• - Je vous parle d'un temps où Rivemorte n'était qu'une humble bourgade. De maigres pieux faisaient office de remparts et les maisons étaient en boue et herbes séchées. Il n'y avait point de capitale, alors, et les clans se déchiraient pour quelques lopins de terre.
    Je vous parle d'un temps où l'idée même de s'unir dans un seul et même pays faisait rire aux larmes le plus cynique des hommes.
    Je vous parle d'un temps où la vie était terriblement difficile. Malgré leurs efforts, les paysans n'avaient jamais la certitude de passer l'hiver sans essuyer une famine meurtrière. Les brigands attaquaient les voyageurs, car nulle patrouille n'assurait leur sécurité. Les épidémies foudroyaient autant les vieillards que les jeunes. Dans les veillées, au coin de l'âtre fumant, se murmurait que la vie était plus facile dans les villes.

    C'est ainsi qu'ils sont arrivés, portés par l'espoir. Ils étaient à peine une poignée, vêtus de haillons et faméliques. Dans les bras d'une femme, un nourrisson hagard scrutait les alentours, n'ayant même plus la force de pleurer. Les gardes butaient sur leur nom, et le déformaient sans cesse.
    Avec entêtement, ils ont bâti leur propre chaumière, dont les murs étaient si fins qu'ils tremblaient au moindre vent. Les hommes ont offert leur force et leur endurance pour travailler dans les forges, dans les champs et dans les menuiseries. Les femmes, à l'abri des regards, ont perpétué leurs traditions et leurs savoirs. Car s'ils n'avaient aucune richesse matérielle, le don qu'ils cachaient valait mille trésors.

    Il s'apprenait de mère en fille et restait soigneusement tu : personne n'aurait pu comprendre qu'elles pouvaient donner vie aux objets et les commander. Oh, bien sûr, elles avaient essayé d'expliquer, de rassurer, mais l'ignorance apporte la méfiance. Et la méfiance entraînait bien souvent la mort à cette époque.
    Nul ne sait quel procédé elles utilisaient. Nous ignorons tout de ce don. Seules, les conséquences visibles peuvent nous aider à imaginer ce dont elles étaient capables.


    Le narrateur s'interrompt et recule lentement à l'arrière de la scène. Les autres musiciens arrivent, ainsi qu'une magnifique jeune femme, vêtue d'une robe rouge écarlate.
    Les instruments, dont Elland ignore jusqu'à leur nom, prennent vie sous les mains agiles des musiciens. La chanteuse s'avance, et d'une voix plus pure qu'un ruisseau de montagne, entame le chant. Un chant terriblement triste, narrant la vie de l'époque. Malgré lui, Elland sent son cœur se serrer à l'évocation de ce quotidien. Le conteur reprend sa place alors que la demoiselle s'efface, et poursuit son récit :

    - Pauvres, ils l'étaient assurément. Cette vie plus facile qu'ils avaient rêvée n'était pas au rendez-vous. Mais pour rien au monde ils ne seraient retourné dans leur campagne. Alors ils ont lutté, jour après jour, pour survivre jusqu'au lendemain.
    Jusqu'au jour où un vieil homme est venu en ville, surgit de nulle part. Lui aussi avait un don fabuleux mais il n'hésitait pas à s'en servir. Il allait de chaumières en taudis, offrant son don de guérison contre un repas. Peu à peu, la rumeur s'est répandue : un homme pouvait tout soigner, d'une petite entaille aux maladies les plus graves. Cet homme a connu un succès immense, tous accouraient pour l'inviter à visiter un parent souffrant. Ils ne comprenaient pas les incantations qu'il récitait, ils ignoraient la signification des marques qu'il traçait sur les corps pâles. Mais à vrai dire, ils s'en moquaient bien : ils souhaitaient uniquement la guérison.
    Alors d'autres se sont révélés au grand jour. Un homme, palefrenier de son état, qui parlait aux animaux et les apaisait. Une femme, belle comme une nuit d'été parsemée d'étoiles, chassait les mauvais esprits qui empoisonnent les rêves et menacent de faire basculer leurs victimes dans la folie. Une enfant, chétive et triste, pouvait prédire l'avenir proche.

    En ces temps difficiles, ces manifestations de magie rassuraient la population, quand bien même elles n'étaient parfois que supercheries. Des arnaques, il y en a eu, oui, sans aucun doute. Mais grâce à ces pionniers, la magie est entrée dans la vie quotidienne, comme échappée des contes de fées.
    Alors, les Clamadinis ont osé se révéler à leur tour. Les femmes enchantaient les outils, des balais aux marteaux, et leur donnaient une vie propre. Ainsi, le bûcheron pouvait prendre un peu de repos tandis que sa hache fendait du petit bois. Les femmes pouvaient s'occuper de leurs nouveaux-nés pendant que le balai nettoyait le sol. Le boucher pouvait servir ses clients pendant que son couteau désossait les carcasses.

    Dans leur grande sagesse, les femmes savaient que leur don attisait la facilité et la paresse. Elles avaient toujours pris garde à ne point en abuser, à enchanter les outils uniquement en cas de force majeure. Aussi sélectionnaient-elles soigneusement les bienheureux qui pouvaient prétendre à la possession d'un objet animé. Le but des enchantements n'était pas de leur faciliter la vie, mais de rendre leur enfer quotidien un peu plus supportable.


    La jeune chanteuse revient sur scène, et entourée des instruments mélodieux, entonne une comptine. Elle parle de ces hommes et femmes, à la vie difficile mais qui retrouvent l'espoir grâce aux objets animés. Elland connaissait cette comptine, car sa mère la chantait régulièrement à son petit frère, mais il ignorait qu'elle faisait référence aux Clamadinis. Alors, retombé en enfance, il fredonne à mi-voix cette chanson magnifique sans quitter la chanteuse des yeux. La mélodie prend fin trop rapidement et à nouveau, l'orateur reprend la parole :

    - Grâce aux dons, en nourriture ou en argent, des gens qu'ils aidaient, les Clamadinis ont pu quitter leur taudis, et s'installer dans une maison en dur. Au fil des années, les traditions se sont perpétuées, et leur aide s'est développée. Rivemorte s'agrandissait, repoussant sans cesse les maigres remparts pour laisser la place à de nouvelles chaumières. Les clans, enfin, se sont mis d'accord et les guerres ont cessé. Mais la paix n'a pas fait diminuer le nombres de personnes qui se pressaient devant la demeure des Clamadinis.

