• Rivemorte, Chap.77

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    Reste-t-il assez de place dans le cœur d'Echidna pour qu'elle l'aime encore, ne serait-ce qu'un petit peu ? Ressentait-elle seulement autant d'amour pour lui ? Il ne peut pas en être sûr, mais il en doute énormément. Que lui a fait cette sorcière pour détourner ainsi son cœur ?

    Enfin, il réalise : il a ressenti les sentiments d'Echidna. Ce qui est impossible. Il sait quand elle est triste, malicieuse, à la lueur de ses prunelles. Mais là... il ne voit même pas ses yeux derrière ses paupières baissées. Alors comment a-t-il pu savoir ?
    Une succession d'images défile dans son esprit, fugitives mais si fortes... Jehanne, debout sur un toit anonyme, les yeux mi-clos, psalmodiant des paroles incompréhensibles. Jehanne, souriante, qui contemple Echidna comme si elle était son bien le plus précieux. Jehanne, aimante, qui la cajole comme on le ferait avec un enfant effrayé par ses cauchemars. Une Jehanne légèrement plus jeune, plus saine d'esprit aussi.

    Alors Elland comprend. Jehanne était son ancienne maîtresse, tout comme celui qui lui a échangé Echidna. Elle l'a dit, elle a été enfermée : sans doute, pendant le temps de sa captivité, la gargouille a erré, esseulée, jusqu'à tomber entre les mains de son ancien propriétaire. Une certitude s'impose alors à lui : la gargouille va devoir choisir entre Jehanne et lui. Et le résultat ne fait aucun doute : elle la choisira, elle. Elle éprouve trop d'amour envers elle pour rester avec le voleur invalide qu'il est.

    Que pourrait-il bien lui offrir pour la convaincre de rester avec lui ? Son amour ? Elle l'a déjà, impalpable mais bien présent. Sa confiance ? Toute acquise, sans aucune restriction. Alors quoi ? Abattu, Elland doit bien reconnaître qu'il n'a pas été à la hauteur, et qu'il ne mérite pas d'avoir Echidna comme complice.

    Soudain, Jehanne, prise de frénésie, s'affaire. Elle se relève vivement, parcourt la pièce à grand renfort de « Mais où l'ai-je mis ? », « En aurais-je besoin ? », « Oui, oui, mon plumeau, indispensable », « Et mes herbes ? ». Elle a pris une immense besace, au tissu élimé, et y fourre tout ce qui lui tombe sous la main, allant de la louche au chandelier terni par les ans. Elle vient même récupérer la corde qui retient Elland prisonnier. Et lorsqu'elle suit le chanvre jusqu'à sa cheville, elle redresse la tête, réellement surprise :


    - Ah oui... Tu es là, toi. Oui, bien sûr... Mais non... trop triste pour la besace. Trop grand aussi... Tant pis...

    Et elle reprend sa course effrénée, comme si elle venait d'apprendre que le Comain arrivait d'ici cinq minutes pour l'emmener en geôles. Elland, profitant de sa liberté étrangement acquise, se rapproche, sans faire de geste vif, vers Echidna. Posant une main douce sur son échine, il prie pour qu'elle change d'avis. Mais son regard est rivé sur Jehanne, brillant d'une lueur de satisfaction. C'est fini, il n'existe plus pour elle.

    Abandonnant toute pudeur, il s'accroupit à côté d'Echidna et lui murmure à l'oreille tout ce qu'il ressent pour elle, sans rien lui cacher. Et enfin, elle détourne son attention de Jehanne pour poser sa tête massive sur son épaule. Comme pour un adieu, la gargouille partage les sentiments qu'elle ressent pour lui : une affection, certes tenace, mais tellement moins puissante que celle qu'elle éprouve pour la sorcière !


    - Allons-y... vite, hâtons-nous !

    Jehanne semble fin prête, hirsute, et sa besace est gonflée comme une outre trop pleine, d'où dépassent quelques plumes. Elle va partir, loin d'ici, et Echidna va la suivre. C'est une certitude. Alors, il ne reverra jamais plus sa chère gargouille.

    - Que faites-vous Jehanne ? Où allez-vous ?
    - Il faut y aller... maintenant, tout de suite ! Il nous donnera toutes les réponses... toutes …
    - Mais aller où ? Jehanne !

    Mais déjà, elle ne l'écoute plus et ouvre la porte. Echidna prend son envol pour aller se poser en bas de la volée de marche. Jehanne, elle, descend rapidement les escaliers, Elland sur ses talons. Il ne les laissera pas partir. Elle a déjà sauté sur le dos de la gargouille, mais cette dernière attend Elland. Si elles doivent partir, il ira avec elles.
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