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    Assis autour d'une table, Anthelme lit à voix haute la lettre, attentivement écouté. C'est Pèire, qui leur donne des nouvelles. Deux mois ont passé depuis la révolte, et le départ de l'ancien tavernier et de Jehanne. C'est la troisième lettre qu'ils reçoivent. Pourtant, ils sont incapables de cacher leur joie d'avoir enfin des nouvelles.

    Pèire et Jehanne se sont installés dans la maison au milieu de la forêt, où Elland a passé quelques moments insoutenables. Jehanne avait besoin de calme, pour se retrouver. Et l'éloignement lui fait énormément de bien. Enfin, d'après Pèire. Car les trois amis, autour de la table, ne sont pas dupes. C'est surtout la présence de cet ours affectueux et protecteur au possible, qui fait du bien à Jehanne. Leur vie se compose de petits riens, mais ils sont heureux, tous les deux. A la fin de la lettre, Pèire leur annonce qu'ils viendront à l'Hermine Affamée, en milieu de mois, pour leur rendre visite. Alors, avant même qu'Anthelme ai pu prendre sa plume et du papier, Elland et Ménandre lui dictent, en même temps, un début de réponse.

    Il faut toute la patience et l'autorité d'Anthelme pour parvenir à canaliser l'énergie des deux énergumènes qui lui font face pour réussir à écrire la réponse. Enfin presque. Car Théoliste arrive à ce moment, visiblement épuisé. Reportant l'écriture de la lettre à plus tard, ils s'accordent une chope d'hydromel. Et en profitent pour essayer de glaner quelques informations sur Thémus. Il faut dire que depuis qu'il a réussi à placer un de ses hommes, autrefois infiltré parmi les dirigeants, à la place de Gouverneur, il ne manque pas de travail. Il tire les ficelles dans l'ombre, comme toujours, mais ses amis n'ignorent pas qu'une grande partie des décisions prises depuis la révolte sont de son fait. Il en a même fermé son atelier de cordonnier, c'est pour dire !

    La chope d'hydromel terminée, Théoliste retourne à ses patients. Anthelme, Elland et Ménandre, à leur lettre. Puis, rapidement, c'est l'heure des adieux. L'enseignant a encore beaucoup à faire.

    De retour à l'Hermine Affamée, Ménandre est chargé de servir les clients de l'après-midi. Il a voulu rester ici, avec Elland, et laisser Pèire et Jehanne se découvrir en tête à tête. Lui aussi, a bien appris. Et depuis peu, il ne pique plus les bourses des clients. De sacrés progrès. Il ne fait rien léviter devant les clients, non plus, bien trop conscient que la présence de la magie à Rivemorte est trop récente pour être acceptée sans réticence.

    Elland est monté dans sa chambre. Celle qu'il avait aménagé, lorsqu'il s'était installé ici, en tant que simple invité. La configuration des lieux est bien trop pratique pour qu'il aille ailleurs. De la lucarne, il aperçoit Echidna, figée pour la journée, surplombant la ruelle derrière l'Hermine Affamée. Comme d'habitude, il s'éclipsera pendant le service du soir, pour passer plusieurs heures avec elle, survolant les toits ou les champs, dans ces moments de complicité dont il a tant besoin.

    Après de rapides ablutions, il se glisse entre les draps. Il s'endort avec le sourire car il sait que le réveil sera le meilleur de toute sa vie.
    Et ça n'y coupe pas. C'est d'abord la caresse de cheveux, qu'il sait être blonds, sur sa joue. Il se réveille mais n'ouvre pas les yeux, attendant impatiemment la suite. Puis, du bout des doigts, elle parcourt avec une douceur infinie le front, la tempe, la balafre sur sa joue, ses lèvres. Alors elle se penche un peu plus et l'embrasse avec tendresse. Il fait semblant de gémir dans son sommeil et, d'un geste vif, enserre ses bras autour de sa taille, avant de la faire rouler sur le lit. Elle pousse un petit cri, comme toujours, et ils rient, comme deux gamins, comme toujours.
    Maelenn est rentrée. Elle travaille à la taverne, elle aussi, s'occupe des chambres louées aux clients. L'après-midi, c'est toujours la lessive. Et Elland attend son retour avec la même impatience, tous les jours.

    C'est encore un coup de Ménandre, cette histoire. Elland était figé devant la taverne, deux mois plus tôt, regardant Maelenn s'éloigner pour saluer les mages qui quittaient la ville. Il était persuadé qu'elle ne voudrait pas rester, qu'elle aurait bien mieux à faire, loin de Rivemorte. Il n'avait pas osé lui proposer de rester, même s'il en mourrait d'envie. Il n'avait rien à lui offrir et elle, toute une liberté à retrouver. Ménandre observait le manège, parfaitement au fait de ce qui se déroulait sous ses yeux. Alors, dans un soupir exagéré, il était allé la voir. Il avait déclaré qu'Elland était fou amoureux d'elle, qu'il mourrait si elle s'en allait, qu'il était prêt à se jeter à ses pieds.

    Voyant le gamin comploter avec la drapière, Elland avait prudemment battu en retraite, les joues en feu, dans le havre rassurant de la taverne, toute pillée qu'elle était.
    Il avait fallu le retour de Ménandre, de longues minutes plus tard, pour connaître le verdict. Elle avait accepté avec joie.
    Là encore, il avait fallu beaucoup de temps pour qu'ils finissent par partager la même chambre. Et Maelenn avait fait le premier pas plus souvent qu'à son tour. Il leur devait tant !

    Le nez perdu dans la douceur enivrante du cou de Maelenn, Elland est heureux. Et c'est avec plus de bonheur encore qu'il lui annonce la venue prochaine de Pèire et Jehanne.

    Mais trop vite, le travail les rappelle à l'ordre. Et c'est la voix en pleine mue de Ménandre qui sert de messager. En bas, dans la salle de la taverne, un artisan patiente devant une chope de bière. Calé contre lui, un paquet, soigneusement emballé dans une toile cirée. Son visage s'illumine d'un grand sourire quand il voit Elland. Et délaissant sa chope, il déballe le mystérieux paquet. Et là, devant les trois paires d'yeux brillants des taverniers, la nouvelle enseigne se dévoile. Des grosses bêtes, fort jolies au demeurant, annoncent le changement de nom de la taverne. Et c'est Maelenn qui, d'une voix rendue rauque par l'émotion, lit :


    « La Gargouille Affamée »

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    La serpillère, noire de crasse, se glisse entre les pieds des chaises, maniée par des mains devenues expertes. Le service du midi est terminé, les clients ont bien mangé, payé, et ont quitté les lieux. Il ne reste plus qu'à ranger et ce sera l'heure d'une sieste bien méritée.

    L'Hermine Affamée a retrouvé toute sa splendeur. Il aura fallu réparer les portes et fenêtres, le mobilier et renflouer le garde-manger pillé. Amadouer la cuisinière, aussi, qui était parfaitement au courant de son surnom de ''dragon''. Pas une mince affaire, ça.

    Elland plonge une dernière fois la serpillère dans le seau et se redresse, une main sur les reins. Il n'aurait jamais cru qu'être tavernier serait si épuisant. Au moins, il a un travail parfaitement légal, désormais, et peut croiser les patrouilles de garde sans se cacher. Bon, bien sûr, il a toujours une ou deux manigances en cours, mais ça le maintient en forme ! Pèire parti, il fallait bien que quelqu'un s'occupe de la taverne. Reconversion idéale.

