• Rivemorte, Chap14

    Le voleur sursaute en entendant son véritable prénom.

    - Je connais bien Echidna, jeune homme. Et de ce fait, je te connais.

    Hébété, Elland le regarde, muet. C'est à ce moment que Ménandre revient, porteur d'une chope d'eau. Ce n'est qu'en la voyant qu'il réalise qu'il est terriblement assoiffé. Alors qu'il s'en empare avidement, Pèire poursuit :

    -Voilà ce que je te propose. Tu vas te reposer encore un peu. Et quand le soleil se couchera, on ira voir Echidna ensemble, et je t'en dirais plus. Ça te convient ?

    Suite à l'acquiescement d'Elland, Pèire laisse sur place le tabouret et la torche qu'il accroche contre la paroi puis s'en va. Ménandre, quant à lui, regagne l'obscurité mais continue à veiller sur Elland. Ce dernier a bien du mal à intégrer toutes les données. Echidna l'a amené ici. Contre son gré. Mais c'était pour le protéger, car aucune milice ne viendra ici. Il palpe discrètement ses poches, et elles semblent toujours aussi pleines. Visiblement, Pèire n'a pas menti, même s'il devra s'en assurer quand il sera seul, en sortant toutes les pièces. Qui est Pèire ? Et comment peut-il bien connaître Echidna ?

    Ménandre esquisse un mouvement, attirant l'attention d'Elland. Mais alors qu'il détourne la tête, le gamin se recule encore plus, comme s'il voulait se fondre dans la roche. Le voleur lui adresse un sourire sans obtenir la moindre réponse. Alors il se décide à rompre la glace :


    - Ça fait longtemps que tu es là ?
    - Un peu.
    - C'est-à-dire ?
    - Une semaine.
    - Et tu étais où avant ?
    - A Rivemorte.
    - Il va faire nuit dans longtemps ? Demande Elland après un léger soupir, lassé par ces réponses laconiques.
    - Quelques heures.
    - Combien d'heures ?
    - J'sais pas. Deux ou trois.
    - Bon. Je me repose. Tu me réveilleras ?
    - Oui.

    Bien qu'il soit dans un lieu inconnu, entouré de parfait étrangers, la nuit a été trop mouvementée pour lui. Aussi s'assoupit-il jusqu'au crépuscule, même si ce n'est pas réellement un sommeil réparateur. Une petite main vient lui secouer l'épaule, et se retire vivement dès qu'il ouvre les yeux. Ménandre, assis sur ses talons à bonnes distance, le regarde se redresser en grimaçant. C'est avec grande peine qu'il parvient enfin à se mettre sur ses pieds, malgré ses côtes douloureuses et son entre-jambe sensible.

    - Pèire peut pas v'nir tout d'suite. J'dois t'emmener voir Echidna.
    - Merci.

    Ils quittent la petite pièce naturellement creusée dans la roche, et longent une sorte de couloir, transpercé par de nombreuses autres cavités. Au bout, un rideau blanc bouillonnant masque ce repaire aux yeux du monde. Dans la salle la plus proche de l'ouverture, une vingtaine de gargouilles sont assises en cercle, visiblement plongées dans une conversation animée, bien qu'inaudible. Ménandre et Elland restent respectueusement à distance, pour ne pas interrompre le conciliabule. C'est fascinant. Leurs ailes sont repliées le long de leurs dos, leurs griffes bien plantées dans le sol. Leur taille et leur masse sont différentes. Mais le plus captivant tient en leur visage. Évidemment, ils sont tous menaçants, mais certains semblent grotesques, tandis que d'autres paraissent presque humains. Jamais il n'en n'avait vu autant réunies dans un même lieu.
    Pourtant, il repère rapidement Echidna entre toutes, parce qu'il la pratique depuis des années. Ses petites cornes recourbées sur le crâne, sa musculature puissante, sa taille, sa forme, la couleur de sa peau rugueuse, l'éclat rubis qui illumine parfois son regard, il connaît chacun de ses détails. Les sourcils froncés par la concentration, il les observe silencieusement. Puis c'est Pèire qui arrive, et qui chuchote à l'oreille du voleur :


    - Elles sont télépathes.