    Après quatre générations, le cours des événement a changé. Les femmes se sont habituées au confort qu'elles avaient, les hommes les pressaient d'accepter plus de commandes pour asseoir leur situation, pour agrandir la maison, pour acheter de nouveaux biens. Et peu à peu, insidieusement, les Clamadinis n'ont plus été aussi regardants. La cupidité a remplacé la méticulosité, souillant de ce fait la magie. Et ces objets, convaincus de leur utilité, qui se donnaient corps et âmes sans rechigner, ont repris leur liberté. Ils étaient toujours animés, bien sûr, mais ne se soucient plus réellement de leur propriétaire. Ils agissaient à leur guise. Ainsi, le balai a commencé par briser de la vaisselle, renverser des chaises ou éparpiller les détritus. La hache s'est mise à fendre le bois en copeaux, puis elle s'est attaquée aux outils du bucheron endormi. Quelques objets ont été retournés aux Clamadinis, mais les femmes ne se sont pas remises en cause, et ont enchanté d'autres objets pour satisfaire leurs clients.
    Alors le balai est devenu plus agressif. Il a chassé l'enfant capricieux, à grand renfort de coups de paille dans le derrière. Il a assommé la mère paresseuse. Il a balancé le foin dans l'âtre. La hache, elle, a pourchassé le bucheron, réveillé en sursaut, dans la forêt et jusque dans les villages qui la bordent. Ces enchantements, qui autrefois suscitaient l'envie, étaient devenus terrifiants. Les propriétaires les ramenaient au luxueux manoir des Clamadinis, à la fois effrayés et mécontents.

    Nul n'est à blâmer, dans cette histoire : ni les femmes trop conciliantes ni les hommes cupides, pas même les clients demandeurs. Car en vérité, les guérisseurs avaient fauté, eux aussi, et dépensaient autant leur magie dans les soins que dans l'embellissement des coquettes. Ceux qui prédisaient l'avenir avaient des intérêts dans les maisons de pari, et utilisaient leur don à des fins vénales.

    L'argent et l'orgueil des Hommes ont corrompu la magie. Alors elle les a abandonné. C'est pourquoi aujourd'hui, il ne reste nulle magie sur nos terres.
    La famille Clamadinis, ruinée, a dû fuir la population, terrorisée par leurs objets, qui pensait que les occire pourrait mettre un terme à l'enchantement. Ils sont exilés, dans un endroit connu d'eux seuls.
    Ainsi s'achève l'histoire de la famille Clamadinis, portée au sommet par la magie, annihilée par la cupidité.
    Ainsi s'achève mon récit, mes amis. Méditez-le, car ces faiblesses peuvent atteindre tout un chacun. Si vous les croisez un jour, ne leur jetez pas la première pierre, car qui sait si, dans leur situation, vous n'auriez pas réagit de la même manière ? Ce récit est terminé, mais ne partez pas maintenant, car Lucia va vous interpréter une ballade fabuleuse !


    Le temps d'un battement de cil, et la chanteuse a pris place sur scène. Autour d'elle, les musiciens s'installent dans un silence concentré. Les premières notes s'envolent, captivant le jeune voleur. Plus rien n'existe que cette voix et l'histoire qu'elle raconte.
    Il ne remet un pied dans la réalité que lors de la courte pause qu'elle prend pour boire un verre d'eau. C'est à ce moment là qu'il réalise la présence des deux gardes, tout proches de lui, qui le regardent avec insistance.


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  • L'enseigne se balance lentement au gré de la bise fraîche de cette fin de printemps. De la porte ouverte s'entend le battement régulier du marteau sur le cuir. Un semblant de sourire revient sur le visage d'Elland. Lorsqu'il franchi le seuil de la petite boutique, le colosse est en sueur, affairé sur une paire de bottes. Dès qu'il aperçoit le voleur, il s'arrête et sourit. Un simple sourire, et un éclair de soulagement dans son regard : ce sont les seuls sentiments qu'il exprimera. Puis, comme s'il ne s'était pas passé un mois depuis le départ d'Elland, il l'entraîne dans l'arrière-salle pour lui offrir une chope d'hydromel. Elland l'observe lorsqu'il verse le précieux breuvage. Il a maigri et de sombres cernes marquent son visage. Ils devisent un moment de la pluie et du beau temps, de la qualité de l'hydromel et des belles filles. Puis, lorsque Thémus leur sert une seconde tournée, ils abordent les sujets qui les préoccupent. Les affaires ne vont pas fort, pour Thémus. La plupart des habitants du quartier ont grandement réduit leurs activités, et craignent de sortir après la tombée de la nuit. De nombreuses rumeurs courent sur les agissements de la milice, qui se soucie bien peu de la réelle culpabilité des gens qu'elle arrête. Après tout, il leur faut des coupables, non ?

    En cette période de crise, les clients n'osent plus acheter, et les produits de Thémus, légaux ou non, ne partent plus. Mais les patrouilles se font plus rares, depuis quelques jours, et les arrestations se comptent désormais sur les doigts de la main. Le gouverneur est très fier d'avoir nettoyé la ville et parade dans les rues, crânement, sous l'oeil indifférent de la population. Le cordonnier ne s'étend pas sur les difficultés qu'il a rencontré, trop pudique et trop fier pour le faire. Mais il annonce l'arrestation de nombreuses connaissances d'Elland, souvent des personnes à qui il revendait certains objets, ou des voleurs connus dans le petit cercle des hors-la-loi. Non pas que ça le chagrine particulièrement, il ne les connaissait quasiment pas. Et s'il se garde bien de nouer des relations plus étroites avec eux, c'est aussi pour cette raison. Mais ça rend la menace si réelle !

    Elland lui raconte rapidement, à sa demande, ce qu'il s'est passé de son côté durant le mois écoulé. Il garde cependant les moments passés avec Ménandre pour lui, comme un trésor qu'on conserve caché à l'abri des regards indiscrets. Puis, d'un air qui se veut indifférent, il demande :


    - Dis-moi, Thémus, toi qui connait tout le monde ici, tu te rappelles d'une jolie blonde qui vendait des draps sur le marché ?

    Le sourire du cordonnier prouve que son air n'est pas aussi indifférent que voulu. Il lui demande des précisions supplémentaires, qu'il écoute attentivement, avant de répondre :

    - Je vois. Joli brin de fille, en effet. Elle travaille pour le drapier Monrand.
    - Tu sais où est son atelier ?

    Le sourire de Thémus se fait plus large, et il lui donne l'adresse sans rechigner. Pourtant, dans ses yeux brille la question qu'il n'ose pas poser, et Elland se sent obligé de répondre :

    - On m'a dit qu'elle était partie. Et … enfin, j'aurais voulu pouvoir la saluer une dernière fois.
    - Elle te plait vraiment ?

