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    Assis autour d'une table, Anthelme lit à voix haute la lettre, attentivement écouté. C'est Pèire, qui leur donne des nouvelles. Deux mois ont passé depuis la révolte, et le départ de l'ancien tavernier et de Jehanne. C'est la troisième lettre qu'ils reçoivent. Pourtant, ils sont incapables de cacher leur joie d'avoir enfin des nouvelles.

    Pèire et Jehanne se sont installés dans la maison au milieu de la forêt, où Elland a passé quelques moments insoutenables. Jehanne avait besoin de calme, pour se retrouver. Et l'éloignement lui fait énormément de bien. Enfin, d'après Pèire. Car les trois amis, autour de la table, ne sont pas dupes. C'est surtout la présence de cet ours affectueux et protecteur au possible, qui fait du bien à Jehanne. Leur vie se compose de petits riens, mais ils sont heureux, tous les deux. A la fin de la lettre, Pèire leur annonce qu'ils viendront à l'Hermine Affamée, en milieu de mois, pour leur rendre visite. Alors, avant même qu'Anthelme ai pu prendre sa plume et du papier, Elland et Ménandre lui dictent, en même temps, un début de réponse.

    Il faut toute la patience et l'autorité d'Anthelme pour parvenir à canaliser l'énergie des deux énergumènes qui lui font face pour réussir à écrire la réponse. Enfin presque. Car Théoliste arrive à ce moment, visiblement épuisé. Reportant l'écriture de la lettre à plus tard, ils s'accordent une chope d'hydromel. Et en profitent pour essayer de glaner quelques informations sur Thémus. Il faut dire que depuis qu'il a réussi à placer un de ses hommes, autrefois infiltré parmi les dirigeants, à la place de Gouverneur, il ne manque pas de travail. Il tire les ficelles dans l'ombre, comme toujours, mais ses amis n'ignorent pas qu'une grande partie des décisions prises depuis la révolte sont de son fait. Il en a même fermé son atelier de cordonnier, c'est pour dire !

    La chope d'hydromel terminée, Théoliste retourne à ses patients. Anthelme, Elland et Ménandre, à leur lettre. Puis, rapidement, c'est l'heure des adieux. L'enseignant a encore beaucoup à faire.

    De retour à l'Hermine Affamée, Ménandre est chargé de servir les clients de l'après-midi. Il a voulu rester ici, avec Elland, et laisser Pèire et Jehanne se découvrir en tête à tête. Lui aussi, a bien appris. Et depuis peu, il ne pique plus les bourses des clients. De sacrés progrès. Il ne fait rien léviter devant les clients, non plus, bien trop conscient que la présence de la magie à Rivemorte est trop récente pour être acceptée sans réticence.

    Elland est monté dans sa chambre. Celle qu'il avait aménagé, lorsqu'il s'était installé ici, en tant que simple invité. La configuration des lieux est bien trop pratique pour qu'il aille ailleurs. De la lucarne, il aperçoit Echidna, figée pour la journée, surplombant la ruelle derrière l'Hermine Affamée. Comme d'habitude, il s'éclipsera pendant le service du soir, pour passer plusieurs heures avec elle, survolant les toits ou les champs, dans ces moments de complicité dont il a tant besoin.

    Après de rapides ablutions, il se glisse entre les draps. Il s'endort avec le sourire car il sait que le réveil sera le meilleur de toute sa vie.
    Et ça n'y coupe pas. C'est d'abord la caresse de cheveux, qu'il sait être blonds, sur sa joue. Il se réveille mais n'ouvre pas les yeux, attendant impatiemment la suite. Puis, du bout des doigts, elle parcourt avec une douceur infinie le front, la tempe, la balafre sur sa joue, ses lèvres. Alors elle se penche un peu plus et l'embrasse avec tendresse. Il fait semblant de gémir dans son sommeil et, d'un geste vif, enserre ses bras autour de sa taille, avant de la faire rouler sur le lit. Elle pousse un petit cri, comme toujours, et ils rient, comme deux gamins, comme toujours.
    Maelenn est rentrée. Elle travaille à la taverne, elle aussi, s'occupe des chambres louées aux clients. L'après-midi, c'est toujours la lessive. Et Elland attend son retour avec la même impatience, tous les jours.

    C'est encore un coup de Ménandre, cette histoire. Elland était figé devant la taverne, deux mois plus tôt, regardant Maelenn s'éloigner pour saluer les mages qui quittaient la ville. Il était persuadé qu'elle ne voudrait pas rester, qu'elle aurait bien mieux à faire, loin de Rivemorte. Il n'avait pas osé lui proposer de rester, même s'il en mourrait d'envie. Il n'avait rien à lui offrir et elle, toute une liberté à retrouver. Ménandre observait le manège, parfaitement au fait de ce qui se déroulait sous ses yeux. Alors, dans un soupir exagéré, il était allé la voir. Il avait déclaré qu'Elland était fou amoureux d'elle, qu'il mourrait si elle s'en allait, qu'il était prêt à se jeter à ses pieds.

    Voyant le gamin comploter avec la drapière, Elland avait prudemment battu en retraite, les joues en feu, dans le havre rassurant de la taverne, toute pillée qu'elle était.
    Il avait fallu le retour de Ménandre, de longues minutes plus tard, pour connaître le verdict. Elle avait accepté avec joie.
    Là encore, il avait fallu beaucoup de temps pour qu'ils finissent par partager la même chambre. Et Maelenn avait fait le premier pas plus souvent qu'à son tour. Il leur devait tant !

    Le nez perdu dans la douceur enivrante du cou de Maelenn, Elland est heureux. Et c'est avec plus de bonheur encore qu'il lui annonce la venue prochaine de Pèire et Jehanne.

    Mais trop vite, le travail les rappelle à l'ordre. Et c'est la voix en pleine mue de Ménandre qui sert de messager. En bas, dans la salle de la taverne, un artisan patiente devant une chope de bière. Calé contre lui, un paquet, soigneusement emballé dans une toile cirée. Son visage s'illumine d'un grand sourire quand il voit Elland. Et délaissant sa chope, il déballe le mystérieux paquet. Et là, devant les trois paires d'yeux brillants des taverniers, la nouvelle enseigne se dévoile. Des grosses bêtes, fort jolies au demeurant, annoncent le changement de nom de la taverne. Et c'est Maelenn qui, d'une voix rendue rauque par l'émotion, lit :


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    La serpillère, noire de crasse, se glisse entre les pieds des chaises, maniée par des mains devenues expertes. Le service du midi est terminé, les clients ont bien mangé, payé, et ont quitté les lieux. Il ne reste plus qu'à ranger et ce sera l'heure d'une sieste bien méritée.