    Les mains sur le manche de la serpillère, le menton posé sur les mains, Elland repense à ses débuts de tavernier. Pas brillants, il faut l'avouer. Entre les erreurs de quantités commandées, les clients à servir avec le sourire mais pas trop, les ivrognes à l'alcool mauvais et les mauvais payeurs, chaque jour était presque un enfer. Mais il s'est vraiment amélioré depuis ! Et puis, avec sa main qui ne lui obéit que quand elle veut, il n'avait pas beaucoup d'autres possibilités. Sans compter que son visage, marqué par une balafre pas discrète pour un sou, n'inspire pas forcément la confiance. Alors se faire employer quelque part...

    Un message, soigneusement roulé, danse devant ses yeux. Sursaut. Puis, s'étant repris, il demande, dans un soupir las :


    - Ménandre, tu n'es pas encore fatigué de me jouer ce tour ?
    - Non !

    Un rire étrange, d'une voix en pleine mue, surgit derrière Elland, qui se retourne vivement, manquant de lâcher la serpillère. Ménandre se tient fièrement sur le seuil de la cuisine. Il a sacrément grandi, le gamin. Et il s'est bien remplumé, aussi. Faut dire qu'il dévore comme un ogre, à chacun des trois repas de la journée. Un beau jeune homme, qui fait déjà tourner les têtes des demoiselles du quartier. Des soucis en perspective, forcément.

    D'un geste vif, Elland attrape le message qui lévite. C'est la grande passion du gamin, depuis qu'il s'est découvert ses pouvoirs. Elland espérait que ça lui passerait, mais non. Il fait toujours léviter tout ce qu'il trouve. D'un coup d'ongle, il décachette le sceau sur le message et déroule le papier. Ménandre s'est rapproché et regarde par dessus son épaule.
    Mais même à deux, ils sont incapable de déchiffrer les petites bêtes gravées sur le papier. Quelle idée, aussi, d'écrire ?

    Repoussant d'un coup de pied le seau d'eau noire dans un coin, Elland retire son tablier noué autour de la taille et le jette sur le comptoir. Un sourire complice sur les lèvres, il se tourne vers Ménandre et lui dit :


    - Il ne nous reste plus qu'une chose à faire !

    Il passe une main dans ses longs cheveux noirs pour les discipliner et renouer le lacet de cuir qui les maintient sur la nuque. Il tire machinalement sur la chemise de Ménandre pour la remettre correctement. Et, ensemble, ils ferment et quittent la taverne.

    Depuis la révolte, les rues ont retrouvé leur sérénité et les harangues des vendeurs leur force. Ils n'ont guère le temps de flâner et marchent d'un bon pas en direction de la Grand Tour Célestis. Une porte, discrète mais toujours ouverte, orne le pied de la tour. Les souterrains ont été sécurisé et nul ne s'y aventure sans une excellente raison.

    Le hall d'entrée est désert. Il est accueillant, pourtant, avec des bancs, des tables et, dans un placard, des couvertures et vêtements de rechange. Ce sont les habitants qui remplissent ces placards d'affaires dont ils n'ont plus besoin. Et ce sont les nécessiteux qui viennent passer la nuit ici, à l'abri du mauvais temps.

    Ils gravissent les escaliers sans s'arrêter. Il a fallu un peu de temps à Elland pour les emprunter sans revivre l'évasion des mages et les morts qui en ont découlé, mais le lieu a tellement changé, maintenant....

    Au premier étage, des dizaines de personnes patientent calmement, assises sur des bancs. Derrière un drap tiré en travers de la pièce, Théoliste travaille. Elland et Ménandre ne le dérangent pas. Ils n'ont pas spécialement besoin de lui aujourd'hui. Et tant de monde attend qu'ils ne veulent pas accaparer le médecin pour déchiffrer un message. Ils passeront à leur retour le saluer.

    Il leur faut encore monter deux étages pour parvenir à la salle de classe. Des dizaines et des dizaines d'enfants sont assis, dans un silence religieux, le regard rivé vers Anthelme. Le compagnon de Théoliste a changé : il a perdu poids et un bandeau noir cache son oeil aveugle. Le coup qu'il a reçu, à quelques mètres seulement d'ici, a laissé des séquelles. Les boucles brunes jaillissent de part et d'autres du bandeau, lui donnant un peu l'air d'un épouvantail. Mais le plus remarquable, c'est la lueur qui brille constamment dans l'iris émeraude intact. Une lueur de bonheur à l'état brut. Un bonheur absolument parfait, depuis qu'ils ont convaincu le nouveau Gouverneur d'utiliser cette tour, vide de tout occupant, pour recueillir les enfants des rues et certains orphelins. Théoliste et Anthelme leur permettent de dormir au chaud, d'avoir trois repas par jour et des vêtements à leur taille et presque propres. Anthelme se charge de leur apprendre à lire et à écrire, également. Et il leur offre un minimum de savoir. Théoliste, lui, partage son temps entre soigner les enfants dont ils ont la charge et soigner les plus pauvres de Rivemorte, qui ne peuvent s'offrir les services d'un médecin rémunéré.
    Et puis, comme ils étaient plutôt connus, l'un comme l'autre, auprès des artisans et des commerçants, ils peuvent placer des jeunes en apprentissage.

    Elland ne l'avouerait pour rien au monde, mais il est très heureux pour eux deux. Ils se rendent utiles à une échelle bien plus importante qu'auparavant, avec des moyens sans commune mesure avec les précédents. Leur couple semble plus fort que jamais, malgré les rumeurs et commentaires qui courent sur eux.

    Anthelme a remarqué l'arrivée d'Elland et Ménandre, et laisse à Osvan le soin de poursuivre la leçon du jour. Le gamin a mis bien du temps pour se remettre de son passage à tabac, mais il va mieux, désormais, et est devenu l'assistant personnel d'Anthelme.

    Ce dernier, d'ailleurs, les entraîne à l'écart, suivi par des dizaines de regards curieux. Remarquant l'attention dont ils sont l'objet, le professeur leur fait monter l'escalier jusqu'à l'étage suivant, qui sert à la fois de cuisine et de salle à manger.
    Après les salutations d'usage, Elland lui tend le message, un air penaud sur le visage. C'est qu'il sait déjà ce qu'Anthelme va lui dire !


    - Quand vous déciderez-vous à apprendre à lire, vous deux ? Ce n'est pas bien compliqué, quand même !
    - Un jour, promis !

    Le soupir d'Anthelme résume toutes les conversations qu'ils ont eu à ce sujet, et elles sont nombreuses. Mais essayer de convaincre ces deux têtes de mules est épuisant. Et vain.


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    C'est dans un silence lourd qu'ils quittent la prison. La justice fera son oeuvre, tôt ou tard. Mais chacun ressasse les aveux de Tanorède et les implications de ses actes. Jusqu'à ce qu'un coup de coude dans les côtes fasse glapir Elland de douleur. Pas vraiment discret, Ménandre, l'auteur du coup, désigne d'un mouvement du menton un étal présentant de magnifiques brioches.

    - N'oublie pas ta promesse, Elland.

