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Par Blanche. le 5 Mai 2013 à 10:55
Assis autour d'une table, Anthelme lit à voix haute la lettre, attentivement écouté. C'est Pèire, qui leur donne des nouvelles. Deux mois ont passé depuis la révolte, et le départ de l'ancien tavernier et de Jehanne. C'est la troisième lettre qu'ils reçoivent. Pourtant, ils sont incapables de cacher leur joie d'avoir enfin des nouvelles.
Pèire et Jehanne se sont installés dans la maison au milieu de la forêt, où Elland a passé quelques moments insoutenables. Jehanne avait besoin de calme, pour se retrouver. Et l'éloignement lui fait énormément de bien. Enfin, d'après Pèire. Car les trois amis, autour de la table, ne sont pas dupes. C'est surtout la présence de cet ours affectueux et protecteur au possible, qui fait du bien à Jehanne. Leur vie se compose de petits riens, mais ils sont heureux, tous les deux. A la fin de la lettre, Pèire leur annonce qu'ils viendront à l'Hermine Affamée, en milieu de mois, pour leur rendre visite. Alors, avant même qu'Anthelme ai pu prendre sa plume et du papier, Elland et Ménandre lui dictent, en même temps, un début de réponse.
Il faut toute la patience et l'autorité d'Anthelme pour parvenir à canaliser l'énergie des deux énergumènes qui lui font face pour réussir à écrire la réponse. Enfin presque. Car Théoliste arrive à ce moment, visiblement épuisé. Reportant l'écriture de la lettre à plus tard, ils s'accordent une chope d'hydromel. Et en profitent pour essayer de glaner quelques informations sur Thémus. Il faut dire que depuis qu'il a réussi à placer un de ses hommes, autrefois infiltré parmi les dirigeants, à la place de Gouverneur, il ne manque pas de travail. Il tire les ficelles dans l'ombre, comme toujours, mais ses amis n'ignorent pas qu'une grande partie des décisions prises depuis la révolte sont de son fait. Il en a même fermé son atelier de cordonnier, c'est pour dire !
La chope d'hydromel terminée, Théoliste retourne à ses patients. Anthelme, Elland et Ménandre, à leur lettre. Puis, rapidement, c'est l'heure des adieux. L'enseignant a encore beaucoup à faire.
De retour à l'Hermine Affamée, Ménandre est chargé de servir les clients de l'après-midi. Il a voulu rester ici, avec Elland, et laisser Pèire et Jehanne se découvrir en tête à tête. Lui aussi, a bien appris. Et depuis peu, il ne pique plus les bourses des clients. De sacrés progrès. Il ne fait rien léviter devant les clients, non plus, bien trop conscient que la présence de la magie à Rivemorte est trop récente pour être acceptée sans réticence.
Elland est monté dans sa chambre. Celle qu'il avait aménagé, lorsqu'il s'était installé ici, en tant que simple invité. La configuration des lieux est bien trop pratique pour qu'il aille ailleurs. De la lucarne, il aperçoit Echidna, figée pour la journée, surplombant la ruelle derrière l'Hermine Affamée. Comme d'habitude, il s'éclipsera pendant le service du soir, pour passer plusieurs heures avec elle, survolant les toits ou les champs, dans ces moments de complicité dont il a tant besoin.
Après de rapides ablutions, il se glisse entre les draps. Il s'endort avec le sourire car il sait que le réveil sera le meilleur de toute sa vie.
Et ça n'y coupe pas. C'est d'abord la caresse de cheveux, qu'il sait être blonds, sur sa joue. Il se réveille mais n'ouvre pas les yeux, attendant impatiemment la suite. Puis, du bout des doigts, elle parcourt avec une douceur infinie le front, la tempe, la balafre sur sa joue, ses lèvres. Alors elle se penche un peu plus et l'embrasse avec tendresse. Il fait semblant de gémir dans son sommeil et, d'un geste vif, enserre ses bras autour de sa taille, avant de la faire rouler sur le lit. Elle pousse un petit cri, comme toujours, et ils rient, comme deux gamins, comme toujours.
Maelenn est rentrée. Elle travaille à la taverne, elle aussi, s'occupe des chambres louées aux clients. L'après-midi, c'est toujours la lessive. Et Elland attend son retour avec la même impatience, tous les jours.
