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    Alors seulement, il lâche la corde. Elland aspire une grande goulée d'air, qui embrase sa gorge meurtrie et met le feu à ses poumons. La séance est terminée pour aujourd'hui.
    Les deux geôliers sont de retour. Ils le relèvent, l'entravent à nouveau, le ramènent à sa cellule. Épuisé tant moralement que physiquement, le voleur n'essaie même plus de s'échapper. Nouveau jeu de chaînes, pour le contraindre dans sa petite cellule. Et ils le laissent seul.
    Recroquevillé sur lui-même dans la paille putride, il sanglote, harcelé par la douleur, oppressé par la panique.

    Un objet dur, tombant sur son visage, le réveille en sursaut. Les cerbères sont revenus. C'est une miche de pain qui lui ont envoyé à la figure, et non loin, ils ont déposé un pichet d'eau. Le voleur se ramasse un peu plus sur lui-même, craintif. Mais ils ne l'emmènent nulle part. Le plus âgé se contente de lui annoncer que le Comain Ormetus l'interrogera plus tard, et ils s'en vont. Le Comain... l'un des nombreux bourreaux officiel.
    Resté seul, Elland se précipite sur le pichet, en prend une longue gorgée. Sa gorge est encore douloureuse, mais l'eau apaise la sécheresse qui sévit dans sa bouche.

    Dans un état second, adossé au mur, il suit la course du soleil, obnubilé par la promesse de l'interrogatoire à venir. Interrogatoire... torture, plutôt. Les rumeurs qui courent dans les rues sont fondées : il leur faut un coupable, et ils sont prêts à toutes les bassesses pour obtenir des aveux. Mais il est innocent. S'il avait été arrêté pour vol, il aurait peut-être accepté plus aisément son châtiment. Après tout, il a toujours été conscient des risques qu'il prenait. Mais il n'avouera pas un crime qu'il n'a pas commis.

    Le soleil a disparu derrière les bâtiments lorsque la porte, silencieuse comme la mort, laisse entrer ses geôliers. Ils ne lui laissent aucune marge de manœuvre et l'entraînent jusqu'à la salle d'interrogatoire, où le Comain Ormetus les attend. C'est le petit homme sévère de la veille, qui a ôté le drap noir de la table, et qui caresse amoureusement les instruments posés dessus. Ils immobilisent Elland contre un mur, minutieusement enchaîné.
    Sans cacher le plaisir qu'il y prend, Ormetus use de nombreux instruments sur son prisonnier, le poussant sans répit à confesser ses crimes, se délectant de ses cris de douleur.
    Au petit matin, c'est un corps inconscient que les cerbères ramènent au cachot. Mais Elland n'a rien avoué.

    Lorsqu'il revient à lui, le lendemain, son corps n'est plus que douleur. Dans un coin de la cellule, sa ration quotidienne de pain et d'eau. Sa gorge le fait souffrir, tant il a hurlé sa douleur la veille, aussi se contente-t-il d'un peu d'eau. De toutes façons, il n'a pas vraiment faim. Il a juste mal.
    Les minutes s'égrainent lentement, rythmées par sa respiration sifflante et la douleur lancinante. Dans son esprit, une seule obsession tourne en boucle : ils vont le ramener auprès du Comain. Les mêmes questions seront encore posées, les mêmes menaces proférées, les mêmes injonctions martelées. Et de fait, il n'y coupe pas. Peu après la tombée de la nuit, la porte s'ouvre. Et il a beau les supplier, leur promettre monts et merveilles, ils ne cèdent pas.

    Durant ses longues heures d'attente, il rejette, les uns après les autres, tous ses projets d'évasion et tous ses plans pour se tirer de ce mauvais pas. Il est enchaîné même dans sa cellule, et les gardes ne lui laissent jamais la moindre opportunité.
    Il pourrait envoyer un appel au secours.... mais comment ? Et à qui ? Echidna ne pourrait rien faire. Thémus... ce serait trop dangereux d'impliquer Thémus dans cette affaire, sans compter qu'il serait impuissant : seul quelqu'un de très haut placé peut influencer un Comain. Certes, des personnes haut placées, il en connait beaucoup. Il connaît parfaitement la ronde de leurs gardes privées, l'emplacement de leur coffre fort, et il a même quelque unes de leur babioles dans sa réserve secrète. Mais ce n'est pas vraiment connaître dans le sens où il en a besoin.
    Il n'a pas de groupe d'amis, qui seraient prêts à tout faire pour le sortir de là. A vrai dire, il n'est même pas sûr que quiconque remarque sa disparition...

    Les jours s'écoulent dans un brouillard vaporeux. Elland en a perdu le compte. Le rituel est immuable : ses geôliers apportent la nourriture quand il est encore inconscient. Puis l'attente infernale, supplice raffiné qui menace de faire sombrer son esprit dans le chaos. Au crépuscule, ils l'emmènent dans cette salle qu'il exècre, auprès de cet homme qu'il abhorre. La nuit est un enchaînement de tortures insoutenables, soigneusement dosées pour qu'il les subisse jusqu'à ce que son bourreau se lasse. Mais il n'avoue pas.

    Le Comain s'impatiente, trépigne de rage. Intensifie et diversifie les douleurs pour le faire craquer. Pour qu'enfin, l'esprit de son prisonnier bascule. Et à mesure que passent les jours, dans l'esprit d'Elland, se forge une idée : il devrait confesser ces crimes qu'il n'a pas commis. Car même s'il doit mourir pendu et déshonoré, l'enfer cesserait.


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    - Il suffit. Mettez-le sur la chaise.

