• Rivemorte, Chap.2

    Rivemorte, Chap.2

      
    Le soleil a déjà franchi son zénith lorsqu'il se décide enfin à sortir de sa tanière. Il s'est fait discret les deux derniers jours, suite au fiasco de sa dernière escapade. D'ailleurs, cette maudite ombrelle le poursuit toujours dans ses cauchemars. Mais que diable faisait-elle dans l'embrasure de la porte ? Qui est assez stupide pour poser des pièges aussi dangereux pour un voleur potentiel que pour sa propre famille ?

    D'un grognement agacé, il se faufile par la lucarne et s'étire dans les rayons du soleil. Le temps est doux pour le printemps, et il s'est contenté d'une chemise grise, agrémentée d'un nombre incalculable de poches, et d'un fin pantalon en laine noire. Respirant profondément l'air frais, il observe la ville qui s'étale sous ses yeux. Sa chambre, située au dernier étage du plus haut immeuble des bas-quartiers, donne directement sur les tuiles de l'immeuble voisin. Et personne ne peut le voir quand il paresse sur le toit, à moins de se tordre le cou.
    Plus loin, il y a les beaux quartiers, ceux où s'aventurer seul la nuit ne révèle pas un tempérament suicidaire. Ceux où les ivrognes sont emmenés directement en geôles, au lieu de décuver tranquille sur le pas d'une quelconque porte. Plus loin encore, le Palais Royal : splendide et majestueux. Et se dressant fièrement, plus haute que le plus grand édifice, plus belle que le Palais même, la Grand Tour Celestis, dont l'utilité exacte est plus secrète que l'âge de la Reine.

    D'un pas souple, il se dirige jusque vers la statue qui orne l'angle du bâtiment. Une gargouille, figée pour l'éternité dans une attitude grimaçante de douleur et de colère mêlées. Un nouveau grognement sourd jaillit de la poitrine d'Elland, alors qu'il s'approche doucement de la masse de pierre et qu'il pose une main douce sur son échine. Il déteste lire cette expression sur le visage pétrifié. Il aime tant la voir moqueuse, railleuse, complice. Pour les badauds, elle n'est qu'une gargouille figée dans l'éternité. Pour lui, elle est sa compagne la plus fidèle, la plus fiable. Et tous les jours, dès le lever du soleil jusqu'à ce qu'il aille enfin se coucher, Echidna redevient un bloc de pierre.


    - A tout à l'heure ma belle.

    Il se détourne d'elle, non sans regrets. Mais depuis le temps, il a bien compris que ses vociférations et ses suppliques n'y font rien. De pierre elle est, de pierre elle reste tant que le jour est là.
    Souplement, les gestes parfaitement maîtrisés à force d'habitude, il s'aide des pierres saillantes de la façade pour regagner la ruelle. C'est jour de marché aujourd'hui, il peut entendre les cris des chalands, la rumeur des mégères qui échangent les derniers ragots, les exclamations des gardes de la ville.

    Un léger sourire aux lèvres, il s'y dirige, heureux de s'immerger dans cette foule et de disparaître aux yeux des hommes. Elland se faufile sans mal entre les étals et les passants, évitant la plupart du temps les collisions,devenu une ombre insignifiante et se fraye un chemin jusqu'à l'autre bout du marché. Au passage, rite immuable, il sourit, charmeur, à la jeune drapière qui tient son étal. Et comme d'habitude, la jeune femme baisse la tête, laissant ses longs cheveux blonds couvrir son visage rougissant.

    C'est presque guilleret qu'il arrive enfin à l'Hermine Affamée, son second repaire. Une taverne sans prétention, pas vraiment propre mais la nourriture est bonne et peu chère. Et surtout, les clients ne sont pas curieux. Le tenacier, Alwin, est un homme sec et nerveux, qui le salue d'un simple geste de la tête. Elland va s'asseoir confortablement près d'une fenêtre. De là, il peut observer le va-et-vient des villageois, qui ont parcouru tant de chemin pour s'approvisionner en vêtements, outils, tissus et condiments. Un sourire indulgent flotte sur ses lèvres lorsqu'il regarde un jeune couple, se tenant par la main, faire les emplettes pour leur nid d'amour. Alwin vient déposer devant le voleur le plat du jour, un sombre ragoût aux allures peu engageantes, et une belle chope de bière. D'un geste nonchalant, ce dernier sort sa bourse et paie, puis en profite pour compter ce qu'elle renferme. A dire vrai, cette bourse n'est sienne que depuis qu'il a traversé le marché. Et il a bien gagné sa journée !
    Avec un sourire plus large encore, il s'attaque à la nourriture, bien meilleure qu'elle en a l'air, le regard toujours fixé sur le marché. Les commerçants, les bourgeois, les mères de familles et les filles de joie, qui dansent un ballet intemporel pour son plus grand plaisir.

    Son écuelle terminée, sa chope éclusée, il se lève, salue le tavernier et repart, le ventre plein. C'est la seule chose qui peut le faire sortir de chez lui. Avec l'excitation du vol, bien sûr. Il bifurque dans la première ruelle, histoire de ''renseigner'' un badaud qui se serait perdu, quand il La voit. C'est Elle, ça ne fait aucun doute. Les yeux plissés, il regarde à droite et à gauche, pour s'assurer que personne ne l'observe. Et discrètement, silencieusement, il s'approche d'Elle, méfiant.
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