C'est encore un coup de Ménandre, cette histoire. Elland était figé devant la taverne, deux mois plus tôt, regardant Maelenn s'éloigner pour saluer les mages qui quittaient la ville. Il était persuadé qu'elle ne voudrait pas rester, qu'elle aurait bien mieux à faire, loin de Rivemorte. Il n'avait pas osé lui proposer de rester, même s'il en mourrait d'envie. Il n'avait rien à lui offrir et elle, toute une liberté à retrouver. Ménandre observait le manège, parfaitement au fait de ce qui se déroulait sous ses yeux. Alors, dans un soupir exagéré, il était allé la voir. Il avait déclaré qu'Elland était fou amoureux d'elle, qu'il mourrait si elle s'en allait, qu'il était prêt à se jeter à ses pieds.
Voyant le gamin comploter avec la drapière, Elland avait prudemment battu en retraite, les joues en feu, dans le havre rassurant de la taverne, toute pillée qu'elle était.
Il avait fallu le retour de Ménandre, de longues minutes plus tard, pour connaître le verdict. Elle avait accepté avec joie.
Là encore, il avait fallu beaucoup de temps pour qu'ils finissent par partager la même chambre. Et Maelenn avait fait le premier pas plus souvent qu'à son tour. Il leur devait tant !
Le nez perdu dans la douceur enivrante du cou de Maelenn, Elland est heureux. Et c'est avec plus de bonheur encore qu'il lui annonce la venue prochaine de Pèire et Jehanne.
Mais trop vite, le travail les rappelle à l'ordre. Et c'est la voix en pleine mue de Ménandre qui sert de messager. En bas, dans la salle de la taverne, un artisan patiente devant une chope de bière. Calé contre lui, un paquet, soigneusement emballé dans une toile cirée. Son visage s'illumine d'un grand sourire quand il voit Elland. Et délaissant sa chope, il déballe le mystérieux paquet. Et là, devant les trois paires d'yeux brillants des taverniers, la nouvelle enseigne se dévoile. Des grosses bêtes, fort jolies au demeurant, annoncent le changement de nom de la taverne. Et c'est Maelenn qui, d'une voix rendue rauque par l'émotion, lit :
« La Gargouille Affamée »
2 commentaires -
Par Blanche. le 3 Mai 2013 à 09:24
La serpillère, noire de crasse, se glisse entre les pieds des chaises, maniée par des mains devenues expertes. Le service du midi est terminé, les clients ont bien mangé, payé, et ont quitté les lieux. Il ne reste plus qu'à ranger et ce sera l'heure d'une sieste bien méritée.
L'Hermine Affamée a retrouvé toute sa splendeur. Il aura fallu réparer les portes et fenêtres, le mobilier et renflouer le garde-manger pillé. Amadouer la cuisinière, aussi, qui était parfaitement au courant de son surnom de ''dragon''. Pas une mince affaire, ça.
Elland plonge une dernière fois la serpillère dans le seau et se redresse, une main sur les reins. Il n'aurait jamais cru qu'être tavernier serait si épuisant. Au moins, il a un travail parfaitement légal, désormais, et peut croiser les patrouilles de garde sans se cacher. Bon, bien sûr, il a toujours une ou deux manigances en cours, mais ça le maintient en forme ! Pèire parti, il fallait bien que quelqu'un s'occupe de la taverne. Reconversion idéale.
Les mains sur le manche de la serpillère, le menton posé sur les mains, Elland repense à ses débuts de tavernier. Pas brillants, il faut l'avouer. Entre les erreurs de quantités commandées, les clients à servir avec le sourire mais pas trop, les ivrognes à l'alcool mauvais et les mauvais payeurs, chaque jour était presque un enfer. Mais il s'est vraiment amélioré depuis ! Et puis, avec sa main qui ne lui obéit que quand elle veut, il n'avait pas beaucoup d'autres possibilités. Sans compter que son visage, marqué par une balafre pas discrète pour un sou, n'inspire pas forcément la confiance. Alors se faire employer quelque part...
Un message, soigneusement roulé, danse devant ses yeux. Sursaut. Puis, s'étant repris, il demande, dans un soupir las :
- Ménandre, tu n'es pas encore fatigué de me jouer ce tour ?
- Non !
Un rire étrange, d'une voix en pleine mue, surgit derrière Elland, qui se retourne vivement, manquant de lâcher la serpillère. Ménandre se tient fièrement sur le seuil de la cuisine. Il a sacrément grandi, le gamin. Et il s'est bien remplumé, aussi. Faut dire qu'il dévore comme un ogre, à chacun des trois repas de la journée. Un beau jeune homme, qui fait déjà tourner les têtes des demoiselles du quartier. Des soucis en perspective, forcément.
