• Rivemorte, Chap.105

    ruelle

     

    Il faut une dizaine de minutes aux mages pour revenir avec deux longues tables en bois épais. Tous se joignent à eux pour les faire descendre dans le colimaçon, se protégeant des flèches meurtrières avec les meubles, évitant soigneusement le corps du vieillard. Enfin, avec d'infinies précautions, ils les dressent sur le côté.

    Les bandages rudimentaires d'Elland sont poissés de sang. La douleur, bien qu'atténuée, pulse toujours sourdement, et la perte de sang le fait vaciller. Alors qu'il observe, adossé au mur, le délicat enlèvement de Roscelin, Echidna fait une brutale intrusion dans son esprit. Elle ne dit rien mais il sent parfaitement sa présence, quelque part en lui. Comme si elle analysait son état, scrutant les douleurs de son corps et les faiblesses de son esprit. Elland la laisse faire, trop fatigué pour s'y opposer, trop intrigué pour la repousser. Et la gargouille, malgré la distance qui les sépare, apaise les ultimes douleurs lancinantes, lui met du baume au cœur et lui rend un peu d'espoir. Oui, ils sortiront vivants d'ici. Et oui, les choses s'arrangeront. Et même s'il sait pertinemment que la vision des futurs possibles ne fait pas partie des dons de la gargouille, Elland a envie d'y croire.

    C'est donc malhabile, boitillant, les vêtements en lambeaux, mais déterminé qu'il descend la volée de marche et prend position près de Pèire et des deux mages. Puis, dans un soutien muet, d'autres mages se joignent à eux et se protègent des flèches derrière les tables en bois. Avec la coordination de Pèire, murmurée, les tables avancent doucement, rempart solide contre les arcs courts qu'utilisent les archers, idéals pour les endroits confinés, perçant si facilement les vêtements et la peau, mais pas suffisamment puissants pour transpercer un bois aussi épais.

    Les carreaux se plantent dans la table, la faisant vibrer, ponctuant les attaques d'un bruit de choc retentissant. Mais les pointes s'enfoncent sans jamais transpercer, et les vibrations, si elles mettent leurs nerfs en pelote, ne représentent aucun danger. Alors, dans un crissement de bois, ils avancent, inexorablement.
    Les archers changent de technique : les flèches s'envolent, tentent de les prendre de revers, mais elles échouent, toutes, les unes après les autres. La faute au plafond, trop restrictif.

    Et soudain, l'ordre de repli résonne entre les murs, bref et péremptoire. Ils immobilisent aussitôt leurs tables, n'osant pas se découvrir pour s'assurer que les archers se replient réellement, de crainte que ce ne soit qu'une feinte. Le silence retombe, uniquement troublé par les bruits des pas dévalant les escaliers, droit devant eux. Alors Elland, avec prudence, jette un oeil. Les archers n'y sont plus, la voie est libre. Prestement, ils poussent les tables jusqu'aux escaliers, pour bloquer toute nouvelle intrusion. Et tandis que les derniers mages restés dans le colimaçon les rejoignent, les autres s'empressent d'ouvrir les portes closes. Des chambres, des cellules plutôt, sur toute la longueur, d'où émergent hommes, femmes et enfants hagards. Des sorciers, encore et toujours.

    Ils restent ainsi quelques minutes, le temps de se retrouver et, pour Elland et Pèire, de faire le point sur la situation. Les gardes ont sans doute vu clair dans leur plan : puisqu'il est trop dangereux pour eux de s'aventurer au milieu de leurs captifs, ils bloquent l'unique issue. Les mages ne s'enfuiront pas.
    Une attaque frontale semble bien hasardeuse, d'autant que leurs ennemis sont armés et bien entraînés. Eux, ils n'ont que leur détermination et des pouvoirs. Mais combien d'utiles dans leur situation ?

    Les mages murmurent entre eux, douce cacophonie qui révèle à la fois leur excitation et leur peur. Pèire fait les cent pas, cherchant sans doute une solution qui pourrait les tirer de là. Elland s'est adossé contre le mur, les yeux fermés. Mais l'heure n'est pas au repos et son esprit traque la moindre brèche dans le piège qui s'est fermé autour d'eux. L'idéal, évidemment, serait d'avoir des complices dans les souterrains, prêts à prendre à revers les gardes de cette fichue tour. Mais s'ils avaient des complices, au moins les hommes de Thémus, ils sont à présent emprisonnés, grâce à Tanorède. D'ailleurs, celui-là, s'il peut avoir des barres de bois animées qui battent la laine dans son atelier, c'est sans doute parce qu'il fricote avec cette engeance responsable de l'enfermement des mages.
    Impossible donc de compter sur des renforts. Il y a bien Anthelme, Jehanne et Osvan, enfermés dans une pièce plus bas. Si personne ne les a trouvé et passé par le fil de l'épée. Mais seuls face à vingt gardes... Ouvrant brusquement les yeux, Elland réalise que les archers ne portaient pas l'uniforme des gardes. Pas de hérissons sur le revers de leur veste. Des renforts, sans aucun doute. Évidemment. Les gardes doivent être là pour assurer la sécurité quotidienne, mais il ne fait aucun doute qu'en cas d'attaque ou de rebellions, les responsables ont prévu des renforts.

    Sa jambe gauche faiblit et les bruissements autour de lui s'estompent. Il se laisse lentement glisser contre le mur. Son cœur n'a pas cessé de battre la chamade, mais c'est maintenant une boule d'angoisse qui lui broie le ventre. Il ne peut s'empêcher d'imaginer Anthelme, Jehanne et Osvan découverts, malmenés, baignant dans leur sang.
    Il ne peut s'empêcher d'imaginer Thémus, Théoliste et Saens vaincus par les gardes présents dans les autres étages. Et eux, pris en tenaille.

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  • Commentaires

    2
    Mercredi 30 Janvier 2013 à 19:58
    Blanche

    Promis, je poste la suite rapidement !

    Quant à la fin du suspens... c'est pour bientôt ^^

    1
    Mercredi 30 Janvier 2013 à 19:54
    Guenièvre

    Non!!!

    ça va pas de finir sur un suspense comme ça?

    Et Ménandre? il devient quoi?

    S'il te plaît, fait que la suite vienne bientôt! (C'est trop cruel, sinon :P)

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