    Elland hoche simplement la tête en guise de réponse et sent ses joues s'enflammer. Malgré sa curiosité, Thémus n'insiste pas. Il sait qu'Elland lui en parlera s'il le souhaite. Et il sait surtout que s'il pose trop de questions, le voleur va se braquer et se murer dans un silence obtus. Une ultime tournée d'hydromel achève la bouteille, tandis qu'ils parlent de sujets moins personnels. Lorsqu'ils se séparent, seule une accolade plus longue que d'habitude exprime leur soulagement et leur amitié.

    Pour un oeil néophyte, Elland met à profit le reste de l'après-midi pour flâner dans les rues de Rivemorte, déambulant, le nez en l'air, entre les quartiers pauvres et les quartiers plus favorisés. En réalité, il redécouvre sa ville : son regard acéré repère l'emplacement des gardes, l'absence de certains hors-la-loi. Il repère aussi l'activité qui règne autour des plus riches demeures de la ville, puis s'éloigne jusqu'au quartier un peu moins aisé, mais aussi moins surveillé.

    Il ne s'arrête que lorsque le soleil disparaît à l'horizon, attiré tel un animal curieux par le doux bruissement d'une activité hors du commun. Sur la place du marché, les étals ont disparus. Les marchands sont rentrés chez eux et les femmes sont allées préparer le dîner. Adossé contre le mur d'un immeuble anonyme, il observe cette place qu'il connait tant s'animer doucement à mesure que les troubadours installent leur scène. Les plus jeunes installent des chaises, pour les spectateurs à venir, tandis que les hommes, torses nus et en sueur, portent les lourdes planches qui serviront d'estrade. Non loin, les musiciens accordent leurs instruments et un homme fait les cent pas, engagé dans un monologue. Fasciné par ce ballet incessant, le voleur ne prête pas attention à son estomac affamé. Et bientôt, hommes, femmes et enfants s'approchent dans un joyeux chahut pour assister à la représentation.

    L'homme qui monologuait s'avance sur la scène, simplement vêtu d'une chemise et d'un pantalon de lin écru. Autour de son cou, une étoffe pourpre montre son appartenance au plus célèbre clan des troubadours, les Raconteurs Fous. Le murmure de la foule s'est tu, et tous ont les yeux rivés sur le narrateur. Lorsqu'il prend la parole, sa voix grave et claire s'entend jusqu'au bout de la place.


    - Oyez, oyez, gentes damoiselles, gentes dames et gentilshommes. Nous autres, les Raconteurs Fous, avons affronté mille périls, du chemin enneigé aux patrouilles de gardes, pour faire parvenir à vos oreilles avides nos histoires.

    Elland regarde, amusé, les enfants aux yeux émerveillés qui fixent l'orateur sans ciller. Les parents, eux, semblent captivés par cette présentation. A cet instant, même un manchot pourrait les dépouiller sans qu'ils s'en aperçoivent. Elland observe plus attentivement le public, hésitant : sont-ils assez riches pour qu'il ose mettre à profit les enseignements de Ménandre ? Mais alors qu'il est sur le point de s'approcher d'une belle femme mûre, aux riches atours, un mot retient son attention :

    - … Clamadinis. Oyez, braves gens, le récit de l'ascension de cette famille, jusqu'à sa chute.

    Oubliées les idées de larçins, oubliée l'observation du public. Elland se laisse glisser contre le mur, jusqu'à s'asseoir par terre. Désormais, toute sa concentration va au troubadour. Clamadinis : l'ombrelle hantée. Un musicien s'est avancé sur la scène et de son luth s'envole la mélodie qui appuie les paroles du conteur.


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  • A regrets, Elland met fin à l'accolade, et salue une dernière fois Ménandre. Il ne se retourne pas avant de partir, il a bien trop peur que ce soit la dernière fois qu'il le voit. Echidna, qui a perçu son trouble, vient frotter ses cornes contre la hanche du voleur et parvient à lui tirer un maigre sourire.
    Dans les grottes, l'agitation règne. Pèire est débordé, et court d'une gargouille à une autre. Inutile d'aller le déranger. Quant aux autres... qu'importe !

    Sur les berges du lac, il demeure un instant immobile, comme pour s'imprégner une dernière fois de ce paysage magnifique, et somme toute apaisant. Près d'un mois s'est écoulé depuis son arrivée ici, et le temps qui court rogne sur sa patience. Il peut sentir son avancée, presque physiquement, tant il a envie de rentrer. Cette bagarre est une excuse idéale, d'autant plus qu'il est parfaitement conscient qu'elles recommenceront, et qu'il sera plus difficile de les stopper désormais. Et qu'importe ce qu'il se passe en ville, il saura passer entre les mailles du filet.
    Il grimpe agilement sur le dos d'Echidna, passe les bras autour de son cou puis ils prennent la direction de Rivemorte. Le trajet lui paraît terriblement long : de lourds nuages menaçants masquent la lune et l'obscurité l'empêche de se repérer. Même s'il n'est pas vraiment croyant, il prie pour que le sens de l'orientation de sa complice ne lui fasse pas défaut.
    Après ce qu'il lui semble être une éternité, ils arrivent enfin en vue de la Grand Tour Célestis. Encore une poignée de secondes de vol, et Echidna atterrit souplement sur le toit d'ardoises qui jouxte sa tanière. Un large sourire aux lèvres, il inspire profondément, heureux d'être de retour dans sa ville qu'il n'avait jamais quitté aussi longtemps. Contenant son impatience, il flatte longuement l'encolure d'Echidna puis applique délicatement un peu d'onguent sur ses blessures.
    Enfin, il se glisse par la lucarne, et pénètre dans son antre. Rien n'a bougé, si ce n'est la fine couche de poussière qui s'est déposée sur les meubles. Le cheveu qu'il avait mis en travers de la porte est toujours intact, signe que personne ne l'a ouverte, mais il vérifie quand même, par précaution, que ses autres pièges ne sont pas actionnés. Personne n'est venu. Parfait. Il range ses possessions et va s'écrouler sur son lit, ravi d'être de retour.

    C'est presque guilleret qu'il descend la façade de l'immeuble, le lendemain, alors que la Grand Tour Célestis annonce les deux heures de l'après-midi. Il s'est fait beau, et il a même dompté ses cheveux pour cette rencontre qu'il attend impatiemment. D'un pas joyeux, il se rend jusqu'au marché et achète une jolie brioche, parfaitement dorée et à l'odeur alléchante. Et c'est avec un sourire radieux qu'il s'avance entre les étals pour rejoindre celui qui l'intéresse. Mais il a beau scruter, point de drapière en vue. A sa place, une espèce d'affreux bonhomme hirsute et bedonnant. Déçu et inquiet, il reste de longues minutes immobile devant les rouleaux de tissus. Jusqu'à attirer l'attention de l'homme.


    - J'peux vous aider ?