D'un geste vif, Elland attrape le message qui lévite. C'est la grande passion du gamin, depuis qu'il s'est découvert ses pouvoirs. Elland espérait que ça lui passerait, mais non. Il fait toujours léviter tout ce qu'il trouve. D'un coup d'ongle, il décachette le sceau sur le message et déroule le papier. Ménandre s'est rapproché et regarde par dessus son épaule.
Mais même à deux, ils sont incapable de déchiffrer les petites bêtes gravées sur le papier. Quelle idée, aussi, d'écrire ?
Repoussant d'un coup de pied le seau d'eau noire dans un coin, Elland retire son tablier noué autour de la taille et le jette sur le comptoir. Un sourire complice sur les lèvres, il se tourne vers Ménandre et lui dit :
- Il ne nous reste plus qu'une chose à faire !
Il passe une main dans ses longs cheveux noirs pour les discipliner et renouer le lacet de cuir qui les maintient sur la nuque. Il tire machinalement sur la chemise de Ménandre pour la remettre correctement. Et, ensemble, ils ferment et quittent la taverne.
Depuis la révolte, les rues ont retrouvé leur sérénité et les harangues des vendeurs leur force. Ils n'ont guère le temps de flâner et marchent d'un bon pas en direction de la Grand Tour Célestis. Une porte, discrète mais toujours ouverte, orne le pied de la tour. Les souterrains ont été sécurisé et nul ne s'y aventure sans une excellente raison.
Le hall d'entrée est désert. Il est accueillant, pourtant, avec des bancs, des tables et, dans un placard, des couvertures et vêtements de rechange. Ce sont les habitants qui remplissent ces placards d'affaires dont ils n'ont plus besoin. Et ce sont les nécessiteux qui viennent passer la nuit ici, à l'abri du mauvais temps.
Ils gravissent les escaliers sans s'arrêter. Il a fallu un peu de temps à Elland pour les emprunter sans revivre l'évasion des mages et les morts qui en ont découlé, mais le lieu a tellement changé, maintenant....
Au premier étage, des dizaines de personnes patientent calmement, assises sur des bancs. Derrière un drap tiré en travers de la pièce, Théoliste travaille. Elland et Ménandre ne le dérangent pas. Ils n'ont pas spécialement besoin de lui aujourd'hui. Et tant de monde attend qu'ils ne veulent pas accaparer le médecin pour déchiffrer un message. Ils passeront à leur retour le saluer.
Il leur faut encore monter deux étages pour parvenir à la salle de classe. Des dizaines et des dizaines d'enfants sont assis, dans un silence religieux, le regard rivé vers Anthelme. Le compagnon de Théoliste a changé : il a perdu poids et un bandeau noir cache son oeil aveugle. Le coup qu'il a reçu, à quelques mètres seulement d'ici, a laissé des séquelles. Les boucles brunes jaillissent de part et d'autres du bandeau, lui donnant un peu l'air d'un épouvantail. Mais le plus remarquable, c'est la lueur qui brille constamment dans l'iris émeraude intact. Une lueur de bonheur à l'état brut. Un bonheur absolument parfait, depuis qu'ils ont convaincu le nouveau Gouverneur d'utiliser cette tour, vide de tout occupant, pour recueillir les enfants des rues et certains orphelins. Théoliste et Anthelme leur permettent de dormir au chaud, d'avoir trois repas par jour et des vêtements à leur taille et presque propres. Anthelme se charge de leur apprendre à lire et à écrire, également. Et il leur offre un minimum de savoir. Théoliste, lui, partage son temps entre soigner les enfants dont ils ont la charge et soigner les plus pauvres de Rivemorte, qui ne peuvent s'offrir les services d'un médecin rémunéré.
Et puis, comme ils étaient plutôt connus, l'un comme l'autre, auprès des artisans et des commerçants, ils peuvent placer des jeunes en apprentissage.
Elland ne l'avouerait pour rien au monde, mais il est très heureux pour eux deux. Ils se rendent utiles à une échelle bien plus importante qu'auparavant, avec des moyens sans commune mesure avec les précédents. Leur couple semble plus fort que jamais, malgré les rumeurs et commentaires qui courent sur eux.
Anthelme a remarqué l'arrivée d'Elland et Ménandre, et laisse à Osvan le soin de poursuivre la leçon du jour. Le gamin a mis bien du temps pour se remettre de son passage à tabac, mais il va mieux, désormais, et est devenu l'assistant personnel d'Anthelme.