    La voix a fendu l'air comme un coup de fouet et les deux hommes obéissent immédiatement. Sans douceur, ils le traînent jusqu'au siège et tandis que l'un le plaque solidement contre le dossier, la matraque passée sous la gorge, l'étouffant à moitié, l'autre attache solidement ses avant-bras et ses tibias. Les liens se multiplient et le contraignent de plus en plus. Désormais certains qu'il ne bougera pas, ils se retirent sans un mot.

    Elland observe le nouveau venu tout en essayant de reprendre son souffle et d'oublier les douleurs qui l'assaillent. Il est petit, sec comme un coup de trique. Nerveux. Ses cheveux grisonnants, son visage taillé à la serpe, son nez aquilin, tout est sévère en lui. Et c'est sans parler de ses yeux d'un bleu glacial, qui semblent vouloir transpercer Elland pour en arracher jusqu'au dernier aveu. Conscient d'être en présence d'une personne importante, Elland se garde bien de piper mot.


    - Plus vite tu avoueras, moins tu souffriras.
    - Avouer quoi ? Je suis innocent !
    - Ils disent tous ça. Et puis, ils finissent par avouer. Tous.

    Une panique innommable le fait trembler entre ses liens. Il n'imagine que trop bien comment les prisonniers en viennent à avouer tout et n'importe quoi pourvu que la torture cesse. L'homme tourne autour de lui, comme un oiseau de proie qui voudrait hypnotiser sa victime. Il reprend, impassible, indifférent à la terreur visible du prisonnier :

    - Tu ressembles parfaitement à la description pourtant. Grand, aux cheveux foncés.
    - Mais il y a des milliers d'hommes qui ressemblent à cette description à Rivemorte !
    - Peut-être. Mais c'est toi le coupable.
    - Coupable de quoi ?
    - D'avoir séduit la femme du Tallent. D'avoir accompli l'acte de chair avec elle. De l'avoir forcé à l'adultère. Et enfin, de l'avoir traitée comme une fille de joie.

    A mesure que les accusations fusent, la stupéfaction grandit en lui. La femme du Tallent, pitié ! Cet homme est certes le principal bras droit du gouverneur, mais il n'en demeure pas moins que son épouse est vieille et pas franchement gâtée par la nature.
    Malgré la terreur qui grandit en lui, il ressent un certain soulagement. C'est en toute sincérité qu'il pourra clamer son innocence. Mais il doit trouver des arguments convaincants. Avec la force du désespoir, il affirme :


    - C'est impossible !
    - Ah bon ? Et pourquoi donc ?
    - A quand remontent les faits ?
    - Tu le sais très bien. C'était il y a une semaine.
    - Je n'étais pas à Rivemorte il y a une semaine. Je ne suis rentré qu'aujourd'hui.
    - Quelqu'un peut le prouver ?
    - Et bien...

    Les méninges du voleur s'emballent, comme la roue d'un moulin à eau pendant les crues. Il doit trouver un alibi parfait. Thémus ! Thémus pourrait certifier qu'il n'était pas là pendant un mois ! Mais... braquer l'attention des forces de l'ordre sur lui n'est pas franchement une bonne idée, même s'il sait se faire discret dans son commerce. Jamais plus il ne pourrait se regarder en face s'il mène le cordonnier à la torture. L'homme se place face à lui et sourit, certain de l'avoir piégé. Il enfonce le clou en demandant, mielleux :

    - Les gardes aux portes de la ville t'ont vu entré et sortir ?
    - Je ne crois pas non... il y avait beaucoup de passage.
    - Où étais-tu ?

    Là encore, Elland reste muet. Echidna, en volant, lui permet d'éviter les contrôles aux portes de la ville, et pour la première fois depuis leur complicité, ce formidable atout se révèle être un sérieux problème. Sans compter qu'il ne peut pas franchement dire qu'il s'était réfugié dans les grottes pour échapper à la milice. Il prend une grande respiration et débite :


    - J'étais à Fiermont. En visite chez des cousins. J'y suis resté quinze jours, comme je ne les vois qu'une fois l'an.
    - Fiermont ? Donne-moi leurs noms, que j'envoie quelqu'un vérifier.

    Le voleur s'exécute en essayant de réduire le tremblement de sa voix. Le temps qu'ils aillent jusqu'à Fiermont et réalisent que les frères Vaunalle n'existent pas, il aura trouvé quelque chose pour se tirer de ce mauvais pas. Peut-être même que ses geôliers lui ficheront la paix pendant ce temps. Mais en quelques mots, son vis-à-vis réduit à néant ses illusions :

    - Tu es coupable, je le sais. Et je ne veux pas perdre de temps à courir après les fausses pistes que tu lances. N'espère pas bénéficier du moindre répit.

    L'homme, un sourire sinistre aux lèvres, se glisse à nouveau dans son dos. Il passe une corde dans les petites percées du bois, à hauteur du cou d'Elland. Et lentement, il resserre la prise, l'étranglant à petit feu. Malgré ses liens, un geste instinctif lui fait agiter les mains, pour les porter à sa gorge, pour enlever le cordon qui le prive peu à peu d'air. Mais ses mains restent solidement plaquées sur les accoudoirs. La bouche grande ouverte, les yeux exorbités, il tente d'inspirer. L'homme resserre encore la corde, et toute son âme se débat. Son corps est parfaitement immobilisé, mais pas sa conscience, ni sa panique. Totalement impuissant, il perd pied, cède à la panique. Des tâches sombres dansent devant ses yeux et ses poumons le brûlent atrocement. L'homme se penche à son oreille, sans relâcher sa prise, et sussure :

    - Tu es coupable. Et tu avoueras.