    Il lui faut quelques longues minutes pour comprendre la phrase du gamin. Ce qui lui semble être des semaines, des mois auparavant, il lui avait promis d'aller voir Maelenn et de lui offrir une brioche. Ils l'ont retrouvé. Ne manque plus que la brioche. Et malgré tous les évènements de la nuit, la vie continue et les artisans se sont mis au travail, comme d'habitude. Se révolter est une chose, se priver de nourriture en est une autre. Elland s'avance d'un pas décidé vers l'étal et achète trois belles brioches. Sa chemise à poche, raidie de crasse, trouée, tâchée de sang, recèle encore suffisamment de pièces pour honorer sa promesse. S'il tend une brioche avec une pointe d'agacement à Ménandre, c'est les joues roses, la main légèrement tremblante, qu'il fait de même avec la jeune drapière. Et son sourire, quand elle l'accepte, est comme l'envol d'une gargouille. C'est l'esprit ailleurs et en grignotant qu'ils regagnent lentement l'atelier.

    L'aube s'est levée et expose, avec toute la force des rayons du soleil, les dégâts de la veille. La vie reprend son cours, les valides soignent les blessés, les personnes indemnes, avec la force de l'habitude, font tourner cette grande roue qu'est la vie. Des volontaires ramassent les innombrables objets abandonnés, souvent des armes de fortune, des vêtements ou des chaussures que la frénésie de la veille a rendu bien dérisoires. D'autres nettoient le sang qui macule les pavés, attirant déjà les mouches et les rats.

    Alors qu'ils traversent la place du marché, où gisent encore de nombreux blessés, ils s'arrêtent prendre des nouvelles de Théoliste. Le médecin, épuisé, couvert de sang, les salue d'un sourire. Il a encore beaucoup à faire et n'a guère le temps de s'arrêter. Mais il leur désigne, d'un geste de la tête, l'Hermine Affamée. Sur le toit, fièrement posée à la vue de tous, Echidna toise la ville de toute sa hauteur, comme maîtresse des lieux. Et elle a beau être figée par les rayons du soleil, elle resplendit et fait retentir dans le cœur d'Elland de furieux battements. Devant la porte se tient une silhouette parfaitement reconnaissable : Pèire.

    Intrigués, ils s'approchent rapidement et comprennent vite la raison de sa présence. Thémus, assuré que la révolte était terminée, a envoyé des hommes chercher ceux qui restaient dans la clairière. Ils sont tous là, les blessés, les épuisés, Osvan, Anthelme, Jehanne. De retour dans leur ville.

    Thémus a tout prévu. Grâce aux biens retrouvés dans les riches demeures et dans les palais, il offre la possibilité aux mages qui veulent quitter Rivemorte un paquetage, avec vivres, vêtements et pécule. Les blessés pourront partir, s'ils le souhaitent, dès qu'ils seront rétablis.

    Dans l'effervescence de cette nuit hors du commun, les décisions se prennent rapidement. Beaucoup de mages, un ballot dans les bras ou sur le dos, font leurs adieux. Pèire, suivi comme une ombre par Jehanne, s'affaire lui aussi à empaqueter ses affaires. La gorge nouée, Elland le regarde se préparer au départ et serre la main de Ménandre, comme pour l'empêcher de quitter la ville à son tour.
    Maelenn s'est éloignée et salue les mages qu'elle a côtoyé dans la tour. Elle va partir, elle aussi, rester avec les siens et se reconstruire une vie. S'il veut la garder auprès de lui, c'est le moment. Le moment d'affronter sa peur d'être rejeté, sa peur d'être ridiculisé. Affronter aussi cette petite voix qui lui susurre à l'oreille qu'il n'a rien à lui offrir qui pourrait la rendre heureuse. C'est le moment de prendre l'inspiration qui changera sa vie. Ou pas.


    FIN

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    Les geôles, habituellement réservées aux miséreux et aux crapules de tout bord, sont désormais remplies d'autres crapules, plus propres sur elles, plus suffisantes, mais pas moins coupables. Sûrement plus, en fait. Il n'y a pas de registre. Aucune certitude quant aux identités des personnes emprisonnées ici. Les hommes qui servent de gardiens, des truands, des commerçants, ne savent rien. Ceux qui étaient pris à partie par la foule, ceux qui étaient trop bien habillés, ceux qui grouillaient dans le palais sont là. L'organisation viendra plus tard. Peut-être.

    Il leur faut près d'une heure, à observer à travers les barreaux des portes, pour repérer Tanorède Guevois. Sans douceur, il est extrait de la cellule surpeuplée et conduit dans ce qui fut la salle de torture. Ses riches habits ne sont plus que des loques, souillés de sang, de boue et d'autres matières non identifiables. De son parfum délicat, il ne reste que puanteur. Et cet homme, si prétentieux, si hautain, n'est désormais plus qu'un corps recroquevillé sur la chaise d'interrogatoire, tremblant et misérable. Une large tâche assombrit le devant de son pantalon. Méandre ricane en le voyant ainsi, glaçant le sang d'Elland.

    Maelenn se tient immobile, sur le seuil de la porte, blême. Elle découvre avec effarement les lieux, le sang qui a imprégné le sol et les instruments. Elland est figé, lui aussi, et revit les moments passés dans une salle semblable, quand il était entre les mains du Comain. C'est la vision de pinces acérées, flottant à hauteur de visage, encore souillées de sang séché, qui le tire de ses souvenirs. Ménandre se tient face à Tanorède, fier de son effet. Car le bourgeois sanglote désormais, persuadé que ce gamin des rues, famélique et doté de pouvoirs magiques, va faire usage des instruments présents sur sa noble personne.

    - Ménandre, repose ça tout de suite !

    Étonnement, le gamin s'exécute. Guevois ne semble pas spécialement rassuré, et promet, dans un balbutiement à peine compréhensible, de tout avouer. L'heure n'est plus à la commisération. D'une voix sèche, Elland lui ordonne de parler. Les mots sont à peine audibles, bégayés, mais compréhensibles :

    - J'ai batifolé avec les servantes. Elles étaient à mon service, après tout. Elles étaient bien payées pour me servir.

    Elland réprime un grondement et s'avance d'un pas. Dans un sursaut de terreur, le bourgeois se tasse un peu plus sur le siège, comme s'il voulait se fondre dans le bois.

    - J'ai fait battre et renvoyer un palefrenier, pour une faute qu'il n'avait pas commise.
    - Ce n'est pas ce que je veux savoir. Je veux connaître ton implication dans l'enlèvement de Ménandre.

    Le regard rendu fou par la terreur, Tanorède dévisage le gamin, qui aborde un sourire menaçant. Ses tremblements s'accentuent. Mais il raconte tout :


    - Les Monrand faisaient partie de mon réseau d'informateurs. Maelenn est venue travailler chez eux comme drapière et ils ont rapidement senti qu'elle était différente. Il leur a fallu un peu de temps pour découvrir qu'elle était une descendante des Clamadinis mais ils m'en ont tout de suite informé. Alors j'ai envoyé une équipe la récupérer et la rapatrier dans la tour.

    Maelenn s'est approchée et se tient, bien droite, à côté d'Elland. Il hésite un instant avant de prendre tout doucement sa main dans la sienne, pour lui offrir un réconfort bien dérisoire. Ménandre, avec sa voix haut-perchée et pourtant terriblement menaçante, lui demande :

    - Alors les deux vieux étaient au courant depuis le début ?
    - Oui. Ils devaient envoyer les curieux sur une fausse piste pour s'en débarrasser. Les curieux n'auraient pas dû être aussi insistants que vous. Elle venait d'arriver en ville, n'avait pas d'amis proches.
    - Il faut croire que si !
    - En effet. La mère Monrand a paniqué en vous voyant revenir et a lâché mon nom. Je ne pouvais pas laisser passer ça. Alors j'ai envoyé des hommes s'occuper du couple et s'assurer qu'ils ne se montreraient jamais plus bavards. Vous étiez surveillés, depuis votre retour de Picsuif. Je vous ai donné le change, quand vous êtes venus chez moi, mais je me doutais que ça ne suffirait pas. Et puis, le gamin présentait des aptitudes. Alors l'enlever et tuer le témoin, c'était faire d'une pierre deux coups.