    Le ton n'a rien d'aimable. Elland se demande fugitivement comment un tel homme peut se prétendre vendeur. Il hésite un instant à l'interroger, bien conscient que ce genre d'individu n'aime pas spécialement rendre service. Mais il doit savoir. Alors, prenant son courage à deux mains, il lui demande :

    - Où est la vendeuse habituelle ?

    L'homme le dévisage avec un air mauvais et franchement suspicieux, si longtemps qu'Elland se résigne à ne jamais avoir de réponse. Autour de lui, les gens vaquent à leurs occupations sans se douter du drame qui se joue. Finalement, dans un reniflement méprisant, l'homme répond un succinct « L'est partie. Reviendra plus. » avant de s'intéresser à son inventaire. Le voleur avale difficilement sa salive et s'éloigne. Il n'en saura pas plus.

    C'est dans un état second qu'il traverse les allées. Sa drapière est partie. Il ne la reverra plus. Comment a-t-elle pu s'en aller sans lui en parler avant ? Croit-elle que personne ne se soucie d'elle ? Agacé, il donne un coup de pied dans un fruit trop mûr jeté par un marchand. Mais pouvait-il lui demander de rester alors même qu'ils ne se sont quasiment jamais parlé ? Elland ronchonne à mi-voix, bien obligé d'admettre que non, il ne pouvait rien lui demander. Mais il pourrait essayer de la retrouver. Sauf qu'il ne peut pas la courtiser, car il n'a rien à lui offrir : ni sécurité, ni bonne réputation.
    Ses pas l'ont conduit jusqu'à l'Hermine Affamée, suivant sans doute les instructions de son estomac. Une nouvelle surprise l'attend. Une mauvaise, encore. A croire qu'il aurait mieux fait de rester couché. La porte et les volets de la taverne sont clos. Définitivement clos, d'après le mendiant qui est assis le long du mur. A cause du nettoyage en règle de la ville, les clients ne venaient plus chez Alvin et il a dû mettre en vente l'Hermine. Pour le remercier de ces informations, Elland lui donne la brioche, n'ayant plus aucun appétit, et s'éloigne. Il redoute la prochaine visite, et songe même à rebrousser chemin, tant il craint que la loi des séries ne s'applique aussi à la cordonnerie de Thémus. Mais il doit en avoir le cœur net. Alors, résolu, il s'avance vers la ruelle.

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    Résumé :

     

    Mississippi, 1857. Quel capitaine de vapeur sensé refuserait le marché de Joshua York ? Cet armateur aux allures de dandy romantique offre des fonds illimités pour faire construire le navire le plus grand, le plus rapide et le plus somptueux que le fleuve ait jamais connu. En échange de quoi ses exigences paraissent bien raisonnables : garder la maîtrise des horaires et des destinations, et, surtout, ne jamais - à aucun prix - être dérangé dans sa cabine hermétiquement close, dont il ne sort qu'une fois la nuit tombée.
    Voilà enfin l'occasion qu'attendait le capitaine Marsh, vieux loup de rivière aux proportions gargantuesques, pour relancer sa compagnie en perte de vitesse. Si ce formidable vapeur lui permet de coiffer ses concurrents au poteau, peu lui importe les lubies de l'étrange armateur. Jusqu'au jour où une vague de meurtres sanglants apparaît dans le sillage du Rêve de Fèvre...

     

    Coup de coeur

     

    Mon avis :

     

     

    Le résumé laisse deviner la nature de Joshua, et j'avais envie de lire ce genre d'histoire, réaliste et bien écrite, sans tomber dans les délires vampiresques des auteurs qui surfent sur la vague et inventent tout et n'importe quoi pour être « originaux ».

    Et G.R.R. Martin me semblait un gage de qualité. Je ne regrette pas ce choix un seul instant.

     

    Un élément qui me semble important de préciser, c'est la date d'écriture de ce roman : en 1983. C'était donc au début de la carrière de ce grand auteur, qu'on connait surtout pour son cycle du Trône de Fer. Ses débuts, certes, mais il avait déjà l'étoffe d'un conteur talentueux.

     

    Nous voilà donc plongés dans l'Amérique des années 1850, une époque où les gens commençaient à se poser des questions sur la légitimité de l'esclavage et où le chemin de fer faisait à peine son apparition.

    Le personnage principal de cette histoire, Abner Marsh, est bien loin des héros habituels : il est imposant (et ce n'est pas que du muscle), il a un visage ingrat, aucun succès avec les femmes, il est rude et grossier. Et pourtant... c'est un homme intelligent, perspicace. Et surtout, surtout, loyal.

    Sur la couverture, Joshua me fait penser à Johnny Depp, et c'est avec cette image que j'ai lu le bouquin. Et ça colle parfaitement. Si le suspens concernant sa nature véritable est pour le moins gâché, il n'en demeure pas moins que Joshua est une personne humaine, gentille même. Presque naïve dans son rêve, et c'est ce qui le rend si touchant.

     

    Leur association, à la base purement intéressée, devient rapidement, au fil des pages, une amitié sincère autant qu'étrange tant les deux sont différents. Et cette amitié amène une loyauté sans failles, malgré les évènements. Car même si tout semble perdu, ils ne renoncent jamais.

     

    Ce livre semble avancer au rythme du fleuve, qui s'écoule paresseusement. Presque indolent. Et pourtant, il est envoûtant : l'auteur nous entraîne dans cet univers fascinant de rivalité entre les mariniers, de vie difficile et de grands idéaux.

     

    Peu de temps avant, j'avais lu un autre livre, où l'auteur faisait raconter l'histoire d'un peuple par un personnage. Ce récit devait prendre une dizaine de pages, et je me suis tellement ennuyée que j'ai joyeusement sauté ce passage. Or, dans Riverdream, l'un des personnages raconte sa vie, au sens propre, dans un long monologue d'une trentaine de pages il me semble. Et c'est là qu'on réalise les qualités d'un écrivain, car je ne me suis pas ennuyée une seule seconde : j'ai été happée par ce récit dans le récit.

     

    Ce livre est donc, pour moi, un magnifique plongeon dans une autre époque, où l'amitié semble retrouver toute sa signification. La plume de Martin rend cette histoire vraiment prenante et il a su dessiné des personnages particulièrement touchants.

    Un vrai coup de cœur.

     


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    Dans la rotonde déserte, entre deux plantes vertes en plastique, une vieille femme est immobile dans son fauteuil roulant, face à la grande baie vitrée. Regardant sans le voir le parc parfaitement entretenu de ce que le politiquement correct appelle « Centre Gériatrique », elle patiente.

