• La folie

    La folie

     

     

     

    Douché, habillé, j'avais déjà pris mon petit déjeuner et j'avais fait mes exercices matinaux lorsque retentirent les premières notes de musique annonçant les informations de sept heures.
    La voix de la journaliste était grave et tendue. Je redoutais qu'elle nous annonce le pire depuis de nombreux jours. Inéluctable, la situation ne pouvait qu'empirer.
    D'une voix fêlée, elle annonça que les troupes ennemies marchaient en direction de notre ville. Elle poursuivit, d'un ton qui se voulait calme, mais qui n'y parvenait pas tout à fait, en nous faisant les dernières recommandations d'usage : se terrer à l'abri, avec des provisions, et se cacher. Il était trop tard pour fuir. Et fuir où ?

    Dans un grondement sourd qui fit trembler les fenêtres, des avions ennemis nous survolèrent.

    La suite de ses paroles se fondit peu à peu dans le vide : j'étais entraîné par un flot de souvenirs. La guerre s'était déclenchée des années auparavant, suite au manque de pétrole. Et les gouvernements avaient eu beau trouver des solutions alternatives, ce ne fut pas suffisant. Le pays voisin au nôtre nous avait toujours voué une haine féroce, et le fait qu'il nous restât un peu d'or noir avait été une raison suffisante pour déclencher les hostilités. La lutte avait été âpre et les morts se comptaient par milliers. Mais malgré tous les efforts de notre armée, l'ennemi s'avançait vers la capitale. Nos anciens alliés avaient bien trop à faire pour contenir leurs populations mécontentes, et se mêler à une guerre les auraient affaiblis. Nous étions seuls.

    Les chars d'assaut qui envahissaient notre ville faisaient trembler le sol, rendant palpable la menace qui pesait sur nous.

    “Le champ de bataille ne fait que révéler à l'homme sa folie et son désespoir, et la victoire n'est jamais que l'illusion des philosophes et des sots. “ William Faulkner. Cet homme avait vécu des décénies auparavant, mais la sagesse traverse le temps sans s'étioler.
    C'était la folie, la haine et la cupidité des hommes qui marchaient sur nous. Que pouvions-nous faire face à ce trio infernal ? Nous étions perdus, et bien malgré moi, un étau compressait ma poitrine.
    Je passais un doigt nerveux sous le col de mon pull, comme s'il menaçait de m'étouffer. Quel espoir nous restait-il ?

    Des cris se faisaient désormais entendre dans les rues, ponctués par des coups de feu. Ce qui restait notre armée luttait contre l'envahisseur, tant bien que mal.

    Je redressai le menton, me dressant face à la fenêtre aveuglée par les volets clos. Et alors que l'angoisse me serrait la gorge auparavant, je fus soudain presque apaisé. Nous ne pouvions les vaincre, mais leur montrer le meilleur de l'humanité, nous le pouvions. Oui, nous pouvions parfaitement leur montrer ce que signifie se battre pour la justice. Pour l'honneur. Pour ses frères. Pour sa patrie. Pour le droit de vivre libres.

    Tournant rapidement des talons, je m'habillais pour sortir, non sans avoir pris l'arme que m'avait offert un vieil ami lorsque les troubles avaient éclaté. Et, silencieux comme un murmure, je descendis dans la rue. Je me déplaçais dans les ombres, discret, invisible. A quelques mètres de moi passèrent les soldats à pied, lourdement armés de leurs mitraillettes. L'Histoire se répète, fous que nous sommes d'oublier les leçons du passé.

    Plus loin, le combat faisait rage. Et je devinais, non loin de moi, des familles entières cachées dans les caves. Pour être libres ! Je m'avançai au milieu de la chaussée, et d'un cri, interpelai nos ennemis, mon arme pointée sur eux.

    Surpris, ils le furent incontestablement, et c'était bien la raison de mon geste de folie. J'en profitai alors pour vider mon chargeur sur eux, et dans la confusion qui suivi, je vis plusieurs corps s'effondrer. Alors ils eurent une réaction cohérente, et leurs mitraillettes se tournèrent vers moi. Et ce fut le néant.


    Deux anges, tout de blanc vêtus, étaient penchés sur moi, soucieux. Je leur adressais un sourire hébété. Mon sacrifice n'avait pas été vain. L'un deux, de toute sa douceur, posa une main sur mon front.

    - Tout va bien, monsieur.

    L'autre s'éloigna légèrement, et je l'entendis parler dans une radio crachotante.

    - On a un vétéran de l'armée, en pleine crise de démence. Il vient de tuer trois hommes. Nous attendons des renforts.


    Des anges parlant dans une radio crachotante... Voilà de quoi tuer un mythe.

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