    L'Hermine Affamée a retrouvé toute sa splendeur. Il aura fallu réparer les portes et fenêtres, le mobilier et renflouer le garde-manger pillé. Amadouer la cuisinière, aussi, qui était parfaitement au courant de son surnom de ''dragon''. Pas une mince affaire, ça.

    Elland plonge une dernière fois la serpillère dans le seau et se redresse, une main sur les reins. Il n'aurait jamais cru qu'être tavernier serait si épuisant. Au moins, il a un travail parfaitement légal, désormais, et peut croiser les patrouilles de garde sans se cacher. Bon, bien sûr, il a toujours une ou deux manigances en cours, mais ça le maintient en forme ! Pèire parti, il fallait bien que quelqu'un s'occupe de la taverne. Reconversion idéale.

    Les mains sur le manche de la serpillère, le menton posé sur les mains, Elland repense à ses débuts de tavernier. Pas brillants, il faut l'avouer. Entre les erreurs de quantités commandées, les clients à servir avec le sourire mais pas trop, les ivrognes à l'alcool mauvais et les mauvais payeurs, chaque jour était presque un enfer. Mais il s'est vraiment amélioré depuis ! Et puis, avec sa main qui ne lui obéit que quand elle veut, il n'avait pas beaucoup d'autres possibilités. Sans compter que son visage, marqué par une balafre pas discrète pour un sou, n'inspire pas forcément la confiance. Alors se faire employer quelque part...

    Un message, soigneusement roulé, danse devant ses yeux. Sursaut. Puis, s'étant repris, il demande, dans un soupir las :


    - Ménandre, tu n'es pas encore fatigué de me jouer ce tour ?
    - Non !

    Un rire étrange, d'une voix en pleine mue, surgit derrière Elland, qui se retourne vivement, manquant de lâcher la serpillère. Ménandre se tient fièrement sur le seuil de la cuisine. Il a sacrément grandi, le gamin. Et il s'est bien remplumé, aussi. Faut dire qu'il dévore comme un ogre, à chacun des trois repas de la journée. Un beau jeune homme, qui fait déjà tourner les têtes des demoiselles du quartier. Des soucis en perspective, forcément.

    D'un geste vif, Elland attrape le message qui lévite. C'est la grande passion du gamin, depuis qu'il s'est découvert ses pouvoirs. Elland espérait que ça lui passerait, mais non. Il fait toujours léviter tout ce qu'il trouve. D'un coup d'ongle, il décachette le sceau sur le message et déroule le papier. Ménandre s'est rapproché et regarde par dessus son épaule.
    Mais même à deux, ils sont incapable de déchiffrer les petites bêtes gravées sur le papier. Quelle idée, aussi, d'écrire ?

    Repoussant d'un coup de pied le seau d'eau noire dans un coin, Elland retire son tablier noué autour de la taille et le jette sur le comptoir. Un sourire complice sur les lèvres, il se tourne vers Ménandre et lui dit :


    - Il ne nous reste plus qu'une chose à faire !

    Il passe une main dans ses longs cheveux noirs pour les discipliner et renouer le lacet de cuir qui les maintient sur la nuque. Il tire machinalement sur la chemise de Ménandre pour la remettre correctement. Et, ensemble, ils ferment et quittent la taverne.

    Depuis la révolte, les rues ont retrouvé leur sérénité et les harangues des vendeurs leur force. Ils n'ont guère le temps de flâner et marchent d'un bon pas en direction de la Grand Tour Célestis. Une porte, discrète mais toujours ouverte, orne le pied de la tour. Les souterrains ont été sécurisé et nul ne s'y aventure sans une excellente raison.

    Le hall d'entrée est désert. Il est accueillant, pourtant, avec des bancs, des tables et, dans un placard, des couvertures et vêtements de rechange. Ce sont les habitants qui remplissent ces placards d'affaires dont ils n'ont plus besoin. Et ce sont les nécessiteux qui viennent passer la nuit ici, à l'abri du mauvais temps.

    Ils gravissent les escaliers sans s'arrêter. Il a fallu un peu de temps à Elland pour les emprunter sans revivre l'évasion des mages et les morts qui en ont découlé, mais le lieu a tellement changé, maintenant....

    Au premier étage, des dizaines de personnes patientent calmement, assises sur des bancs. Derrière un drap tiré en travers de la pièce, Théoliste travaille. Elland et Ménandre ne le dérangent pas. Ils n'ont pas spécialement besoin de lui aujourd'hui. Et tant de monde attend qu'ils ne veulent pas accaparer le médecin pour déchiffrer un message. Ils passeront à leur retour le saluer.

    Il leur faut encore monter deux étages pour parvenir à la salle de classe. Des dizaines et des dizaines d'enfants sont assis, dans un silence religieux, le regard rivé vers Anthelme. Le compagnon de Théoliste a changé : il a perdu poids et un bandeau noir cache son oeil aveugle. Le coup qu'il a reçu, à quelques mètres seulement d'ici, a laissé des séquelles. Les boucles brunes jaillissent de part et d'autres du bandeau, lui donnant un peu l'air d'un épouvantail. Mais le plus remarquable, c'est la lueur qui brille constamment dans l'iris émeraude intact. Une lueur de bonheur à l'état brut. Un bonheur absolument parfait, depuis qu'ils ont convaincu le nouveau Gouverneur d'utiliser cette tour, vide de tout occupant, pour recueillir les enfants des rues et certains orphelins. Théoliste et Anthelme leur permettent de dormir au chaud, d'avoir trois repas par jour et des vêtements à leur taille et presque propres. Anthelme se charge de leur apprendre à lire et à écrire, également. Et il leur offre un minimum de savoir. Théoliste, lui, partage son temps entre soigner les enfants dont ils ont la charge et soigner les plus pauvres de Rivemorte, qui ne peuvent s'offrir les services d'un médecin rémunéré.
    Et puis, comme ils étaient plutôt connus, l'un comme l'autre, auprès des artisans et des commerçants, ils peuvent placer des jeunes en apprentissage.