    Ménandre a glissé sa main dans celle d'Elland. Soudés, le visage pâle, les trois amis l'écoutent parler d'eux comme s'ils n'étaient que des pions. Le bourgeois, conscient que la menace de torture s'éloigne de plus en plus, reprend son sang-froid et sa morgue habituelle. Elland lui demande :

    - Alors, vous étiez au courant, pour les mages emprisonnés dans la tour ?
    - Évidemment ! Je contribuais à récupérer les individus porteurs de capacités magiques. En échange, ils enchantaient certains outils pour mes ateliers de draperie ou intervenaient dans les échanges commerciaux. C'était le meilleur moyen pour assurer des rentrées d'argent conséquentes et régulières.

    Une haine sourde fait palpiter les tempes d'Elland. Il exècre ce genre de personne, prête à tout pour gagner de l'argent. Et à sentir les mains crispées autour des siennes, il n'est pas le seul à ressentir une telle haine. Mais s'en prendre au bourgeois, ici, dans cette salle sordide, serait marquer au fer rouge la conscience d'un enfant et d'une jeune femme. Et s'il veut les protéger, il doit commencer par les empêcher de commettre le pire. Alors, sans douceur, il attrape Tanorède Guevois par le col et le remmène dans sa cellule.

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    Des hommes de Thémus patrouillent dans le secteur. Leur soulagement est visible lorsqu'ils voient leur chef. Pas d'éclatement de joie mais de légers signes de têtes expriment mieux que tous les mots leurs sentiments. D'un pas rapide, Thémus se dirige vers son atelier épargné par les combats. A l'intérieur, son bras droit, sa femme et son fils.

    Elland, Maelenn et Ménandre restent à l'extérieur le temps des retrouvailles. Ils apprécient trop Thémus pour que leur présence l'empêche d'exprimer sa joie. C'est qu'il est pudique, le colosse, et qu'il n'aime guère montrer à tout le monde ses sentiments.
    C'est d'une voix bourrue, encore chargée d'émotion, qu'il les invite à l'intérieur. Rien n'a changé depuis la dernière visite d'Elland, comme si le temps s'était figé, comme si rien ne s'était passé dans la ville. Ils s'entassent dans l'arrière-boutique, mais l'heure n'est pas à l'hydromel. C'est le bras droit de Thémus, un homme sec et sévère, qui leur résume la situation :


    - Nous n'avons pas pu empêcher l'arrestation de ta femme et de ton fils, Thémus. Mais nous avons profité du chaos qui régnait pour les faire sortir de geôles. Nous avons libéré tous les prisonniers et éliminé tous les gardiens. Le Comain a connu une fin très longue et particulièrement douloureuse.

    Un sourire presque sadique illumine son visage revêche et il fait un rapide clin d'œil à Elland. Ce dernier ne peut s'empêcher de lui retourner son sourire. Elland a la conscience tranquille, il n'y est pour rien dans ce meurtre. Mais il est sacrément content d'apprendre que ses tortures, et celles de centaines d'autres personnes, ont été vengées. Maelenn, ne comprenant pas le sens de ces sourires, frissonne mais décide de ne pas pousser plus loin sa curiosité. C'est une autre question qui la taraude :

    - Pourquoi la ville s'est-elle embrasée ?
    - Ça faisait plusieurs jours que la tension était palpable. Avec les gardes qui vous cherchaient et toutes les arrestations sommaires qui ont été effectuées, il ne manquait pas grand chose pour mettre le feu aux poudres. Et le "pas grand chose" en question a eu lieu hier matin. Les soldats étaient comme fous, tout comme les milices. Ils ont retourné tous les pavés de la ville, ils ont tout fouillé. Ils ont interrogé des milliers de personnes : vous connaissez leur manière de faire. Des mots et des noms revenaient systématiquement : évasion, complot, Grand Tour Célestis. Il n'en fallait pas plus pour lancer les rumeurs. D'après certains, ils retenaient des prisonniers politiques dans la tour. D'autres affirment que c'était des mages. A vrai dire, démêler le vrai du faux était compliqué, et dans le climat de terreur qui régnait, ce n'était pas la priorité. Mais les soldats sont allés trop loin. Ils ont passé par le fil de l'épée une famille entière qui refusait de leur livrer des renseignements.

    Le second de Thémus hausse les épaules et passe une main sur son crâne parfaitement lisse. Le silence est tel, dans la pièce, qu'on entend les respirations saccadées. Des innocents sont morts, à cause de la libération des mages. Un prix bien douloureux à payer, pour une liberté qui aurait dû être acquise et indéniable. L'homme, après une courte inspiration, reprend :

    - Comment fournir le moindre renseignement quand on ignore tout de ce qu'il se passe ? La colère qui grondait s'est transformée en furie. Des années, que le gouvernement et les puissants s'enrichissent sur le dos du peuple. Des années, qu'ils nous font ployer sous leurs taxes et leurs lois. Et maintenant, ils tuent des gens à cause de leurs erreurs ? Les gens se sont révoltés. Les soldats ont parlé. Ils ont raconté ce qu'il se passait dans la tour, les manigances des puissants.
    - Où sont-ils maintenant ?
    - Ils sont quasiment tous morts. On ne peut rien faire contre une foule en colère. Les autres ont été enfermés dans les geôles, en attendant. Un groupe de mages est arrivé, en début de soirée. Leur chef nous a dit que l'un d'entre eux avait eu une vision de ce qu'il se passait dans la ville. Qu'ils n'avaient pas prévu de revenir un jour à Rivemorte mais qu'ils ne pouvaient pas laisser des innocents se faire tuer. Que c'était de leur faute si la situation en était arrivée là, et que c'était de leur devoir de nous venir en aide. Alors ils se sont attaqués au palais du gouverneur et à tous les dirigeants.
    - Ils les ont tous tués ?
    - Non. Pas du tout. Ils sont emprisonnés, eux aussi.
    - Tanorède Guevois.

    Tous les têtes se tournent vers Elland. Après un haussement d'épaule, il explique :

    - J'aimerais savoir s'il est toujours vivant. Et si c'est le cas, lui poser quelques questions.
    - Je viens avec toi !

    Cette fois encore, Maelenn et Ménandre se sont exprimés d'une même voix. Thémus, gêné, regarde sa famille sans dire un mot. Elland, pris d'un tact miraculeux, lui dit :

    - Tu dois avoir beaucoup de choses à régler, maintenant. Reste ici, on te tiendra au courant de nos résultats.

    Un simple hochement de tête, de la part du colosse, exprime sa gratitude et ils se séparent rapidement. Elland, marchant en tête et en silence, ne peut s'empêcher d'imaginer la rencontre qui l'attend. Si Tanorède est toujours en vie, et en état d'être interrogé, il pourra enfin comprendre son implication dans l'enlèvement de Ménandre. S'il est impliqué. Et peut-être même dans l'emprisonnement de Maelenn. Trop de questions n'ont reçu, en guise de réponse, que des suppositions. Et puis, désormais, ils ont l'explication tant attendue concernant le départ précipité des mages. Sans doute n'ont-ils pas voulu mêler les plus affaiblis à cette lutte. Qu'importe les raisons. Ils ont participé à la révolte, ont aidé les habitants et se sont vengés.
    L'un des hommes de Thémus les escorte et les conduit jusqu'aux geôles. Dans les rues qu'ils empruntent, ce sont des visages hébétés qu'ils croisent. Et dans les yeux injectés de sang, la même question « Et maintenant ? »

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    S'éloignant des bestioles, il poursuit et atteint les premiers villages qui bordent Rivemorte. La nuit est à son apogée, ils dorment tous, inconscients. Les remparts de la ville se dressent dans son champ de vision. Il ne lui faut que quelques battements d'aile pour les atteindre. Les gardes ne prêtent pas attention à lui, trop occupés. Occupés à se battre.

