• Rivemorte, Epilogue-1

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    La serpillère, noire de crasse, se glisse entre les pieds des chaises, maniée par des mains devenues expertes. Le service du midi est terminé, les clients ont bien mangé, payé, et ont quitté les lieux. Il ne reste plus qu'à ranger et ce sera l'heure d'une sieste bien méritée.

    L'Hermine Affamée a retrouvé toute sa splendeur. Il aura fallu réparer les portes et fenêtres, le mobilier et renflouer le garde-manger pillé. Amadouer la cuisinière, aussi, qui était parfaitement au courant de son surnom de ''dragon''. Pas une mince affaire, ça.

    Elland plonge une dernière fois la serpillère dans le seau et se redresse, une main sur les reins. Il n'aurait jamais cru qu'être tavernier serait si épuisant. Au moins, il a un travail parfaitement légal, désormais, et peut croiser les patrouilles de garde sans se cacher. Bon, bien sûr, il a toujours une ou deux manigances en cours, mais ça le maintient en forme ! Pèire parti, il fallait bien que quelqu'un s'occupe de la taverne. Reconversion idéale.

    Les mains sur le manche de la serpillère, le menton posé sur les mains, Elland repense à ses débuts de tavernier. Pas brillants, il faut l'avouer. Entre les erreurs de quantités commandées, les clients à servir avec le sourire mais pas trop, les ivrognes à l'alcool mauvais et les mauvais payeurs, chaque jour était presque un enfer. Mais il s'est vraiment amélioré depuis ! Et puis, avec sa main qui ne lui obéit que quand elle veut, il n'avait pas beaucoup d'autres possibilités. Sans compter que son visage, marqué par une balafre pas discrète pour un sou, n'inspire pas forcément la confiance. Alors se faire employer quelque part...

    Un message, soigneusement roulé, danse devant ses yeux. Sursaut. Puis, s'étant repris, il demande, dans un soupir las :


    - Ménandre, tu n'es pas encore fatigué de me jouer ce tour ?
    - Non !

    Un rire étrange, d'une voix en pleine mue, surgit derrière Elland, qui se retourne vivement, manquant de lâcher la serpillère. Ménandre se tient fièrement sur le seuil de la cuisine. Il a sacrément grandi, le gamin. Et il s'est bien remplumé, aussi. Faut dire qu'il dévore comme un ogre, à chacun des trois repas de la journée. Un beau jeune homme, qui fait déjà tourner les têtes des demoiselles du quartier. Des soucis en perspective, forcément.

    D'un geste vif, Elland attrape le message qui lévite. C'est la grande passion du gamin, depuis qu'il s'est découvert ses pouvoirs. Elland espérait que ça lui passerait, mais non. Il fait toujours léviter tout ce qu'il trouve. D'un coup d'ongle, il décachette le sceau sur le message et déroule le papier. Ménandre s'est rapproché et regarde par dessus son épaule.
    Mais même à deux, ils sont incapable de déchiffrer les petites bêtes gravées sur le papier. Quelle idée, aussi, d'écrire ?

    Repoussant d'un coup de pied le seau d'eau noire dans un coin, Elland retire son tablier noué autour de la taille et le jette sur le comptoir. Un sourire complice sur les lèvres, il se tourne vers Ménandre et lui dit :


    - Il ne nous reste plus qu'une chose à faire !

    Il passe une main dans ses longs cheveux noirs pour les discipliner et renouer le lacet de cuir qui les maintient sur la nuque. Il tire machinalement sur la chemise de Ménandre pour la remettre correctement. Et, ensemble, ils ferment et quittent la taverne.

    Depuis la révolte, les rues ont retrouvé leur sérénité et les harangues des vendeurs leur force. Ils n'ont guère le temps de flâner et marchent d'un bon pas en direction de la Grand Tour Célestis. Une porte, discrète mais toujours ouverte, orne le pied de la tour. Les souterrains ont été sécurisé et nul ne s'y aventure sans une excellente raison.