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    Des brins de pailles, humides et nauséabonds, sous ses doigts. Le froid, qui s'insinue entre ses vêtements moites, et le fait frissonner. Sa tête, qui semble prise dans un étau qu'un galopin s'amuserait à serrer, toujours plus, jusqu'à l'éclatement.
    Dans un gémissement de douleur, le voleur tente de se relever. Ses poignets et ses chevilles sont ceints par d'épais bracelets de fer, reliés au mur par de lourdes chaînes. Abattu, il s'adosse aux pierres, serre ses genoux entre ses bras.
    Une cellule, minuscule, fétide. Des murs de pierre suintant la pourriture. Une lucarne, soigneusement scellée par d'épais barreaux, est percée juste sous le plafond. Il fait jour, mais Elland est incapable de deviner l'heure. Depuis combien de temps est-il ici ?

    Il règne un silence oppressant dans son cachot. Rien n'indique qu'il n'est pas seul en ces lieux. Même le bruissement de la cité, qu'il devrait entendre via la lucarne, s'est tu.
    Pour la première fois de sa vie, il se sent seul au monde. Abandonné. Comment pourrait-il s'en sortir, cette fois ?

    Il a été stupide. Et encore, le mot est faible. Il aurait dû rester dans les grottes. D'accord, il ne s'y plaisait pas, mais par les Dieux, il aurait pu faire un effort ! Il est désormais entre les mains de la milice, il n'y a que deux alternatives : finir ses jours à Terregrise, ou être pendu. Magnifique.

    Il se pensait en sécurité, protégé par l'anonymat de la foule. Aucun garde ne l'avait jamais attrapé auparavant, il n'aurait jamais dû être fiché où que ce soit. Comment ont-ils pu retrouver sa trace ? De combien de vols vont-ils l'accuser ?

    Le maigre rayon de soleil qui parvient à atteindre sa cellule tourne lentement sur les murs. Le temps passe, nul ne vient. Il a soif. Et il a faim. Et sa vessie a besoin d'être vidée.
    Une idée atroce traverse son esprit, avant de s'y ancrer fermement : personne ne viendra. Ce n'est pas une cellule, mais une oubliette. Les gardes reviendront d'ici une à deux semaines, évacuer son cadavre racorni par la douleur. Il va mourir seul, oublié de tous.

    Echidna. Saura-t-elle seulement qu'il est inutile de l'attendre ? Qu'il est inutile d'espérer son retour ? Pourrait-elle trouver un autre maître respectueux ?

    Bien plus que sa bouche asséchée, bien plus que la douleur au crâne, là où le bouclier a frappé, bien plus que ses muscles douloureux, c'est la poitrine qui le fait plus souffrir. Une boule d'angoisse semble grandir à chaque instant, le privant peu à peu d'air, comprimant son cœur jusqu'à l'empêcher de battre.

    La nuit est tombée, dehors, et la cellule est plongée dans l'obscurité la plus complète. Prenant sur lui, Elland se résout à apaiser sa vessie dans un recoin de la pièce. Au point où il en est, de toutes façons...

    C'est précisément à ce moment là que la lueur vacillante d'une torche danse sur les murs. Pris sur le fait, Elland se rajuste vivement et se retourne. Dans un silence parfait, la lourde porte de bois, massive, a tourné sur ses gonds pour laisser entrer ses geôliers. Le premier est jeune, et semble bien trop innocent pour exercer un tel métier. Mais ses prunelles reflètent toute la dureté de ses convictions : il ne se laissera pas amadouer. Lui ne bouge pas, se contente de tenir le feu bien haut. Son collègue ressemble déjà plus à l'idée que se faisait Elland de geôliers. Patibulaire, méchant, il s'avance d'un pas lourd sur la paille.


    - Je suis innocent ! Je n'ai rien fait !

    D'un geste vif, le geôlier attrape la matraque qui pend à sa ceinture, et l'abat sur l'abdomen d'Elland qui, gêné par ses liens, ne peut que reculer légèrement pour atténuer le coup. La douleur est pourtant effroyable. Lorsque le gardien marmonne qu'il est interdit de parler, le jeune voleur ne peut qu'acquiescer, le souffle coupé. Il devra garder ses protestations pour lui. Sans s'attarder davantage sur le sujet, le geôlier manipule les chaînes avec brusquerie, lui attachant les mains dans le dos. A ses chevilles, il réduit la longueur des entraves à quelques centimètres seulement, lui permettant tout juste de marcher. Puis d'une puissante poussée dans le dos, il lui intime l'ordre d'avancer.

    Sans un mot, les deux cerbères le guident entre les murs étroits et humides de la prison. Des dizaines de portes, jumelles à la sienne, percent le mur. Combien d'autres personnes souffrent des mêmes angoisses que lui derrière ces battants ? Combien sont à l'agonie dans l'indifférence la plus complète ? Tant bien que mal, ils parviennent jusqu'à une porte béante, s'ouvrant sur une salle où brûlent de nombreuses torches. Avec effroi, Elland détaille les lieux. Partout, des chaînes, des instruments de rétention. Une immense table est recouverte d'un drap noir, mais nulle curiosité ne vient titiller Elland. Des spasmes d'horreur convulsent son estomac. Une salle de torture.

    Indifférents, les gardiens s'avancent dans la pièce, tandis qu'Elland lutte pour ne pas céder à la panique. Arrivés devant un fauteuil en bois, trop simple pour être anodin, ils s'immobilisent. Avec des gestes efficaces, le même geôlier dénoue ses liens, d'abord les bras. Alors qu'il s'apprête à pousser violemment Elland sur l'assise du siège, ce dernier, dans un mouvement de panique, tente de fuir. Un geste d'esquive, rapide et vif. Un premier pas, loin des bourreaux. Un second. Un troisième, encore. Gêné par la courte chaîne, il s'effondre avant d'ébaucher le quatrième pas. Les gardiens sont déjà sur lui, matraque levée. Perdant toute retenue, Elland hurle à plein poumons. Recroquevillé sur lui-même, il crie sa douleur à chaque fois que la longue barre de bois s'abat sur ses bras, sur ses jambes. Il hurle sa terreur, à s'en arracher les cordes vocales. Mais ça n'apaise pas la fureur des cerbères, qui se défoulent sur lui avec un plaisir évident.