    Il distingue parfaitement les visages hagards des habitants, épuisés, armés de balais, de marteaux, de fourches, parfois même de poêles. Les gardes luttent tant bien que mal mais ils sont bien moins nombreux. Intrigué, il poursuit son avancée dans la ville. Chaque ruelle, chaque carrefour, chaque place est envahie par les habitants, armés, hurlants, prêts à en découdre. Les gardes, les milices, les soldats, ils sont tous sortis, eux aussi, dans la rue, et tentent de maintenir l'ordre. Sans grand succès.

    Une épaisse fumée noire s'élève du quartier bourgeois. Prudemment, il ne s'approche pas trop mais découvre les riches maisons en flammes. Les résidents sont descendus dans les rues pour fuir le brasier, dans leurs ridicules chemises de nuit richement brodées. Et là encore, les habitants, rejoints par les domestiques, les attendent, armés. La nuit déborde de cris, de hurlements, du crépitement des flammes, des armes qui s'entrechoquent et de claquements sinistres.

    Et au beau milieu de ce chaos, un groupe d'hommes et de femmes s'avance, déterminé. Ils se dirigent tout droit vers le palais du gouverneur. Il n'a aucun mal à reconnaître les mages qu'ils ont tiré hors de la Grand Tour Célestis. Sa théorie n'était pas absurde, finalement. Il survole encore la ville, découvrant les mêmes scènes de révolte populaire.

    Comment les mages ont-ils pu convaincre la population entière de Rivemorte de semer ainsi le chaos ? Et eux, bien cachés au fin fond de la forêt, que doivent-ils faire ? Peuvent-ils jeter dans la gueule du loup les mages qu'ils viennent de libérer ? Peuvent-ils rester à couvert quand une page de l'histoire s'écrit sous leurs yeux ? Il en a vu assez pour faire son rapport à Pèire. Il regagne les remparts puis l'extérieur de la ville. Son casse-croûte l'attend toujours paisiblement.

    Sans douceur, une poigne ferme l'extirpe de sa vision et l'entraîne au beau milieu du camp. Le visage de Pèire n'exprime plus la moindre impassibilité. L'heure est grave. Le tavernier a vu les mêmes images qu'Elland et ils n'ont pas besoin d'en parler entre eux. Ils prennent à part Thémus et Théoliste. Maelenn et Ménandre se joignent à eux sans un mot. D'une voix posée et pourtant pressée, Pèire leur explique les évènements à Rivemorte. Il ne semble pas en savoir beaucoup plus qu'Elland, si ce n'est que la ville est à feu et à sang. Les visages sont graves. Même Ménandre arrête de faire léviter son caillou. Thémus, après un instant de réflexion, prend la parole :


    - On ne peut pas rester ici, à ne rien faire. Ma femme et mon fils sont en danger. Je dois aller les protéger.
    - Nous ne pouvons pas y aller tous ensemble. Nous avons des blessés, des personnes affaiblies. Ce serait les envoyer à une mort certaine.

    La voix de Maelenn est douce, malgré la situation. Et ils sont beaucoup, dans le petit cercle, à opiner du chef. Pèire, après une légère hésitation, demande à Théoliste :

    - Les blessés ont-ils encore besoin de beaucoup de soin ?
    - Ils ont besoin de repos et de médication. Mais plusieurs mages veillent sur eux et s'occupent parfaitement de ces taches. Ma présence sera bien plus utile à Rivemorte.
    - Très bien. Alors je reste ici, avec Jehanne. Elle n'a pas besoin de voir ça. Je superviserai le campement. Maelenn et Ménandre, vous restez ici, vous aussi.
    - Non !

    Les deux concernés ont poussé ce cri du cœur dans un même ensemble. Pèire grimace mais il est parfaitement conscient qu'il ne pourra pas leur imposer de rester. Théoliste se contente de demander au tavernier de veiller sur son compagnon et sur Osvan. Elland, lui, ne s'inquiète que de pouvoir veiller sur Ménandre et Maelenn. Thémus se redresse. Sa voix a retrouvé toute son autorité quand il déclare :

    - Nous devons avertir tout le monde ici. Nous leur laisserons le choix de venir avec nous ou non. Et ensuite, nous nous mettrons en route. Il n'y a pas de temps à perdre.

    Le groupe se disperse rapidement. Ceux qui partent pour Rivemorte vont chercher ce qu'ils pensent nécessaire pour cette nouvelle expédition, tandis que Pèire se charge d'informer les mages des derniers évènements.

    Ils ne sont qu'une dizaine, finalement, armés de torches, à prendre la route pour Rivemorte. D'un commun accord, ils ont décidé de marcher à la lueur de la lune, quitte à mettre plus de temps, au lieu d'emprunter les souterrains. Ils risquent trop de tomber sur des soldats ou de se perdre. Il leur faut près d'une heure pour voir enfin les remparts de la ville. Le trajet s'est déroulé dans un silence tendu et la vision des épaisses colonnes de fumée noire qui s'élèvent au dessus des toits ajoute à la tension. Les portes de la ville gisent, éventrées, inutiles. Ce sont des scènes de désolation qui les attendent. Elland et Maelenn tiennent Ménandre serré entre eux deux et cachent régulièrement ses yeux des scènes sanglantes, malgré ses protestations.

    Les corps jonchent le pavé. Le sang suit paresseusement le sillon des pierres. Gardes et habitants sont réunis dans la mort, avec la même expression d'horreur et de souffrance gravée à jamais sur leurs visages. Malgré l'odeur âcre de la fumée, celle du sang, presque métallique, se fait clairement sentir. Ils arrivent à la place du marché, là où, pour la première fois, Elland a croisé le regard de la drapière. Là où il a entendu le récit des Clamadinis. L'Hermine Affamée a échappé aux flammes, mais pas au pillage. Cette place, où résonnent habituellement les cris joyeux et harangues des vendeurs, bruisse maintenant des gémissements des blessés. A perte de vue, des corps, allongés à même le sol, baignant dans le sang. Les meneurs de la révolte ont fait de cette place une infirmerie à ciel ouvert. Des personnes s'affairent autour des corps, faisant enlever ceux qui ont trépassé, soignant ceux qui peuvent encore l'être. Théoliste et les mages, après une rapide conciliation, vont les rejoindre et offrir leur aide. Elland, Thémus, Maelenn et Ménandre reprennent leur marche, en direction de l'atelier de cordonnier.

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    Le regard de Pèire est éloquent. Pas méchant, non, mais Elland sent bien toute l'absurdité de sa déclaration. Se frottant durement les tempes, comme pour mettre en ordre ses pensées trop rapides et trop confuses, Elland prend une longue inspiration et débite :

    - Ils ne se connaissent pas suffisamment pour vouloir s'exiler ensemble. Et pourquoi seulement les plus puissants ? Je pense qu'ils ont un but bien précis. Ils ne seraient pas partis sans rien dire, sinon. On a libéré des monstres, Pèire, ivres de vengeance et de pouvoir. Ils vont ravager le pays !