    Elland ne l'avouerait pour rien au monde, mais il est très heureux pour eux deux. Ils se rendent utiles à une échelle bien plus importante qu'auparavant, avec des moyens sans commune mesure avec les précédents. Leur couple semble plus fort que jamais, malgré les rumeurs et commentaires qui courent sur eux.

    Anthelme a remarqué l'arrivée d'Elland et Ménandre, et laisse à Osvan le soin de poursuivre la leçon du jour. Le gamin a mis bien du temps pour se remettre de son passage à tabac, mais il va mieux, désormais, et est devenu l'assistant personnel d'Anthelme.

    Ce dernier, d'ailleurs, les entraîne à l'écart, suivi par des dizaines de regards curieux. Remarquant l'attention dont ils sont l'objet, le professeur leur fait monter l'escalier jusqu'à l'étage suivant, qui sert à la fois de cuisine et de salle à manger.
    Après les salutations d'usage, Elland lui tend le message, un air penaud sur le visage. C'est qu'il sait déjà ce qu'Anthelme va lui dire !


    - Quand vous déciderez-vous à apprendre à lire, vous deux ? Ce n'est pas bien compliqué, quand même !
    - Un jour, promis !

    Le soupir d'Anthelme résume toutes les conversations qu'ils ont eu à ce sujet, et elles sont nombreuses. Mais essayer de convaincre ces deux têtes de mules est épuisant. Et vain.


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    Résumé :

     

    Certaines ados sont destinées à avoir une vie normale. À aimer, à sortir entre elles, à s´enguirlander avec leurs parents... D´autres non. Katelyn, 16 ans, découvre qu´elle appartient à une bande. Ou plutôt à une meute. Une meute de loups-garous. Pas facile comme adolescence...

     

    Mon avis :

     

    Je crois qu'il va vraiment falloir que je me restreigne, désormais. Je veux dire, à chaque fois qu'un résumé parle de loups-garous, je me laisse tenter, j'ose, même si je sais bien qu'à la clef, il risque d'y avoir une sacrée déception. Et cette énième déception, là, menace de faire déborder le vase.

     

    Parce que bon, hein, ce roman ne m'a pas emballé. Mais alors pas du tout. Déjà, Katelynm'a très très vite agacé. Elle est danseuse et gymnaste, rêve de faire de l'acrobatie dans un cirque, elle est végétarienne et habite Los Angeles ou Miami, enfin une ville branchée où il se passe toujours quelque chose.

     

    Et puis, là, c'est le drame, sa mère meurt et elle se retrouve obligée d'aller vivre chez son grand-père qu'elle ne connaît quasiment pas, au fin fond de nulle part. (Message aux auteurs : il faudrait sérieusement songer à arrêter avec les orphelines/filles de divorcés qui se retrouvent envoyer à l'autre bout du pays chez un inconnu de leur famille pour se dévouvrir un destin hors-norme. )

    Parce que déjà, elle ne pourra plus s'entraîner, comme il n'y a pas de gymnase près de Wolf Spring (et à aucun moment, elle ne fait le moindre mouvement pour assouplir ses muscles et elle ne semble même pas aimer la musique). Et puis, bien sûr, son grand-père est chasseur, donc il y a des têtes d'animaux empaillées sur tous les murs, il manipule de la bidoche sanguinolante devant elle, enfin, ce genre de joyeusetés. Et donc, fatalement, Katelyn se sent mal là-bas, elle fuit les bestioles empaillées, refuse d'apprendre à tirer alors qu'elle a failli se faire dévorer, elle a la trouille des bruits de la nuit, elle a peur du feu qui crépite dans la cheminée, et pire que tout, son portable ne passe pas, elle ne peut donc pas appeler sa besta. Woooh, j'avais une de ces envies de lui coller des baffes, parfois !

     

    Et bon, bien sûr, il y a deux beaux gosses, l'un qui l'attire parce qu'il est gentil et prévenant, mais l'autre qui l'attire encore plus de manière presque instinctive et auquel elle ne résiste absolument pas.

    Et bien sûr, comme toutes les têtes à claque, si on lui dit "ne prend pas la route de nuit toute seule", alors qu'elle est à une soirée, il faut qu'elle prenne la mouche à cause de Bogoss n°1 et qu'elle reprenne la route, seule, de nuit pour traverser la forêt. Bon, là, je dois avouer, j'ai ricané à ce moment-là en marmottant : "haha, bien fait pour toi !" Pas la réaction escomptée par les auteurs, je suppose.

     

    Ce livre n'est pas exempt de qualités, remarquez, la plume des auteurs est fluide, elle se lit très facilement et fait parfaitement ressentir les émotions et l'atmosphère. Parce que je dois bien reconnaître que cette maison perdue au milieu de la forêt est assez angoissante, et que les rumeurs, les évènements, et les attaques sont assez flippantes.

    Ce que je regrette, par contre, c'est qu'elle n'apprend qu'elle est un loup-garou qu'à la toute fin du roman : autrement dit, le monde lycantrhope, on le survole à peine. Et il reste mille détails qui m'ont intrigué tout au long du roman qui n'ont pas été réglés à la fin, puisque, bien évidemment, il s'agit d'une série. Et que ce soit sur la couverture, en quatrième de couv', ou dans les premières pages, il n'est jamais fait mention de ce léger détail (ou alors, en tout petit, dans le nom en vo du roman). Et donc, puisqu'il s'agit d'une série, nous n'avons strictement aucune réponse, alors qu'on s'imagine bien que le grand-père et Bogoss n°1 cachent quelque chose. Les meurtres horribles qui sont commis n'ont pas de réponse, et on la laisse dans une situation impossible. Mais pour ça, faut lire la suite !  Malin !

     

    Bref. C'est un roman pour ados, certes flippant parfois mais surtout très agaçant et la plupart des questions qu'on se pose lors de ce premier tome n'ont aucune réponse. Et je ne lirai pas la suite, merci bien.


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    C'est dans un silence lourd qu'ils quittent la prison. La justice fera son oeuvre, tôt ou tard. Mais chacun ressasse les aveux de Tanorède et les implications de ses actes. Jusqu'à ce qu'un coup de coude dans les côtes fasse glapir Elland de douleur. Pas vraiment discret, Ménandre, l'auteur du coup, désigne d'un mouvement du menton un étal présentant de magnifiques brioches.

