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    Thème
    Tout ce qui est triste, ce pourrait aller d'une histoire d'enfant avec un jouet cassé, un suicide, etc. Bref faut que l'ambiance général soit triste

    Restrictions
    - Le personnage principal de l'histoire devra être un animal.
    - Nous devrons utiliser les mots "aluminium", "café" et "fil".

     

     

    Du bout du museau, il pousse la patte inerte de sa mère. Comme elle ne réagit pas, il insiste, pousse un peu plus fort. Pensant qu'elle souhaite jouer, il lui saute allégrement sur le dos. Dans ce genre de cas, elle se relève vivement en grognant, et lui n'a plus qu'à vite courir se cacher. Enfin, d'habitude. Mais cette fois, elle ne réagit pas. Poussant de légers gémissements, il vient se frotter contre son museau. Son museau froid, d'où aucun souffle ne s'échappe. Il se fige, donne un coup de langue, comme pour apporter à nouveau chaleur et humidité sur la truffe glacée. Voyant qu'il n'y a plus rien à faire, il s'assied et pousse un hurlement.

    Un soudain craquement de branches le fait brusquement tourner la tête. Sans grâce ni discrétion, l'homme s'approche de lui. Mettant à profit les recommandations de sa mère, le louveteau détale et se faufile entre les arbres. Son cœur bat fort entre les côtes. Sa nature même se révolte à l'idée d'être une proie. Mais face à l'homme, il n'a aucune chance. Presque instinctivement, il sait que la présence de l'humain est responsable de la mort de sa mère, même s'il n'en connait pas la cause précise. S'il est le seul de la portée à avoir survécu, ce qui prouve sa force, il sait qu'il ne fera pas le poids face à un tel ennemi. Alors il court, de toutes ses forces, aussi vite que ses petites pattes lui permettent.

    C'est facile de suivre la progression de l'homme à l'ouïe. Ses pas sont lourds, son souffle bruyant. Avec habilité, le louveteau saute par dessus les racines saillantes des arbres, se faufile sous les arbres morts, se glisse entre les buissons. C'est comme un jeu de course qu'il faisait, avec sa mère. Presque. Mais alors que le bruit de l'homme s'éloigne, il freine des quatre fers. Le vent apporte l'odeur d'un autre humain, juste en face de lui. Ils ne prennent aucune précaution, savourent leur toute-puissance.

    Faisant jouer ses jeunes muscles déjà puissants, il pivote sur la droite et s'élance. La panique commence à le gagner. Combien sont-ils ? Il n'a pas le temps de s'épuiser dans cette course-poursuite. Sous ses coussinets, le sol s'est ouvert, et il plonge dans les entrailles de la terre.

    Il est dans un trou, profond et étroit. Il lui suffit de quelques mouvements pour comprendre qu'il ne pourra pas s'échapper de là. Il tourne en rond, paniqué. Pousse un hurlement pour appeler à l'aide. Mais sa mère ne viendra pas, et il le réalise rapidement. Gémissant, il comprend qu'il ne peut compter que sur lui pour se sortir de là. Il commence à creuser, avant de s'arrêter. Ce n'est pas comme ça qu'il va pouvoir s'échapper.

    Son instinct le pousse à lever le museau vers le ciel. Au bord du trou, deux silhouettes le regardent avec un sourire satisfait. Retroussant les babines, il grogne. Cette fois, ce sont des rires qu'il entend. Puis ils disparaissent, le laissant là, seul au fond du trou.
    Le soleil s'enfuit, la lune arrive. Puis la lune a son tour disparaît. Il a essayé de dormir, en vain. La faim le taraude. La peur aussi. Ils ne sont pas revenus.

    Il perd le fil du temps qui passe, inexorablement. Il mâchouille un bout de racine pour apaiser les crampes d'estomac. Soudain, c'est un morceau de viande qui descend lentement vers lui. En haut, une silhouette le domine de toute sa taille. La viande pue l'humain, pourtant, il tourne autour, la renifle, résiste à la tentation. Mais il ne veut pas mourir de faim. Et ses pattes, si faibles, lui prouvent qu'il n'en est plus bien loin. Alors il s'empare de la nourriture et la dévore. Quelques minutes plus tard, il s'écroule dans la terre meuble.

    Il se réveille dans une cage aux épais barreaux. Autour de lui, une cage encore plus grande semble en mouvement. Une odeur de café plane, une odeur qu'il ne connait pas et qu'il n'aime pas. Les deux hommes font du bruit, communiquent. Il gratte le sol étrange de sa cage, essaie de s'enfuir. Mais il ne fait que se blesser les pattes.
    Brusquement, le mouvement cesse, et il retombe sur son derrière, surpris. Le jour se fait, alors qu'une partie de la grande cage s'ouvre. Les deux hommes lui font face. Ils soulèvent la cage, la portent à l'air libre. Dans un réflexe de défense, il grogne, attisant leurs rires.

    Puis un petit homme s'approche dans un bruissement d'aluminium. Engouffrant une généreuse portion de chocolat, il postillonne :

    - C'est ça que je veux !


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    Ma vie est, en réalité, d'un banal à pleurer. Pathétique, même. Qu'elle me semble lointaine cette originalité fantastique que je porte en mon sein !

    Ma vie a commencé au milieu de milliers de mes semblables, dans un environnement savamment pensé, organisé au millimètre près et à la second près. Aucun droit à l'erreur. Les premières mains qui m'ont touchées, abruties par un travail à la chaîne, ne m'ont feuilleté qu'avec indifférence. Aucun défaut, on peut le garder. Puis ce fut une succession de caisses, de cartons, de transports durant lesquels je crus, à de nombreuses reprises, rendre l'âme. Mais que nenni. D'autres mains m'ont attrapé, avec tout autant d'indifférence, et m'ont emmené à l'air libre. L'espace de quelques minutes seulement, car tout de suite après, je fus comprimé entre deux autres de mes semblables.