    Une petite gargouille, dont les yeux exorbités, le nez retroussé et la bouche tordue la rendent particulièrement laide, les fusille du regard. D'un commun accord, ils décident de les laisser deviser tranquillement, et sortent hors des grottes. Se glissant agilement le long de la paroi, il parviennent au bord du lac faiblement éclairé par la lune. Ils s'assoient sur la fine bande de sable qui borde l'eau, et malgré le tumulte tout proche, la voix de Pèire est parfaitement audible.

    - La forêt qui nous entoure est tellement dense et escarpée que personne ne vient jamais ici. Nous pourrons parler sans être dérangés. Dis-moi, Elland, et sans me mentir cette fois, comment as-tu rencontré Echidna ?
    - Elle ne vous l'a pas raconté ? Demande Elland, quelque peu revêche.
    - Si, mais je n'ai que sa version. La tienne m'intéresse énormément. Allez, ne te fais pas prier, raconte-moi.
    - Au hasard, en réalité, capitule Elland. C'était une nuit où je... me promenais.

    Sa légère hésitation n'échappe pas au colosse, qui lui jette un regard de reproche dans la pénombre. Après un soupir, le voleur reprend :

    - Bon, d'accord. Je venais de cambrioler une maison. Je sortais par la fenêtre, qui donnait sur un toit, quand j'ai senti une lame se poser sur ma gorge. Un homme s'était posté en embuscade et attendait que j'aie fait tout le travail pour récupérer mon butin. J'ai essayé de me défendre, mais tout ce que j'ai gagné, c'est une large entaille, heureusement peu profonde. Alors bon, j'ai dû l'écouter. Il voulait ma récolte, que je lui ai donné. Et il m'a dit « En échange, je te donne Echidna. Estimes-toi heureux, car son espèce est très recherchée parmi les voleurs. Mais bon, celle-là est caractérielle, sournoise et méchante. Enfin, faut bien que je m'en débarrasse, n'est-ce pas ? Et grâce à ma grande bonté, tu n'auras pas perdu ta soirée. » Je n'avais pas vu la gargouille, mais lorsqu'il a mentionné son nom, elle est apparu comme par enchantement devant nous. Elle me faisait peur, surtout d'après le portait qu'il en avait dressé, mais je n'étais pas franchement en position d'argumenter. Il m'a donné une grande claque sur l'épaule, et il a disparu dans la nuit, en nous laissant seuls.

    La voix d'Elland s'éteint alors qu'il revit cette scène, le regard perdu dans les reflets de lune. Pèire respecte son silence pendant de longues minutes avant de lui demander :


    - Et ensuite ?
    - Ensuite, j'ai pris mes jambes à mon cou. Elle me terrorisait. Ses prunelles sanglantes luisaient dans la nuit. En fait, j'étais persuadé qu'elle allait me manger.
    - Tu as essayé de semer une gargouille ! S'exclame Pèire dans un éclat de rire bruyant.
    - Oui, ben je ne savais pas, à l'époque, marmonne Elland, piqué dans son orgueil. Puis, reprenant d'une voix plus audible : Mais quand je suis arrivé chez moi, elle m'attendait. Et elle n'a jamais voulu me lâcher. Elle me suivait partout où j'allais, elle m'attendait sur les toits lors de mes escapades, elle montait la garde devant chez moi. Alors il a bien fallu qu'on apprenne à se connaître, bon gré mal gré.
    - Tu regrettes cette rencontre ?
    - Un peu. Je regrette de l'avoir repoussé au début.

    Une soudaine bouffée de culpabilité étreint soudain le cœur d'Elland. Il a été si dur avec elle !
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