    - N'oublie pas ta promesse, Elland.

    Il lui faut quelques longues minutes pour comprendre la phrase du gamin. Ce qui lui semble être des semaines, des mois auparavant, il lui avait promis d'aller voir Maelenn et de lui offrir une brioche. Ils l'ont retrouvé. Ne manque plus que la brioche. Et malgré tous les évènements de la nuit, la vie continue et les artisans se sont mis au travail, comme d'habitude. Se révolter est une chose, se priver de nourriture en est une autre. Elland s'avance d'un pas décidé vers l'étal et achète trois belles brioches. Sa chemise à poche, raidie de crasse, trouée, tâchée de sang, recèle encore suffisamment de pièces pour honorer sa promesse. S'il tend une brioche avec une pointe d'agacement à Ménandre, c'est les joues roses, la main légèrement tremblante, qu'il fait de même avec la jeune drapière. Et son sourire, quand elle l'accepte, est comme l'envol d'une gargouille. C'est l'esprit ailleurs et en grignotant qu'ils regagnent lentement l'atelier.

    L'aube s'est levée et expose, avec toute la force des rayons du soleil, les dégâts de la veille. La vie reprend son cours, les valides soignent les blessés, les personnes indemnes, avec la force de l'habitude, font tourner cette grande roue qu'est la vie. Des volontaires ramassent les innombrables objets abandonnés, souvent des armes de fortune, des vêtements ou des chaussures que la frénésie de la veille a rendu bien dérisoires. D'autres nettoient le sang qui macule les pavés, attirant déjà les mouches et les rats.

    Alors qu'ils traversent la place du marché, où gisent encore de nombreux blessés, ils s'arrêtent prendre des nouvelles de Théoliste. Le médecin, épuisé, couvert de sang, les salue d'un sourire. Il a encore beaucoup à faire et n'a guère le temps de s'arrêter. Mais il leur désigne, d'un geste de la tête, l'Hermine Affamée. Sur le toit, fièrement posée à la vue de tous, Echidna toise la ville de toute sa hauteur, comme maîtresse des lieux. Et elle a beau être figée par les rayons du soleil, elle resplendit et fait retentir dans le cœur d'Elland de furieux battements. Devant la porte se tient une silhouette parfaitement reconnaissable : Pèire.

    Intrigués, ils s'approchent rapidement et comprennent vite la raison de sa présence. Thémus, assuré que la révolte était terminée, a envoyé des hommes chercher ceux qui restaient dans la clairière. Ils sont tous là, les blessés, les épuisés, Osvan, Anthelme, Jehanne. De retour dans leur ville.

    Thémus a tout prévu. Grâce aux biens retrouvés dans les riches demeures et dans les palais, il offre la possibilité aux mages qui veulent quitter Rivemorte un paquetage, avec vivres, vêtements et pécule. Les blessés pourront partir, s'ils le souhaitent, dès qu'ils seront rétablis.

    Dans l'effervescence de cette nuit hors du commun, les décisions se prennent rapidement. Beaucoup de mages, un ballot dans les bras ou sur le dos, font leurs adieux. Pèire, suivi comme une ombre par Jehanne, s'affaire lui aussi à empaqueter ses affaires. La gorge nouée, Elland le regarde se préparer au départ et serre la main de Ménandre, comme pour l'empêcher de quitter la ville à son tour.
    Maelenn s'est éloignée et salue les mages qu'elle a côtoyé dans la tour. Elle va partir, elle aussi, rester avec les siens et se reconstruire une vie. S'il veut la garder auprès de lui, c'est le moment. Le moment d'affronter sa peur d'être rejeté, sa peur d'être ridiculisé. Affronter aussi cette petite voix qui lui susurre à l'oreille qu'il n'a rien à lui offrir qui pourrait la rendre heureuse. C'est le moment de prendre l'inspiration qui changera sa vie. Ou pas.


    FIN

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    Résumé :

     

    On raconte qu'au fil de la Vézère, dans quelque méandre abrite du regard, s'élèvent de hautes falaises de pierre blanche que la lune, en son plein, se plaît à caresser. Là, agrippée aux rocs pâles, dominant la rivière au cours tranquille, se dresserait la plus étonnante et imprenable des forteresses. On dit aussi que dans ce nid d'aigle creusé à même la roche, dans cette cité verticale, les partisans du jeune Roy auraient répondu à l'appel du Galoup Blanc pour secouer le joug du tyran et de ses deux barons maléfiques. C'est ce havre légendaire que Louis et ses compagnons, traqués et poursuivis, tentent d'atteindre envers et contre tout... Mais pour leur salut ou leur perdition ? Car dans son donjon de Tolosa, telle une araignée patiente et retorse, le noir Vicomte tisse sa toile malfaisante...

     

    Mon avis :

     

    Aaaaahhhh... Louis le Galoup. Rarement j'ai aimé un cycle comme celui-là, même si j'ai passé l'âge du public visé. J'avais laissé passer du temps entre mes lectures, comme un paquet de bonbons qu'on s'astreint à ne pas manger dans la semaine, juste pour faire durer le plaisir. 

    Je n'ai eu aucun problème pour revenir dans l'histoire, c'était comme évidence.

     

    Alors bien sûr, les révélations de ce tome n'ont pas été un surprise pour moi. Et oui, je me doutais plus ou moins du déroulement de l'histoire. Mais qu'importe.

    J'ai retrouvé la plume de Jean-Luc Marcastel, sa manière de nous conter cette histoire, avec détails, avec vie, comme un conteur le faisait des siècles auparavent, offrant ainsi frissons, émerveillement et ouverture sur le monde.

     

    Et puis, on arrive au quatrième tome, donc les choses se précipitent un peu, les confrontations se font plus violentes, plus prenantes, et on assiste, le souffle coupé, à une bataille comme je n'en avais jamais lu.

    Et toujours, cette émotion à vif, palpable, surtout lors des dernières pages. Difficile, alors, de résister et de ne pas se ruer sur le tome 5.

     

    C'est une chronique très courte, parce que quand j'aime réellement un roman, j'ai du mal à développer pour expliquer pourquoi j'ai tant aimé. En fait, la seule chose que j'ai envie de vous dire, c'est : allez-y, prenez le premier tome et découvrez cette plume extraordinaire !