    Je n'avais alors qu'un champ de vision bien réduit, mais c'était ma seule manière de découvrir le monde. Si peu de personnes prenaient le temps de s'intéresser à moi... Leurs regards ne faisaient que passer, ne s'attardaient quasiment jamais. Et quand ils le faisaient, des mains avides m'extirpaient du rayon, m’auscultaient et me re-coinçaient sans pitié au milieu des autres. J'avais rapidement appris à redouter ces violentes mises à nu. Car le retour dans la masse n'en était que plus douloureux.
    Lorsque j'ai entendu une femme prononcer mon nom, en l'écorchant de la pire des manières, j'ai su que mon tour était arrivé. Elle cliquetait, sentait fort une odeur peu naturelle et, je me dois de le signaler, peu agréable. Elle ne m'a pas regardé, pas même un court instant. Et je fus à nouveau trimballé de main en main, de sac en voiture, jusqu'à atterrir sur le bureau d'une jeune fille, copie conforme de l'autre femme. Le désordre qui y régnait me mettait mal à l'aise car je savais que j'allais en faire partie.

    La jeune fille prit le temps de me retourner, de m'observer. Le soupir qu'elle lâcha ensuite m'ôta tout espoir. Jamais elle n'aurait la curiosité de découvrir ce que je cache. Je fus laissé là, nouvelle pièce du décor. Nouveau voyage, jusqu'à sa salle de classe où trente énergumènes soupiraient tout aussi fort qu'elle. Et trente de mes semblables, qui gémissaient de désespoir. Un seul d'entre nous avait l'air heureux, si souvent touché et lu que sa couverture était marquée, comme l'est la peau des personnes âgées. Et l'homme qui le tenait, qui parlait avec tant de passion, qui marchait d'un pas vif, n'eut pas une seule réaction intéressée. Je fus parsemé de trombones, feuilleté, lu en diagonale. Mais dès que la leçon eut été finie, je fus propulsé au fond d'un sac, malmené, cogné de toutes parts. Et abandonné sur ce banc.

    Et j'y suis toujours, sur ce banc de bois. Parsemé d'échardes et de souillures de pigeons, le banc fait partie d'une petite place perdue dans la ville. Lampadaires, platanes, poubelles donnent du relief à ce qui aurait dû être un havre de paix et qui n'est considéré, dans la réalité crue des choses, que comme du gaspillage d'espace. J'imagine qu'autrefois, les habitants du quartier aimaient à se rassembler ici, pour parler de la pluie et du beau temps, des derniers potins et des grands bouleversements mondiaux. Désormais, seuls ceux qui doivent patienter daignent poser leurs postérieurs sur les bancs, surveillant fébrilement leurs montres de crainte de rester un instant de trop dans ce lieu de perdition. Certains passent, sans s'arrêter, sans s'émerveiller des fleurs qui s'épanouissent. Sans s'intéresser aux objets abandonnés. Peut-être que quelqu'un finira par venir, par me prendre avec sa pince géante pour me jeter avec les autres détritus. Peut-être est-ce là mon destin.

    Mais peut-être bien que cet homme, à la mine hagarde, me jettera un coup d'œil. Je le regarde s'avancer en titubant de fatigue, une sacoche à la main, la cravate légèrement défaite. Il fronce les sourcils en m'apercevant, s'approche, regarde autour de lui, se saisit de moi. Dans ses yeux cernés, je peux deviner de la méfiance, de la répulsion. Mais c'est finalement la curiosité qui l'emporte. Il lit à voix haute, se moquant des potentiels regards surpris qu'il pourrait susciter :

    « Le rhinocéros qui citait Nietszche, Peter S. Beagle »

    Il fronce de plus belle les sourcils, regarde encore une fois autour de lui, puis s'assoit entre les échardes et les déjections. Ses mains douces, peu abîmées par un quelconque travail manuel, s'attardent sur ma couverture. M'ouvrent avec respect. Parcourent les premières pages. De ma position stratégique, je peux l'observer à loisir. Je peux le voir quitter la réalité, s'enfoncer dans les méandres tortueux de l'histoire. Il suit le professeur de philosophie, en pleine promenade avec sa petite nièce, dans un zoo. Derrière les iris du lecteur se dessinent éléphants, girafes et singes, qu'il imagine avec bien plus de détails que ce qu'écrit l'auteur. Lorsque les deux promeneurs s'arrêtent devant l'enclos du rhinocéros, qu'ils découvrent que ce dernier peut parler et même tenir une conversation, les yeux de mon lecteur s'illuminent de joie. Et lorsque le mastodonte soutient, dur comme fer, qu'il est en réalité une licorne, l'homme explose de rire. Et il rit encore, émerveillé, se délectant de ces lignes qui l'emmènent si loin de sa terne réalité.

    Il ne sent pas les frissons de bonheur qui me parcourent. Il ignore la joie incommensurable qu'il me fait en s'immergeant dans ce récit. Mais ce n'est pas vraiment important. Cet homme a peut-être déjà été obligé de me lire, moi ou un autre de mes semblables. Vue sa réaction, sans doute a-t-il été refroidi par cette expérience et a, un peu hâtivement, décrété que la lecture n'était pas pour lui. Mais le hasard, ou le destin, nous a placé face à face. Et peut-être bien que cette rencontre lui fera changer d'avis. Peut-être qu'il va vouloir découvrir d'autres univers, qu'il lui fallait juste le bon livre.


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    Novossibirsk, avril 1938

    Les branches cinglent son visage et ses bottes usées martèlent le sol gelé. Dans son esprit tourne en boucle l'ultime injonction : Fuis !
    Sa poitrine est depuis longtemps devenue un brasier incandescent. Chacun de ses muscles hurle de douleur à chaque enjambée. Mais Mikhail fuit. Il ne se retourne pas, ne veut pas savoir à quel point ses poursuivants sont proches. Il court toujours, éperdument, désespérément.

    Fuis ! Dans ce cri, terreur et désespoir se mêlaient. Les hommes du NKVD, la police secrète, les cernaient. Ils avaient été surpris dans une situation pour le moins compromettante. Nier était inutile. Seraient-ils torturés pour donner le nom de leurs semblables ?