    Pèire secoue doucement la tête mais ne répond rien. Finalement, les idées d'Elland ne sont peut-être pas si farfelues qu'elles y paraissent. Si les mages ont été mis à l'écart, c'est à cause de leur possibilité de faire beaucoup de dégâts.
    Tandis que le tavernier fait les cent pas, plongé dans ses réflexions, Elland ne peut s'empêcher d'observer Maelenn et Ménandre. Deux êtres qui lui inspirent bien plus que de l'amitié. Il veut les protéger. Il veut les rendre heureux, les voir rire. Après tout ce qu'ils ont vécu, ils le méritent amplement. Il souhaite leur offrir la chaleur d'un foyer, la sécurité d'avoir toujours le ventre plein et un toit sur la tête. Et même s'il ne peut plus voler, même s'il ignore encore comment il pourra bien subvenir à leurs besoin, il trouvera une solution. Il a toujours son butin planqué dans la forêt, qui lui permettra de s'offrir une petite bicoque et de voir venir. Il trouvera une solution. Enfin, si ils sont d'accord.

    Portant machinalement ses doigts à la bouche, il se mordille les ongles. Pourquoi voudraient-ils venir avec lui ? Ménandre voudra certainement aller avec des mages, pour en apprendre plus sur ses pouvoirs et les exploiter à l'envi. Ou alors, il voudra aller avec Pèire et Jehanne, deux personnes qu'il aime beaucoup. Et Maelenn, elle, elle voudra sa liberté. Faire ce qu'elle veut, quand elle veut. Être libre, sans se retrouver avec un quasi-inconnu, balafré et doté d'une main capricieuse. Qu'est-ce qu'il pourrait bien avoir à leur offrir ? Il y a bien son butin, mais croire qu'on peut s'approprier les gens avec de l'argent ferait de lui un de ces bourgeois prétentieux et irrespectueux. Il a Echidna, bien sûr, mais elle est un être à part entière, et certainement pas un outil pour convaincre les deux de l'aimer.
    Il va leur laisser le choix. Voilà. Et s'ils refusent, eh ben, tant pis. Il ne va pas les contraindre. Il les laissera aller à leur guise et lui, il repartira avec Echidna. Et il trouvera une solution pour survivre. Seul avec sa gargouille. Après tout, c'est pas comme s'il...

    Une main épaisse et douce à la fois se pose sur son épaule, le faisant brusquement sursauter. C'est Pèire qui, avec son sourire triste, semble avoir lu dans ses pensées. Il lui serre légèrement l'épaule et lui annonce :

    - Je me suis permis d'envoyer Echidna en mission. C'est juste pour vérifier une idée.
    - Quelle idée ?
    - Je t'en parlerais en fonction de ce qu'elle découvre.

    Le regard ébène d'Elland plonge dans celui, gêné, de Pèire. L'ancien voleur n'a pas besoin de mots pour lui faire savoir ce que lui inspire ces cachoteries. Lui n'hésite pas à partager ses idées les plus improbables et Pèire manigance dans son coin ?

    - Très bien.

    Le ton est sans doute un peu trop sec, et son mouvement pour se dégager de la poigne du tavernier, trop brusque. Elland s'éloigne du campement sans se retourner, le visage fermé. Voilà ce qu'il reste de leur belle amitié. Une belle illusion, oui !
    Un sourire taquin vient effleurer son esprit. Echidna. Elle a senti son trouble et refuse de le laisser glisser dans les méandres de la suspicion et de l'apitoiement. Il s'immobilise, sourit. Elle est là. Sa complice de toujours, à ses côtés, envers et contre tout. Un paysage défile dans son esprit, survol de cette forêt majestueuse. Pèire ne veut rien lui dire mais Echidna, elle, lui fait profiter en temps réel de sa mission. Un ricanement s'échappe de ses lèvres. Cette nourrice à gargouille se croyait maline, à vouloir cacher des choses. C'était sans compter sur le lien indestructible qui lie Elland et Echidna. Bien fait !

    La vision est tellement réaliste qu'il sent l'air fouetter son visage et qu'il perçoit l'odeur si particulière de la forêt. Une odeur fraîche d'humus, bien éloignée de celle, putride, des bas-quartiers de Rivemorte. Le vent siffle à ses oreilles. Il vole, libre, puissant, invincible. Il survole la forêt, aperçoit une clairière au milieu de cette immensité verte, distingue tous les détails comme s'il était en plein jour. Et puis, les arbres se font plus rares, plus chétifs. Déjà, il survole les champs de blé mûr, qui n'attendent que les hommes pour la moisson. Une poignée de bestiole somnole dans des prairies, vaches ou moutons, la différence n'est pas flagrante. A quoi bon les distinguer, de toute façon : ça se mange et ça fait du lait. Manger ! Il a soudain conscience d'une faim dévorante, comme si son estomac s'était transformé en abîme avide de proie. Il perd de l'altitude. Il s'approche, toutes ailes déployées, de son casse-croûte. Non ! Pèire lui a donné une mission, il doit l'accomplir. Il grignotera ensuite, sur le chemin du retour. Quoique. Il pourrait peut-être manger en cours de route. Ce ne serait pas la première fois. Ni vu ni connu, il ne perdrait pas de temps. Sauf que ça lui donne des gaz. Au retour. Il mangera au retour.


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    La nuit tombe sur le campement. La journée a passé doucement. La pression est enfin retombée alors ils en profitent pour se reposer, manger, panser leurs plaies. Théoliste aborde enfin une mine un peu plus avenante : Anthelme s'est réveillé. Les nouvelles ne sont pas bonnes pour autant : même s'il est un peu tôt pour l'affirmer avec certitude, le blessé semble avoir des séquelles. Osvan est toujours inconscient.

    Les mages s'affairent, chuchotent entre eux et préparent déjà leur avenir, décidant de leur lieu d'exil. Thémus passe entre eux, à grands pas rageurs, un pli soucieux sur le front. Sa femme et ses hommes sont sans doute encore aux mains des gardes de Rivemorte et avec la fuite des mages, Thémus préfèrerait les savoir en sécurité auprès de lui.

    Ménandre s'amuse comme un petit fou, faisant léviter tout ce qui croise son regard, sous la surveillance de Pèire et Elland. Les deux hommes essaient, eux aussi, de donner vie à un semblant d'avenir, à Rivemorte ou ailleurs. Ailleurs, de préférence, le temps que les choses se calment. Mais il reste la femme de Thémus, entre les murs de la ville, et ils ne peuvent pas l'abandonner à son sort.

    La douceur de Maelenn aide Jehanne à garder un semblant de contrôle sur son esprit torturé, tandis qu'elles s'affairent autour du feu. Mais la créatrice des gargouilles s'est enfoncée trop loin dans la folie pour que de simples paroles puissent la ramener.

    C'est Pèire qui, le premier, apprend le problème. Echidna est revenue à la vie et a repris sa surveillance. Il ne lui a pas fallu bien longtemps pour réaliser l'ampleur des complications. Une bonne vingtaine de mages a disparu. Pour en avoir le cœur net, Pèire se met à la recherche de Saens, qui pourrait l'aider à les identifier et, peut-être, donner les raisons de leur absence. Mais Saens est introuvable.