     


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    Les geôles, habituellement réservées aux miséreux et aux crapules de tout bord, sont désormais remplies d'autres crapules, plus propres sur elles, plus suffisantes, mais pas moins coupables. Sûrement plus, en fait. Il n'y a pas de registre. Aucune certitude quant aux identités des personnes emprisonnées ici. Les hommes qui servent de gardiens, des truands, des commerçants, ne savent rien. Ceux qui étaient pris à partie par la foule, ceux qui étaient trop bien habillés, ceux qui grouillaient dans le palais sont là. L'organisation viendra plus tard. Peut-être.

    Il leur faut près d'une heure, à observer à travers les barreaux des portes, pour repérer Tanorède Guevois. Sans douceur, il est extrait de la cellule surpeuplée et conduit dans ce qui fut la salle de torture. Ses riches habits ne sont plus que des loques, souillés de sang, de boue et d'autres matières non identifiables. De son parfum délicat, il ne reste que puanteur. Et cet homme, si prétentieux, si hautain, n'est désormais plus qu'un corps recroquevillé sur la chaise d'interrogatoire, tremblant et misérable. Une large tâche assombrit le devant de son pantalon. Méandre ricane en le voyant ainsi, glaçant le sang d'Elland.

    Maelenn se tient immobile, sur le seuil de la porte, blême. Elle découvre avec effarement les lieux, le sang qui a imprégné le sol et les instruments. Elland est figé, lui aussi, et revit les moments passés dans une salle semblable, quand il était entre les mains du Comain. C'est la vision de pinces acérées, flottant à hauteur de visage, encore souillées de sang séché, qui le tire de ses souvenirs. Ménandre se tient face à Tanorède, fier de son effet. Car le bourgeois sanglote désormais, persuadé que ce gamin des rues, famélique et doté de pouvoirs magiques, va faire usage des instruments présents sur sa noble personne.

    - Ménandre, repose ça tout de suite !

    Étonnement, le gamin s'exécute. Guevois ne semble pas spécialement rassuré, et promet, dans un balbutiement à peine compréhensible, de tout avouer. L'heure n'est plus à la commisération. D'une voix sèche, Elland lui ordonne de parler. Les mots sont à peine audibles, bégayés, mais compréhensibles :

    - J'ai batifolé avec les servantes. Elles étaient à mon service, après tout. Elles étaient bien payées pour me servir.

    Elland réprime un grondement et s'avance d'un pas. Dans un sursaut de terreur, le bourgeois se tasse un peu plus sur le siège, comme s'il voulait se fondre dans le bois.

    - J'ai fait battre et renvoyer un palefrenier, pour une faute qu'il n'avait pas commise.
    - Ce n'est pas ce que je veux savoir. Je veux connaître ton implication dans l'enlèvement de Ménandre.

    Le regard rendu fou par la terreur, Tanorède dévisage le gamin, qui aborde un sourire menaçant. Ses tremblements s'accentuent. Mais il raconte tout :


    - Les Monrand faisaient partie de mon réseau d'informateurs. Maelenn est venue travailler chez eux comme drapière et ils ont rapidement senti qu'elle était différente. Il leur a fallu un peu de temps pour découvrir qu'elle était une descendante des Clamadinis mais ils m'en ont tout de suite informé. Alors j'ai envoyé une équipe la récupérer et la rapatrier dans la tour.

    Maelenn s'est approchée et se tient, bien droite, à côté d'Elland. Il hésite un instant avant de prendre tout doucement sa main dans la sienne, pour lui offrir un réconfort bien dérisoire. Ménandre, avec sa voix haut-perchée et pourtant terriblement menaçante, lui demande :

    - Alors les deux vieux étaient au courant depuis le début ?
    - Oui. Ils devaient envoyer les curieux sur une fausse piste pour s'en débarrasser. Les curieux n'auraient pas dû être aussi insistants que vous. Elle venait d'arriver en ville, n'avait pas d'amis proches.
    - Il faut croire que si !
    - En effet. La mère Monrand a paniqué en vous voyant revenir et a lâché mon nom. Je ne pouvais pas laisser passer ça. Alors j'ai envoyé des hommes s'occuper du couple et s'assurer qu'ils ne se montreraient jamais plus bavards. Vous étiez surveillés, depuis votre retour de Picsuif. Je vous ai donné le change, quand vous êtes venus chez moi, mais je me doutais que ça ne suffirait pas. Et puis, le gamin présentait des aptitudes. Alors l'enlever et tuer le témoin, c'était faire d'une pierre deux coups.

    Ménandre a glissé sa main dans celle d'Elland. Soudés, le visage pâle, les trois amis l'écoutent parler d'eux comme s'ils n'étaient que des pions. Le bourgeois, conscient que la menace de torture s'éloigne de plus en plus, reprend son sang-froid et sa morgue habituelle. Elland lui demande :

    - Alors, vous étiez au courant, pour les mages emprisonnés dans la tour ?
    - Évidemment ! Je contribuais à récupérer les individus porteurs de capacités magiques. En échange, ils enchantaient certains outils pour mes ateliers de draperie ou intervenaient dans les échanges commerciaux. C'était le meilleur moyen pour assurer des rentrées d'argent conséquentes et régulières.

    Une haine sourde fait palpiter les tempes d'Elland. Il exècre ce genre de personne, prête à tout pour gagner de l'argent. Et à sentir les mains crispées autour des siennes, il n'est pas le seul à ressentir une telle haine. Mais s'en prendre au bourgeois, ici, dans cette salle sordide, serait marquer au fer rouge la conscience d'un enfant et d'une jeune femme. Et s'il veut les protéger, il doit commencer par les empêcher de commettre le pire. Alors, sans douceur, il attrape Tanorède Guevois par le col et le remmène dans sa cellule.

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    Résumé :

     

    Jillian était une fille sans histoire jusqu'à ce qu'on la prenne en otage. Désormais, il ne lui reste plus qu'un choix à faire : mourir des mains de Declan, l'assassin dhampire qui la retient prisonnière, ou succomber aux effets secondaires du poison qu'on lui a injecté : la Belladone. Un venin qui fait d'elle l'arme ultime dans la guerre contre les vampires. Le seul espoir de Jill consiste à convaincre son kidnappeur de la relâcher, mais comment toucher le coeur d'un homme qui n'a jamais ressenti aucune émotion ?