    Son pied bute sur une racine, et il s'étale de tout son long, déchirant par la même occasion son pantalon en toile usé. C'est la panique qui lui permet de se relever et de reprendre sa course folle. Dmitri s'est sacrifié pour lui laisser de temps de s'échapper, il n'a pas le droit d'échouer.

    Il l'avait rencontré dans un café. Leurs regards s'étaient croisés, et le temps s'était figé autour d'eux. Pour ne pas éveiller les soupçons, Mikail avait rompu le contact visuel et était allé s'assoir comme si de rien n'était. Les yeux bleus saisissants de cet homme, ses mèches folles aussi blondes qu'un champ de blé, son visage carré : tout s'était gravé irrémédiablement dans sa mémoire.

    Les cris des chiens lancés à sa poursuite envahissent les sous-bois. Ses foulées se font plus rapides. Le froid mordant ne le glace même plus. Il doit s'en sortir. Mais il est à bout de forces et il sait pertinemment qu'il ne tiendra plus longtemps. Son cœur bat follement dans sa poitrine. Il garde les yeux fixés droit devant lui, droit devant ce qu'il espère être son salut. Sa liberté. Sa survie.

    Après sa journée de labeur à l'usine métallurgique, quand le besoin de contact devenait irrépressible, il allait à la ville. Un parapluie sous le bras, il traquait du regard d'autres hommes affublés du même accessoire. Un regard appuyé, et ils se suivaient dans un endroit isolé. Toujours un lieu lugubre, inutilisé. Ils ne restaient que le temps de partager caresses et baisers. Puis ils se séparaient comme si de rien n'était, frustrés par cette relation fugitive et interdite.

    Le sol se dérobe soudain sous ses pieds. La chute lui paraît interminable. En une fraction de seconde, il comprend : l'escarpement qu'il pensait anodin, masque une rivière en crue. Le choc avec l'eau glaciale lui coupe le souffle. Fébrile, il bat des jambes et des bras pour retrouver la surface. Une goulée d'air polaire le fait hoqueter. Paniqué, il se débat et réussi à garder la tête hors de l'eau. Mais ses forces l'abandonnent. La fonte des neiges a grossi la rivière, et le courant est bien trop puissant pour qu'il puisse regagner le rivage. Pour préserver ses forces, il se met sur le dos, espérant que le courant l'entraîne jusqu'à la berge.

    Et puis, un soir de novembre, il avait croisé Dmitri, un parapluie sous le bras. Ils s'étaient cachés dans une gare désaffectée et s'étaient aimés à l'abri des regards. Leur étreinte avait été si bouleversante qu'ils avaient rompu le secret et s'étaient présentés. Les mains douces de son amant caressait ses cheveux presque ras, et pour la première de sa vie, le nez dans le cou de son amant, Mikail murmura des mots d'amour.

    L'eau glaciale rend insensible ses jambes et ses bras. C'est avec le même détachement qu'il analyse sa situation. Il est un ennemi du peuple et il en est conscient. Sa sexualité n'engendrera jamais le moindre enfant : il est contre-productif. Il est coupable du crime de perversion fasciste et sera envoyé aux camps du Goulag, d'où personne ne revient.
    Il a pourtant essayé de toutes ses forces d'être normal. Il s'est marié, même, il y a deux ans, alors qu'il venait tout juste de fêter ses vingt ans. C'est une gentille fille, douce et jolie. Mais il ne ressent rien pour elle. Il a lutté, avec l'énergie du désespoir, contre ces penchants contre-nature. Aussi vainement que sa lutte actuelle pour survivre.

    Ils se sont aimés avec la folie du désespoir, conscients que chaque instant ensemble pouvait être le dernier. Ils se sont retrouvés, de plus en plus souvent, incapables de passer de l'autre. Et par amour, Dmitri lui a laissé le temps de fuir, mettant sa propre vie entre les mains du NKVD. Puisse-t-il avoir une mort rapide.

    Son corps entre en contact avec la glace qui recouvre la rive. Il doit sortir de l'eau, se mettre à l'abri. Il n'arrive plus à se relever, ne ressent plus aucun de ses membres. Il doit se sécher, se réchauffer, sous peine de mourir de froid. Mais après tout, peut-être est-ce un sort enviable. La mort ici et maintenant, plutôt que dans l'enfer des camps... Il retrouverait Dmitri dans la mort, et ils resteraient ensemble sans se cacher, sans avoir peur. Et c'est le sourire aux lèvres, empli d'espoir, qu'il se laisse glisser dans l'inconscience.


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    C'est long...

    La ville est encore très loin, et lui, il a envie de rentrer chez lui, de manger quelques délices hors de prix, et d'aller s'étendre sur ses draps de soie. Mais ce fichu conducteur refuse de pousser les moteurs, au prétexte qu'ils ne résisteraient pas à une longue distance. Il se moque de lui, oui, c'est la seule explication. Et c'est uniquement parce qu'il est fainéant qu'il refuse d'aller plus vite. Dès son retour, enfin... une fois repus et reposé, il le fera renvoyer pour incompétence.

    La neige a recouvert les paysages familiers de son hideuse couverture, et voyager devient un vrai calvaire. En plus, l'air est glacial et il s'en met plein les bas de pantalon quand il marche dedans. Il devrait acheter un larbin pour se faire porter à dos d'homme, dans ce genre de situation. Satisfait de cette brillante idée, il se cale le menton au creux de sa paume de main, et observe le paysage, écœuré par tant de blancheur immaculée.

    L'une de ses suivantes, une petite sotte à peine capable de nouer un lacet, s'extasie, en compagnie d'une de ses semblables, du coucher de soleil qui se reflète sur la montagne et la pare d'une robe dorée. D'un claquement de langue agacé, il les fait taire, et elles se réfugient dans un coin, effrayées. Si seulement ces idiotes ne mettant pas temps de tant à rentrer, il leur ferait faire le chemin à pied à chaque fois, pour s'épargner leurs chuchotements insupportables.