    Soudain, le campement est en état d'alerte. Les soldats ont sans doute réussi à les trouver et se sont emparé de certains d'entre eux, ne laissant que les femmes et les blessés. Car ils découvrent bien vite que seuls les mages les plus puissants se sont envolés. Thémus reprend aussitôt les choses en main. Ils se rassemblent autour du feu, avec interdiction absolue de s'éloigner. Ils sont tous aux aguets, prêts à défendre chèrement leur liberté et leur vie. S'ils sont bien plus vulnérables qu'à leur sortie de la Tour, amputés de leurs plus forts alliés, ils ne se laisseront pas reprendre sans lutter. Ils ont expérimenté la liberté et ils y ont pris goût.

    Echidna survole le campement, prête à les informer de la progression des soldats. C'est elle qui remarque les deux mages, en faction devant la sortie du labyrinthe. Somnolents, certes, mais bien vivants et presque alertes. Aussitôt averti, Thémus, Elland et Pèire vont les rejoindre. Ils ont besoin de savoir s'ils ont vu quelque chose d'anormal.
    Aucun soldat n'est passé par là. Les mages n'ont rien remarqué, aucun mouvement suspect. Mais Elland devine, dans le regard fuyant de l'un et dans le mutisme de l'autre, qu'ils ne disent pas toute la vérité. Sa voix se fait dure quand il les interroge :


    - Ils vous ont demandé de fermer les yeux, c'est ça ? Qu'est ce qu'il vous ont promis, en échange de votre trahison ? Une cellule plus confortable ?

    Les deux mages pincent les lèvres et s'absorbent dans la contemplation de leurs bottines. Le grondement de Thémus les fait frémir. Et l'un d'eux avoue :


    - Aucun soldat n'est venu. Je vous le jure. Personne. Mais certains mages sont partis. Ils étaient menés par Saens.
    - Tu veux nous faire croire qu'ils seraient partis comme ça ? Sans prévenir personne ? Et pour aller où ?
    - Je... Je ne sais pas. Saens nous a juste demandé de taire leur départ jusqu'à ce que vous le remarquiez. Il a dit qu'ensuite, il serait trop tard.
    - Trop tard ? Mais trop tard pour quoi ?
    - Ils ne nous ont rien dit ! Je vous le jure ! On ne sait rien.

    Les trois amis se concertent du regard. Bien sûr que les gardes ne sont pas dans les secrets des mages renégats. Que la disparition n'ait rien à voir avec les soldats ne les soulage que temporairement : le problème, désormais, c'est de savoir où ils sont partis et pour quelle raison les ont-ils abandonnés. Perdus dans leurs pensées, ils regagnent le camp. C'est une nuée de visage affolés qui scrute leurs visages à la recherche d'information. Thémus, de sa voix puissante, les rassure tant bien que mal. Mais difficile à faire quand on ignore tant de choses.

    Une douce tranquillité émane d'Echidna, qui survole les alentours du camp. Ils sont seuls, perdus au milieu de cette forêt. Loin de tout ennemis mais amputés de leurs meilleurs mages. Indifférent à l'agitation générale et au brouhaha que suscite l'annonce de Thémus, Elland réfléchit. Les mages renégats n'ont pas pu partir comme ça, pour aller s'installer dans une autre ville. Illogique. Ils les auraient prévenus. Et puis, pourquoi tous ensemble ? Pourquoi les plus puissants d'entre eux ? A moins... à moins qu'ils soient partis dans l'intention de former une sorte de clan, une secte de mages ivres de pouvoir. Voire de vengeance. Oui, ils pourraient bien s'isoler du reste du monde pour peaufiner leurs plans, maintenant qu'ils sont libres. Attendre leur heure en s'armant, en s'entraînant, en recrutant. Et quand ils seront prêts, déferler sur le continent et réduire les habitants en esclavage. Perpétrer le plus grand massacre de tous les temps et régner sur le monde tout entier. C'est bien possible, oui.

    Un frisson d'horreur lui parcourt l'échine et il redresse vivement la tête. Il croise le regard inquiet de Pèire, qui réalise immédiatement le trouble d'Elland et qui, d'un geste, l'invite à le suivre à l'écart des mages. Fébrile, le voleur s'empresse de le rejoindre. Il doit lui faire part de ses doutes. Ils doivent empêcher les mages de mettre le continent à feu et à sang.
    La voix grave et rassurante de Pèire le calme suffisamment, lorsqu'il lui demande les raisons de son trouble, pour qu'Elland puisse partager ses craintes :

    - Seuls les mages les plus puissants sont partis. Je ne t'apprends rien. Je pense que c'est parce qu'ils veulent dominer le monde.


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  • Fantasy 1229

     

    Il garde la bouche entr'ouverte, prêt à dire quelque chose avant de se raviser. Et de chercher désespérément un argument, une assertion qui pourrait la convaincre que ça a de l'importance pour lui. Mais comme faire pour que ça ne paraisse pas hypocrite ? Ni d'une curiosité malsaine ? C'est vrai, quoi, après tout, il ne la connaît quasiment pas. Et voilà qu'il voudrait qu'elle lui raconte le plus personnel de sa vie. Il cesse de se tordre les doigts, referme la bouche et incline la tête, vaincu.

    C'est l'image d'un idiot fini qui s'impose dans son esprit et il comprend alors qu'Echidna est de retour. Quelques instants plus tard, les joues rouges, il la voit slalomer gracieusement entre les arbres jusqu'à venir se poser devant eux.
    La lumière se fait toujours rare, mais les prunelles de la gargouille sont parfaitement expressives. Elland peut y lire la joie des retrouvailles, de le savoir sain et sauf. La joie, évidemment, d'avoir retrouvé Ménandre. Et puis, il y a cette petite lueur, là, qui clame qu'il est un imbécile et qu'il n'est décidément pas doué avec les femmes. Il n'en demeure pas moins qu'elle s'approche lentement de lui, de sa démarche si particulière, et qu'elle vient coller sa grosse tête sous son bras.
    Quelques caresses au creux de l'oreille remplissent les sous-bois de l’écho de ses ronronnements. Maelenn approche une main timide et il l'encourage avec un large sourire.
    Un sentiment de bonheur à l'état brut émane d'Echidna, si fort que la jolie drapière pourrait presque le ressentir.
    Mais l'instant leur semble trop court : les premières lueurs de l'aube éclaircissent lentement la forêt, figeant la fidèle complice dans sa prison de pierre.


    - Vous êtes un homme plein de surprises, décidément...

    Ce sont les rayons du soleil qui embrasent ainsi ses joues, c'est la seule explication logique. Non qu'il puisse vraiment l'expliquer, lui qui semble avoir perdu toute faculté de parole. Il bafouille, bêtement, et ça la fait rire. De ce rire qu'il aimerait entendre jusqu'à la fin de ses jours. Et soudain, elle devient grave et murmure :

    - Les gens pensent que les Clamadinis ont fuit et vivent reclus, tous ensemble, dans quelque endroit secret du continent. Ils ont tort. Les descendants sont nombreux et disséminés aux quatre coins de la terre. Et puis, la vie n'est pas si simple, vous savez. Il suffit de parents qui partent trop tôt pour que le secret disparaisse avec eux dans leur tombe.
    - C'est votre cas ?

    Toute statue qu'elle soit, Echidna lui lance un grondement désapprobateur pour son manque de tact. Alors il essaie de se rattraper :


    - Enfin, je veux dire... Bon, ça n'a pas vraiment d'importance. Enfin, si, bien sûr, mais voilà, c'est... enfin … c'était stupide. Je me tais.