     

     

    Mon avis :

     

    C'est assez paradoxal, car sur le principe, la bit-lit est un genre qui me plait : un monde contemporain, où des créatures surnaturelles évoluent parmi les humains, pour le meilleur et pour le pire. Dans les faits, ce genre m'agace. Hormis Mercy Thompson, qui est une référence pour moi, tous les livres de bit-lit m'ont prodigieusement agacée : des héroïnes bien foutues, qui savent se battre, qui n'ont peur de rien et qui ont une répartie cinglante, luttent contre les méchants et s'envoient en l'air avec la moitié des mâles du roman.

    Et pourtant, parce que sur le principe, ça pourrait me plaire, et parce qu'il s'agit de lecture "facile", je lorgne toujours du côté des nouveautés, espérant trouver une série à la hauteur de Mercy Thompson.

    Voilà donc pourquoi je me suis laissée tentée par cette série. Et je dois dire que j'ai été très agréablement surprise.

     

    Bon, autant le dire tout de suite, pas au point de me ruer sur la suite, ni de propulser ce tome parmi mes coups de coeur. Mais disons que je m'attendais tellement à pire que finalement, c'était pas mal.

    Il faut dire que le côté vampire ne m'attire pas spécialement, tant le genre a été maltraité depuis le phénomène bit-lit. A se demander pourquoi j'ai décidé d'adopter ce roman. Bref.

     

    Les personnages sont intéressants, et l'auteur joue beaucoup avec les faux-semblants. A chaque nouvelle rencontre, il s'avère que le personnage est plein de surprise, et rarement tel qu'on le pensait. Pas de spoil, bien sûr, mais j'ai beaucoup aimé le fait que les gentils ne soient pas si gentils que ça, et que les méchants ne soient pas si méchants que ça.

    Bon, par contre, au début, Jillian m'a un peu agacé, à toujours poser mille questions, alors même que le grand méchant couturé de cicatrices qui l'avait enlevé lui disait de se taire. Et puis, finalement, je suppose que c'est assez cohérent comme comportement, elle a besoin de comprendre ce qui lui arrive, elle a besoin de parler pour évacuer le stress. Et au final, elle s'avère être assez sympathique.

     

    J'ai également été assez agréablement surprise par la tournure des évènements. Il faut dire que le résumé n'en dit pas trop, pour une fois, heureusement. Et du coup, je n'ai pas trouvé de fil conducteur, à chaque fois que j'avais l'impression que l'auteur nous emmenait là où elle voulait, hop, ça partait dans un autre sens. Et j'ai trouvé ça très bien, ça relançait l'histoire tout en maintenant le suspens.

     

    Comme toujours dans le genre, l'écriture est très fluide, très immersive, on tourne les pages compulsivement pour connaître le fin mot de l'histoire. Et cette histoire s'avère bien plus complexe que ce que le résumé laissait deviner. Et de même, la relation entre Jillian et Declan est loin d'être prédominante dans l'histoire : exit les coucheries à droite et à gauche, c'est juste un élément de l'intrigue, parfaitement inséré, sans que ça devienne le seul "intérêt" de l'histoire.

     

    Ce fut donc au final une lecture très sympathique, et je pense que je me procurerai le second tome pour avoir une lecture sans prise de tête sous le coude.

     


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    Des hommes de Thémus patrouillent dans le secteur. Leur soulagement est visible lorsqu'ils voient leur chef. Pas d'éclatement de joie mais de légers signes de têtes expriment mieux que tous les mots leurs sentiments. D'un pas rapide, Thémus se dirige vers son atelier épargné par les combats. A l'intérieur, son bras droit, sa femme et son fils.

    Elland, Maelenn et Ménandre restent à l'extérieur le temps des retrouvailles. Ils apprécient trop Thémus pour que leur présence l'empêche d'exprimer sa joie. C'est qu'il est pudique, le colosse, et qu'il n'aime guère montrer à tout le monde ses sentiments.
    C'est d'une voix bourrue, encore chargée d'émotion, qu'il les invite à l'intérieur. Rien n'a changé depuis la dernière visite d'Elland, comme si le temps s'était figé, comme si rien ne s'était passé dans la ville. Ils s'entassent dans l'arrière-boutique, mais l'heure n'est pas à l'hydromel. C'est le bras droit de Thémus, un homme sec et sévère, qui leur résume la situation :


    - Nous n'avons pas pu empêcher l'arrestation de ta femme et de ton fils, Thémus. Mais nous avons profité du chaos qui régnait pour les faire sortir de geôles. Nous avons libéré tous les prisonniers et éliminé tous les gardiens. Le Comain a connu une fin très longue et particulièrement douloureuse.

    Un sourire presque sadique illumine son visage revêche et il fait un rapide clin d'œil à Elland. Ce dernier ne peut s'empêcher de lui retourner son sourire. Elland a la conscience tranquille, il n'y est pour rien dans ce meurtre. Mais il est sacrément content d'apprendre que ses tortures, et celles de centaines d'autres personnes, ont été vengées. Maelenn, ne comprenant pas le sens de ces sourires, frissonne mais décide de ne pas pousser plus loin sa curiosité. C'est une autre question qui la taraude :

    - Pourquoi la ville s'est-elle embrasée ?
    - Ça faisait plusieurs jours que la tension était palpable. Avec les gardes qui vous cherchaient et toutes les arrestations sommaires qui ont été effectuées, il ne manquait pas grand chose pour mettre le feu aux poudres. Et le "pas grand chose" en question a eu lieu hier matin. Les soldats étaient comme fous, tout comme les milices. Ils ont retourné tous les pavés de la ville, ils ont tout fouillé. Ils ont interrogé des milliers de personnes : vous connaissez leur manière de faire. Des mots et des noms revenaient systématiquement : évasion, complot, Grand Tour Célestis. Il n'en fallait pas plus pour lancer les rumeurs. D'après certains, ils retenaient des prisonniers politiques dans la tour. D'autres affirment que c'était des mages. A vrai dire, démêler le vrai du faux était compliqué, et dans le climat de terreur qui régnait, ce n'était pas la priorité. Mais les soldats sont allés trop loin. Ils ont passé par le fil de l'épée une famille entière qui refusait de leur livrer des renseignements.