Ce dernier, d'ailleurs, les entraîne à l'écart, suivi par des dizaines de regards curieux. Remarquant l'attention dont ils sont l'objet, le professeur leur fait monter l'escalier jusqu'à l'étage suivant, qui sert à la fois de cuisine et de salle à manger.
Après les salutations d'usage, Elland lui tend le message, un air penaud sur le visage. C'est qu'il sait déjà ce qu'Anthelme va lui dire !
- Quand vous déciderez-vous à apprendre à lire, vous deux ? Ce n'est pas bien compliqué, quand même !
- Un jour, promis !
Le soupir d'Anthelme résume toutes les conversations qu'ils ont eu à ce sujet, et elles sont nombreuses. Mais essayer de convaincre ces deux têtes de mules est épuisant. Et vain.
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Par Blanche. le 28 Mars 2013 à 10:44
Le regard de Pèire est éloquent. Pas méchant, non, mais Elland sent bien toute l'absurdité de sa déclaration. Se frottant durement les tempes, comme pour mettre en ordre ses pensées trop rapides et trop confuses, Elland prend une longue inspiration et débite :
- Ils ne se connaissent pas suffisamment pour vouloir s'exiler ensemble. Et pourquoi seulement les plus puissants ? Je pense qu'ils ont un but bien précis. Ils ne seraient pas partis sans rien dire, sinon. On a libéré des monstres, Pèire, ivres de vengeance et de pouvoir. Ils vont ravager le pays !
Pèire secoue doucement la tête mais ne répond rien. Finalement, les idées d'Elland ne sont peut-être pas si farfelues qu'elles y paraissent. Si les mages ont été mis à l'écart, c'est à cause de leur possibilité de faire beaucoup de dégâts.
Tandis que le tavernier fait les cent pas, plongé dans ses réflexions, Elland ne peut s'empêcher d'observer Maelenn et Ménandre. Deux êtres qui lui inspirent bien plus que de l'amitié. Il veut les protéger. Il veut les rendre heureux, les voir rire. Après tout ce qu'ils ont vécu, ils le méritent amplement. Il souhaite leur offrir la chaleur d'un foyer, la sécurité d'avoir toujours le ventre plein et un toit sur la tête. Et même s'il ne peut plus voler, même s'il ignore encore comment il pourra bien subvenir à leurs besoin, il trouvera une solution. Il a toujours son butin planqué dans la forêt, qui lui permettra de s'offrir une petite bicoque et de voir venir. Il trouvera une solution. Enfin, si ils sont d'accord.
Portant machinalement ses doigts à la bouche, il se mordille les ongles. Pourquoi voudraient-ils venir avec lui ? Ménandre voudra certainement aller avec des mages, pour en apprendre plus sur ses pouvoirs et les exploiter à l'envi. Ou alors, il voudra aller avec Pèire et Jehanne, deux personnes qu'il aime beaucoup. Et Maelenn, elle, elle voudra sa liberté. Faire ce qu'elle veut, quand elle veut. Être libre, sans se retrouver avec un quasi-inconnu, balafré et doté d'une main capricieuse. Qu'est-ce qu'il pourrait bien avoir à leur offrir ? Il y a bien son butin, mais croire qu'on peut s'approprier les gens avec de l'argent ferait de lui un de ces bourgeois prétentieux et irrespectueux. Il a Echidna, bien sûr, mais elle est un être à part entière, et certainement pas un outil pour convaincre les deux de l'aimer.
Il va leur laisser le choix. Voilà. Et s'ils refusent, eh ben, tant pis. Il ne va pas les contraindre. Il les laissera aller à leur guise et lui, il repartira avec Echidna. Et il trouvera une solution pour survivre. Seul avec sa gargouille. Après tout, c'est pas comme s'il...
Une main épaisse et douce à la fois se pose sur son épaule, le faisant brusquement sursauter. C'est Pèire qui, avec son sourire triste, semble avoir lu dans ses pensées. Il lui serre légèrement l'épaule et lui annonce :
- Je me suis permis d'envoyer Echidna en mission. C'est juste pour vérifier une idée.
- Quelle idée ?
- Je t'en parlerais en fonction de ce qu'elle découvre.
Le regard ébène d'Elland plonge dans celui, gêné, de Pèire. L'ancien voleur n'a pas besoin de mots pour lui faire savoir ce que lui inspire ces cachoteries. Lui n'hésite pas à partager ses idées les plus improbables et Pèire manigance dans son coin ?
- Très bien.