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    Un tonnerre d'applaudissements retentit sur la place, faisant vibrer le mur contre lequel Elland est adossé. Les troubadours reviennent plusieurs fois sur scène, sollicités par les encouragements de la foule. Puis les cloches de la Grand Tour Célestis annoncent minuit, sonnant l'heure du départ. Les premières familles regagnent la douceur de leur logis tandis que les artistes rangent leur matériel.

    A regrets, le voleur se détache de son mur, et s'éloigne, encore bercé par les histoires racontées. Il hâte progressivement le pas, impatient de retrouver Echidna et de partager avec elle la magie du moment. Et de lui soumettre son hypothèse : l'ombrelle qu'elle a mangé avait sans doute été ensorcelée par les Clamadinis. Il emprunte les ruelles désertes, peu désireux d'entendre les voix exaltées des enfants qui s'émerveillent encore du spectacle.

    C'est alors qu'il les entend. Des bruits de pas, lourds, menaçants. Manifestement, ceux qui le suivent ne cherchent pas à être discrets. Elland élimine donc la possibilité d'être poursuivi par des voleurs ou des assassins. Au pluriel, oui, car il y a, sans aucune doute possible, au moins deux personnes derrière lui.
    L'air de rien, il tourne à gauche, s'éloignant de son repère. Avec un peu de chance, ce n'est qu'un couple qui rentre chez lui après une soirée agréable dans l'une des tavernes de la ville. Ou d'autres spectateurs des troubadours; après tout, il y avait beaucoup de monde.
    A gauche à nouveau. Les pas le suivent toujours. Encore à gauche. Il tourne en rond, le bruit des semelles sur le pavé devrait s'éteindre.

    Mais ils sont toujours là. Pire, ils semblent accélérer. Il jette un rapide coup d'œil derrière lui. Deux miliciens, dont les armoiries brillent fièrement à la lueur de la lune. Son cœur bat si fort qu'il a l'impression que toute la ville peut l'entendre. Sa foulée s'allonge tandis qu'il tente de garder un air impassible. A droite maintenant. Les pas résonnent plus rapidement entre les murs délabrés. A gauche, sa foulée devient petite course silencieuse. Droite. Gauche. Regard en arrière. Ils sont toujours là et courent désormais.

    Retenant un juron, Elland s'élance. Il ignore ce qu'ils veulent, et à vrai dire, il ne tient pas vraiment à discuter avec eux. Il connaît la ville comme sa poche. Il sera facile de les semer, de disparaître. Les ruelles se succèdent rapidement, et il s'enfonce toujours plus dans les méandres de la ville. Avant de tourner au coin d'un bâtiment, il jette un regard derrière lui. Les miliciens sont cramoisis, suants et ahanants, mais ils sont toujours là. Charogne ! Ne vont-ils jamais le...

    Le choc est si violent qu'il se retrouve le derrière par terre, le souffle coupé. Face à lui, deux autres gardes se dressent, tout autant surpris. Deux devant, deux derrière. La situation se complique. Elland tente de se relever, de fuir encore. Du coin de l'oeil, il aperçoit un bouclier en bois, aux nobles armoiries, s'approcher dangereusement de son crâne. Sans pouvoir esquisser un geste de défense, il sombre dans le néant.


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    Dans un bruissement d'étoffe, Cassandre s'avance dans les sous-bois, serrant soigneusement contre elle un précieux paquet. Elle a revêtu sa longue robe noire en lin, et a glissé dans ses cheveux de jais une myriade de fleurs couleur sang. D'un pas déterminé, elle progresse plus profondément sous le couvert des arbres.

    L'odeur entêtante de l'humus rempli l'air et elle s'en délecte, un sourire serein sur le visage. Au loin, une chouette hulule, ultime parade avant un repos bien mérité. La jeune femme suit l'étroit sentier sans hésiter ni se laisser troubler par son environnement, aidée par la lueur de la lune.

    Lorsqu'elle débouche enfin sur la clairière, d'autres sont déjà arrivées. Des femmes, uniquement, qui ont toutes revêtu une longue robe noire. Elles forment un cercle, comme pour surveiller les enfants endormis au centre. Quelques flammèches, dansant au dessus des coupelles d'huile, viennent compléter la lueur de la Lune. Cassandre les salue d'un simple geste de la tête, pour ne pas rompre le silence respectueux. Avec douceur, elle dépose son précieux paquet au centre. Des nombreuses étoffes qui le protège de la froideur matinale émergent un nez minuscule, une petite bouche plissée, et deux yeux clos. Puis elle va prendre place dans le cercle, assise sur ses talons, et se plonge dans la méditation.

    Lorsque toutes sont arrivées, l'aînée se lève gracieusement et annonce :


    - Soyez les bienvenues, mes chères. Nous voici réunies, en cette nuit de Lune du Chêne, pour répondre à l'appel des anciens. Nous avons l'immense honneur de vivre ce moment attendu depuis des centenaires ! Rappelons-nous de leurs paroles !

