• Rivemorte, Chap.58

    Ruelle (2)

     

    L'homme, pourtant d'apparence robuste, a été battu à mort. Son visage est méconnaissable, ses membres raidis dans une posture douloureuse. Tout autour de lui sèchent d'immenses flaques de sang. La vieille femme, toute de noire vêtue, qui avait répondu aux questions d'Elland se tient assise sur une chaise, le menton sur la poitrine, comme endormie. Avec une douceur incongrue, le guérisseur lui relève délicatement la tête, dévoilant une entaille profonde qui court d'un côté à l'autre de sa gorge. Pèire s'est retiré dans le couloir, le visage pâle. Elland n'en mène pas bien large non plus. Thémus ordonne la fouille des lieux à la recherche d'indices permettant d'identifier les meurtriers. Pendant de longues minutes, avec minutie, ils examinent les possessions du couple. C'est avec un certain malaise qu'Elland découvre leurs économies, dissimulées dans un pot posé près du foyer. Lorsqu'il fait part de sa découverte aux autres, ils tombent d'accord sur le fait que ces meurtres ne sont pas dûs à un vol qui aurait mal tourné. Le voleur hésite un instant, gêné par l'idée de dérober les possessions des morts. Sauf que ces morts en question sont sans doute liés à l'enlèvement de Ménandre. Et qu'ils n'auront de toutes façons plus besoin d'argent, désormais. Alors il glisse dans ses poches la majorité des pièces, se promettant d'en donner une partie au gamin quand ils l'auront retrouvé. Si les autres l'ont vu faire, ils n'en soufflent pas un mot, aussi Elland reprend-il la fouille comme si de rien n'était. En vain. Rien ne permet d'identifier les assassins.

    Ils n'ont plus de raisons de rester ici plus longtemps, d'autant que la garde pourrait arriver à tout moment si un voisin l'a prévenue, suite à l'absence du couple. Pèire n'est que trop content de respirer l'air relativement pur de la ruelle. Sans se retourner, ils se dirigent vers l'atelier de Thémus, situé non loin.
    Dans l'intimité de l'arrière-boutique, devant un verre de liqueur, « pour se remonter », ils font le point sur la situation. D'après Théoliste, ils sont morts depuis moins d'une journée, ce qui incite Elland à penser qu'ils ont été tués peu de temps après leur visite. D'après Thémus, la femme a été égorgée en première, puis les attaquants s'en sont pris à l'homme. Les attaquants, oui, car d'après lui, ils étaient plusieurs.

    La piste de la vieille femme s'est envolée. Mais il reste celle de Tanorède. Et qui dit Tanorède dit Maelenn. Car c'est peut-être bien elle la clef de cette énigme. Et c'est peut-être bien lui, d'ailleurs, qui a ordonné le meurtre du couple, pour les faire taire à jamais. Ils terminent leur verres rapidement et se remettent en route. Et s'ils ont l'air pitoyables, au milieu des riches habitants du quartier, ils n'en prennent pas ombrage. Elland les conduit jusqu'à la porte richement ornée, se persuadant à mesure qu'il avance de la culpabilité du riche bourgeois. Après tout, comment un couple si modeste pourrait engager quatre hommes de main ?

    La chaleur est encore forte en cette fin d'après-midi. Les riches habitants du quartier commencent à sortir, après s'être protégés de la chaleur dans leurs luxueuses demeures. Elland jette un coup d'œil à ses compagnons : ils ont le visage hagard, leurs vêtements sont froissés, de mauvaise facture. Il sait avoir la même apparence, avec une longue balafre encore fraîche sur la joue en supplément. Ils ne peuvent pas passer inaperçus, mais qu'importe...

    C'est Elland qui frappe à la porte, presque avec délicatesse, comme s'il avait peur de l'abîmer. Dernière, ses amis l'attendent en formant, presque à leur insu, un demi-cercle protecteur, comme pour défendre ses arrières. C'est la même femme que la veille qui lui ouvre la porte, portant son éternel chignon. Cette fois encore, elle ne dit rien quant à leur apparence, ou leur nombre. Après avoir pris une longue inspiration, Elland lui annonce :

    - Bonjour, nous voudrions voir Tanorède Guevois, s'il vous plait.
    - Il n'est pas là.
    - Maelenn alors.
    - Elle n'est pas là non plus.
    - Est-ce que vous savez quand ils rentrent ?
    - Non. Mais ils ne veulent pas vous voir.
    - C'est-à-dire ?
    - Ce sont les consignes. Si vous vous présentez, je dois vous dire qu'ils ne veulent pas vous rencontrer.

    La femme arbore un visage fermé et sévère. Sa voix est froide, sans timbre, presque inhumaine. Pourtant, dans son regard, Elland croit deviner une lueur de compassion. Mais il s'en moque pas mal, de sa compassion. Il veut voir Tanorède et il ne laissera pas une domestique l'en empêcher. Sa voix se fait plus sèche lorsqu'il demande :

    - Et pourquoi ?
    - Parce qu'ils sont en plein préparatifs pour le mariage. Ils n'ont pas que ça à faire.
    - Ça ne prendra que quelques minutes. Nous devons les voir, c'est très important.
    - Ce sont les consignes.
    - Mais la vie d'un enfant est en jeu !

    La femme secoue doucement la tête, presque attendrie, et commence à fermer la porte. Elland, dans un geste réflexe, avance son pied sur le seuil. La femme lui murmure :

    - N'insistez pas, s'il vous plait.
    - La vie d'un enf...

    Une main puissante s'abat sur son épaule, celle de Thémus. Dans un chuchotement rauque, le colosse lui ordonne de retirer son pied. Se retournant pour lui demander ce qu'il lui prend, Elland remarque alors les quatre gardes qui ont interrompu leur patrouille pour les surveiller. Alors, piteusement, il retire son pied. La porte claque aussitôt, fermant à nouveau une piste pour retrouver le gamin.

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