Le ton est sans doute un peu trop sec, et son mouvement pour se dégager de la poigne du tavernier, trop brusque. Elland s'éloigne du campement sans se retourner, le visage fermé. Voilà ce qu'il reste de leur belle amitié. Une belle illusion, oui !
Un sourire taquin vient effleurer son esprit. Echidna. Elle a senti son trouble et refuse de le laisser glisser dans les méandres de la suspicion et de l'apitoiement. Il s'immobilise, sourit. Elle est là. Sa complice de toujours, à ses côtés, envers et contre tout. Un paysage défile dans son esprit, survol de cette forêt majestueuse. Pèire ne veut rien lui dire mais Echidna, elle, lui fait profiter en temps réel de sa mission. Un ricanement s'échappe de ses lèvres. Cette nourrice à gargouille se croyait maline, à vouloir cacher des choses. C'était sans compter sur le lien indestructible qui lie Elland et Echidna. Bien fait !
La vision est tellement réaliste qu'il sent l'air fouetter son visage et qu'il perçoit l'odeur si particulière de la forêt. Une odeur fraîche d'humus, bien éloignée de celle, putride, des bas-quartiers de Rivemorte. Le vent siffle à ses oreilles. Il vole, libre, puissant, invincible. Il survole la forêt, aperçoit une clairière au milieu de cette immensité verte, distingue tous les détails comme s'il était en plein jour. Et puis, les arbres se font plus rares, plus chétifs. Déjà, il survole les champs de blé mûr, qui n'attendent que les hommes pour la moisson. Une poignée de bestiole somnole dans des prairies, vaches ou moutons, la différence n'est pas flagrante. A quoi bon les distinguer, de toute façon : ça se mange et ça fait du lait. Manger ! Il a soudain conscience d'une faim dévorante, comme si son estomac s'était transformé en abîme avide de proie. Il perd de l'altitude. Il s'approche, toutes ailes déployées, de son casse-croûte. Non ! Pèire lui a donné une mission, il doit l'accomplir. Il grignotera ensuite, sur le chemin du retour. Quoique. Il pourrait peut-être manger en cours de route. Ce ne serait pas la première fois. Ni vu ni connu, il ne perdrait pas de temps. Sauf que ça lui donne des gaz. Au retour. Il mangera au retour.
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Par Blanche. le 22 Mars 2013 à 21:14
La nuit tombe sur le campement. La journée a passé doucement. La pression est enfin retombée alors ils en profitent pour se reposer, manger, panser leurs plaies. Théoliste aborde enfin une mine un peu plus avenante : Anthelme s'est réveillé. Les nouvelles ne sont pas bonnes pour autant : même s'il est un peu tôt pour l'affirmer avec certitude, le blessé semble avoir des séquelles. Osvan est toujours inconscient.
Les mages s'affairent, chuchotent entre eux et préparent déjà leur avenir, décidant de leur lieu d'exil. Thémus passe entre eux, à grands pas rageurs, un pli soucieux sur le front. Sa femme et ses hommes sont sans doute encore aux mains des gardes de Rivemorte et avec la fuite des mages, Thémus préfèrerait les savoir en sécurité auprès de lui.
Ménandre s'amuse comme un petit fou, faisant léviter tout ce qui croise son regard, sous la surveillance de Pèire et Elland. Les deux hommes essaient, eux aussi, de donner vie à un semblant d'avenir, à Rivemorte ou ailleurs. Ailleurs, de préférence, le temps que les choses se calment. Mais il reste la femme de Thémus, entre les murs de la ville, et ils ne peuvent pas l'abandonner à son sort.
La douceur de Maelenn aide Jehanne à garder un semblant de contrôle sur son esprit torturé, tandis qu'elles s'affairent autour du feu. Mais la créatrice des gargouilles s'est enfoncée trop loin dans la folie pour que de simples paroles puissent la ramener.
C'est Pèire qui, le premier, apprend le problème. Echidna est revenue à la vie et a repris sa surveillance. Il ne lui a pas fallu bien longtemps pour réaliser l'ampleur des complications. Une bonne vingtaine de mages a disparu. Pour en avoir le cœur net, Pèire se met à la recherche de Saens, qui pourrait l'aider à les identifier et, peut-être, donner les raisons de leur absence. Mais Saens est introuvable.