    Une douce mélopée s'élève entre les arbres, reprise par chacune des participantes. Cassandre met tout son cœur et toute sa foi pour répéter les saintes paroles :
    « Durant la pleine lune de décembre, entre chien et loup, à l'heure où l'astre de la nuit s'efface pour laisser place à celui du jour, réunissons-nous ! En cette nuit de solstice d'hiver, lorsque notre bien-aimée sera parfaitement ronde dans les cieux, elle se parera de sa robe carmin. Il sera l'heure de vos offrandes, car plus que jamais, la magie habitera la terre. ». Les derniers mots s'éteignent. L'aînée entonne doucement le chant rituel dans un silence absolu : la nature toute entière semble fascinée par cette voix si pure.

    Comme dans un rêve, Cassandre reproduit les gestes ancestraux, transmis au fil des générations, pour rendre hommage à la Reine des Cieux. Elle les connaît depuis si longtemps qu'ils en sont presque instinctifs : dans l'air frais, elle trace courbes et symboles avec fluidité. Le hurlement d'un loup qui salue l'aube naissante accompagne la complainte qui se fait sinistre. Comme pour répondre à leur appel, la Lune se teinte doucement de rouge sous leurs yeux émerveillés.

    Pour la première fois depuis cinq mille ans, l'éclipse de lune coïncide avec le Solstice d'hiver. La magie est si forte en ces première heures du jour qu'elle semble crépiter autour d'elles. La mélodie prend de l'ampleur, et les paroles mystérieuses se répètent à l'infini entre les arbres centenaires. Elles se relèvent d'un seul et même mouvement, et prennent dans leurs bras les enfants pour le tendre à l'astre. Les adoratrices psalmodient de plus belle, le visage tourné vers les cieux. Une onde bienfaitrice parcourt leurs corps dans un fourmillement enivrant.

    Le moment de grâce s'efface lentement, à mesure que le carmin disparaît et que leur déesse s'estompe. Fébrilement, Cassandre défait les étoffes qui réchauffent l'enfant : des marques violacées qui parsemaient son corps ne reste plus rien. Les nombreuses plaies purulentes ont disparu aussi. Autour d'elle, les autres sorcières font les mêmes constats. C'est avec un sourire radieux qu'elles se regardent, avant de rentrer porter la bonne nouvelle aux parents. La Lune, dans sa toute-puissance, a guéri ces enfants qu'on jugeait condamnés.

     

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    Une immense étendue immaculée me fait face. Les reliefs du terrain sont adoucis par l'épais manteau neigeux et deviennent courbes et monticules. Les arbres nus se sont parés de leurs vêtements d'hiver. Leurs branches fines se déclinent en noir et blanc. Tout est calme, serein.
    Au loin, je devine des enfants, chaudement vêtus, glissant sur la neige en riant aux éclats. Leurs parents restent immobiles, comme si la maturité les empêchait d'apprécier la magie du moment.

    J'attends.



    Un rouge-gorge, aux pattes si fines qu'elles ressemblent à des brindilles, s'est posé tout près. Obstinément, il cherche de quoi se nourrir au milieu de l'épaisse couche de neige. Il est beau, mais il me rend triste. Il me fait réaliser que cette étendue vierge, source de mon bonheur, peut amener du malheur. Que ce paysage idyllique glace d'horreur certains.

    J'attends.



    Un chien passe devant moi, indifférent, et s'amuse à pourchasser l'oiseau. Il s'arrête rapidement, et se mord une patte, sans doute essaie-t-il de se débarrasser de la neige qui s'est engouffrée entre ses coussinets et qui le brûle atrocement.

    J'attends.



    La neige est paisible désormais. Elle tolère que les hommes se l'approprient pour leurs loisirs. Elle accepte qu'on la regarde avec amour ou aversion.
    Elle a bien changé. Je me souviens d'un temps où elle régnait en maître sur l'hiver. Les Hommes la redoutaient, car elle était meurtrière. Dans de lointaines contrées, elle s'entassait sans répit, d'octobre à avril, devenant parfois plus haute que les maisons. Son poids faisait ployer les toits et terrorisait les habitants réfugiés à l'intérieur. Ils comptaient les jours et priaient pour qu'elle s'en aille. Même ici, dans notre pays, elle tuait le bétail, elle tuait les plus faibles.
    Les temps ont changé. La chaleur l'a vaincue, et elle ne fait plus que de brèves apparitions.

    J'attends.



    Un groupe de promeneurs passe non loin de moi. Certains me désignent du doigt en souriant. Dans les yeux de certains brille l'émerveillement. Je les suis du regard, immobile. Depuis que la vue m'a été offerte, je surveille le moindre des mouvements, guettant Son retour. Le soleil poursuit sa route dans le ciel, impuissant à réchauffer l'air.

    J'attends.



    Et enfin, il arrive. Mon cœur s'emballe et mon sourire s'étire. Je détaille son bonnet enfoncé sur son crâne jusqu'aux yeux, qui laisse échapper quelques boucles brunes. Ses yeux de jade me fixent avec amour, et je sais que dans mes billes de verre se reflète le même sentiment. Son nez retroussé est rougi par le froid. Il essaie de renifler discrètement, sans grand succès. Sa bouche, je ne la vois pas, dissimulée comme elle est par une épaisse écharpe. Il a entouré mon cou de la même étoffe, comme si j'en avais besoin. Mais ce geste signifie qu'il tient à moi, qu'il se préoccupe de mon bien-être. Et c'est suffisant pour me combler.
    Il s'approche de moi, et, tendrement, caresse mon corps pour le parfaire. Je frémis de plaisir. Nous nous regardons encore, sans dire un mot, pour ne pas briser la magie. Il sourit, il est fier. Et cette fierté, je la ressens moi aussi. Il est revenu pour moi, pour me regarder une dernière fois. De ses mains gantées, il extrait un téléphone de sa poche, et le tend en l'air, dans ma direction. Un faible claquement retentit. Ainsi, il se souviendra de moi quand je ne serais plus.

