais cette fois, il le regarde avec ses grands yeux trop graves pour son âge. Et c'est tout son visage qui s'illumine de joie lorsqu'il constate le réveil du voleur.
    Aussitôt, il se précipite et porte aux lèvres d'Elland un bol, rempli d'un liquide délicieux. Avec des geste habiles, il l'aide à boire doucement puis repose le récipient près du lit. Assis sur le rebord du matelas, la mine sérieuse, il lui demande :


    - Comment tu te sens ?
    - Viens là.

    D'un geste, Elland désigne le drap, et Ménandre s'allonge à ses côtés sans hésiter. La joue contre le crâne du gamin, Elland le serre contre lui et murmure « J'ai bien cru que je ne te ne reverrai jamais ». Ménandre reste silencieux, mais se rapproche un peu plus, tout en prenant garde à ses blessures. Après les souffrances passées, Elland savoure cette étreinte tendre et chaleureuse pendant de longues minutes avant de déclarer dans un chuchotement rauque :

    - C'est meoi qui devait t'aider... pas l'inverse.
    - Ben là, c'est toi qu'avait besoin. Et pis, j'ai pas fait grand chose.

    Les larmes remplissent soudain les yeux du voleur et courent le long de ses joues sans qu'il ne puisse rien y faire. Les mots lui manquent pour exprimer son soulagement, sa joie et sa reconnaissance. L'émotion forme une boule dans sa gorge, qui l'empêche de dire quoique ce soit. Si Ménandre remarque quelque chose, il ne fait aucune réflexion et lui laisse le temps de se reprendre avec un tact bienvenu. Lorsqu'Elland s'en estime capable, il demande, de sa voix éraillée :

    - Où sommes-nous ?
    - A l'Hermine Affamée.
    - Mais... elle est fermée.
    - Plus maintenant. Pèire l'a rachetée. Parce qu'un tavernier sans taverne, ça fait désordre, tu comprends ?
    - Pèire est ici alors ?
    - Oui. Et il m'a embauché !
    - Vraiment ? Tu fais quoi ?
    - Ben, il dit que je lui sers de petite main. Mais elles ne sont pas si petites que ça, mes mains ! Je l'aide à préparer à manger, et à nettoyer les chambres aussi. Et puis, je l'aide pour faire le ménage. Mais il ne veut pas que je fasse le service avec lui, il dit que c'est trop dangereux pour moi.
    - Alors, tu restes avec lui ?
    - Oui. Comme je travaille, il m'a donné une petite chambre, rien que pour moi, tu te rends compte ? Et je peux même manger autant que je veux !

    En observant mieux le gamin, un sourire attendri aux lèvres, Elland constate qu'en effet, il a pris un peu de poids. Rassuré, il se promet de remercier Pèire pour avoir pris soin de Ménandre. Une question lui taraude encore l'esprit, mais ses paupières sont si lourdes...

    Il est de retour dans la salle du Comain, ligoté à la longue table de bois. L'homme, au visage si sévère, est penché sur lui et sourit. Il sourit de toutes ses dents, comme s'il se délectait de la situation. Il tient amoureusement un long couteau de la main droite. Sa main gauche, glacée, s'est posée sur son flanc. Lentement, la lame s'approche de sa peau, l'effleure, le...

    Il se réveille en sursaut, couvert de sueur. Un homme est penché sur lui, une main glacée sur son flanc. Mais ce n'est pas le Comain. Un nez imposant, des joues bien rebondies, des yeux rieurs : tout en lui respire la joie de vivre. D'aucuns diraient qu'il est bon vivant, eu égard à sa fière bedaine qui fait bailler sa chemise blanche, et il se dégage de lui une telle aura de bienveillance qu'Elland se sent immédiatement en sécurité.
    La couverture est rabattue à hauteur de ses hanches, et dévoile une myriade de pansements de toutes tailles et de toutes formes. L'homme cesse de le palper pour l'interroger :


    - Ah ! Te voilà enfin réveillé, jeune homme ! Comment te sens-tu ?
    - J'ai mal.