    Le hall d'entrée est désert. Il est accueillant, pourtant, avec des bancs, des tables et, dans un placard, des couvertures et vêtements de rechange. Ce sont les habitants qui remplissent ces placards d'affaires dont ils n'ont plus besoin. Et ce sont les nécessiteux qui viennent passer la nuit ici, à l'abri du mauvais temps.

    Ils gravissent les escaliers sans s'arrêter. Il a fallu un peu de temps à Elland pour les emprunter sans revivre l'évasion des mages et les morts qui en ont découlé, mais le lieu a tellement changé, maintenant....

    Au premier étage, des dizaines de personnes patientent calmement, assises sur des bancs. Derrière un drap tiré en travers de la pièce, Théoliste travaille. Elland et Ménandre ne le dérangent pas. Ils n'ont pas spécialement besoin de lui aujourd'hui. Et tant de monde attend qu'ils ne veulent pas accaparer le médecin pour déchiffrer un message. Ils passeront à leur retour le saluer.

    Il leur faut encore monter deux étages pour parvenir à la salle de classe. Des dizaines et des dizaines d'enfants sont assis, dans un silence religieux, le regard rivé vers Anthelme. Le compagnon de Théoliste a changé : il a perdu poids et un bandeau noir cache son oeil aveugle. Le coup qu'il a reçu, à quelques mètres seulement d'ici, a laissé des séquelles. Les boucles brunes jaillissent de part et d'autres du bandeau, lui donnant un peu l'air d'un épouvantail. Mais le plus remarquable, c'est la lueur qui brille constamment dans l'iris émeraude intact. Une lueur de bonheur à l'état brut. Un bonheur absolument parfait, depuis qu'ils ont convaincu le nouveau Gouverneur d'utiliser cette tour, vide de tout occupant, pour recueillir les enfants des rues et certains orphelins. Théoliste et Anthelme leur permettent de dormir au chaud, d'avoir trois repas par jour et des vêtements à leur taille et presque propres. Anthelme se charge de leur apprendre à lire et à écrire, également. Et il leur offre un minimum de savoir. Théoliste, lui, partage son temps entre soigner les enfants dont ils ont la charge et soigner les plus pauvres de Rivemorte, qui ne peuvent s'offrir les services d'un médecin rémunéré.
    Et puis, comme ils étaient plutôt connus, l'un comme l'autre, auprès des artisans et des commerçants, ils peuvent placer des jeunes en apprentissage.

    Elland ne l'avouerait pour rien au monde, mais il est très heureux pour eux deux. Ils se rendent utiles à une échelle bien plus importante qu'auparavant, avec des moyens sans commune mesure avec les précédents. Leur couple semble plus fort que jamais, malgré les rumeurs et commentaires qui courent sur eux.

    Anthelme a remarqué l'arrivée d'Elland et Ménandre, et laisse à Osvan le soin de poursuivre la leçon du jour. Le gamin a mis bien du temps pour se remettre de son passage à tabac, mais il va mieux, désormais, et est devenu l'assistant personnel d'Anthelme.

    Ce dernier, d'ailleurs, les entraîne à l'écart, suivi par des dizaines de regards curieux. Remarquant l'attention dont ils sont l'objet, le professeur leur fait monter l'escalier jusqu'à l'étage suivant, qui sert à la fois de cuisine et de salle à manger.
    Après les salutations d'usage, Elland lui tend le message, un air penaud sur le visage. C'est qu'il sait déjà ce qu'Anthelme va lui dire !


    - Quand vous déciderez-vous à apprendre à lire, vous deux ? Ce n'est pas bien compliqué, quand même !
    - Un jour, promis !

    Le soupir d'Anthelme résume toutes les conversations qu'ils ont eu à ce sujet, et elles sont nombreuses. Mais essayer de convaincre ces deux têtes de mules est épuisant. Et vain.

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