    Le second de Thémus hausse les épaules et passe une main sur son crâne parfaitement lisse. Le silence est tel, dans la pièce, qu'on entend les respirations saccadées. Des innocents sont morts, à cause de la libération des mages. Un prix bien douloureux à payer, pour une liberté qui aurait dû être acquise et indéniable. L'homme, après une courte inspiration, reprend :

    - Comment fournir le moindre renseignement quand on ignore tout de ce qu'il se passe ? La colère qui grondait s'est transformée en furie. Des années, que le gouvernement et les puissants s'enrichissent sur le dos du peuple. Des années, qu'ils nous font ployer sous leurs taxes et leurs lois. Et maintenant, ils tuent des gens à cause de leurs erreurs ? Les gens se sont révoltés. Les soldats ont parlé. Ils ont raconté ce qu'il se passait dans la tour, les manigances des puissants.
    - Où sont-ils maintenant ?
    - Ils sont quasiment tous morts. On ne peut rien faire contre une foule en colère. Les autres ont été enfermés dans les geôles, en attendant. Un groupe de mages est arrivé, en début de soirée. Leur chef nous a dit que l'un d'entre eux avait eu une vision de ce qu'il se passait dans la ville. Qu'ils n'avaient pas prévu de revenir un jour à Rivemorte mais qu'ils ne pouvaient pas laisser des innocents se faire tuer. Que c'était de leur faute si la situation en était arrivée là, et que c'était de leur devoir de nous venir en aide. Alors ils se sont attaqués au palais du gouverneur et à tous les dirigeants.
    - Ils les ont tous tués ?
    - Non. Pas du tout. Ils sont emprisonnés, eux aussi.
    - Tanorède Guevois.

    Tous les têtes se tournent vers Elland. Après un haussement d'épaule, il explique :

    - J'aimerais savoir s'il est toujours vivant. Et si c'est le cas, lui poser quelques questions.
    - Je viens avec toi !

    Cette fois encore, Maelenn et Ménandre se sont exprimés d'une même voix. Thémus, gêné, regarde sa famille sans dire un mot. Elland, pris d'un tact miraculeux, lui dit :

    - Tu dois avoir beaucoup de choses à régler, maintenant. Reste ici, on te tiendra au courant de nos résultats.

    Un simple hochement de tête, de la part du colosse, exprime sa gratitude et ils se séparent rapidement. Elland, marchant en tête et en silence, ne peut s'empêcher d'imaginer la rencontre qui l'attend. Si Tanorède est toujours en vie, et en état d'être interrogé, il pourra enfin comprendre son implication dans l'enlèvement de Ménandre. S'il est impliqué. Et peut-être même dans l'emprisonnement de Maelenn. Trop de questions n'ont reçu, en guise de réponse, que des suppositions. Et puis, désormais, ils ont l'explication tant attendue concernant le départ précipité des mages. Sans doute n'ont-ils pas voulu mêler les plus affaiblis à cette lutte. Qu'importe les raisons. Ils ont participé à la révolte, ont aidé les habitants et se sont vengés.
    L'un des hommes de Thémus les escorte et les conduit jusqu'aux geôles. Dans les rues qu'ils empruntent, ce sont des visages hébétés qu'ils croisent. Et dans les yeux injectés de sang, la même question « Et maintenant ? »

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    Résumé :

     

    Qui donc s'amuse à déterrer les morts du très chic quartier de Gadstone Park ? S'agit-il de farces de mauvais goût ou faut-il y voir une plus sombre menace ? Chargé de l'enquête, Thomas Pitt se perd en conjectures. Mais le code de bonne conduite de la haute société anglaise ne tardera pas à se craqueler, révélant sa corruption et sa fausse respectabilité. Anne Perry ou le polar au vitriol : décapant !

     

    Mon avis :

     

    Ce roman traînait dans ma PaL depuis un sacré moment, et malgré mon avis plus que mitigé, je me suis dit qu'il fallait bien que je le lise à un moment. Bon, ce tome ne m'a pas vraiment réconciliée avec la série, mais disons que c'est un peu moins pire.

     

    Il y a toujours cette alternance de points de vue, qui est assez frustrante, car à suivre trop de personnages, on passe à côté de l'essentiel à mon avis. Le couple Charlotte/Thomas pourrait être savoureux si l'auteur prenait la peine de nous le montrer plus souvent. Les enquêtes de Thomas pourraient être palpitantes si on avait le loisir de les suivre en entier.

     

    J'ai vraiment l'impression de survoler l'intrigue et les personnages principaux, pour mieux dessiner le cadre historique et ces personnages aisés, qui vivent dans l'opulence et le déni de la réalité qui les entoure.

    Les points positifs à ce tome sont l'intrigue, déjà. Car j'ai beaucoup aimé l'histoire des cadavres déterrés, même si la résolution me laisse un peu perplexe et que j'ai du mal à comprendre le pourquoi du comment.

    Et puis, il y a enfin une incursion dans "l'autre monde", celui de la pauvreté et c'est vraiment ce qui rend les choses plus intéressantes. Non pas que je me réjouisse de lire les difficultés quotidiennes de ces gens, mais simplement que je trouve qu'au bout de X tomes sur la vie des riches, avoir un aperçu de l'ensemble du contexte historique apporte un renouveau plus que bienvenu. Car à vrai dire, dans les premiers tomes, hormis le nom de la rue qui change, j'avais l'impression de toujours lire la même chose : des bourgeois arrogants, qui cachent plein de petites choses et qui regardent Thomas de haut.

     

    Si ce tome ne m'a pas donné une furieuse envie de reprendre sérieusement la lecture de cette série, il m'a au moins permis d'envisager, dans un avenir plus ou moins proche, de me laisser tenter par un autre tome. Y'a du progrès !


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  • 3366357266

     

     

    S'éloignant des bestioles, il poursuit et atteint les premiers villages qui bordent Rivemorte. La nuit est à son apogée, ils dorment tous, inconscients. Les remparts de la ville se dressent dans son champ de vision. Il ne lui faut que quelques battements d'aile pour les atteindre. Les gardes ne prêtent pas attention à lui, trop occupés. Occupés à se battre.