Soudain, le campement est en état d'alerte. Les soldats ont sans doute réussi à les trouver et se sont emparé de certains d'entre eux, ne laissant que les femmes et les blessés. Car ils découvrent bien vite que seuls les mages les plus puissants se sont envolés. Thémus reprend aussitôt les choses en main. Ils se rassemblent autour du feu, avec interdiction absolue de s'éloigner. Ils sont tous aux aguets, prêts à défendre chèrement leur liberté et leur vie. S'ils sont bien plus vulnérables qu'à leur sortie de la Tour, amputés de leurs plus forts alliés, ils ne se laisseront pas reprendre sans lutter. Ils ont expérimenté la liberté et ils y ont pris goût.
Echidna survole le campement, prête à les informer de la progression des soldats. C'est elle qui remarque les deux mages, en faction devant la sortie du labyrinthe. Somnolents, certes, mais bien vivants et presque alertes. Aussitôt averti, Thémus, Elland et Pèire vont les rejoindre. Ils ont besoin de savoir s'ils ont vu quelque chose d'anormal.
Aucun soldat n'est passé par là. Les mages n'ont rien remarqué, aucun mouvement suspect. Mais Elland devine, dans le regard fuyant de l'un et dans le mutisme de l'autre, qu'ils ne disent pas toute la vérité. Sa voix se fait dure quand il les interroge :
- Ils vous ont demandé de fermer les yeux, c'est ça ? Qu'est ce qu'il vous ont promis, en échange de votre trahison ? Une cellule plus confortable ?
Les deux mages pincent les lèvres et s'absorbent dans la contemplation de leurs bottines. Le grondement de Thémus les fait frémir. Et l'un d'eux avoue :
- Aucun soldat n'est venu. Je vous le jure. Personne. Mais certains mages sont partis. Ils étaient menés par Saens.
- Tu veux nous faire croire qu'ils seraient partis comme ça ? Sans prévenir personne ? Et pour aller où ?
- Je... Je ne sais pas. Saens nous a juste demandé de taire leur départ jusqu'à ce que vous le remarquiez. Il a dit qu'ensuite, il serait trop tard.
- Trop tard ? Mais trop tard pour quoi ?
- Ils ne nous ont rien dit ! Je vous le jure ! On ne sait rien.
Les trois amis se concertent du regard. Bien sûr que les gardes ne sont pas dans les secrets des mages renégats. Que la disparition n'ait rien à voir avec les soldats ne les soulage que temporairement : le problème, désormais, c'est de savoir où ils sont partis et pour quelle raison les ont-ils abandonnés. Perdus dans leurs pensées, ils regagnent le camp. C'est une nuée de visage affolés qui scrute leurs visages à la recherche d'information. Thémus, de sa voix puissante, les rassure tant bien que mal. Mais difficile à faire quand on ignore tant de choses.
Une douce tranquillité émane d'Echidna, qui survole les alentours du camp. Ils sont seuls, perdus au milieu de cette forêt. Loin de tout ennemis mais amputés de leurs meilleurs mages. Indifférent à l'agitation générale et au brouhaha que suscite l'annonce de Thémus, Elland réfléchit. Les mages renégats n'ont pas pu partir comme ça, pour aller s'installer dans une autre ville. Illogique. Ils les auraient prévenus. Et puis, pourquoi tous ensemble ? Pourquoi les plus puissants d'entre eux ? A moins... à moins qu'ils soient partis dans l'intention de former une sorte de clan, une secte de mages ivres de pouvoir. Voire de vengeance. Oui, ils pourraient bien s'isoler du reste du monde pour peaufiner leurs plans, maintenant qu'ils sont libres. Attendre leur heure en s'armant, en s'entraînant, en recrutant. Et quand ils seront prêts, déferler sur le continent et réduire les habitants en esclavage. Perpétrer le plus grand massacre de tous les temps et régner sur le monde tout entier. C'est bien possible, oui.
Un frisson d'horreur lui parcourt l'échine et il redresse vivement la tête. Il croise le regard inquiet de Pèire, qui réalise immédiatement le trouble d'Elland et qui, d'un geste, l'invite à le suivre à l'écart des mages. Fébrile, le voleur s'empresse de le rejoindre. Il doit lui faire part de ses doutes. Ils doivent empêcher les mages de mettre le continent à feu et à sang.
La voix grave et rassurante de Pèire le calme suffisamment, lorsqu'il lui demande les raisons de son trouble, pour qu'Elland puisse partager ses craintes :
- Seuls les mages les plus puissants sont partis. Je ne t'apprends rien. Je pense que c'est parce qu'ils veulent dominer le monde.
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Par Blanche. le 11 Mars 2013 à 09:55
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