    Il demeure ainsi immobile un long moment, jusqu'à ce que le soleil décline à l'horizon. J'espère que mes billes de verre peuvent refléter toute la vénération que j'éprouve pour lui. Il s'approche de moi et me serre dans ses bras. C'est le temps des adieux. Mon cœur saigne car je ne peux lui rendre son étreinte. Devine-t-il seulement les sentiments qui m'animent ?

    Il s'éloigne lentement, en se retournant parfois. J'aimerais rester avec lui pour toujours. Mon créateur. Mon Dieu. Le rouge-gorge revient et se pose sur la branche qui me tient lieu de bras. Demain, je le sais, la chaleur reviendra et je disparaîtrai. Combien de temps mon créateur se souviendra-t-il qu'il m'a donné la vie ?


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    Résumé :

     

    À quinze ans, Nothing, adolescent rebelle et mal dans sa peau, s'enfuit de chez ses parents. Sa route croise celle des Lost Souls, créatures étranges, vêtues de noir, qui boivent une liqueur au goût de sang. Insatiables, sensuels, sauvages, ce sont des prédateurs sans loi qui n'obéissent qu'à leurs instincts. Avec Molochai, Twig et Zillah, Nothing part en quête d'amour, de sexe et de violence au son de longs riffs lancinants dans les boîtes punk de La Nouvelle-Orléans, et découvre la vérité sur ses origines...
    Poppy Z. Brite nous entraîne dans un univers noir où les vampires profitent de leur immortalité pour s'adonner à toutes les perversions et braver tous les interdits de la société puritaine américaine.

     

    Sympa!

     

    Mon avis :

     

    Poppy Z. Brite s'est fait un nom dans la littérature fantastique et j'avais envie de découvrir cette auteure dont j'ai beaucoup entendu parler.

     

    L'histoire pourrait sembler être un énième récit de vampires, mais elle sait apporter sa touche personnelle. Nous suivons le parcours de plusieurs personnages, tous un peu paumés, tous un peu marginaux, et pas seulement à cause de leur nature. Oubliez les clichés du vampire bien propre sur lui et de l'Amérique parfaite, avec les carrés de pelouse parfaitement entretenus devant les maisons, et les barrières blanches. Nous plongeons dans les bas-fonds de l'Amérique, leur noirceur et leur malaise.

     

    Elle met une certaine froideur dans son récit, notamment avec Malochai, Twig et Zillah : leur perversion est certes présente, mais elle est si détachée qu'elle paraît presque normale. J'ai plus été touchée par Nothing et les Lost Saoul, qui sont à proprement parlé des âmes perdues. Ils se débattent dans un mal-être qu'ils ne peuvent soigner.

     

    La drogue, le sexe et la violence sont partie intégrante de l'histoire, des premières pages aux dernières. L'auteure ne nous épargne aucune description, mais avec un tel détachement qu'elles en sont supportables.

     

    La plume est plus qu'agréable, elle nous entraîne dans son monde et on suit les personnages en espérant, un peu naïvement, que tout finira bien. Ahah.

     

    J'ai aimé ce roman mais je ne suis sûre que je me précipiterai pour découvrir les autres romans de l'auteur. Peut-être un peu trop dérangeant pour moi.


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    Résumé :

     

    Anna a toujours ignoré l’existence des loups-garous, jusqu’à la nuit où elle a survécu à une violente agression… et en est devenue un elle aussi. Dans sa meute, elle a appris à faire profil bas et à se méfier des mâles dominants jusqu’à ce que Charles Cornick, Alpha, et fils du chef des loups-garous d’Amérique du Nord entre dans sa vie.
    Il affirme qu’Anna est non seulement sa compagne, mais qu’elle est aussi une Omega d’une puissance rare… ce qui se révélera très utile pour traquer un loup-garou doté d’une magie si sombre qu’il pourrait menacer l’ensemble de la meute.

     

    Coup de coeur

     

    Mon avis :

     

    Cette nouvelle série de Patricia Briggs se déroule dans le même univers que la série de Mercy Thompson, bien que cette dernière n'apparaisse que de manière anecdotique. On peut donc la lire sans avoir lu l'autre cycle.

     

    Nous nous concentrons cette fois-ci sur la meute du Marrock, l'Alpha des Alphas, le grand chef de tous les loup-garous des U.S.A. La construction du début du roman est un peu surprenante, qui donne une étrange impression, comme celle de prendre un train en route. L'auteur a choisi de ne pas décrire la vie d'Anna avant l'arrivée de Charles Cornick dans sa vie, ni de raconter comment les évènements se sont déroulés. Lorsque le roman débute, Anna est en train de quitter son ancienne meute. J'aurais bien aimé en savoir plus sur la rencontre en Anna et Charles, mais je suppose que l'auteur en reparlera dans les prochains tomes. A la place, elle distille peu à peu les éléments, nous permettant de comprendre ce qu'il s'est passé sans en avoir un récit linéaire et sans s'attarder sur des descriptions difficiles.

     

    Car la vie d'Anna avant sa rencontre avec Charles était loin d'être toute rose, et c'est ce qui donne tant d'ampleur au personnage. Elle se retrouve propulsée dans la meute, étrangère et pas forcément la bienvenue pour tout le monde, et elle doit se faire sa place, tout en essayant de s'adapter à sa nouvelle vie de couple malgré ce qu'elle a subi. Elle en est très touchante. Sans être faible, elle est fragile et forte à la fois et ses questionnements sont loin d'être niais.

    Comme souvent, Patricia Briggs parvient à donner de la profondeur à ses personnages, qui ont tous une face cachée qui se dévoile parfois.