    Un rictus de mépris vient tordre son jeune visage, pourtant joli habituellement : sur le bas-côté, un homme marche en faisant valser dans les airs de ridicules bouts de bâtons enflammés. C'est à se demander quelle gueuse il espère séduire avec ce stratagème de bas-étage.
    Bien malgré lui, il observe le va-nu-pied le temps que la caravane le dépasse. Cet imbécile est totalement concentré sur son jouet, comme si ces flammes pouvaient avoir un quelconque intérêt. Encore un bon à rien de rêveur, qui se pâme bêtement devant la moindre broutille.

    D'un geste rageur, il tire d'un coup sec sur le rideau pour masquer ce pitoyable spectacle. Il a bien mieux à faire. Il regarde la moquette aux fleurs délicates, les lambris de bois qui tapissent les murs et le plafond de la caravane. Il s'ennuie. D'une voix autoritaire, il ordonne à une de ses suivantes de venir lui tenir compagnie, mais cette péronnelle se tasse sur elle-même et ne décroche pas un mot. Rageur, il l'a renvoie auprès de sa collègue, la menaçant de renvoi s'il les entend chuchoter. Puis avec brusquerie, il ouvre les rideaux. Un long soupir lui échappe. Il s'ennuie. La ville est encore si loin !

    C'est long...


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  • C'est un texte écrit dans le cadre d'un speed-writing : je donne un thème, et les joueurs ont une heure pour en faire un récit. Cette fois, le thème était un peu différent puisqu'il s'agissait d'une image. Le but n'est pas de décrire l'image, mais de créer un récit dans ce paysage. Restriction de temps plus longue, donc.


     

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    Ses pas sont lourds, sa démarche laborieuse. Il transpire abondamment sous le soleil implacable. Mais il trouve la force d'avancer en gardant les yeux rivés sur les deux pierres dressées en haut de la montagne. Des emplâtres de boue et de sang séchés, qui furent des bandages d'un blanc immaculé quelques jours auparavant, ornent ses deux bras. Son visage, sévère et dur, est lui aussi maculé. Sous le casque, ses yeux, pareils à des saphirs résignés, ne quittent pas les pierres.
    Chaque pas est alourdi par sa cotte de maille, son bouclier et son épée. Chaque pas qui le mène au sommet est un supplice, mais il s'est juré d'y arriver.

    Après ce qui lui semble être une éternité, les deux silhouettes majestueuses qui se dressaient à l'horizon lui font face. D'une main épuisée, il en caresse la surface rugueuse, et sur son visage s'étire un sourire de soulagement. Alors il se laisse tomber au sol et se débarrasse, non sans mal, de son arme, de son bouclier et de sa cotte de maille. Il s'allonge dans l'herbe, et ferme les yeux quelques instants. Juste quelques instants, histoire de savourer son ultime victoire.
    Lorsqu'il ouvre à nouveau les yeux, le soleil s'est dangereusement approché de l'horizon. Alors, machinalement, il déchire un morceau de la chemise, autrefois blanche, qu'il porte sous sa cotte de maille. Et avec des gestes dictés par l'habitude, il frotte les tâches qui souillent son arme et son bouclier, tandis que ses pensées s'égarent.

    La bataille a viré au massacre, comme ils s'y attendaient tous. Lorsque les deux nations les plus puissantes d'un continent se déclarent la guerre, animées par une haine viscérale centenaire, il ne peut en résulter que le chaos. Les deux armées, aux soldats innombrables, se sont retrouvées sur l'une des plus vastes plaines du continent. Et l'enfer s'est déchaîné.

    Les yeux fermés, les mains toujours affairées à restituer la splendeur de son équipement, il se souvient. Il se rappelle du chaos, de l'odeur du sang mêlé à la boue. Il entend à nouveau le cri de guerre de son peuple, les hurlements des blessés. Les gémissements, ensuite, quand la vie les quittait trop lentement. Il revoit les regards fiévreux, remplis de haine puis de terreur abjecte.
    Dans un état second, endoctriné par la haine des autres, il a tué, il a mutilé, il a souillé la terre du sang de ses semblables. Et quand il a repris ses esprits, la plaine n'était plus qu'un immense charnier. Oh, il restait bien des hommes debout, une poignée seulement, mais continuer aurait été absurde. Deux peuples ennemis. Deux peuples anéantis.
    Sans lâcher ses armes, il avait fait demi-tour, tourné le dos au massacre comme s'il pouvait, par ce seul geste, en effacer l'horreur et il avait quitté le champ de bataille. Plus tard, il avait soigné ses multiples blessures, mû par la seule volonté de vivre.

    L'épée brille comme au jour de sa fabrication. Le bouclier arbore fièrement les armoiries de ce peuple aujourd'hui à l'agonie. Il prend délicatement son casque, déformé par de nombreux coups qui lui ont sauvé la vie. Avec amour, il le polit, le rend étincelant, une toute dernière fois. Il a trop vécu la guerre. Il n'aspire plus qu'à la paix désormais. Comme la flèche plantée au pied de la pierre le symbolise, la folie des hommes s'arrête ici. De l'autre côté règne la paix.

    En hommage aux hommes tombés au combat, à cette nation qui l'a vu naître et qui l'a fait grandir, il dépose soigneusement ses armes désormais immaculées contre la pierre. Un regard en arrière lui permet d'apercevoir une infime partie de la plaine. Plus jamais ça.
    Alors d'un pas décidé, il franchit les monolithes, laissant derrière lui une vie de haine. Au cœur des montagnes, il demandera humblement l'asile au peuple pacifique.


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    Dans un bruissement d'étoffe, Cassandre s'avance dans les sous-bois, serrant soigneusement contre elle un précieux paquet. Elle a revêtu sa longue robe noire en lin, et a glissé dans ses cheveux de jais une myriade de fleurs couleur sang. D'un pas déterminé, elle progresse plus profondément sous le couvert des arbres.