    Aujourd'hui, elle attend une visite. Son gendre. Il ne vient qu'une fois par mois, toujours le dernier dimanche. Tiens, d'ailleurs, c'est lui, là, qui marche sur la petite allée gravillonnée qui serpente au milieu des arbres centenaires. De son point d'observation, Berthe le suit des yeux, les lèvres pincées. On dirait qu'il va à l'échafaud. Lorsqu'il disparaît dans le hall d'entrée, elle arrange machinalement ses cheveux, et plisse sa robe.

    - Bonjour Belle-maman !
    - Ah ben te v'là. D'puis l'temps qu'j'attends !
    - Il y a du monde sur la route.
    - Com'toujours, t'as qu'à partir plus tôt.

    L'homme défait les freins qui maintiennent le fauteuil immobile, et la fait lentement pivoter pour lui faire la bise. Le regard acéré de Berthe détaille son gendre dans une moue dédaigneuse.


    - Ils osent vendre d'tels vêtements d'nos jours ?

    Le coup a porté, et l'homme trésaille. Pourtant, il répond d'une voix qui se veut indifférente :

    - Faut croire.
    - Où qu'elle est, ma Sophie ?
    - Elle est en déplacement pour son travail. Elle n'a pas pu venir.
    - Un dimanche ? Tsss... Toutes les excuses sont bonnes, hein ?

    Le gendre ne répond rien, et va s'asseoir sur l'une des chaises qui parsèment la rotonde. L'animosité entre Berthe et cet homme date de leur première rencontre. Elle l'avait détesté au premier regard. Et quand Sophie lui avait annoncé, après bon nombres de questions à ce sujet, qu'ils ne désiraient pas avoir d'enfants, ce fut comme une déclaration de guerre. Ça ne pouvait être que cet homme au regard malsain qui lui avait mis ça dans le crâne.

    - Comment allez-vous, Belle-maman ?
    - Mal. J'vais mal. Mes g'noux et mes mains m'font souffrir à cause d'l'arthrose. Puis mon dentier m'fait mal aussi. L'dentiste l'a mal réglé.
    - Ils vous donnent sans doute de quoi calmer la douleur.
    - Tu parles ! C'est une bande d'incompétents ici. Ah ça, tu peux ben sonner, hein, avant qu'ils viennent, t'as l'temps d'calancher. D'toutes façons, les infirmières, elles m'aiment pas. Elles l'font exprès d'pas v'nir quand j'appelle. Et ils ont même recruter un p'tit jeune, un vaurien qui me regarde les fesses quand il m'fait ma toilette.
    - Mais au moins, vous mangez bien ?
    - Ben voyons. Tiens, à midi, on avait d'la soupe. 'Fin, c'qu'ils appellent d'la soupe. D'l'eau chaude avec des vermicelles. Et la viande, c'te vieille carne bouillie. Comment qu'tu veux qu'on mange ça, avec nos fausses dents ?

    Le discret soupir du gendre ne l'est pas assez, malgré les problèmes d'audition de Berthe. Pourtant, il demande, d'une voix patiente :

    - Le mois prochain, vous aurez quatre-vingt ans. Vous voulez qu'on organise une petite fête ?

    La vieille femme le foudroie du regard, et redresse le menton dans un geste de défi. Sa voix est tranchante comme la glace lorsqu'elle répond :

    - Certainement pas ! Tu crois qu'tu vas m'avoir, avec des p'tites fêtes ? J'ai déjà fait mon testament, et t'auras rien du tout. Pas un sou. Alors te donne pas la peine.

    L'homme n'essaie pas de la détromper, il la connait malheureusement trop pour savoir qu'il ne pourra jamais lui faire changer d'opinion. Il se lève, et sors les clefs de voiture de la poche.

    - Je vais devoir y aller, je dois m'occuper du massif de fleurs tant qu'il fait beau.
    - Tu vas encore les faire crever.

    Il reste muet en lui faisant rapidement la bise, puis s'éloigne sans se retourner. Berthe fait pivoter son fauteuil pour le regarder partir, visiblement plus guilleret qu'à l'aller. Et lorsque la silhouette de son gendre a disparue sur le parking, elle se permet d'afficher un grand sourire.


    - Voilà votre canne, Madame Delorme.
    - Merci mon p'tit.

    Berthe sort de son fauteuil en faisant un sourire adorable à l'infirmière, et s'empare de la canne.

    - Il n'est pas resté longtemps aujourd'hui.
    - J'ai tout fait pour. C'est qu'j'ai pas qu'ça à faire, moi.

    Elles échangent un sourire complice, puis Berthe trottine jusqu'à la salle commune. Cette mise en scène fonctionne depuis des mois. Les aides-soignantes, avec qui elle s'entend parfaitement bien, sont de connivence. Elle sait que s'il apprenait qu'elle se plaît ici, il serait bien capable de l'envoyer ailleurs. Et puis, elle n'aime pas voir les jeunes. Ils lui rappellent trop qu'elle ne l'est plus. Au moins, ici, elle est la plus fringante ! Elle se dirige d'un pas assuré jusqu'à la table ronde où sont déjà installées ses amies et prend place. De la poche de sa robe, elle sort le jeu de cartes, malicieuse.

    - La belote n'attend pas, mesdames. C'qui qui distribue ?


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    Résumé :

     

    " Les loups-garous peuvent être dangereux si vous vous mettez en travers de leur chemin. Ils ont un talent extraordinaire pour dissimuler leur véritable nature aux yeux des humains. Mais moi, je ne suis pas tout à fait humaine. " En effet, Mercy Thompson n'est pas une fille des plus banales. Mécanicienne dans le Montana, c'est une dure à cuire qui n'hésite pas à mettre les mains dans le cambouis et à sortir les griffes quand le danger frappe à sa porte. Mais ce n'est pas tout : son voisin très sexy est le chef de meute d'une bande de loups-garous, le minibus qu'elle bricole en ce moment appartient à un vampire, et la vieille dame très digne qui lui rend visite vient jeter des sorts sur son garage. Au cœur de ce monde des créatures de la nuit, Mercy se trouve mêlée à une délicate affaire de meurtre et d'enlèvement...

     

    Coup de coeur  

     

    Mon avis :

     

    J'ai toujours un peu de mal à admettre que je lis de la Bit-lit, de peur d'être assimilée à une ado pré-pubère fan de Twilight et de son sparkling vampire.

    Sauf que voilà, je l'avoue, j'aime cette série.

     

    J'adore l'héroïne, Mercy, une garagiste tatouée adepte de karaté, avec du cambouis sous les ongles et, une féminité assez relative. Certains passages m'ont touchés, comme lorsqu'elle cherche des vêtements propres au milieu des habits sales, qui jonchent le sol de sa chambre, pour une entrevue capitale avec la ''Reine'' des vampires, et qu'elle finit par enfiler un tee-shirt de mécano. Elle m'inspire tout de suite la sympathie, allez savoir pourquoi.