    L'absence de Mercy Thompson n'est pas préjudiciable (même si j'aime beaucoup ce personnage également) car l'auteur a su donner de l'ampleur à ses personnages. Et c'est un vrai plaisir de découvrir Charles et Bran d'un autre oeil, presque dans l'intimité. Ainsi, certaines révélations expliquent bien des mystères soulevés dans l'autre série.

     

    La notion d'Omega est longtemps effleurée avant d'être plus ou moins expliquée, et je trouve le concept intéressant car nous suivons en réalité les découverte d'Anna. On pourrait se demander pourquoi elle ne cherche pas à savoir plus précisément ce qu'elle est, mais l'auteure sait amener les choses de manière à ce qu'on ne se pose pas la question durant la lecture.

     

    L'intrigue générale est bien menée, si bien qu'il en est difficile de lâcher le livre : on veut savoir ce qu'il va se passer.

     

    Ce n'est sans doute pas de la grand littérature mais la plume de Patricia Briggs est très plaisante  (même s'il arrive parfois qu'on se perde dans ses raccourcis) Un très agréable lecture, donc ! J'ai vraiment hâte de lire la suite, surtout que Milady sait faire se languir ses lecteurs en proposant le premier chapitre du second tome à la fin de celui-ci. Grrr.


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    Miséricorde, de Jaida Jones et Danielle Bennett

     

    Résumé :

     

    Une guerre vieille d'un siècle va bientôt prendre fin grâce à l'arme absolue : les dragons.
    De terrifiantes créations magiques pilotées par l'élite du Volstov vont enfin faire pencher l'équilibre précaire entre les deux nations en guerre.
    Mais un terrible secret peut-il renverser le cours de l'histoire ?

     

    J'ai aimé

     

    Mon avis :

     

    Lorsque je trouve, au hasard de mes pérégrinations sur le net, un livre qui titille ma curiosité, je vais toujours voir la critique qu'en a fait l'excellent site Elbakin, l'une des références de la fantasy. La critique (franchement moyenne) de ce tome m'a fait réfléchir : http://www.elbakin.net/fantasy/cycle/les-cavaliers-dragons/misericorde-2151 et puis... je me suis laissée tenter.

     

    A vrai dire, je ne le regrette pas du tout. Le livre en lui-même est déjà magnifique (et c'est en partie pour cette raison que je l'ai pris), mais il n'y a pas que ça. Certes, l'histoire semble longue à démarrer, il n'y a pas de réelle intrigue avant de nombreuses pages. Et quand elle arrive, elle semble presque... rapidement expédiée. C'est vrai qu'il y a un certain sentiment de frustration, car le combat final qu'on attendait n'arrive pas vraiment.

     

    Mais à côté de ça, les auteures ont su donné vie à leur personnages : on suit leurs histoires sans se lasser une seule minute. Tout au long des 500 pages, on suit alternativement les histoires de quatre personnages :

    Royston, un magicien exilé à la campagne pour avoir couché avec le prince héritier d'une puissance voisine.

    Hal, un jeune homme ignoré par sa famille, qui adore la lecture, le seul qui va s'intéresser à Royston dans cette demeure rurale.

    Thom, un jeune universitaire qui manque de confiance en lui, envoyé au sein de l'escadrille Draco (les pilotes de dragons), pour leur donner des leçons de comportement.

    Rook, l'un des pilotes de dragon, un homme cynique et méchant, mais qui est pourtant terriblement touchant. Il a couché avec la femme du diplomate en pensant qu'elle était une fille de joie, et à cause de lui que Thom se voit confier cette mission... périlleuse.

    A chaque fois, le style narratif change, mais il n'en est pas moins facile à suivre. Ils ont tous une part touchante, ce qui fait que je n'étais jamais déçue de quitter une narration pour atteindre la suivante.

     

    J'ai également beaucoup aimé l'humour présent dans le livre, surtout dans les situations, à vrai dire.

    Habituellement, j'ai beaucoup de mal à apprécier le mélange de magie et de technologie, et j'avais quelques craintes concernant les dragons mécaniques. Ils sont cependant parfaitement intégrés au récit, et ne surprennent pas dans un univers plus ''médiéval''.

     

    Ce roman ne révolutionne sans doute pas la fantasy, mais reste plus qu'agréable à lire. J'ai suivi avec un grand plaisir les aventures de nos héros, et je guetterai impatiemment la sorte du tome 2 !

     

    Bon à savoir : Les éditions Eclipse, toutes jeunes, proposent un concept très intéressant. Un format semi-poche, avec un quatrième de couverture succinct (ce qui évite qu'on sache le déroulement de l'intrigue) et surtout, un marque page prédécoupé, reprenant l'illustration de la couverture. C'est peut-être stupide, mais je trouve que c'est une excellente idée, et un bonus appréciable.

     

    Voici l'intégralité de la couverture :

     

    http://editionseclipse.files.wordpress.com/2010/12/couv_misericorde.jpg


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    Je m'installe confortablement dans le siège, tandis qu'un technicien vient effectuer les derniers ajustements. Un large sourire éclaire mon visage. A vrai dire, ce sourire ne m'a plus quitté depuis l'annonce du général Tammon, il y a deux semaines " Préparez-vous pour une nouvelle mission, Lanner. Ile de Tortuga, 1650''. Si j'avais su garder mon air impassible face à lui, j'avais laissé ma joie s'exprimer dans la discrétion de ma chambre. D'accord, je m'étais comporté comme un vrai gamin en bondissant de partout. J'avais même déniché mon épée en silicone, soigneusement cachée au fond de l'armoire, et j'avais entamé un trépidant combat contre l'un de ces maudits Espagnols.

