• Rivemorte, Chap.45

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    Le retour à Rivemorte se passe légèrement mieux qu'à l'aller et à l'arrivée, le teint de Ménandre est nettement moins verdâtre. Après avoir dûment remercié la gargouille, les deux compères regagnent leurs chambres respectives pour un repos bien mérité. A leur réveil, ils déjeunent en compagnie de Pèire, à qui ils racontent leurs péripéties avec force détails, même si Ménandre se garde bien de faire mention du trajet. Le tavernier les conforte dans leur idée qu'ils ne doivent pas se laisser embobiner encore une fois par la vieille femme. C'est donc déterminés qu'ils se rendent d'un pas vif jusqu'à la petite porte dans la ruelle sordide. Ménandre, sans doute plus remonté encore qu'Elland, reste cependant derrière lui. Comme la dernière fois, la vieille femme n'est pas accueillante de prime abord, mais elle se radoucit immédiatement en voyant Elland, et lui offre ce qu'elle pense être son plus beau sourire. Qui se décompose rapidement lorsqu'Elland lui annonce qu'ils sont allés à Picsuif en vain.

    - Vous êtes déjà revenus de Picsuif ? Mais .. c'est à trois jours d'ici !
    - Oui, nous y sommes allés pour rien.
    - Sorcellerie ! Comment avez-vous fait ?
    - Ça ne vous regarde pas. Nous voulons savoir où est Maelenn. Et pas d'entourloupe !

    S'il ne peut recourir à la force contre elle, il n'hésite cependant pas à rendre sa voix plus menaçante. Ses iris noirs ont, il le sait, une lueur dangereuse qui scintille. La vieille femme abandonne aussitôt son air curieux et leur jette un regard désemparé. Elle murmure :

    - C'est ce qu'elle m'a dit. Je... je ne comprends pas. Pourquoi aurait-elle menti ?
    - Nous voulons la voir, Madame, et nous n'abandonnerons pas. Cessez cette comédie.
    - Quelle comédie ? Insinueriez-vous que je vous ai menti volontairement ?
    - Vous nous avez envoyé à Picsuif pour rien du tout !
    - Je suis désolée. Mais … je pensais qu'elle y était vraiment. J'ignore où elle est. Elle est venue me voir, éplorée, pour me prévenir que sa mère était souffrante et qu'elle retournait à Picsuif pour s'occuper d'elle. Je... je n'en sais pas plus.

    Elle semble si sincère qu'Elland interroge du regard Ménandre, qui se contente de hausser les épaules. Il insiste donc, et demande à nouveau :

    - Et vous n'avez pas la moindre idée de l'endroit où elle aurait pu aller ? De la famille ailleurs ? Elle a des amis ici qui pourraient nous renseigner ?

    La mégère réfléchit un long moment, si long qu'Elland doute de la voir répondre un jour. Et soudain, son visage s'éclaire et une lueur s'allume dans ses yeux chassieux :

    - Il y a bien un homme, qu'elle allait voir de temps en temps pour les livraisons. Je crois qu'ils s'entendaient bien. Il s'appelle Tanorède Guevois. Il habite près de la Fontaine aux Dragons.
    - Très bien, nous allons lui rendre visite.
    - C'est un excellent client, soyez polis !

    Agacé, Elland ne lui répond rien et s'éloigne, suivi de près par le gamin. Il connait le quartier indiqué, car comme son nom l'indique, d'énormes dragons de granite crachent continuellement de l'eau dans une fontaine. C'est certainement l'un des quartiers les plus riches de la ville, et le voleur se demande comment une fille d'une si petite condition a pu s'entendre avec un de ces riches oisifs. Lorsqu'il interroge le gamin sur la possibilité que son amie se comporte de la sorte, il obtient une sorte de haussement d'épaules désabusé. Ménandre semble déçu, et s'il comptait réellement jouer les entremetteurs, sa tentative semble vouée à l'échec. Car face à un habitant de la Fontaine aux Dragons, un voleur handicapé ne fait certainement pas le poids. Mais Elland s'en moque pas mal, à vrai dire. Il souhaite juste s'assurer que Ménandre puisse lui parler et lui donner de ses nouvelles, pourquoi pas garder le contact avec elle. Le reste n'était que sombre machination de la part du gamin.

    Les rues sont plus larges dans cette partie de la ville. Même les pavés semblent plus blancs. Des employés s'affairent autour des riches immeubles particuliers, l'un balayant le pas de porte, l'autre nettoyant les vitres. Des femmes, aux luxueuses toilettes, se promènent en discutant, à l'abri du soleil derrière leur ombrelle. Bien qu'habillés de vêtements propres et corrects, ils se sentent complètement décalés dans cet univers étranger. D'un geste instinctif, Ménandre lui tend la main, et c'est avec soulagement qu'Elland la serre fort dans la sienne. Quelques chevaux, à la robe magnifiquement lustrée, sont emmenés par des employés de maison en direction des écuries. Elland, avisant les regards méprisants des habitants, préfère demander aux palefreniers son chemin.

    Il ne leur faut que quelques minutes pour atteindre l'immeuble indiqué, orné de somptueuses sculptures. C'est une femme mûre qui les accueille, impeccablement vêtue d'une longue robe noire et d'un tablier blanc. Si l'apparence des deux visiteurs est sensiblement différente de celle des visiteurs habituels, elle n'en fait pas la remarque, et se contente de les faire entrer dans le vestibule sobrement décoré. Puis elle leur indique une petite pièce sur la droite, en les invitant à patienter le temps qu'elle aille prévenir son employeur. Intimidés, ils le sont certainement dans cette pièce richement meublée : Ménandre n'a jamais mis les pieds dans ce type de demeure et Elland, lui, a plutôt l'habitude d'y entrer discrètement et d'en repartir les poches pleines. C'est d'ailleurs avec un regard intéressé qu'il découvre les lieux, jaugeant les bibelots en fonction de leur valeur et de la place qu'ils tiennent dans une besace. Mais il saura se tenir, au moins pour Ménandre et son amie. Et parce que trop de personnes pourraient le décrire.

    Ménandre s'est assis du bout des fesses sur une chaise en velours noir. Immobile, il semble presque retenir son souffle de peur de casser un objet et de devoir le rembourser. Il n'ose pas parler non plus, comme si l'élégance méritait un recueillement digne d'une église.
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