• Rivemorte, Chap.44

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    Ménandre sautille presque alors qu'ils se dirigent vers la boulangerie indiquée. Gobant les bonbons les uns après les autres, il s'enthousiasme sur la gentillesse de cette vieille femme. Agacé, Elland lui marmonne qu'elle était sans doute sénile pour le prendre pour un enfant innocent. Si Ménandre, pas certain d'avoir bien compris, ne répond rien, il se mure cependant dans un silence boudeur, uniquement entrecoupé par un bruit de mastication.

    Suivant les indications précises de la vieille femme pas si sénile, ils parviennent devant une petite boutique où sont alignés de nombreuses miches de pains. C'est un jeune homme, couvert de farine, qui les sert. Elland, par précaution, achète un pain avant de demander à voir Maelenn. D'une voix grêle, le boulanger appelle aussitôt la jeune femme. Alors qu'ils attendent son arrivée, Elland tente d'imaginer les liens qui les unissent. Sont-ils frères et soeurs ? Ou pire, mari et femme ? Voyant l'air déconfit de Ménandre, il suppose que la ressemblance n'est pas flagrante, et qu'il s'agit sûrement de la seconde hypothèse. A la fois déçu et soulagé, il patiente quelques secondes encore avant de voir émerger une jolie jeune femme brune, elle aussi couverte d'une fine pellicule blanche. Alors qu'il s'attendait à assister à d'émouvantes retrouvailles, ponctuées d'exclamations ravies, un lourd silence tombe sur la boutique. Ménandre et Maelenn se dévisagent un long moment avant que la jeune femme ne demande :


    - Oui ? C'est pour quoi ?
    - C'est pas vous !

    La voix de Ménandre tend vers les aigus. Il se tourne vers le voleur et lui murmure, incrédule :

    - C'est pas la bonne Maelenn...

    Gêné, Elland se confond en excuses et leur explique qu'ils sont à la recherche d'une Maelenn. Le jeune couple leur indique l'existence d'une autre femme, au même prénom, mais bien plus âgée. Sinon, ils sont vraiment désolés mais ils ne voient personne d'autre. Dépités, ils décident tout de même de prendre les coordonnées de la Maelenn plus âgée, et quittent la boulangerie en s'excusant encore. Ménandre semble visiblement déçu, et c'est avec tact qu'Elland essaie de lui remonter le moral en lui affirmant qu'ils finiront bien par mettre la main dessus.

    Il s'avançait un peu trop. La seconde Maelenn qu'ils avaient visité leur avait indiqué l'adresse d'une troisième, qui n'était toujours pas la bonne. Et à leurs connaissances, qu'il n'y avait qu'une seule Maelenn suffisamment jeune pour répondre à leur critère : la boulangère. Fatigués de tourner en rond, déçus, ils retournent au marché où ils achètent à nouveau quelques provisions tout en continuant à interroger les passants. Finalement, n'obtenant pas de réponse, ils se rendent chez le bourgmestre. C'est un homme affable et soigneux, qui malgré ses responsabilités les accueille avec un plaisir évident. La mine déçue de Ménandre le convainc à les aider. Il cherche de longues minutes dans les registres de la ville, impeccablement tenus, leur annonçant les trois femmes qu'ils ont rencontré. D'après lui, ce sont les seules personnes répondant à ce prénom vivant ici. Et des natives de Picsuif parties pour Rivemorte, il n'y en a aucune s'appelant ainsi, même en remontant sur trente ans. Ils s'éloignent alors de la ville, longeant l'eau jusqu'à trouver une berge isolée, abritée par de nombreux arbres. Seul le ressac incessant berce cette fin de journée, et ils se laissent tomber au sol, désemparés. Les pieds dans l'eau, ils mangent en silence. Jusqu'à ce que le gamin finisse par demander :

    - Elland ? Tu crois que Maelenn est ici ?
    - Je ne pense pas. Le bourgmestre nous l'aurait dit. Il n'avait aucune raison de nous mentir.
    - Mais alors, la vieille femme s'est trompée ?
    - C'est possible. Ou alors, elle nous a menti.
    - Pourquoi elle aurait fait ça ?
    - Je n'en sais rien. Elle ne voulait pas qu'on la voie. Ou elle avait peur que je vienne demander sa main. Ou elle voulait peut-être simplement nous faire perdre notre temps.
    - Mais pourquoi ? Je voulais juste lui dire bonjour et lui faire un bisou, moi.
    - Je sais, mon grand, je sais. Mais les gens ne connaissent pas toujours le vrai sens de l'amitié, tu l'as dit toi-même.
    - Qu'est ce qu'on va faire alors ?
    - On va la retrouver. C'est notre mission, après tout. Quand on sera de retour à Rivemorte, nous retournerons voir la vieille femme et nous exigerons des explications.

    Une vague de colère enfle en lui. Cette mission, qui à la base n'était que pour honorer sa parole, est devenue une affaire personnelle. Il a l'intuition que l'horrible vieille femme leur a menti, et il veut savoir pourquoi. Il veut tirer les choses au clair, qu'importe les moyens utilisés. Il déteste être pris pour un imbécile. Ménandre le harcèle de questions, sur Maelenn, sur la vieille femme et sur Picsuif. Elland répond comme il peut, avouant trop souvent son ignorance. Et c'est finalement le crépuscule qui le sauve. Dans leur dos, une silhouette massive vient de se poser. Et à entendre son gémissement plaintif, Elland sait immédiatement qu'elle a compris qu'ils avaient fait choux blanc.
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