    Il distingue parfaitement les visages hagards des habitants, épuisés, armés de balais, de marteaux, de fourches, parfois même de poêles. Les gardes luttent tant bien que mal mais ils sont bien moins nombreux. Intrigué, il poursuit son avancée dans la ville. Chaque ruelle, chaque carrefour, chaque place est envahie par les habitants, armés, hurlants, prêts à en découdre. Les gardes, les milices, les soldats, ils sont tous sortis, eux aussi, dans la rue, et tentent de maintenir l'ordre. Sans grand succès.

    Une épaisse fumée noire s'élève du quartier bourgeois. Prudemment, il ne s'approche pas trop mais découvre les riches maisons en flammes. Les résidents sont descendus dans les rues pour fuir le brasier, dans leurs ridicules chemises de nuit richement brodées. Et là encore, les habitants, rejoints par les domestiques, les attendent, armés. La nuit déborde de cris, de hurlements, du crépitement des flammes, des armes qui s'entrechoquent et de claquements sinistres.

    Et au beau milieu de ce chaos, un groupe d'hommes et de femmes s'avance, déterminé. Ils se dirigent tout droit vers le palais du gouverneur. Il n'a aucun mal à reconnaître les mages qu'ils ont tiré hors de la Grand Tour Célestis. Sa théorie n'était pas absurde, finalement. Il survole encore la ville, découvrant les mêmes scènes de révolte populaire.

    Comment les mages ont-ils pu convaincre la population entière de Rivemorte de semer ainsi le chaos ? Et eux, bien cachés au fin fond de la forêt, que doivent-ils faire ? Peuvent-ils jeter dans la gueule du loup les mages qu'ils viennent de libérer ? Peuvent-ils rester à couvert quand une page de l'histoire s'écrit sous leurs yeux ? Il en a vu assez pour faire son rapport à Pèire. Il regagne les remparts puis l'extérieur de la ville. Son casse-croûte l'attend toujours paisiblement.

    Sans douceur, une poigne ferme l'extirpe de sa vision et l'entraîne au beau milieu du camp. Le visage de Pèire n'exprime plus la moindre impassibilité. L'heure est grave. Le tavernier a vu les mêmes images qu'Elland et ils n'ont pas besoin d'en parler entre eux. Ils prennent à part Thémus et Théoliste. Maelenn et Ménandre se joignent à eux sans un mot. D'une voix posée et pourtant pressée, Pèire leur explique les évènements à Rivemorte. Il ne semble pas en savoir beaucoup plus qu'Elland, si ce n'est que la ville est à feu et à sang. Les visages sont graves. Même Ménandre arrête de faire léviter son caillou. Thémus, après un instant de réflexion, prend la parole :


    - On ne peut pas rester ici, à ne rien faire. Ma femme et mon fils sont en danger. Je dois aller les protéger.
    - Nous ne pouvons pas y aller tous ensemble. Nous avons des blessés, des personnes affaiblies. Ce serait les envoyer à une mort certaine.

    La voix de Maelenn est douce, malgré la situation. Et ils sont beaucoup, dans le petit cercle, à opiner du chef. Pèire, après une légère hésitation, demande à Théoliste :

    - Les blessés ont-ils encore besoin de beaucoup de soin ?
    - Ils ont besoin de repos et de médication. Mais plusieurs mages veillent sur eux et s'occupent parfaitement de ces taches. Ma présence sera bien plus utile à Rivemorte.
    - Très bien. Alors je reste ici, avec Jehanne. Elle n'a pas besoin de voir ça. Je superviserai le campement. Maelenn et Ménandre, vous restez ici, vous aussi.
    - Non !

    Les deux concernés ont poussé ce cri du cœur dans un même ensemble. Pèire grimace mais il est parfaitement conscient qu'il ne pourra pas leur imposer de rester. Théoliste se contente de demander au tavernier de veiller sur son compagnon et sur Osvan. Elland, lui, ne s'inquiète que de pouvoir veiller sur Ménandre et Maelenn. Thémus se redresse. Sa voix a retrouvé toute son autorité quand il déclare :

    - Nous devons avertir tout le monde ici. Nous leur laisserons le choix de venir avec nous ou non. Et ensuite, nous nous mettrons en route. Il n'y a pas de temps à perdre.

    Le groupe se disperse rapidement. Ceux qui partent pour Rivemorte vont chercher ce qu'ils pensent nécessaire pour cette nouvelle expédition, tandis que Pèire se charge d'informer les mages des derniers évènements.

    Ils ne sont qu'une dizaine, finalement, armés de torches, à prendre la route pour Rivemorte. D'un commun accord, ils ont décidé de marcher à la lueur de la lune, quitte à mettre plus de temps, au lieu d'emprunter les souterrains. Ils risquent trop de tomber sur des soldats ou de se perdre. Il leur faut près d'une heure pour voir enfin les remparts de la ville. Le trajet s'est déroulé dans un silence tendu et la vision des épaisses colonnes de fumée noire qui s'élèvent au dessus des toits ajoute à la tension. Les portes de la ville gisent, éventrées, inutiles. Ce sont des scènes de désolation qui les attendent. Elland et Maelenn tiennent Ménandre serré entre eux deux et cachent régulièrement ses yeux des scènes sanglantes, malgré ses protestations.

    Les corps jonchent le pavé. Le sang suit paresseusement le sillon des pierres. Gardes et habitants sont réunis dans la mort, avec la même expression d'horreur et de souffrance gravée à jamais sur leurs visages. Malgré l'odeur âcre de la fumée, celle du sang, presque métallique, se fait clairement sentir. Ils arrivent à la place du marché, là où, pour la première fois, Elland a croisé le regard de la drapière. Là où il a entendu le récit des Clamadinis. L'Hermine Affamée a échappé aux flammes, mais pas au pillage. Cette place, où résonnent habituellement les cris joyeux et harangues des vendeurs, bruisse maintenant des gémissements des blessés. A perte de vue, des corps, allongés à même le sol, baignant dans le sang. Les meneurs de la révolte ont fait de cette place une infirmerie à ciel ouvert. Des personnes s'affairent autour des corps, faisant enlever ceux qui ont trépassé, soignant ceux qui peuvent encore l'être. Théoliste et les mages, après une rapide conciliation, vont les rejoindre et offrir leur aide. Elland, Thémus, Maelenn et Ménandre reprennent leur marche, en direction de l'atelier de cordonnier.

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