• Rivemorte, Chap.111

    Fantasy 1229

     

    Il garde la bouche entr'ouverte, prêt à dire quelque chose avant de se raviser. Et de chercher désespérément un argument, une assertion qui pourrait la convaincre que ça a de l'importance pour lui. Mais comme faire pour que ça ne paraisse pas hypocrite ? Ni d'une curiosité malsaine ? C'est vrai, quoi, après tout, il ne la connaît quasiment pas. Et voilà qu'il voudrait qu'elle lui raconte le plus personnel de sa vie. Il cesse de se tordre les doigts, referme la bouche et incline la tête, vaincu.

    C'est l'image d'un idiot fini qui s'impose dans son esprit et il comprend alors qu'Echidna est de retour. Quelques instants plus tard, les joues rouges, il la voit slalomer gracieusement entre les arbres jusqu'à venir se poser devant eux.
    La lumière se fait toujours rare, mais les prunelles de la gargouille sont parfaitement expressives. Elland peut y lire la joie des retrouvailles, de le savoir sain et sauf. La joie, évidemment, d'avoir retrouvé Ménandre. Et puis, il y a cette petite lueur, là, qui clame qu'il est un imbécile et qu'il n'est décidément pas doué avec les femmes. Il n'en demeure pas moins qu'elle s'approche lentement de lui, de sa démarche si particulière, et qu'elle vient coller sa grosse tête sous son bras.
    Quelques caresses au creux de l'oreille remplissent les sous-bois de l’écho de ses ronronnements. Maelenn approche une main timide et il l'encourage avec un large sourire.
    Un sentiment de bonheur à l'état brut émane d'Echidna, si fort que la jolie drapière pourrait presque le ressentir.
    Mais l'instant leur semble trop court : les premières lueurs de l'aube éclaircissent lentement la forêt, figeant la fidèle complice dans sa prison de pierre.


    - Vous êtes un homme plein de surprises, décidément...

    Ce sont les rayons du soleil qui embrasent ainsi ses joues, c'est la seule explication logique. Non qu'il puisse vraiment l'expliquer, lui qui semble avoir perdu toute faculté de parole. Il bafouille, bêtement, et ça la fait rire. De ce rire qu'il aimerait entendre jusqu'à la fin de ses jours. Et soudain, elle devient grave et murmure :

    - Les gens pensent que les Clamadinis ont fuit et vivent reclus, tous ensemble, dans quelque endroit secret du continent. Ils ont tort. Les descendants sont nombreux et disséminés aux quatre coins de la terre. Et puis, la vie n'est pas si simple, vous savez. Il suffit de parents qui partent trop tôt pour que le secret disparaisse avec eux dans leur tombe.
    - C'est votre cas ?

    Toute statue qu'elle soit, Echidna lui lance un grondement désapprobateur pour son manque de tact. Alors il essaie de se rattraper :


    - Enfin, je veux dire... Bon, ça n'a pas vraiment d'importance. Enfin, si, bien sûr, mais voilà, c'est... enfin … c'était stupide. Je me tais.

    Maelenn lui lance ce sourire amusé qu'il aime tant mais qui ne parvient pas à estomper sa gêne. Il garde pourtant les lèvres closes, bien conscient qu'il est incapable de se rattraper. Elle secoue doucement la tête, faisant danser les mèches folles qui encadrent sur visage et poursuit, d'une voix douce :

    - Je ne les ai jamais connus. J'ai grandi chez des paysans, dans un petit village près de Fiermont. J'ai compris assez jeune que je n'étais pas comme les autres enfants. Mais là-bas, la peur de la magie est encore plus ancrée qu'à Rivemorte. Alors j'ai appris a contrôler, de toutes mes forces. J'ai appris à la garder inactive, à ne la libérer que lorsque j'étais seule, loin de tout témoin potentiel. Et puis, une fois adulte, j'ai eu envie de rejoindre Rivemorte. La Ville. Je m'ennuyais, dans ce petit village, et je m'y sentais mal à l'aise. Pas vraiment à ma place. Alors je suis venue à Rivemorte, et j'ai été engagée chez les Monrand comme drapière. Ils n'étaient pas vraiment aimables, ni généreux, mais j'avais un toit, un travail. Et je me sentais enfin à ma place.

    Elland ne peut que sourire de l'entendre ainsi se confier. Il comprend parfaitement l'aspect rassurant des murs, des pavés et des ruelles animées, lui qui s'angoisse lorsqu'il se retrouve en pleine nature. Se fondre dans la masse, c'est depuis toujours son mode de fonctionnement, sa survie. Pas vraiment pour les mêmes raisons qu'elle, mais il la comprend et lui fait comprendre d'un petit signe de la tête, les yeux brillants d'entendement. Elle lui sourit, elle aussi, si tendrement, si joliment. Et poursuit de sa voix douce :


    - C'est à Rivemorte que j'ai appris l'histoire des Clamadinis. Et que j'ai enfin compris qui j'étais. Mais ça ne m'autorisais pas pour autant de me servir de mes dons à la vue et au su de tous. Le secret était ma seule arme pour lutter contre la méfiance et l'incompréhension des gens.
    - Mais ils vous ont quand même trouvée.
    - Mais ils m'ont quand même trouvée, oui. Ils devaient m'espionner, je suppose. Je n'en sais rien, à vrai dire. Je rentrais du marché quand ils m'ont acculé dans une ruelle peu fréquentée. Et je me suis réveillée dans la Tour.

    Les mots meurent sur ses lèvres, trop fragiles pour terminer l'histoire. Elland lui prend doucement la main, préférant garder le silence. Sa maladresse ne ferait qu'empirer les choses.
    Elle essuie du bout de ses manches ses joues sèches, secoue doucement la tête tout en gardant précieusement la main du voleur dans la sienne. C'est elle qui, une fois remise de ses émotions, propose qu'ils retournent au camp pour se reposer. Elle ne se plaint pas, mais des cernes noirs entourent ses jolis yeux. D'un simple hochement de tête, Elland accepte et se lève lentement.
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