    L'odeur entêtante de l'humus rempli l'air et elle s'en délecte, un sourire serein sur le visage. Au loin, une chouette hulule, ultime parade avant un repos bien mérité. La jeune femme suit l'étroit sentier sans hésiter ni se laisser troubler par son environnement, aidée par la lueur de la lune.

    Lorsqu'elle débouche enfin sur la clairière, d'autres sont déjà arrivées. Des femmes, uniquement, qui ont toutes revêtu une longue robe noire. Elles forment un cercle, comme pour surveiller les enfants endormis au centre. Quelques flammèches, dansant au dessus des coupelles d'huile, viennent compléter la lueur de la Lune. Cassandre les salue d'un simple geste de la tête, pour ne pas rompre le silence respectueux. Avec douceur, elle dépose son précieux paquet au centre. Des nombreuses étoffes qui le protège de la froideur matinale émergent un nez minuscule, une petite bouche plissée, et deux yeux clos. Puis elle va prendre place dans le cercle, assise sur ses talons, et se plonge dans la méditation.

    Lorsque toutes sont arrivées, l'aînée se lève gracieusement et annonce :


    - Soyez les bienvenues, mes chères. Nous voici réunies, en cette nuit de Lune du Chêne, pour répondre à l'appel des anciens. Nous avons l'immense honneur de vivre ce moment attendu depuis des centenaires ! Rappelons-nous de leurs paroles !

    Une douce mélopée s'élève entre les arbres, reprise par chacune des participantes. Cassandre met tout son cœur et toute sa foi pour répéter les saintes paroles :
    « Durant la pleine lune de décembre, entre chien et loup, à l'heure où l'astre de la nuit s'efface pour laisser place à celui du jour, réunissons-nous ! En cette nuit de solstice d'hiver, lorsque notre bien-aimée sera parfaitement ronde dans les cieux, elle se parera de sa robe carmin. Il sera l'heure de vos offrandes, car plus que jamais, la magie habitera la terre. ». Les derniers mots s'éteignent. L'aînée entonne doucement le chant rituel dans un silence absolu : la nature toute entière semble fascinée par cette voix si pure.

    Comme dans un rêve, Cassandre reproduit les gestes ancestraux, transmis au fil des générations, pour rendre hommage à la Reine des Cieux. Elle les connaît depuis si longtemps qu'ils en sont presque instinctifs : dans l'air frais, elle trace courbes et symboles avec fluidité. Le hurlement d'un loup qui salue l'aube naissante accompagne la complainte qui se fait sinistre. Comme pour répondre à leur appel, la Lune se teinte doucement de rouge sous leurs yeux émerveillés.

    Pour la première fois depuis cinq mille ans, l'éclipse de lune coïncide avec le Solstice d'hiver. La magie est si forte en ces première heures du jour qu'elle semble crépiter autour d'elles. La mélodie prend de l'ampleur, et les paroles mystérieuses se répètent à l'infini entre les arbres centenaires. Elles se relèvent d'un seul et même mouvement, et prennent dans leurs bras les enfants pour le tendre à l'astre. Les adoratrices psalmodient de plus belle, le visage tourné vers les cieux. Une onde bienfaitrice parcourt leurs corps dans un fourmillement enivrant.

    Le moment de grâce s'efface lentement, à mesure que le carmin disparaît et que leur déesse s'estompe. Fébrilement, Cassandre défait les étoffes qui réchauffent l'enfant : des marques violacées qui parsemaient son corps ne reste plus rien. Les nombreuses plaies purulentes ont disparu aussi. Autour d'elle, les autres sorcières font les mêmes constats. C'est avec un sourire radieux qu'elles se regardent, avant de rentrer porter la bonne nouvelle aux parents. La Lune, dans sa toute-puissance, a guéri ces enfants qu'on jugeait condamnés.

     

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    Une immense étendue immaculée me fait face. Les reliefs du terrain sont adoucis par l'épais manteau neigeux et deviennent courbes et monticules. Les arbres nus se sont parés de leurs vêtements d'hiver. Leurs branches fines se déclinent en noir et blanc. Tout est calme, serein.
    Au loin, je devine des enfants, chaudement vêtus, glissant sur la neige en riant aux éclats. Leurs parents restent immobiles, comme si la maturité les empêchait d'apprécier la magie du moment.

    J'attends.



    Un rouge-gorge, aux pattes si fines qu'elles ressemblent à des brindilles, s'est posé tout près. Obstinément, il cherche de quoi se nourrir au milieu de l'épaisse couche de neige. Il est beau, mais il me rend triste. Il me fait réaliser que cette étendue vierge, source de mon bonheur, peut amener du malheur. Que ce paysage idyllique glace d'horreur certains.

    J'attends.



    Un chien passe devant moi, indifférent, et s'amuse à pourchasser l'oiseau. Il s'arrête rapidement, et se mord une patte, sans doute essaie-t-il de se débarrasser de la neige qui s'est engouffrée entre ses coussinets et qui le brûle atrocement.

    J'attends.



    La neige est paisible désormais. Elle tolère que les hommes se l'approprient pour leurs loisirs. Elle accepte qu'on la regarde avec amour ou aversion.
    Elle a bien changé. Je me souviens d'un temps où elle régnait en maître sur l'hiver. Les Hommes la redoutaient, car elle était meurtrière. Dans de lointaines contrées, elle s'entassait sans répit, d'octobre à avril, devenant parfois plus haute que les maisons. Son poids faisait ployer les toits et terrorisait les habitants réfugiés à l'intérieur. Ils comptaient les jours et priaient pour qu'elle s'en aille. Même ici, dans notre pays, elle tuait le bétail, elle tuait les plus faibles.
    Les temps ont changé. La chaleur l'a vaincue, et elle ne fait plus que de brèves apparitions.

    J'attends.



    Un groupe de promeneurs passe non loin de moi. Certains me désignent du doigt en souriant. Dans les yeux de certains brille l'émerveillement. Je les suis du regard, immobile. Depuis que la vue m'a été offerte, je surveille le moindre des mouvements, guettant Son retour. Le soleil poursuit sa route dans le ciel, impuissant à réchauffer l'air.

    J'attends.