     

    De même, j'aime beaucoup son côté indépendant, sa volonté farouche de s'en sortir par elle-même, sans avoir à demander l'aide de quiconque. Tout comme j'apprécie sa facette impertinente, pour faire rager l'Alpha de la meute qui habite juste à côté de chez elle.

     

    Si les créatures surnaturelles sont relativement classiques (les vampires, les loups-garous et les faes sont semblables aux mythes qui s'y rattachent), Patricia Briggs apporte une certaine complexité à leurs relations, notamment en terme de hiérarchie, de langage corporel, de respect des traditions. Ainsi, on découvre un Alpha qui, certes, est le plus dominant, mais qui se soucie véritablement de sa meute.

     

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    Mercy est une changeuse, elle, et de ce fait, ses relations avec les autres créatures sont plus tendues. L'auteur a choisi de puiser cette faculté dans les mythes amérindiens, et j'aime beaucoup cette idée : les amérindiens font partie intégrante du passé des Américains mais ils sont trop souvent stéréotypés, voire même complètement oubliés. De même, Mercy est parfaitement consciente que son don n'est pas précisément le plus impressionnant, ni le plus puissant. Elle ne compte que sur sa rapidité et sa ruse face aux autres, et c'est ça qui me plait. On oublie les créatures surpuissantes qui ne craignent rien. Au fil des tomes, nous apprenons, en même temps que Mercy, que son don est plus large qu'elle ne le pensait.

     

    Enfin, les intrigues sont intéressantes, on ne devine pas dès le début qui est le coupable. Mercy est véritablement en danger et l'auteur n'hésite pas à faire souffrir son personnage, sans que ça en devienne systématique. Un petit bémol, cependant, les intrigues sont parfois un peu tirées par les cheveux, et un peu trop alambiquées.

     

    L'aspect romance est présent, bien sûr, mais l'auteur ne sombre pas dans la mièvrerie, et apporte toujours une touche d'humour là où elle pourrait se contenter de fleurs bleues. Ainsi, les intrigues amoureuses sont présentes, sans être trop envahissantes, et apportent toujours quelque chose à l'intrigue globale. L'auteur fait également preuve de pudeur dans les relations, et nous épargne les passages les plus ''croustillants'', qui n'apportent souvent pas grand chose à l'histoire.

     

    Enfin, si les intrigues se terminent à la fin de chaque tome, elles sont toutes reliées les unes aux autres tout le long de la série dans une logique imparable.

     

    C'est donc une série que j'apprécie énormément. Ce n'est pas un chef-d'œuvre, entendons-nous bien, elle n'est pas extraordinairement originale et la narration n'est pas spécialement recherchée. Mais c'est une lecture très plaisante, qui nous ravit mon imaginaire, et c'est tout ce que je demande à un bouquin.

     

    Bon à savoir :

     

    Milady a sorti une nouvelle série de Patricia Briggs, Alpha & Omega, qui se déroule dans le même univers que Mercy Thompson. Je donnerais mon avis dès que j'aurais eu le temps de le lire ^^

    L'illustrateur des couvertures se nomme Dan Dos Santos et je les trouve vraiment très jolies (bien qu'un peu trop stéréotypées femme plantureuse avec la chemise qui montre son ventre, ce qui n'est pas représentatif de Mercy mais bon ^^' )


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  • Dans un silence de mort, les deux hommes se toisent. Les pieds légèrement écartés, les mains sur les hanches, si solidement campés au sol qu'une tornade ne pourrait pas les faire bouger, ils se défient du regard. Sous la chaleur des spots lumineux braqués sur eux, ils restent immobiles, leurs visages rudes et sévères parsemés de gouttes de sueurs se fixent mutuellement. Les caméras sont elles aussi des observatrices muettes, retransmettant le combat à venir aux quatre coins de la planète.

    Ils sont dans une salle ronde, aux murs blancs immaculés qui semblent les encercler. Point de public, juste deux hommes face à face dans un ring d'un nouveau genre.
    Résonnant comme un coup de tonnerre, une voix anonyme de baryton se fait soudain entendre, crachée par des hauts-parleurs soigneusement dissimulés :


    - Allez-y !

    Le premier des deux hommes prend une longue inspiration avant de déclamer :

    - Je ne bois jamais d'eau parce les poissons y font des choses dégoûtantes, de W.C. Fields

    Le second esquisse un rictus, et réplique d'une voix ferme :

    - On dit qu'il y a dans le monde une femme qui donnerait naissance à un enfant toutes les deux secondes. Il faut absolument la retrouver pour l'empêcher de continuer, de Sam Levenson.
    - Mon animal préféré, c'est le beefsteak, de Fran Lobowitz,
    - Elle a tellement de dents en or qu'elle dort la tête dans un coffre-fort, de W.C. Fields.
    - L'architecture, c'est l'art de perdre de la place, de Philippe Johnson.
    - Mon frère prend un bain par mois, quoiqu'il arrive... qu'il en ait besoin ou pas, de Lawrence Durell.
    - Mi-temps !

    Une porte s'ouvre dans les parois immaculées, et l'arbitre s'avance. Il offre une petite bouteille d'eau aux deux duellistes puis un sourire quelque peu factice. Les bras mécaniques des caméras règlent leur champ de vision et agrandissent le plan. Après une pause de cinq minutes, durant laquelle ils ne se sont pas quittés des yeux, le combat reprend :

    - Le flamand, ce n'est pas vraiment une langue, c'est plutôt une maladie de la gorge, de Mark Twain.
    - L'Angleterre est le seul pays au monde où manger est plus dangereux que faire l'amour, de Jackie Mason
    - Les Écossais portent des kilts parce les moutons peuvent entendre de très loin le bruit des fermetures Eclair, de Blanche Knolt.
    - Le meilleur remède contre le mal de mer, c'est de s'asseoir sous un arbre, de Spike Milligan.
    - Pourquoi est-ce qu'une carotte est plus orange qu'une orange ? De Ambrose Dukes
    - Si ça ressemble à un lapin, que ça marche comme un lapin et que ça bouge comme un lapin, il faut le laisser encore un peu dans le micro-ondes, de Lori Dowdy.
    - C'est terminé !

    L'arbitre s'avance et sépare les deux hommes qui s'étaient rapprochés, menaçants, à mesure que le duel prenait de l'ampleur. Puis, ce sont les agents de la sécurité qui raccompagnent galamment les deux hommes jusqu'aux loges, le temps de prononcer le verdict.

     

    Devant les millions de télévisions du monde entier, les spectateur retiennent leur souffle. Certains y vont de leurs pronostics pendant la coupure publicité, mais tous se taisent lorsque le présentateur explique en détail les enjeux du combat.