    L'homme replet hoche doucement la tête, le sourire disparu, puis s'agite soudain. Il trottine jusqu'à la petite table où est posée une sacoche. Marmonnant pour lui-même, il en sort de nombreuses fioles. Dans un bol, il verse l'eau chaude contenue dans la bouilloire et y jette des feuilles et des pétales de fleur. Perplexe, Elland l'observe sans un mot. Puis les bras chargés, l'homme revient vers le convalescent :


    - Alors. Je vais d'abord te faire boire une infusion de coriandre et de pavot, pour apaiser la douleur.

    Avisant l'air méfiant du voleur, il lui apprend qu'il s'appelle Théoliste, et qu'il est médecin. Enfin, presque. Il n'a pas le droit d'exercer, car il faut avoir des appuis pour ce faire, mais il a l'habitude de soigner les plus démunis. Il lui explique que c'est Thémus qui l'a envoyé, et lui parle avec un air gourmand de l'hydromel qu'il va, parfois, boire chez lui.
    Tout en palabrant, il dépose précautionneusement les fioles sur le tabouret proche du lit. Rassuré par la simple mention du nom du cordonnier, Elland ne peut qu'acquiescer lorsque le presque-médecin lui propose à nouveau l'infusion. Alors avec précaution, il l'aide à se redresser, puis le fait boire à petites gorgées. Ensuite, il l''allonge à nouveau, bien calé sur les oreillers. Avec des gestes précis, il défait les bandages, lave les plaies avec une décoction d'absinthe, y applique des compresses de calendula pour les désinfecter et en améliorer la cicatrisation. Il appose des cataplasmes d'acanthe sur les brûlures et de la crème d'immortelle pour les hématomes.
    Il ne cesse de parler, pour expliquer les bienfaits des plantes, la compositions de ces remèdes, comme s'il cherchait encore à faire ses preuves. A demi-mot, il avoue à son patient qu'il a sérieusement craint pour sa vie car les plaies sont nombreuses et beaucoup étaient infectées. Elland souffre également de malnutrition et de déshydratation. Ménandre est d'ailleurs chargé de le faire boire abondamment. Pour le reste, Théoliste ne peut que lui conseiller de se reposer, longtemps, et de se ménager.

    Une fois pansé, le presque-médecin le recouvre de la couverture, le borde avec soin, puis s'affaire à ranger ses affaires. Déjà, les divers soins qu'il a effectués apaisent la douleur lancinante qui pulse de toute part. Le bonhomme jovial lui annonce alors qu'il doit partir, mais qu'il reviendra le lendemain, pour une visite de contrôle. De sa voix éraillée, Elland le remercie. Aussitôt, Théoliste s'immobilise, fouille dans sa sacoche, et en sort triomphalement une poignée de bonbons au miel, qu'il lui ordonne de sucer lentement. Puis il disparaît en trottinant.

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  • Commentaires

    3
    Lundi 7 Février 2011 à 18:02
    Anémone

    Oups! Je me suis rendue compte que mon commentaire manquait une partie.

    Je voulais dire "Je me demande ce qu'Elland va faire maintenant qu'il vient de sortir de là et si Ménandre va rester avec lui".

    Voilà, la phrase est complète.

    Et ça fait plaisir de venir sur ton blog il y a toujours de nouvelles choses à découvrir! Merci de poster aussi souvent! ^^

    2
    Lundi 7 Février 2011 à 10:42
    Blanche

    Merci beaucoup pour ton commentaire ! C'est très gratifiant de voir que ce texte est lu et plait ^^

    La suite arrive très bientôt

    1
    Lundi 7 Février 2011 à 08:52
    Anémone

    Toujours aussi bon, une plume toujours aussi belle et soignée.

    Plus on lie et plus on est accro à cette fiction. Franchement, je me demande ce qu'Elland. Curieusement, le voir aussi démuni nous fait oublier qu'il est habituellement jovial et un peu idiot et ça ajoute une touche de profondeur à son personnage, ce qui fait qu'on s'y attache encore plus!

    Bref, merci pour cette suite! J'attends la prochaine avec impatience!

    Bisous!

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