    Et enfin, il arrive. Mon cœur s'emballe et mon sourire s'étire. Je détaille son bonnet enfoncé sur son crâne jusqu'aux yeux, qui laisse échapper quelques boucles brunes. Ses yeux de jade me fixent avec amour, et je sais que dans mes billes de verre se reflète le même sentiment. Son nez retroussé est rougi par le froid. Il essaie de renifler discrètement, sans grand succès. Sa bouche, je ne la vois pas, dissimulée comme elle est par une épaisse écharpe. Il a entouré mon cou de la même étoffe, comme si j'en avais besoin. Mais ce geste signifie qu'il tient à moi, qu'il se préoccupe de mon bien-être. Et c'est suffisant pour me combler.
    Il s'approche de moi, et, tendrement, caresse mon corps pour le parfaire. Je frémis de plaisir. Nous nous regardons encore, sans dire un mot, pour ne pas briser la magie. Il sourit, il est fier. Et cette fierté, je la ressens moi aussi. Il est revenu pour moi, pour me regarder une dernière fois. De ses mains gantées, il extrait un téléphone de sa poche, et le tend en l'air, dans ma direction. Un faible claquement retentit. Ainsi, il se souviendra de moi quand je ne serais plus.

    Il demeure ainsi immobile un long moment, jusqu'à ce que le soleil décline à l'horizon. J'espère que mes billes de verre peuvent refléter toute la vénération que j'éprouve pour lui. Il s'approche de moi et me serre dans ses bras. C'est le temps des adieux. Mon cœur saigne car je ne peux lui rendre son étreinte. Devine-t-il seulement les sentiments qui m'animent ?

    Il s'éloigne lentement, en se retournant parfois. J'aimerais rester avec lui pour toujours. Mon créateur. Mon Dieu. Le rouge-gorge revient et se pose sur la branche qui me tient lieu de bras. Demain, je le sais, la chaleur reviendra et je disparaîtrai. Combien de temps mon créateur se souviendra-t-il qu'il m'a donné la vie ?


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    Je m'installe confortablement dans le siège, tandis qu'un technicien vient effectuer les derniers ajustements. Un large sourire éclaire mon visage. A vrai dire, ce sourire ne m'a plus quitté depuis l'annonce du général Tammon, il y a deux semaines " Préparez-vous pour une nouvelle mission, Lanner. Ile de Tortuga, 1650''. Si j'avais su garder mon air impassible face à lui, j'avais laissé ma joie s'exprimer dans la discrétion de ma chambre. D'accord, je m'étais comporté comme un vrai gamin en bondissant de partout. J'avais même déniché mon épée en silicone, soigneusement cachée au fond de l'armoire, et j'avais entamé un trépidant combat contre l'un de ces maudits Espagnols.

    Le technicien s'éloigne, et les scientifiques derrière la vitre protectrice s'agitent. Des pirates. Je vais voir des pirates ! Mon rêve de gosse ! Rackam le Rouge, Barbe Noire, Anne Bonny, Henry Morgan, Bartholomew Roberts, Barbe Rousse. Malgré mes trente-cinq ans et si, en cette année 2082 les vampires sont toujours en tête des préférences en terme de légendes, je reste passionné par les flibustiers. Envers et contre tout. Je connais leurs ports d'attaches, leurs histoires, leurs batailles les plus célèbres. Et je vais en rencontrer !

    Un homme en blouse blanche me fait signe derrière la vitre. Pour lui indiquer que je suis prêt, je hoche vivement la tête. La machine a remonter le temps se met à vibrer légèrement.

    Les embruns déposent leur offrande salée sur ma peau et le soleil est brûlant. Je suis sur une plage, face à la mer des Caraïbes. Les habilleuses m'ont donné une tenue en adéquation avec l'époque, aussi ne fais-je pas tâche dans ce décor idyllique. Dans quelques instants, je vais les rencontrer. Ces hommes libres, défiant les diktats du pouvoir en place. Récupérant les richesses que les colons avaient eux-même pillé aux autochtones. Libérant les esclaves de l'insupportable commerce humain. Vivant selon un code de l'honneur des plus nobles.

    Sans pouvoir résister un instant de plus à mon impatience, je me dirige d'un pas qui se veut nonchalant jusqu'à Basse Terre. La terre brute est dure sous mes bottes de cuir, et une odeur de poisson me prend à la gorge. Sans hésiter, je me dirige vers le port naturel. Une myriade de navires différents sont amarrés au quai. Première déception. J'imaginais de fiers bricks, d'élégants brigantins aux voiles gonflées. Évidemment, au port, les voiles sont abaissées. Sur les flancs des navires, d'innombrables plaies sont béantes, sur lesquelles s'affairent nombre d'hommes. Je suppose qu'elles sont dûes aux coups de canons. Les navires sont petits, sans doute choisis pour leur rapidité. Le corps d'un homme oscille doucement au gré du vent, pendu au mât principal. Depuis quand se pendent-ils les uns les autres ?

    Je suis bousculé par un homme maigre et nerveux, visiblement pris de boisson, bien que le soleil soit encore haut dans le ciel. Menaçant, il retrousse les lèvres, prêt à en découdre. Je m'éloigne vivement, prônant la discrétion. Inutile de se bagarrer avec un pirate ivre. Glissant la main dans ma poche, je récupère quelques pièces de monnaie et me dirige vers le panneau décrépit qui annonce "Au Bourdon Fringuant, taverne". L'odeur est forte, ici aussi : subtil mélange d'odeurs corporelles et de nourriture avariée. Dans la ruelle, un homme se soulage contre le mur, dans l'indifférence générale. Plus loin, je devine qu'une bagarre a éclaté : les rires gras et les encouragements résonnent.

    L'intérieur de la taverne est sombre, éclairé par quelques lanternes, malgré la luminosité extérieure. Le vacarme y est insupportable. La plupart des clients attablés sont des hommes, certains se goinfrent de plats aux relents écœurants tandis que d'autres jouent aux cartes, avec force rires et protestations. Les pièces de monnaie claquent contre le bois usé. Une femme de petite vertu s'approche de moi et me susurre à l'oreille qu'elle n'attendait que moi. Elle n'est pas seule, non, mais ses congénères sont assises sur les genoux des pirates dans des postures sans équivoque.