    Une heure plus tard, l'écran montre à nouveau les deux duellistes, côte à côte, le menton relevé et le dos bien droit. L'arbitre se place face à la caméra, et déclare sur un ton solennel :


    - Le combat est désormais terminé. Suite au vote des jurés déclarés volontaires, nous avons un vainqueur, le Général Grafdield. En lieu et place d'un combat armé, ce duel accorde le territoire de l'Alaska au Portugal. La demande des Etats-Unis est rejetée. La bonne soirée à vous !



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    Résumé :

     

    Eli est un clochard, brisé, au bout du rouleau, Belle une prostituée qui cherche à fuir son mac. Matthew est un jeune homosexuel, Seven un tueur à gages sans pitié. Ils ne se connaissent pas mais se retrouvent ensemble sur le même bateau… en partance pour l’Enfer. Un Enfer un peu particulier, qui pourrait être New York mais n’en est qu’une copie… franchement décalée. Tous quatre, armés de leurs seuls soucis et accompagnés par un étrange personnage, n’ont plus alors qu’une idée en tête : trouver un moyen de s’évader.

     

    J'ai aimé

     

    Mon avis :

     

    Ce bouquin est une véritable perle. Une fois commencé, il est franchement difficile de le refermer, car le rythme du récit est haletant.

     

    Le roman débute donc par la mort de nos quatre personnages principaux. Et on est loin de l'idée que je me faisais de l'Enfer. Ici, pas de feux brûlants les damnés, pas d'odeur de soufre.

    L'enfer a été revisité avec une vision bien plus contemporaine : l'entrée, qui fait penser à un hall d'aéroport, ou à une gigantesque administration. Il faut faire la queue, passer des portiques, laisser les objets personnels sur place.

    Et puis, New-York, dans sa version glauque et sordide. La diffusion en permanence d'une télévision à mi-chemin entre le sensationnalisme et les paparazzi.

    Chaque mort est envoyé dans des secteurs différents, en fonction des raisons pour lesquelles il a atterri en Enfers. C'est à la fois un mélange de ce qu'ils redoutent et de ce qu'ils ont toujours vécu. A chacun son enfer.

     

    L'univers est sombre, ultra-violent. Ici, point de fouets ou autres instruments de torture. Epée lance-flamme et Uzi sont de rigueur. Le style narratif varie entre les personnages qu'on suit chacun à leur tout, sans que ce soit lourd ou que ça porte à confusion. Mais globalement, le langage reste cru et sans concession.

    Et malgré la noirceur ambiante fleurissent l'humour noir et le cynisme, donnant une atmosphère survoltée.

    L'auteur n'a rien fait pour nous rendre les personnages attachants, pas de fausses excuses pour expliquer leur présence en ces lieux damnés. Et pourtant, on s'attache à eux, à leurs manies et à leurs caractères, et on les suit jusqu'à la conclusion finale, explosive.

    J'ai d'ailleurs beaucoup aimé le choix qu'a fait l'auteur, doutant jusqu'aux dernières pages de la direction qu'il prendrait.


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  • Ne supportant plus ce spectacle et voulant éloigner Ménandre, le voleur tente un dernier baroud d'honneur en criant un « Tu me fais honte, Echidna » avant de s'écarter et de regagner ce qui leur tient lieu de chambre. Le gamin est sous le choc et reste muet. Elland ne le lâche pas et lui promet qu'ils sont en sécurité ici, même s'il n'en est pas vraiment sûr. A vrai dire, c'est la première fois qu'il voit les gargouilles aussi féroces et dangereuses. Et bien qu'il ne l'avouerait pour rien au monde, il a peur...
    Assis côte à côté sur la paillasse du voleur, ils se perdent en spéculations sur l'origine cette bagarre. Elles devaient être à cran, c'est certain, comme tout le monde. Et peut-être qu'une simple boutade a mis le feu aux poudres. Ou alors, c'est une histoire de jalousie. Ou alors, elles ont voulu... Il tourne brusquement la tête en devinant un mouvement à l'entrée de la pièce. C'est Echidna, la tête basse et les ailes pendantes, qui s'avance en tentant de se faire toute petite. Ménandre a un mouvement de recul involontaire, et la gargouille s'aplatit au sol pour se faire pardonner. Dans ses yeux se lisent la honte et le remords.
    Elland tente de garder un visage dur, pour bien marquer son mécontentement. Mais de l'épaule d'Echidna coule un épais liquide pourpre.


    - C'est malin, t'es blessée... Allez, viens, approche.

    Contrite, elle obéit et s'allonge près de lui. A l'aide d'un tissu et d'un peu d'eau fraîche, il nettoie la plaie tout en la sermonnant. Il repère de nombreuses autres éraflures qu'il lave également. Pèire entre alors dans la salle avec un pot d'onguent qu'il tend au voleur avant d'examiner la gargouille.

    - Mets-en régulièrement sur les plaies. Elle devrait être rapidement guérie. Et merci pour ton aide.
    - Mon aide ?
    - Echidna a tout de suite arrêté quand tu lui as parlé. Alors les autres t'ont imité. Il leur a fallu plus de temps mais ça a mis fin à la bagarre. Elles ne m'écoutaient pas. Elles ne voulaient rien savoir.
    - Tu sais pourquoi elles se sont battues ?
    - L'une d'entre elle a fait un commentaire sur la valeur du maître d'une autre. Alors chacune y est allée de sa remarque désobligeante et elles en sont venues aux griffes pour laver l'affront. Echidna était la plus virulente pour sauver ton honneur.

    Elland jette un regard à Echidna, en essayant de prendre l'air sévère. Elle a la bonne idée de paraître plus désolée encore, et laisse échapper un faible gémissement.

    - C'était stupide de rentrer dans leur jeu, Echidna. Tu aurais dû les ignorer.

    Elle baisse les yeux et se cache la tête sous les pattes. Attendri, le voleur la caresse derrière l'oreille et la remercie dans un murmure. Après tout, elle a pris sa défense ! Et pour être tout à fait honnête, si quelqu'un avait dit du mal d'elle, il lui aurait cassé la figure aussi.

    - On va rentrer à Rivemorte, Pèire.
    - J'allais te le conseiller.
    - Elle peut voler malgré ses blessures ?
    - Oui, elles sont superficielles. Echidna saura où me trouver si besoin. Soyez prudent.