    Le technicien s'éloigne, et les scientifiques derrière la vitre protectrice s'agitent. Des pirates. Je vais voir des pirates ! Mon rêve de gosse ! Rackam le Rouge, Barbe Noire, Anne Bonny, Henry Morgan, Bartholomew Roberts, Barbe Rousse. Malgré mes trente-cinq ans et si, en cette année 2082 les vampires sont toujours en tête des préférences en terme de légendes, je reste passionné par les flibustiers. Envers et contre tout. Je connais leurs ports d'attaches, leurs histoires, leurs batailles les plus célèbres. Et je vais en rencontrer !

    Un homme en blouse blanche me fait signe derrière la vitre. Pour lui indiquer que je suis prêt, je hoche vivement la tête. La machine a remonter le temps se met à vibrer légèrement.

    Les embruns déposent leur offrande salée sur ma peau et le soleil est brûlant. Je suis sur une plage, face à la mer des Caraïbes. Les habilleuses m'ont donné une tenue en adéquation avec l'époque, aussi ne fais-je pas tâche dans ce décor idyllique. Dans quelques instants, je vais les rencontrer. Ces hommes libres, défiant les diktats du pouvoir en place. Récupérant les richesses que les colons avaient eux-même pillé aux autochtones. Libérant les esclaves de l'insupportable commerce humain. Vivant selon un code de l'honneur des plus nobles.

    Sans pouvoir résister un instant de plus à mon impatience, je me dirige d'un pas qui se veut nonchalant jusqu'à Basse Terre. La terre brute est dure sous mes bottes de cuir, et une odeur de poisson me prend à la gorge. Sans hésiter, je me dirige vers le port naturel. Une myriade de navires différents sont amarrés au quai. Première déception. J'imaginais de fiers bricks, d'élégants brigantins aux voiles gonflées. Évidemment, au port, les voiles sont abaissées. Sur les flancs des navires, d'innombrables plaies sont béantes, sur lesquelles s'affairent nombre d'hommes. Je suppose qu'elles sont dûes aux coups de canons. Les navires sont petits, sans doute choisis pour leur rapidité. Le corps d'un homme oscille doucement au gré du vent, pendu au mât principal. Depuis quand se pendent-ils les uns les autres ?

    Je suis bousculé par un homme maigre et nerveux, visiblement pris de boisson, bien que le soleil soit encore haut dans le ciel. Menaçant, il retrousse les lèvres, prêt à en découdre. Je m'éloigne vivement, prônant la discrétion. Inutile de se bagarrer avec un pirate ivre. Glissant la main dans ma poche, je récupère quelques pièces de monnaie et me dirige vers le panneau décrépit qui annonce "Au Bourdon Fringuant, taverne". L'odeur est forte, ici aussi : subtil mélange d'odeurs corporelles et de nourriture avariée. Dans la ruelle, un homme se soulage contre le mur, dans l'indifférence générale. Plus loin, je devine qu'une bagarre a éclaté : les rires gras et les encouragements résonnent.

    L'intérieur de la taverne est sombre, éclairé par quelques lanternes, malgré la luminosité extérieure. Le vacarme y est insupportable. La plupart des clients attablés sont des hommes, certains se goinfrent de plats aux relents écœurants tandis que d'autres jouent aux cartes, avec force rires et protestations. Les pièces de monnaie claquent contre le bois usé. Une femme de petite vertu s'approche de moi et me susurre à l'oreille qu'elle n'attendait que moi. Elle n'est pas seule, non, mais ses congénères sont assises sur les genoux des pirates dans des postures sans équivoque.

    Je m'installe à une table sans attirer l'attention, après m'être débarrassé de la catin. J'observe les pirates, leurs chicots noirs et leurs cheveux gras. Ils sont pauvrement vêtus d'habits sans doute pratiques pour eux, mais rapiécés, usés jusqu'à la corde. Où est le faste et la richesse ? Où est la noblesse ? La femme revient, et dépose sans adresse une écuelle où flottent quelques patates dans un liquide grisâtre. Je l'éloigne de moi pour échapper à la puanteur, et me concentre à nouveau sur les clients. Grâce à l'oreillette créée par les scientifiques, si petite qu'elle en est invisible, j'entends et je comprends leurs conversations. Les discussions entre les joueurs sont intemporelles : il y est question de chance, de mauvaise foi et de tricherie. Mais alors que je me concentre sur les hommes assis à une table voisine, mon dos se couvre lentement de sueur froide. L'un des leurs raconte les tortures qu'affectionne son capitaine, pour prouver à tous qu'il est maître à bord. Un autre surenchérit en expliquant ce qu'il advenu de l'esclave, enrôlé de force à bord après sa prétendue libération. Lorsque le troisième raconte en riant ce qu'il est advenu des femmes esclaves trouvées dans les cales d'un navire, je n'y tiens plus, et m'extirpe rapidement de ce lieu de débauche. Leur univers est fait de violence, de viols et de trahisons. Une vie courte, putride, ne tenant qu'à un fil. Je m'éloigne à grand pas de la ville, rejoignant la plage où je suis arrivé, sans remarquer les hommes qui me suivent.

    J'ai du sable dans les yeux, dans la bouche, dans le nez. Ils m'ont sauté dessus, trois hommes secs ne vivant que par et pour la violence. Puis ils sont repartis, me laissant plus mort que vif, et sans un sou. Tout ça pour une poignée de pièces. Je tente de respirer sans attiser la violente douleur qui m'élance à chaque inspiration. Un chat s'approche, le dos rond, crachant contre le déchet humain que je suis devenu. En tâtonnant, je parviens après de longues minutes à activer le téléportateur inséré sous la peau de l'avant bras. Et c'est avec un vive soupir de soulagement que je sens la réalité de mon corps disparaître peu à peu, sous le regard ébahi de la boule de poils hérissés. La mythique vie des pirates est magnifique, tant qu'elle reste une légende.


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