• La nuit

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    Les problèmes avaient commencé à l'aéroport de Lyon Saint-Exupéry. "Personnel naviguant en grève : votre vol est maintenu mais sera quelque peu retardé." Quelque peu... La masse d'acier avait fini par décoller avec plus de cinq heures de retard. J'avais réussi à récupérer, à l'aéroport de Glasgow, la voiture de location juste avant que l'agence ne ferme pour la nuit. Et je m'étais aventuré, fier de ma décision, sur l'A82 en direction de Dumbarton.

    L'idée m'était venue au beau milieu de la nuit, alors que je savourait la quiétude des rues lyonnaises habituellement bondées de passants, et la température un peu plus clémente. Le soleil de juillet brûlait Lyon, et je cherchais désespérément un lieu où dépenser mes quelques jours de repos durement gagnés. Mais pas n'importe où : je voulais fuir la masse de moutons qui se ruaient, comme chaque année, dans la fournaise provençale. Je désirais ardemment du calme et de la solitude dans une fraicheur relative. Mon choix s'arrêta sur l'Ecosse : louer une maison isolée et une voiture avait été une simple formalité.

    Mais alors que je quitte la banlieue de Glasgow, je me demande si c'est une si bonne idée que ça. Je ne connais pas la route, et nulle autre voiture n'emprunte le même chemin que moi. Un panneau m'indique que je roule à proximité du Loch Lomond, l'un des plus des grands lochs d'Ecosse. Plus intelligente que la France, l'Ecosse n'illumine pas ses routes la nuit, surtout lorsque celle-ci traverse une zone quasi désertique : j'ai bien dû parcourir plus de vingt kilomètres depuis le dernier village traversé sans rencontrer âme qui vive. Mais pour l'heure, la nuit écossaise est bien trop sombre pour la créature nocturne que je me targuais d'être il y a peu.

    Je m'enfonce dans les fameuses Highlands. Les phares de la voiture dispensent un rayon de lumière dérisoire dans le noir abyssal qui m'entoure. Si la fraicheur que je recherchais est présente, je l'ignore : j'ai soigneusement fermé toutes les vitres de la voiture. Machinalement, j'augmente le volume de la radio, et je scrute dans le rétroviseur : peut-être qu'un autre inconscient prend la même route que moi. Non, je suis seul dans cette immensité obscure. J'ai l'impression d'être dans un mauvais film d'horreur, de ceux où les héros se séparent alors que le danger guette, et qu'ils décident d'aller visiter un cimetière après le crépuscule, comme si ça ne pouvait pas attendre le lendemain. Je n'aurais pas pu attendre le lendemain, à moins de dormir dans la voiture sur le parking de l'aéroport.

    La route est tout en virage, et malgré le besoin impérieux d'accélérer pour retrouver enfin un peu de lumière, je roule à vitesse modérée. Je repense malgré moi à toutes les informations que j'ai récolté sur ce si beau pays. Je sais que dans l'obscurité se tapit un paysage magnifique, parsemé de minuscules lochs et d'îlots guère plus grands sur lesquels se dresse vaillamment un arbre rabougri. Je sais que c'est ici que sont nées les légendes, et si on se penche sur les mythes écossais, il s'avère que très peu de créatures fantastiques sont bienveillantes. Que ce soit les Each uisge, les Banshee ou les Bonnet-Rouge, elles ont toutes comme but ultime de vous dévorer. Pour l'heure, il me semble qu'elles se massent toutes autour de ma voiture.

    Une ombre passe dans les phares et m'arrache un cri de surprise. Frénétiquement, je regarde autour de moi, mais comment distinguer quoique ce soit dans une telle noirceur ? J'essaie tant bien que mal de calmer les furieux battements de mon coeur. Je dois me raisonner : de telles histoires ne sont là que pour faire obéir les enfants, et les empêcher de traîner la nuit.

    Fugitivement, au détour d'un virage, je crois apercevoir une tâche blanche. Mon coeur s'emballe alors que mon imagination comble mes lacunes visuelles : ce ne peut être que la Dame Blanche. Nerveusement, je m'enferme dans la voiture. Comme si ça pouvait changer quoique ce soit... Je me sens terriblement vulnérable, à la merci du moindre démon qui en voudrait à ma vie. Je ne pourrais rien faire contre eux. Je n'ai pas envie de mourir maintenant ! Pas comme ça ! Je suis trop jeune ! Fichu personnel naviguant !
    Brusquement, je tourne sur la droite. J'ai failli ne pas le voir, mais je connais l'itinéraire par coeur. C'est ici que je dois tourner pour rejoindre la maison que j'ai loué. Le compteur s'affole alors que j'appuie sur l'accélérateur : qu'importe l'état de la route, je dois me mettre en sécurité. Je me gare au plus près de la bâtisse, et je bondis vers la porte. Je tremble tellement que je mets de longues minutes à actionner la serrure. N'importe quoi pourrait m'attaquer pendant ce temps ! Enfin, je réussi à ouvrir cette fichue porte, et je me calfeutre à l'intérieur. J'allume toutes les lumières, et tant pis pour les bagages qui sont restés dans la voiture, ils devraient encore être là demain. Encore six nuits à tenir...

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  • Commentaires

    1
    Nathaniel
    Mercredi 3 Juillet 2013 à 15:00
    Nathaniel

    Bravo ! Comme d'habitude, les descriptions sont une réussite et nous emporte assez bien dans ton monde (tu arrives même à décrire parfaitement une nuit noire complète... quel talent :D). Le côté panique est très bien géré, et même si je n'ai pas été angoissé moi-même, le fait que je ressente la peur de la narratrice m'a fait apprécier le texte, on est bien immergé. Pour les côtés négatifs, j'ai trouvé que les 2 premiers paragraphes étaient trop... réels, ils n'ont aucun charme, et même s'ils sont là pour expliquer la situation, je n'ai pas trouvé leur lecture très agréable (sans pour autant être sûr qu'on puisse les supprimer, mais je pense qu'une modification, contraction pourrait être faite).

    Globalement une réussite ;)

     

    Bious ! Nathaniel

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