    Je m'installe à une table sans attirer l'attention, après m'être débarrassé de la catin. J'observe les pirates, leurs chicots noirs et leurs cheveux gras. Ils sont pauvrement vêtus d'habits sans doute pratiques pour eux, mais rapiécés, usés jusqu'à la corde. Où est le faste et la richesse ? Où est la noblesse ? La femme revient, et dépose sans adresse une écuelle où flottent quelques patates dans un liquide grisâtre. Je l'éloigne de moi pour échapper à la puanteur, et me concentre à nouveau sur les clients. Grâce à l'oreillette créée par les scientifiques, si petite qu'elle en est invisible, j'entends et je comprends leurs conversations. Les discussions entre les joueurs sont intemporelles : il y est question de chance, de mauvaise foi et de tricherie. Mais alors que je me concentre sur les hommes assis à une table voisine, mon dos se couvre lentement de sueur froide. L'un des leurs raconte les tortures qu'affectionne son capitaine, pour prouver à tous qu'il est maître à bord. Un autre surenchérit en expliquant ce qu'il advenu de l'esclave, enrôlé de force à bord après sa prétendue libération. Lorsque le troisième raconte en riant ce qu'il est advenu des femmes esclaves trouvées dans les cales d'un navire, je n'y tiens plus, et m'extirpe rapidement de ce lieu de débauche. Leur univers est fait de violence, de viols et de trahisons. Une vie courte, putride, ne tenant qu'à un fil. Je m'éloigne à grand pas de la ville, rejoignant la plage où je suis arrivé, sans remarquer les hommes qui me suivent.

    J'ai du sable dans les yeux, dans la bouche, dans le nez. Ils m'ont sauté dessus, trois hommes secs ne vivant que par et pour la violence. Puis ils sont repartis, me laissant plus mort que vif, et sans un sou. Tout ça pour une poignée de pièces. Je tente de respirer sans attiser la violente douleur qui m'élance à chaque inspiration. Un chat s'approche, le dos rond, crachant contre le déchet humain que je suis devenu. En tâtonnant, je parviens après de longues minutes à activer le téléportateur inséré sous la peau de l'avant bras. Et c'est avec un vive soupir de soulagement que je sens la réalité de mon corps disparaître peu à peu, sous le regard ébahi de la boule de poils hérissés. La mythique vie des pirates est magnifique, tant qu'elle reste une légende.


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    Dans la rotonde déserte, entre deux plantes vertes en plastique, une vieille femme est immobile dans son fauteuil roulant, face à la grande baie vitrée. Regardant sans le voir le parc parfaitement entretenu de ce que le politiquement correct appelle « Centre Gériatrique », elle patiente.

    Aujourd'hui, elle attend une visite. Son gendre. Il ne vient qu'une fois par mois, toujours le dernier dimanche. Tiens, d'ailleurs, c'est lui, là, qui marche sur la petite allée gravillonnée qui serpente au milieu des arbres centenaires. De son point d'observation, Berthe le suit des yeux, les lèvres pincées. On dirait qu'il va à l'échafaud. Lorsqu'il disparaît dans le hall d'entrée, elle arrange machinalement ses cheveux, et plisse sa robe.

    - Bonjour Belle-maman !
    - Ah ben te v'là. D'puis l'temps qu'j'attends !
    - Il y a du monde sur la route.
    - Com'toujours, t'as qu'à partir plus tôt.

    L'homme défait les freins qui maintiennent le fauteuil immobile, et la fait lentement pivoter pour lui faire la bise. Le regard acéré de Berthe détaille son gendre dans une moue dédaigneuse.


    - Ils osent vendre d'tels vêtements d'nos jours ?

    Le coup a porté, et l'homme trésaille. Pourtant, il répond d'une voix qui se veut indifférente :

    - Faut croire.
    - Où qu'elle est, ma Sophie ?
    - Elle est en déplacement pour son travail. Elle n'a pas pu venir.
    - Un dimanche ? Tsss... Toutes les excuses sont bonnes, hein ?

    Le gendre ne répond rien, et va s'asseoir sur l'une des chaises qui parsèment la rotonde. L'animosité entre Berthe et cet homme date de leur première rencontre. Elle l'avait détesté au premier regard. Et quand Sophie lui avait annoncé, après bon nombres de questions à ce sujet, qu'ils ne désiraient pas avoir d'enfants, ce fut comme une déclaration de guerre. Ça ne pouvait être que cet homme au regard malsain qui lui avait mis ça dans le crâne.

    - Comment allez-vous, Belle-maman ?
    - Mal. J'vais mal. Mes g'noux et mes mains m'font souffrir à cause d'l'arthrose. Puis mon dentier m'fait mal aussi. L'dentiste l'a mal réglé.
    - Ils vous donnent sans doute de quoi calmer la douleur.
    - Tu parles ! C'est une bande d'incompétents ici. Ah ça, tu peux ben sonner, hein, avant qu'ils viennent, t'as l'temps d'calancher. D'toutes façons, les infirmières, elles m'aiment pas. Elles l'font exprès d'pas v'nir quand j'appelle. Et ils ont même recruter un p'tit jeune, un vaurien qui me regarde les fesses quand il m'fait ma toilette.
    - Mais au moins, vous mangez bien ?
    - Ben voyons. Tiens, à midi, on avait d'la soupe. 'Fin, c'qu'ils appellent d'la soupe. D'l'eau chaude avec des vermicelles. Et la viande, c'te vieille carne bouillie. Comment qu'tu veux qu'on mange ça, avec nos fausses dents ?

    Le discret soupir du gendre ne l'est pas assez, malgré les problèmes d'audition de Berthe. Pourtant, il demande, d'une voix patiente :

    - Le mois prochain, vous aurez quatre-vingt ans. Vous voulez qu'on organise une petite fête ?

