• Rivemorte, Chap.52

    Ruelle

     

    Le concerné manque de s'étouffer et pâlit visiblement. C'est Pèire qui rattrape le coup, déformant les propos du voleur pour les rendre bien plus aimables. Elland bougonne, c'est facile pour Pèire, il doit connaître des gens comme Théoliste. Mais pour Elland, c'est la première fois qu'il a à faire à un couple de personnes du même sexe, et c'est plutôt déstabilisant. Théoliste ramène sa main sous la table, rapidement imité par Anthelme. Elland les observe, curieux, puis se met à rougir : leur intimité ne le concerne pas. L'air de rien, le guérisseur change habilement de sujet en demandant :

    - Alors la fouille de la ville n'a rien donné ?
    - Non, rien du tout. Ils pourraient être n'importe où. Il suffit qu'on tourne les talons et qu'ils traversent juste à ce moment là, et c'est fichu.
    - Sans compter qu'ils ne resteront sans doute pas dans la rue. Ils ont dû trouver refuge dans un abri le temps que les choses se tassent.

    La précision de Pèire décourage un peu plus le voleur. Il s'en doutait, bien sûr, mais prononcer ces mots à voix haute rend cette quasi-certitude tellement réelle...

    - Vous êtes allés voir au Moulin à Eau ?

    La question d'apparence anodine d'Anthelme jette un froid dans la pièce. Le Moulin à Eau, zone maudite entre toutes, se tient légèrement à l'écart de la ville. Si le gouverneur a aboli l'esclavage à Rivemorte, trop peu de villes voisines l'ont imité. Et ces marchands d'hommes se sont installés dans un moulin à eau inutilisé pour procéder à leur odieux trafic en toute impunité, hors d'atteinte de la milice et du gouverneur. Il n'est pas rare que les enfants livrés à eux-mêmes ou les jeunes filles qui tardent trop à rentrer chez elles disparaissent purement et simplement. Pour réapparaître, quelques semaines plus tard, enchaînés et voués à la servitude dans une ville lointaine.

    - Allons-y de ce pas !
    - Elland, calme-toi. Nous devons rentrer, prendre un peu de repos et manger un morceau. Ensuite, nous rassemblerons autant d'hommes que possible pour leur rendre visite. Si nous nous y rendons maintenant, nous n'aurons aucune chance de l'aider, s'il est vraiment là-bas. Et peut-être que Thémus a de nouvelles informations.

    Le voleur hoche doucement la tête, bercé par l'espoir de découvrir le petit bonhomme assis à une table de l'Hermine Affamée devant un solide petit-déjeuner. Théoliste hésite visiblement, avant de demander :

    - A quelle heure partez-vous ? J'aimerais me joindre à vous, si ça ne vous dérange pas. Mes compétences seraient peut-être utiles.
    - Nous partirons vers dix heures. Et j'espérais t'avoir avec nous pour cette mission.

    C'est Pèire qui a parlé et qui, en quelques mots, a définitivement rassuré le guérisseur. Son compagnon leur adresse un sourire soulagé et la tension quitte enfin le petit salon. Alors Pèire et Elland se lèvent, saluent les deux hommes et prennent congé.
    Sur le chemin du retour, le voleur est plongé dans ses pensées, ressassant les dernières informations qu'ils viennent d'apprendre et anticipant les nouvelles qu'apportera Thémus. Mais Thémus est bredouille, tout comme ses hommes. Lorsqu'ils se retrouvent autour d'un déjeuner frugal, auquel très peu font honneur, ils échangent leurs trouvailles. Et Elland, fatigué et encore troublé par sa découverte, laisse échapper :


    - Nous n'avons vu que Théoliste.
    - Comment ça, Théoliste ?
    - Et bien, il avait un comportement étrange alors …

    Elland se pince soudain les lèvres, réalisant enfin qu'il s'aventure sur une pente glissante, surtout grâce au coup de pied discret que Pèire vient de lui envoyer sur le tibia. Thémus esquisse un sourire, n'ayant bien évidemment pas manqué cette expression. Alors, amusé, il lui demande :

    - Il rejoignait Anthelme, c'est ça ? Et te connaissant, tu as sauté à pied joints dans le plat.
    - Je … euh... c'est-à-dire ?
    - Tu ignorais que Théoliste était en couple avec Anthelme, non ? Et je t'imagine bien manquer totalement de tact.

    Elland hausse les épaules et marmonne entre ses dents. Par vengeance, Pèire se garde bien de le sortir de ce mauvais pas et reste muet. Le sourire du cordonnier s'élargit jusqu'à devenir un rire grave. Puis un soudain éclair de lucidité fait frémir Elland, qui demande :

    - Parce que tu le savais, toi ?
    - Bien sûr. Peu de choses m'échappent. Et il n'est pas très discret.
    - Alors pourquoi ne pas le rassurer en lui disant que ça ne change rien ?

    Le cordonnier se rembrunit aussitôt et bougonne dans sa moustache qu'il n'aime pas trop aborder ce genre de sujet face à face. Un léger sourire vient étirer les lèvres du voleur : derrière son apparente indifférence, Thémus est mal à l'aise. Et ça le rassure, Elland, de ne pas être le seul à être embarrassé.

    Puis Pèire, étouffant un bâillement, leur rappelle avec tact que ce n'est qu'un détail de la vie privée de leur ami, et qu'ils ont bien plus important à traiter. Alors les trois hommes décident de s'accorder deux heures de sommeil, avant de repartir en chasse.
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