    Pèire lui offre un dernier sourire avant de quitter la pièce. Il a sans doute encore beaucoup d'autres gargouilles à soigner. Elland applique avec douceur l'onguent sur les plaies, observé par le gamin silencieux. Son envie de partir est pressante et irrépressible. Il ne supporte plus cette prison dorée. Mais il y a Ménandre. Lorsqu'il en a terminé, il se tourne vers lui et lui demande :

    - Tu veux rentrer avec moi ?
    - Non. Pèire me ramènera.
    - Je... Tu connais l'Hermine Affamée ?
    - Oui, elle est sur la place du marché.
    - Exactement. Si tu as besoin de quoi que ce soit, attends-moi là-bas. J'y déjeune tous les jours. N'hésite pas, bonhomme.

    Les yeux du gamin sont un peu trop humides et il se contente d'acquiescer. La gorge nouée par l'émotion, Elland lui ébouriffe les cheveux avec tendresse. Il se redresse brusquement pour couper court aux effusions et rassemble ses affaires dans un ballot. Echidna est prête à partir et ne semble pas le moins du monde gênée par sa blessure. Elland s'accroupit à hauteur du gamin, et lui répète :

    - Je t'aiderai Ménandre, je te le promets, alors n'hésite pas.

    A nouveau, le gamin se contente d'acquiescer, les yeux remplis de larmes. Et soudain, il se jette sur Elland pour le serrer dans ses bras. Les yeux écarquillés, le voleur reste figé, abasourdi. Et fini par l'étreindre à son tour, dans un silence chargé d'émotion.

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    Les feuilles dorées du charme s'agitent paresseusement au gré du vent, se laissant parfois emporter par sa danse erratique. Un écureuil, curieux, observe l'étrange rituel qui a lieu quelques mètres plus bas. Quelques branches plus loin, un rouge-gorge encourage le travailleur en chantant à tue-tête.

    Une omelette au lard. Une énorme omelette, bien baveuse, du lard grillé, et de croustillantes pommes de terre. Son estomac grogne en signe de protestation alors qu'il imagine le dîner qu'il va préparer ce soir. La hâche s'abat à intervalles réguliers sur le tronc, s'enfonçant toujours plus loin, faisant vaciller le chêne colossal. Ash l'observe de son regard impassible.

    Emmanuel, vêtu d'une épaisse chemise en flanelle, d'une solide paire de Jean's et de bottes de sécurité, ahane au rythme des coups. Il a dégagé autour de lui les branches mortes, les ronces, les arbustes et les grosses pierres afin de diminuer au maximum les risques. L'arme s'élève une ultime fois dans les airs, provoquant un vacillement plus tangible. Emmanuel se met en sécurité vers Ash, et observe : le géant titube, oscille, chancèle, et fini par s'écraser au sol dans un fracas de branches brisées. Exactement à l'endroit prévu.

    Le calme revient sur la forêt et l'enveloppe de son aura rassurante. Reprenant doucement son souffle, Emmanuel murmure quelques mots d'accompagnement. Bien qu'il ne l'avouerait pour rien au monde, il remercie toujours la forêt de lui avoir donné un arbre. Aux odeurs d'humus, de mousse et de bois mort s'ajoute désormais celle d'un arbre fraîchement coupé. Le rouge-gorge a repris son chant. Un bruissement dans les feuilles mortes indique la présence d'un quadrupède dans les environs. Ash secoue la tête, avant d'hennir doucement. Pas le temps de bâiller aux corneilles, lui aussi a faim.

    Le jeune bûcheron passe une main calleuse dans ses cheveux ras et se remet en mouvement. Habillement, il ébranche le tronc pour faciliter le travail de son compagnon, puis il place les chaînes autour de l'écorce rugueuse. Il appelle son cheval d'un claquement de langue. Sur l'étroit sentier escarpé, la force et l'agilité du cheval sont les plus adaptés pour déplacer les coupes. La pente légère l'aide alors que ces sabots massifs s'enfoncent dans le sol humide.

    Le crépuscule est déjà tombé, et le nuage de fumée blanche qui se forme à chacun de ses respirations indique à Emmanuel que la nuit sera froide. Très froide. La clairière se dessine enfin au bout du passage, trouée verdoyante cernée par les feuillus imposants. Comme toujours, il contemple de son regard saphir l'abri composé de rondins de frêne, de chaume et percé de deux minuscules fenêtres. Son refuge, cinq jours par semaine. Non loin, les quatre troncs de chênes et de hêtres qu'il a abattu depuis le début de la semaine.

    Ash, son cheval de trait Ardennais à la robe grise, traîne docilement le tronc jusqu'aux autres. Le dételer et enlever les chaînes ne prend qu'une vingtaine de minutes, habitude oblige. Malgré sa faim et ses muscles perclus de douleurs, Emmanuel s'occupe d'abord d'Ash. Tout en lui murmurant des remerciements, il le brosse longuement et insiste particulièrement sur ses fanons noirs, de longs poils qui recouvrent ses sabots et qui récupèrent toutes les herbes sèches de la forêt. Puis il va chercher de l'eau fraîche au puits, qu'il rapporte en même temps qu'un sac d'avoine. Il n'a pas besoin de longe, Ash le suit avec entrain jusqu'à la stalle où il passera la nuit. Comme autrefois, cette pièce est directement reliée à la pièce principale de l'abri grâce à une large ouverture dans le mur, pour qu'ils partagent leur chaleur.

    Son compagnon nourri, Emmanuel ressort et va puiser l'eau dont il aura besoin ce soir. Un ululement sinistre résonne dans le ciel obscurci : la nuit est là. Hâtant le pas, il rentre dans son refuge, ferme la porte, et allume, à l'aide de son briquet, les quelques bougies qui parsèment la pièce : l'électricité ne vient pas plus jusque là que l'eau courante.
    Alors qu'il s'affaire à son dîner, il fait le point : il a abattu suffisamment d'arbres pour la semaine. Demain, il ira nettoyer les ronces, sécuriser les arbres malades et sélectionner ceux qui remplaceront le chêne abattu aujourd'hui. Après-demain, avec un pincement au cœur, il retournera à la civilisation le temps du week-end.

    L'odeur de bois du refuge est remplacée progressivement par celle de la nourriture. Le murmure de la vie diurne s'est éteint. Seul subsiste le bruissement des feuilles, et de temps à autres, le cri menaçant des rapaces nocturnes en chasse.

    Assis derrière la fenêtre, il savoure son dîner amplement mérité en observant la forêt qui l'entoure. C'est dangereux d'abattre les arbres seul mais trop peu de personnes souhaitent cette vie de solitude. Et de difficulté, car il faut bien reconnaître qu'il est moins aisé d'utiliser une hâche et un cheval qu'une tronçonneuse et un tracteur. Mais c'est le meilleur moyen pour préserver la faune et la flore. Raisonnée, c'est ainsi que doit être la sylviculture : préserver et entretenir les espaces, en sélectionnant rigoureusement les coupes.


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