    Maelenn lui lance ce sourire amusé qu'il aime tant mais qui ne parvient pas à estomper sa gêne. Il garde pourtant les lèvres closes, bien conscient qu'il est incapable de se rattraper. Elle secoue doucement la tête, faisant danser les mèches folles qui encadrent sur visage et poursuit, d'une voix douce :

    - Je ne les ai jamais connus. J'ai grandi chez des paysans, dans un petit village près de Fiermont. J'ai compris assez jeune que je n'étais pas comme les autres enfants. Mais là-bas, la peur de la magie est encore plus ancrée qu'à Rivemorte. Alors j'ai appris a contrôler, de toutes mes forces. J'ai appris à la garder inactive, à ne la libérer que lorsque j'étais seule, loin de tout témoin potentiel. Et puis, une fois adulte, j'ai eu envie de rejoindre Rivemorte. La Ville. Je m'ennuyais, dans ce petit village, et je m'y sentais mal à l'aise. Pas vraiment à ma place. Alors je suis venue à Rivemorte, et j'ai été engagée chez les Monrand comme drapière. Ils n'étaient pas vraiment aimables, ni généreux, mais j'avais un toit, un travail. Et je me sentais enfin à ma place.

    Elland ne peut que sourire de l'entendre ainsi se confier. Il comprend parfaitement l'aspect rassurant des murs, des pavés et des ruelles animées, lui qui s'angoisse lorsqu'il se retrouve en pleine nature. Se fondre dans la masse, c'est depuis toujours son mode de fonctionnement, sa survie. Pas vraiment pour les mêmes raisons qu'elle, mais il la comprend et lui fait comprendre d'un petit signe de la tête, les yeux brillants d'entendement. Elle lui sourit, elle aussi, si tendrement, si joliment. Et poursuit de sa voix douce :


    - C'est à Rivemorte que j'ai appris l'histoire des Clamadinis. Et que j'ai enfin compris qui j'étais. Mais ça ne m'autorisais pas pour autant de me servir de mes dons à la vue et au su de tous. Le secret était ma seule arme pour lutter contre la méfiance et l'incompréhension des gens.
    - Mais ils vous ont quand même trouvée.
    - Mais ils m'ont quand même trouvée, oui. Ils devaient m'espionner, je suppose. Je n'en sais rien, à vrai dire. Je rentrais du marché quand ils m'ont acculé dans une ruelle peu fréquentée. Et je me suis réveillée dans la Tour.

    Les mots meurent sur ses lèvres, trop fragiles pour terminer l'histoire. Elland lui prend doucement la main, préférant garder le silence. Sa maladresse ne ferait qu'empirer les choses.
    Elle essuie du bout de ses manches ses joues sèches, secoue doucement la tête tout en gardant précieusement la main du voleur dans la sienne. C'est elle qui, une fois remise de ses émotions, propose qu'ils retournent au camp pour se reposer. Elle ne se plaint pas, mais des cernes noirs entourent ses jolis yeux. D'un simple hochement de tête, Elland accepte et se lève lentement.

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    - Mais tu savais faire ça, avant ?
    - Ben non ! C'est trop bien, hein ?
    - Ben...

    Elland jette un regard désespéré à Maelenn, qui hausse les épaules :

    - Ils ont... enfin, ils avaient un garde doué de magie. Il était capable de détecter les pouvoirs endormis, à condition d'examiner sérieusement la personne, et de les activer. Ménandre a sans doute eu des signes avant-coureurs, mais il devait être incapable de les identifier. C'est le cas de la plupart des mages. Et puis, à vrai dire, je ne suis pas convaincue qu'il s'agisse d'une coïncidence, cet enlèvement. Ils savent énormément de choses, ils ont beaucoup d'espions dans Rivemorte. Ils repèrent très rapidement les personnes capables de magie et font en sorte de les faire disparaître de la circulation. Ménandre était peut-être surveillé comme mage potentiel.

    Le jeune homme acquiesce machinalement. Il a vu ces dizaines de mages retenus dans la tour, et la ville qui s'agite autour sans se douter de rien. Les instigateurs sont capables de tenir tout ça secret, c'est un sacré prodige. Et ils raflent régulièrement de nouveaux mages. Alors oui, il est plus que probable que des espions errent dans les ruelles à la recherche de toute personne présentant de quelconques capacités.

    Mais pour l'heure, un autre soucis l'accapare. Ménandre, télékinésiste. Et l'enfer se déchaîna.

    Mais le gamin semble tellement content de lui, et Elland s'est tant inquiété...
    Il ne parvient plus à penser correctement. Tout s'enchaîne trop vite. Alors il se lève doucement, sous le regard intrigué de ses amis. Et prétexte une envie pressante pour s’éclipser quelques minutes.

    Le prétexte n'est pas fallacieux, et il interrompt sa marche le temps de se soulager. Mais ile ne retourne pas au camp. Il s'en éloigne encore un peu et s'assoit sur large pierre plate, couverte de mousse.
    Rivemorte est loin. Ils ont réussi à sortir vivants de la Grand Tour Célestis, libérant par la même occasion une nuée de mages aux pouvoirs aussi divers qu'effrayants. Et parmi ses mages se trouvaient sa drapière, connue par Ménandre sous le nom de Maelenn. Et le gamin. Sain et sauf. Bien qu'il soit doté, à présent, de pouvoirs dont Elland se serait bien passé.

    Un bruissement attire son attention. La jeune drapière s'approche lentement de lui, un timide sourire aux lèvres. D'un mouvement de la tête, elle désigne la pierre et demande :


    - Je peux m'assoir ?
    - Bien sûr.

    Elle fouille un instant dans les replis de sa robe et en sort un médaillon. Malgré la pâle lueur de la lune, il reconnaît sans mal le bijou. Celui qu'il a volé, il y a si longtemps, dans le manoir des Clamadinis, et dont le portrait à l'intérieur lui rappelait quelqu'un.

    - Je suis navrée. Pour vous soigner, Théoliste a du enlever votre chemise et c'est tombé de votre poche. Je ne voulais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas. Mais je connais ce médaillon. Puis-je vous demander où vous l'avez trouvé ?

    Elland fixe le médaillon, pétrifié. Peut-il lui avouer qu'il a pillé la demeure de ses ancêtres ? Bien sûr que non. Il comprend soudain pourquoi le portrait, à l'intérieur, lui rappelait quelqu'un. Maelenn est une descendante des Clamadinis, et c'est sans doute son aïeule qui est représentée. Son regard remonte jusqu'à la main qui tient le médaillon, aux doigts encore marqués par les travaux manuels. Puis il glisse jusqu'au poignet découvert, où la peau semble si douce qu'il brûle d'y poser les lèvres. Il ne peut pas lui avouer la vérité. Et il ne peut pas mentir.

    - C'est une longue histoire qui n'a pas grande importance. Gardez le médaillon, c'est le vôtre.
    - Elland ! Certainement pas ! Ce n'est absolument pas pour vous le réclamer que je vous posais la question. J'espérais juste pouvoir en apprendre un peu plus sur l'histoire de ce bijou.
    - Il vous revient de droit, Maelenn. La femme, sur le portrait, fait partie de votre famille. Ce médaillon serait bien mieux autour de votre cou que dans ma poche.

    Elland s'empourpre soudain en imaginant le bijou s'aventurer dans le décolleté de Maelenn, et remercie le ciel d'être si obscur.

    - C'est un magnifique présent, Elland. Je ne sais comment vous remercier.
    - Racontez-moi comment une Clamadinis a pu se retrouver drapière. Et comment vous vous êtes retrouvée dans la Grand Tour.
    - C'est une longue histoire qui n'a pas grand importance...

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