    La vieille femme le foudroie du regard, et redresse le menton dans un geste de défi. Sa voix est tranchante comme la glace lorsqu'elle répond :

    - Certainement pas ! Tu crois qu'tu vas m'avoir, avec des p'tites fêtes ? J'ai déjà fait mon testament, et t'auras rien du tout. Pas un sou. Alors te donne pas la peine.

    L'homme n'essaie pas de la détromper, il la connait malheureusement trop pour savoir qu'il ne pourra jamais lui faire changer d'opinion. Il se lève, et sors les clefs de voiture de la poche.

    - Je vais devoir y aller, je dois m'occuper du massif de fleurs tant qu'il fait beau.
    - Tu vas encore les faire crever.

    Il reste muet en lui faisant rapidement la bise, puis s'éloigne sans se retourner. Berthe fait pivoter son fauteuil pour le regarder partir, visiblement plus guilleret qu'à l'aller. Et lorsque la silhouette de son gendre a disparue sur le parking, elle se permet d'afficher un grand sourire.


    - Voilà votre canne, Madame Delorme.
    - Merci mon p'tit.

    Berthe sort de son fauteuil en faisant un sourire adorable à l'infirmière, et s'empare de la canne.

    - Il n'est pas resté longtemps aujourd'hui.
    - J'ai tout fait pour. C'est qu'j'ai pas qu'ça à faire, moi.

    Elles échangent un sourire complice, puis Berthe trottine jusqu'à la salle commune. Cette mise en scène fonctionne depuis des mois. Les aides-soignantes, avec qui elle s'entend parfaitement bien, sont de connivence. Elle sait que s'il apprenait qu'elle se plaît ici, il serait bien capable de l'envoyer ailleurs. Et puis, elle n'aime pas voir les jeunes. Ils lui rappellent trop qu'elle ne l'est plus. Au moins, ici, elle est la plus fringante ! Elle se dirige d'un pas assuré jusqu'à la table ronde où sont déjà installées ses amies et prend place. De la poche de sa robe, elle sort le jeu de cartes, malicieuse.

    - La belote n'attend pas, mesdames. C'qui qui distribue ?


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  • Dans un silence de mort, les deux hommes se toisent. Les pieds légèrement écartés, les mains sur les hanches, si solidement campés au sol qu'une tornade ne pourrait pas les faire bouger, ils se défient du regard. Sous la chaleur des spots lumineux braqués sur eux, ils restent immobiles, leurs visages rudes et sévères parsemés de gouttes de sueurs se fixent mutuellement. Les caméras sont elles aussi des observatrices muettes, retransmettant le combat à venir aux quatre coins de la planète.

    Ils sont dans une salle ronde, aux murs blancs immaculés qui semblent les encercler. Point de public, juste deux hommes face à face dans un ring d'un nouveau genre.
    Résonnant comme un coup de tonnerre, une voix anonyme de baryton se fait soudain entendre, crachée par des hauts-parleurs soigneusement dissimulés :


    - Allez-y !

    Le premier des deux hommes prend une longue inspiration avant de déclamer :

    - Je ne bois jamais d'eau parce les poissons y font des choses dégoûtantes, de W.C. Fields

    Le second esquisse un rictus, et réplique d'une voix ferme :

    - On dit qu'il y a dans le monde une femme qui donnerait naissance à un enfant toutes les deux secondes. Il faut absolument la retrouver pour l'empêcher de continuer, de Sam Levenson.
    - Mon animal préféré, c'est le beefsteak, de Fran Lobowitz,
    - Elle a tellement de dents en or qu'elle dort la tête dans un coffre-fort, de W.C. Fields.
    - L'architecture, c'est l'art de perdre de la place, de Philippe Johnson.
    - Mon frère prend un bain par mois, quoiqu'il arrive... qu'il en ait besoin ou pas, de Lawrence Durell.
    - Mi-temps !

    Une porte s'ouvre dans les parois immaculées, et l'arbitre s'avance. Il offre une petite bouteille d'eau aux deux duellistes puis un sourire quelque peu factice. Les bras mécaniques des caméras règlent leur champ de vision et agrandissent le plan. Après une pause de cinq minutes, durant laquelle ils ne se sont pas quittés des yeux, le combat reprend :

    - Le flamand, ce n'est pas vraiment une langue, c'est plutôt une maladie de la gorge, de Mark Twain.
    - L'Angleterre est le seul pays au monde où manger est plus dangereux que faire l'amour, de Jackie Mason
    - Les Écossais portent des kilts parce les moutons peuvent entendre de très loin le bruit des fermetures Eclair, de Blanche Knolt.
    - Le meilleur remède contre le mal de mer, c'est de s'asseoir sous un arbre, de Spike Milligan.
    - Pourquoi est-ce qu'une carotte est plus orange qu'une orange ? De Ambrose Dukes
    - Si ça ressemble à un lapin, que ça marche comme un lapin et que ça bouge comme un lapin, il faut le laisser encore un peu dans le micro-ondes, de Lori Dowdy.
    - C'est terminé !

    L'arbitre s'avance et sépare les deux hommes qui s'étaient rapprochés, menaçants, à mesure que le duel prenait de l'ampleur. Puis, ce sont les agents de la sécurité qui raccompagnent galamment les deux hommes jusqu'aux loges, le temps de prononcer le verdict.

     

    Devant les millions de télévisions du monde entier, les spectateur retiennent leur souffle. Certains y vont de leurs pronostics pendant la coupure publicité, mais tous se taisent lorsque le présentateur explique en détail les enjeux du combat.


    Une heure plus tard, l'écran montre à nouveau les deux duellistes, côte à côte, le menton relevé et le dos bien droit. L'arbitre se place face à la caméra, et déclare sur un ton solennel :


    - Le combat est désormais terminé. Suite au vote des jurés déclarés volontaires, nous avons un vainqueur, le Général Grafdield. En lieu et place d'un combat armé, ce duel accorde le territoire de l'Alaska au Portugal. La demande des Etats-Unis est rejetée. La bonne soirée à vous !



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